Que peut dire Assad qu’il n’ait déjà dit ? Combien de temps va-t-il devoir frapper en vain à la porte verrouillée d’Israël ?
Gideon Levy
11 juillet 2010 – Ha’aretz
On ne pourrait l’exprimer plus explicitement, plus clairement et avec plus d’insistance. Lisez et jugez par vous-mêmes : « Notre position est claire : si Israël rend tout le Plateau du Golan, bien sûr nous signons un accord de paix avec lui… Où est la paix quand l’ambassade est encerclée par la sécurité, quand il n’y a ni commerce ni tourisme entre les deux pays ? Ce n’est pas la paix. C’est un accord de cessez-le-feu permanent. C’est ce que je dis à quiconque vient à nous pour parler de la position syrienne : nous sommes intéressés par une paix globale, c’est-à-dire, par des relations normales ».
Qui a dit cela et à qui ?
Le président syrien Bashar el-Assad au quotidien libanais As-SAfir, la semaine dernière. Ces propos stupéfiants ont été tenus à des oreilles arabes, pas occidentales, et ils sont passés pratiquement inaperçus ici. Vous pouvez le croire ?
Que peut dire Assad qu’il n’ait déjà dit ? Combien de fois doit-il exprimer ses intentions pacifiques avant qu’on se réveille ici ? Combien de temps va-t-il devoir frapper en vain à la porte verrouillée d’Israël ? Et si cela ne suffisait pas, il a aussi appelé la Turquie pour qu’elle agisse afin de calmer sa crise avec Israël et qu’elle puisse se faire le médiateur entre Israël et la Syrie.
Les paroles d’Assad auraient dû faire les gros titres des infos la semaine dernière, et ceux des prochaines semaines. Anwar el-Sadat en avait dit moins que cela avant de venir en Israël. A cette époque, nous avions été enthousiasmés par ses paroles, aujourd’hui, de façon éhontée, on ne s’occupe pas de telles déclarations.
Cela nous amène à une seule conclusion : Israël ne veut pas la paix avec la Syrie. C’est la leçon. Il préfère le Golan à la paix avec l’un des ses plus grands et plus dangereux ennemis. Il préfère l’immobilier, les chambres d’hôte, l’eau minérale, le vin au goût du jour et quelques milliers de colons à un changement stratégique dans son statut.
Imaginez ce qui arriverait si nous sortions des ruines de notre statut international pour signer un accord de paix avec la Syrie – à quel point le climat international à notre égard changerait soudainement, l’ « axe du mal » se fissurerait, et les forteresses de l’Iran qui s’affaibliraient, et comment le Hezbollah se retrouverait avec un œil au beurre noir, plus que dans toutes les guerres du Liban.
Et peut-être même que Gilad Shalit, retenu prisonnier par le Hamas basé à Damas, peut-être qu’il serait libéré. Cela paraît trop beau pour être vrai ? Peut-être, mais Israël n’essaie même pas. Un Premier ministre qui ignore une telle occasion n’est pas moins qu’un criminel de la paix.
Au lieu de la marche pour Shalit qui vient de s’achever, une autre marche aurait dû être organisée cette semaine, une autre plus imposante, plus déterminée, qui aurait exigé du gouvernement israélien, le refuseur de paix, qu’il agisse. Des cris rauques en seraient montés : « La paix avec la Syrie, maintenant ! ». Mais cette marche ne partira pas cette semaine. Apparemment, elle ne partira jamais.
Le compositeur interprète Shlomo Artzi, le chef d’orchestre Zubin Mehta et les honorables manifestants qui ont marché pour le soldat ne le feront pas pour soutenir un mouvement qui épargnerait la vie de nombreux soldats et civils. Pourquoi ? Parce qu’il faut du courage. Pourquoi ? Parce que Assad a raison quand il déclare à La Repubblica en Italie : « La société israélienne a trop penché à droite, elle n’est pas capable de faire la paix avec la Syrie. »
Certes, les Israéliens disent que le chef du Mossad pense que Assad ne fera jamais la paix parce que toute la justification de son régime se base sur son hostilité envers Israël. Nos experts ne font jamais d’erreur, quoique on ait dit la même chose à propos de Sadat. Certes, Assad dit aussi d’autres choses.
D’autres choses ? Pas vraiment. Il a dit que s’il ne réussissait pas par la paix, il essaierait de libérer le Golan par la résistance. Illogique ? Illégitime ? N’est-ce pas là une raison pour essayer de le défier ? Qu’avons-nous à perdre, sinon une chance ? Même la dernière feuille de vigne derrière laquelle se sont cachés quelques Premiers ministres ici – comme quoi les USA s’opposeraient à la paix avec la Syrie – est absurde.
Quelqu’un voit-il le Président US Barak Obama s’opposer à une initiative de paix avec la Syrie ? Quel dommage qu’il ne fasse pas pression sur Israël pour aller de l’avant avec lui !
Et puis, il y a ce vieux refrain : « Assad n’est pas sérieux. » Quand les dirigeants arabes font des menaces, ils sont sérieux ; quand ils parlent de paix, ils ne le sont pas. Et aussi : « Nous allons rendre le Golan et nous retrouver avec un bout de papier et des missiles. »
Vous vous rappelez comment on disait la même chose à propos de l’Egypte ? Et pourtant, aujourd’hui nous persistons : le Premier ministre manque de façon criminelle une chance historique de faire la paix, et nous restons là à bâiller, complètement indifférents. Ca semble logique, pas vrai ?
tp://www.haaretz.com/print-edition/opinion/a-peace-crime-1.301190
traduction : JPP