L’éditorialiste politique du journal pan-arabe Al-Qods Al-Arabi a piqué une grosse colère, ce lundi 17 janvier, contre les despotes arabes qui regrettent déjà le renversement de Ben Ali. Nous traduisons intégralement ce texte, aux accents parfois ampoulés, pour illustrer le ton et la fébrilité de la presse pan-arabe à la suite du déclenchement de la révolution tunisienne. Pour une analyse plus pointue, nous conseillons cependant de lire l’article de Jean-François Bayart (CNRS – Paris) paru sur mediapart.fr. En conclusion de ce texte, J-F Bayart doute, contrairement à l’éditorial de Abdel Bari Atwan, que les événements en Tunisie soient réellement une révolution durable et une sortie garantie de l’autoritarisme.
L’article de Abdel Bari Atwan : « Aux amis du président déchu » (17 janvier 2011)
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Traduction : Pierre Coopman (20 janvier 2011)
Les régimes arabes observent attentivement l’évolution de la situation à Tunis, après la fuite du président Ben Ali et de sa famille vers une prison dorée, en Arabie saoudite. Car tous les facteurs qui ont mené à la révolution populaire en Tunisie se retrouvent dans l’écrasante majorité des Etats gouvernés par ces régimes. Et nous n’exagérerons pas en affirmant que l’économie de la Tunisie est bien meilleure que les économies actuelles de ces Etats. Il est clair que ces régimes ne désirent pas la réussite de cette révolution populaire tunisienne. Et ils ne veulent pas que la stabilité prévale en Tunisie. Ils se réjouissent à chaque fois que l’on annonce que la violence éclate, que l’on pille ou que l’on vandalise les biens publics ou privés. C’est une vérité directement observable pour ceux qui lisent les journaux de ces régimes et regardent leurs télévisions officielles ou semi-officielles (…).
Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Abou Al-Gheit, était visiblement embarrassé quand un journaliste lui a demandé s’il est possible qu’une telle révolution se propage à l’Egypte. Il a qualifié ce genre de suppositions de paroles creuses. Le ministre Al-Gheit n’a pas dit que la situation économique en Egypte est bonne et que les pratiques démocratiques égyptiennes sont transparentes ou peuvent être qualifiées d’honnêtes et libres. Il n’est pas allé jusqu’à affirmer que la justice est indépendante et que le taux de chômage est le plus bas de la région. Il ne l’a pas dit, parce que ce qui se passe dans son pays est tout le contraire. Il lui suffisait de répondre par cette entourloupette.
Le moment décisif qui a permis de renverser un président en Tunisie, et qui effraye tellement ces régimes arabes, est celui où l’armée tunisienne a choisi de se positionner en faveur du peuple et a refusé de tirer sur les manifestants. Ce moment a vidé de sa substance un pouvoir présidentiel qui, depuis 23 ans, gouvernait le pays d’une main de fer, par obsession sécuritaire. Le général Rachid Ben Amar, à la tête de l’armée tunisienne, mérite sa place dans l’histoire, tout comme le martyr Mohamed Bouaziz, fils de la ville de Sidi Bouzid qui a allumé la mèche de la révolution en s’immolant par le feu devant le siège du gouvernorat, pour protester contre la confiscation de son étal de fruits et de légumes. Les hommes de la sécurité refusaient d’écouter ses plaintes, avec insolence et mépris pour le citoyen et pour son combat quotidien afin de gagner sa croûte. Quant au général Rachid Ben Amar, il a refusé, dans les instants critiques, d’obéir aux ordres du président de faire avorter la révolte par la force.
Les armées sont les piliers les plus forts et les plus influents dans les pays (…) où les institutions civiles élues selon les règles viennent à manquer. C’est le cas en Egypte, mais également en Syrie, au Pakistan et même en Turquie. C’est ce qui explique l’initiative, prise par l’Américain Paul Bremer, de dissoudre l’armée irakienne parce qu’il la considérait comme étant la plus grande menace pour l’occupation américaine et pour les réformes politiques qu’il voulait voir organisées par les hommes du «nouvel Irak». Les régimes dictatoriaux arabes et corrompus continueront à se cramponner au pouvoir avec leurs griffes et leurs dents, tout comme l’ont fait les régimes du bloc socialiste après la chute du mur de Berlin. Mais ils s’effondreront en fin de compte, comme leurs homologues socialistes, face à l’inexorable montée du courroux populaire.
Le spectre d’une alternative islamiste radicale, instrumentalisé par ces régimes arabes durant les trente dernières années, pour convaincre l’Occident de leur accorder leur soutien, s’est également effondré avec la chute du régime tunisien. L’on peut avancer deux raisons fondamentales : la première est que les gouvernements occidentaux et plus particulièrement les Etats-Unis, ne peuvent pas empêcher la chute d’un régime si il est la résultante d’une révolution populaire interne. La seconde est que nous croyons que les Etats-Unis se sont rendus compte que les régimes dictatoriaux corrompus sont plus dangereux pour leur sécurité que ne le sont les islamistes radicaux. Les récents changements dans la position américaine le confirment. Nous pouvons le constater dans le « speech » de Hilary Clinton lors de sa participation au Forum de l’Avenir, qui s’est tenu à Doha la semaine passée (11 au 13 janvier)… Elle y a houspillé les ministres des Affaires étrangères arabes. Elle a accusé leurs régimes de freiner la modernisation et indiqué que leurs pratiques dictatoriales favorisent la corruption.
Le président Ben Ali a voulu rejouer cette carte de l’extrémisme islamique dans le premier discours de crise qu’il a tenu, après avoir interrompu ses vacances à Dubaï avec sa famille (…). Il a d’abord traité les insurgés de terroristes, espérant que l’Occident avale la couleuvre et lui reconduise son soutien. Mais ses veilles méthodes n’ont plus fonctionné. Il a compris le message et a choisi de supplier le peuple, a reconnu ses erreurs et fait toute une série de concessions promettant de combattre la corruption et d’abdiquer après trois ans. Mais le peuple ne lui a pas fait confiance, a continué le soulèvement, et a fini par le renverser. Ben Ali n’a pas trouvé un seul ami parmi les dirigeants arabes pour le soutenir, à l’exception du colonel Kadhafi, qui ne s’est pas contenté de louanger Ben Ali mais également Nicolas Ceaucescu… Kadhafi a pris parti contre la révolution populaire, lui qui s’est toujours vanté d’être du côté des révolutions populaires (…) mais le dirigeant libyen se rend aujourd’hui très bien compte, au plus profond de lui-même, que le véritable gouvernement populaire et le vrai pouvoir des masses se fondent sur un scrutin démocratique, le choix démocratique libre… Ce qui va probablement émerger dans la Tunisie nouvelle, grâce au sang des martyrs, n’est pas illégitime.
Nous ne devrons pas nous étonner si les dictateurs arabes déclareront la guerre à la Tunisie et même, pour être plus précis, au peuple tunisien. Car ce peuple a brisé le bâton qui lui intimait d’obéir. Ce peuple a osé le «crime démocratique.» Les dictateurs auront peur, désormais, de voir se propager la maladie et de devoir affronter leur propre destin. L’on peut certes craindre que les opportunités de cette révolution soient prises en otage (…) que l’on vole le sang de ses martyrs. C’est une crainte légitime, mais nous pouvons faire confiance au peuple tunisien. Il lèvera la voix pour ne pas autoriser cela. Il augmentera ses aspirations et ses capacités à préserver ses acquis historiques et se libèrera de la culture de la peur, maintenant qu’il a gagné en confiance et en volonté.
Nous avons conscience que quelques symboles de l’ancien régime complotent encore et s’accrochent pour rester dans les cercles du pouvoir, tandis que les appareils répressifs de Ben Ali essayent encore de déstabiliser la situation et de répandre la peur. Mais nous pouvons être rassurés, à ce stade, l’armée leur barrera la route avec force et détermination. Nous nous étonnons de constater que le premier ministre du régime déchu, Mohamed Ghanouchi, domine le paysage politique et que les négociations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement d’unité nationale sont menées sous sa présidence, comme si, du jour au lendemain, il était devenu un doux agneau. Aurait-il changé de peau en quelques heures ? Ancien ministre de l’économie, cet homme a été l’artisan d’une politique désastreuse qui fut à l’origine des révoltes. Mais c’est néanmoins cette politique qui lui a permis de devenir premier ministre. Cet homme devrait être envoyé au «musée des retraités». S’il n’a pas commis de crimes dont il devra rendre compte, il faudra au moins que l’on enseigne sa politique économique à l’université tunisienne, comme exemple à ne pas suivre… Pire encore que les ministres, d’autres ont «trompé le président Ben Ali», tout comme ils ont trompé le peuple. La palme reviendra au docteur Abdel Wahab Abdallah, le maître à penser de la théorie de la répression des médias et de la censure (ndlr. Abdel Wahab Abdallah était le porte-parole de la présidence).
Nous demandons au peuple tunisien et à ses nouveaux dirigeants de défendre et de stabiliser le pays, de protéger les biens publics, de faire preuve de patience, de calme, de tolérance, d’éviter tout désir de vengeance, de traiter ceux qui symbolisent l’ancien pouvoir en se souciant de la justice. Enfin, nous formulerons deux autres demandes : que le vendredi 14 janvier 2011 devienne le jour de la victoire des peuples arabes, que ce jour soit fêté de toutes parts dans le monde arabe. Nous demanderons ensuite, d’ériger une statue à la gloire du martyr Bouaziz et de placer son étal de fruits et légumes dans un musée. Cet étal et son propriétaire laisseront indubitablement une trace dans l’histoire de la Tunisie et de l’humanité.
Abdel Bari Atwan, 17 janvier 2011
si Abdel Bari
comment je peux vous remercier pour votre de votre soutien a la RÉVOLUTION DE LA JEUNESSE TUNISIENNE que nous avons payer très très chers par nos martyrs
votre soutien nous es indispensable mille merci si ABDELBARI
مليون شكر لعبد الباري عطوان