Les jeunes juifs « s’éloignent du judaïsme » parce que son seul contenu est le « pro-israélisme »-Alterman


PHILIP WEISS 20 JUIN 2022
L’auteur sioniste libéral Eric Alterman affirme qu’Israël a perdu les Juifs et les libéraux américains parce qu’il n’a aucun « contenu » à offrir en dehors de la propagande éculée « Tout le monde déteste les Juifs ».

ERIC ALTERMAN À L’UNIVERSITÉ DE TEL AVIV, 29 MAI 2022.


Eric Alterman est un important intellectuel libéral sioniste, et il perd patience avec Israël. S’exprimant à l’université de Tel Aviv fin mai, il a déclaré qu’Israël a perdu la gauche américaine, et que le judaïsme est lui-même en crise parce que son seul contenu est le pro-israélisme.

Et p.s., Alterman a supprimé les organisations pacifistes israéliennes de son testament parce que la société israélienne va dans le mauvais sens.

« Israël a perdu la gauche. Cela ne fait aucun doute, et il ne pourra pas la récupérer tant qu’il y aura cette occupation. Et même votre bon gouvernement a 72 voix à droite et construit 4000 nouvelles colonies, il fait des choses terribles tous les jours », a déclaré Alterman.

Israël a perdu les Juifs et les libéraux américains parce qu’il n’a aucun « contenu » à offrir en dehors de la propagande éculée « Tout le monde déteste les Juifs » qui n’a aucun sens pour les jeunes Juifs.

Alterman :

Israël a un programme de hasbara, et tous ces groupes tentent de toucher les libéraux américains. Mais ils n’ont plus rien à offrir. Parce que l’argument qu’on m’a donné, qui avait du sens pour moi quand je grandissais et qui en avait peut-être pour ma fille, à savoir qu’il y a eu un Holocauste, que les Juifs n’ont jamais été en sécurité, que les Israéliens ont été envahis et sont en danger à chaque instant, cet argument ne tient plus la route. Les juifs américains reçoivent toujours exactement le même argument de la part des organisations juives et de leurs parents et grands-parents, mais ils apprennent quelque chose de très différent à l’université… Ils voient quelque chose de très, très différent aux informations… Pour la première fois – c’est très important – vous pouvez réellement obtenir de bonnes informations d’Israël et de la Palestine si vous le souhaitez. Tout est disponible sur les médias sociaux, Internet et Haaretz. Ce qu’ils voient, ne leur plaît pas. Vous pouvez dire que nous sommes plus gentils avec les homosexuels que n’importe qui d’autre dans la région. Ils ont une réponse à cela.

Les jeunes juifs laïcs abandonnent le judaïsme lui-même.

Le rabbinat juif américain devient pro-palestinien. Les jeunes juifs américains s’éloignent du judaïsme. Soit ils se détournent d’Israël en général, soit ils se détournent complètement du judaïsme. Parce que le judaïsme n’a pas de réponses pour eux, parce que la réponse qu’ils reçoivent est « Pro-Israël, attention à l’antisémitisme ». Il n’y a pas de contenu. Ce n’est pas vrai pour les orthodoxes… Mais le judaïsme américain laïc est en train de mourir sur pied, parce qu’il a été remplacé par rien d’autre que le pro-israélisme, et le pro-israélisme ne fonctionne plus.

Alterman, qui va sortir un livre intitulé « We Are Not One » sur le gouffre entre les juifs américains et les juifs israéliens, affirme que si l’on veut sauver le judaïsme, une partie des 50 millions de dollars que les organisations juives ont dépensés pour Birthright – l’envoi de jeunes juifs en Israël pendant 10 jours – devrait être consacrée à l’enseignement des « merveilles de l’histoire et de la culture juives », afin de rajeunir les institutions juives américaines et les institutions de justice sociale.

L’écrivain joint le geste à la parole. M. Alterman, âgé de 62 ans, a déclaré au public israélien de gauche qu’il supprimait les organisations israéliennes pour la paix de son testament.

Je suis désolé, je vous abandonne, vous et vos collègues. Je vais consacrer mon attention à rajeunir le judaïsme américain. Ce sont mes gens. J’avais l’habitude de mettre dans mon testament des groupes de paix israéliens, je change mon testament et je finance des institutions savantes et charitables juives américaines. A une exception près. [T’ruah.]

La modératrice Yael Sternhell a dit :  » Sérieusement ?  » et Alterman a répondu qu’Israël l’avait quitté, il n’a pas quitté Israël :

J’ai l’impression qu’Israël a dit aux juifs américains, nous poursuivons notre chemin, et c’est à prendre ou à laisser. Et de plus en plus de Juifs américains et de libéraux américains vont simplement partir. Ils ne vont pas se battre. Parce que ce n’est plus central à leur identité. comme ça l’était pour une génération dont les grands-parents avaient vécu l’Holocauste… qui pouvait regarder Exodus et y croire.

C’est drôle qu’Alterman retire publiquement les groupes israéliens de son testament, parce que cette société a perdu son chemin, et qu’il dise pourtant qu’il ne croit pas au BDS. Alors qu’en réalité, il effectue son propre type de boycott politique.

Alterman a très bien résumé l’humeur de la gauche sur Israël.

« La norme est de parler d’Israël comme d’un État colonial de colons. La norme est [de dire] apartheid…

Toutes les universités d’élite sont pro-palestiniennes. Toutes les revues libérales ou de gauche sont pro-palestiniennes, depuis The New Republic à The New York Review of Books. « J’étais la dernière personne à défendre Israël en toutes circonstances à la Nation. »

Depuis les années 80, Israël oblige les libéraux à choisir entre le libéralisme et le sionisme, « parce que l’occupation est éternelle » et que « le sionisme est très problématique vu la manière dont il est promulgué. » Les libéraux n’aiment pas l’idée d’un État juif.

Parmi les libéraux américains, c’est devenu inconfortable. Quelle est la raison pour laquelle des personnes vivant les unes à côté des autres ont des droits si différents. Comment l’expliquer, si l’occupation ne va nulle part.

Bonnes questions. Israël répond : « Les Arabes vont nous détruire. Taisez-vous et signez le chèque », dit Alterman, et la réponse libérale américaine est de s’en aller.

Permettez-moi maintenant d’aborder les parties du discours d’Alterman que j’ai trouvées peu convaincantes. Voici une partie de son argumentation contre le BDS :

Le mouvement BDS ne fait rien pour les Palestiniens, sauf peut-être leur donner le sentiment qu’ils n’ont pas été complètement oubliés… Il est contre-productif à bien des égards. Il a donné aux politiciens américains et israéliens une raison de fermer le discours. Boycotter les Juifs est une mauvaise idée ; ils n’y répondent pas bien, ils ne vous donnent pas ce qu’ils veulent….. [L’idée de dire] aux cinéastes, aux artistes et aux musiciens israéliens de ne pas venir en Amérique pour parler aux étudiants est insensée. La seule façon qu’il y ait la paix et la dignité pour les Palestiniens… est qu’Israël décide que c’est OK. Parce qu’Israël peut l’empêcher. Lors des quatre dernières élections, il n’y a même pas eu de discussion [sur les droits des Palestiniens]. BDS est contre-productif à tous ces égards. Aucune grande université, aucun gouvernement local, aucun syndicat ne l’a approuvé.

Ma réponse immédiate est la suivante : « C’est un argument conservateur ; ses valeurs ne devraient avoir aucun attrait pour les progressistes. L’affirmation selon laquelle il n’est pas important que le mouvement BDS donne aux Palestiniens le sentiment de ne pas être oubliés est affreuse. Les Palestiniens se font tuer tous les jours, et si les Palestiniens veulent le BDS uniquement parce qu’il attire l’attention, nous devons les écouter, car ce sont eux qui subissent les persécutions, tout comme nous avons écouté les Noirs sous Jim Crow.

L’idée qu’Israël est le seul moyen d’offrir aux Palestiniens la paix et la dignité est également très conservatrice. Tout l’argument de BDS est qu’Israël n’accordera jamais de droits aux Palestiniens, que la société est très heureuse de l’apartheid et que les gens doivent prendre le pouvoir dans leurs propres mains. C’est une réponse progressiste très traditionnelle (Afrique du Sud).

Je pense qu’Alterman est également conservateur et peu imaginatif en ce qui concerne le discours américain. Il voit la gauche se retourner contre Israël, mais il affirme que cela n’aura aucune conséquence politique.

« Parce que les pouvoirs en place sont tellement enracinés. Le parti républicain est tellement dévoué à sa position sur Israël, et les démocrates ont tellement peur de s’attaquer à ce monstre qui s’abattra sur eux s’ils dépassent les bornes, que cela n’a aucune valeur. Pour autant que je puisse dire. Je ne vois rien de bon dans l’occupation. Donc je vois juste les lignes devenir de plus en plus antagonistes et de plus en plus de disputes sur des mots comme apartheid, mais très peu de changement systématique ou institutionnel dans la façon dont le gouvernement américain opère vis-à-vis d’Israël. »

Et si l’Amérique disait « ça suffit » à Israël, ce dernier l’ignorerait tout simplement, selon Alterman.

« C’est un problème pour la réputation d’Israël, et pour vos amis, peut-être les enfants de vos proches, et les tsuris, mais je ne vois pas de changement fondamental. Je vois juste l’argument devenir de plus en plus laid. »

Je pense qu’Alterman rationalise l’ordre politique tel qu’il est, avec le lobby israélien qui dicte la politique, parce qu’il aime cette façon de faire. Mon point de vue est que le lobby israélien est le « monstre », comme le dit Alterman – et si vous brisez le lobby, cela changera la politique. En ce moment, J Street sent qu’il peut évincer l’AIPAC du parti démocrate et mettre en place son propre programme pro-israélien. C’est un développement important. Si vous êtes un progressiste, vous devez croire que le Squad – qui, selon Alterman, n’a aucune traction – commencera à décoller davantage de démocrates anti-occupation pour arrêter de financer l’apartheid.

Traduction avec Deepl de l’article sur Mondoweiss

Pourquoi la non-violence a échoué en Syrie


Ammar Abdulhamid

Vous trouverez une version plus longue de cet article (en anglais) ICI

Beaucoup continuent à se demander en Syrie et dans le monde pourquoi le soulèvement syrien a pris une tournure aussi violente, malgré le courage et l’abnégation de ses dirigeants de la première heure. En fait, cette évolution est imputable à la stratégie sophistiquée mise en œuvre par le régime d’Assad dès le départ. Comprendre cette stratégie, plutôt que de se lamenter sur la situation, comme continuent de le faire tant de défenseurs et de théoriciens de la non-violence, pourrait aider à empêcher qu’elle ne se reproduise ailleurs.

La stratégie de répression d’Assad comportait un certain nombre d’éléments :

Les tendances sociopathes, criminelles et sectaires de la famille Assad et de leurs alliés triés sur le volet au sein de l’élite dirigeante.

Dans le cas des Assad et de leurs partisans, nous avons clairement affaire à un syndicat du crime où les liens familiaux et les loyautés sectaires jouent un rôle primordial dans la dynamique interne et la prise de décisions du régime. La façon dont les syndicats du crime à caractère familial relèvent certains défis posés à leur autorité se distingue de celle des acteurs politiques traditionnels. Les « lignes rouges » sont totalement différentes, et le machisme et l’ego l’emportent souvent sur des approches plus rationnelles. En effet, lorsque la sociopathie gangrène manifestement les postes clés, la non-violence a peu de chances d’être efficace. On ne peut pas faire appel à l’inexistante conscience des psychopathes. La non-violence n’a pas pour objet de modifier l’avis des sociopathes, mais d’inciter les personnes qui ont une conscience – et qui sont en position de pouvoir- à marginaliser les sociopathes. Il semblerait que les Assad avaient pour stratégie de saper cette possibilité. Ils sont peut-être sociopathes, mais ils ne sont pas tous idiots, ou du moins pas leurs conseillers.

Campagne systématique d’arrestations, de torture, d’assassinats, d’expulsions et de migration forcée à l’encontre des principaux leaders de la jeunesse qui prônaient l’approche non violente.

Les premiers mois de la révolution syrienne ont été marqués par une campagne massive d’arrestations et d’intimidation qui visait en particulier les partisans de la non-violence, à preuve les rapports des organisations de défense des droits de l’homme et des quelques correspondants étrangers qui se sont rendus dans le pays. L’élimination des champions les plus actifs et les plus visibles de la non-violence a privé un mouvement déjà fragmenté des seuls leaders de base dont il disposait.

La campagne systématique d’extrême violence perpétrée par le régime et ses partisans contre les communautés protestataires a pris pour cible les femmes et les enfants qui participaient à des manifestations non violentes dans le  but exprès de susciter une réponse violente.

Le régime Assad a libéré des éléments djihadistes et terroristes connus des prisons d’État au moment même où les leaders des manifestations non violentes étaient emprisonnés. Cette tactique est parfois appelée la « personnalisation des ennemis ». L’approche est risquée en soi, mais elle peut servir à diviser les rangs de l’ennemi en créant un camp plus radical en son sein et, dans ce cas, en éliminant les partisans de la non-violence. Cette tactique a été utilisée à plusieurs reprises par le régime d’Assad pendant la guerre civile libanaise, lui permettant de s’imposer comme le principal courtier du pouvoir dans ce pays.

Prévalence d’un ethos sectaire fondé sur un vieux complexe de persécution profondément ancré dans les troupes et milices pro-régime

À en juger par la rhétorique des troupes et des milices pro-Assad dès les premiers jours du soulèvement, il est clair que la répression a été alimentée par un ethos sectaire propre à la communauté alaouite et à la manière dont elle vit et a vécu sa position dans la société syrienne. La violence que ces troupes étaient prêtes à perpétrer semble avoir été justifiée en interne non pas par la nature du mouvement de protestation, mais par un complexe de persécution profondément ancré et par la mémoire collective des injustices passées. Ils ont ainsi ciblé des civils non armés et bombardé leurs quartiers.

Clivages sectaires et régionaux de la société syrienne

Les alaouites ne constituaient pas la seule communauté à examiner la révolution en cours sous un angle sectaire. Les druzes et les chrétiens partagent bon nombre des préoccupations de la communauté alaouite, et leur méfiance à l’égard des sunnites, communauté majoritaire en Syrie, n’est pas moins profonde.

Les Kurdes avaient également leurs propres préoccupations et, à mesure que le conflit évoluait, la communauté turkmène, longtemps silencieuse, a commencé à s’agiter elle aussi. La situation avait également une dimension régionale. Presque toutes les régions se sentaient négligées par l’autorité centrale de Damas, et elles en rendaient responsable l’élite marchande et intellectuelle damascène, ainsi que les Assad. Ces divisions compliquaient encore les discussions sur l’unité de l’opposition.

Manque de leaders ayant une vision et un poids moral parmi les groupes d’opposition

Avant même le début de la révolution, le mouvement d’opposition avait été décimé par les arrestations et son morcellement à l’intérieur du pays ainsi que par les querelles personnelles et idéologiques constantes entre ses représentants à l’extérieur du pays. En outre, au début de la révolution, les groupes d’opposition, en particulier les Frères musulmans, ont mal interprété la situation et chacun a cherché à acquérir le plus d’influence possible sur l’évolution de la situation politique, pensant que la communauté internationale se déciderait en faveur d’un groupe qui maintiendrait une apparence de diversité et de modération avant d’intervenir dans le conflit.

En se trompant sur la situation et en se lançant des insultes sur les ondes, les figures de l’opposition – dont beaucoup étaient peu connues du grand public en Syrie-ont perdu leur poids moral et leur influence et n’ont plus été en mesure de convaincre les gens d’adhérer à une stratégie ou à une approche particulière.

Eléments de l’opposition (islamistes et tribaux) idéologiquement et traditionnellement plus sensibles à l’éthique de la lutte violente.

L’opposition a toujours abrité dans ses rangs des éléments auxquels la non-violence semblait trop étrangère sur le plan idéologique et culturel. Les membres de ces groupes ont réclamé à cor et à cri un soulèvement armé dès le début, et ont prétendu que cette démarche était un obstacle important pour les militants de la démocratie non violente. Au fur et à mesure que les défenseurs non violents étaient emprisonnés, exilés ou tués, que les djihadistes étaient libérés des prisons ou passaient les frontières, et que de nouveaux massacres étaient perpétrés par les milices pro-Assad, les groupes islamistes et tribaux étaient de plus en plus susceptibles de se rabattre sur leurs tactiques et leurs choix naturels.

Le nombre croissant de dissidents militaires, personnes qui, en vertu de leur carrière et de leur formation, ne comprennent ou n’apprécient guère la philosophie de la non-violence, a fourni aux islamistes davantage de recrues sensibles à leurs appels à la lutte armée.

Tergiversations des dirigeants occidentaux

L’une des clés de voûte du succès des mouvements non violents est la volonté de la communauté internationale de jouer un rôle proactif en faisant pression sur les régimes en place et en soutenant les acteurs non violents. Au début du soulèvement, les dirigeants occidentaux disposaient d’une fenêtre d’opportunité limitée pour s’assurer que la non-violence reste l’éthique dominante dans la lutte pour la démocratie en Syrie. Leurs tergiversations ont laissé la révolution à la merci d’acteurs et de forces qui ne s’intéressaient guère à la non-violence.

L’Iran et de la Russie réussissent à renforcer la position et l’approche du régime Assad

Le soutien inconditionnel de l’Iran et de la Russie au régime Assad a pris la forme d’armes, de fournitures, de fonds et d’une couverture diplomatique protégeant ainsi les Assad de toute confrontation avec la réalité de leur situation. Alors que l’apathie et la confusion à l’égard de la Syrie régnaient en Occident, l’Iran et la Russie ont agi de façon déterminée. Compte tenu de ces éléments et de tous les facteurs que nous venons de souligner, quelle chance avait vraiment la non-violence ?

Ammar Abdulhamid est un militant libéral pro-démocratie actuellement basé à Washington D.C., où il dirige la Fondation Tharwa, organisation à but non lucratif dédiée à la promotion de la démocratie dans la région MENA.

Source : https://ammar.world/2013/03/20/why-nonviolence-failed-in-syria/

Tadamone


Firas Kontar

J’ai visualisé une des vidéos non coupées de la tuerie de Tadamone avril 2013, celle évoquée dans l’article du Guardian, deux jours que je ne m’en remets pas. Il s’agit d’images de ce qui peut être qualifié d’abatage industriel : les sbires d’Assad amènent des détenus terrorisés un par un avec les yeux bandés. On voit les miliciens ricaner en jetant les détenus dans un trou tapissé de pneus, ce trou deviendra leur fosse commune. Je n’ai pas regardé la séquence où les miliciens mettent le feu à la pile de cadavre, pas pu aller plus loin…

Ces massacres étaient connus depuis 2012, des soldats et officiers ayant fait défection ainsi que des centaines de survivants des massacres d’Assad l’ont décrit. En 2013 les preuves irréfutables de ces massacres ont été apportées par un photographe déserteur « César » qui a fui la Syrie emportant avec lui 44 000 photos de syriens morts sous la torture dans les prisons abattoirs du régime.

Ces images du mal absolu démontrent l’intention génocidaire d’Assad, elle provoque chez nous syriens bien plus que de la colère : la haine. La haine de nous avoir abandonné malgré toute cette horreur, malgré les dizaines de massacres au couteau commis dès 2012 par les sbires d’Assad contre les localités sunnites… A elle seule cette séquence vidéo dévoilée il y a quelques jours par The Guardian devrait suffire à mettre un terme à l’existence du régime syrien. Des massacres comme celui de Tadamone, Assad en a commis des milliers en toute impunité. Alors oui j’ai la haine et je l’ai particulièrement contre tous ceux qui ont, durant une décennie, colporté des discours mensongers sur les évènements en Syrie. Alors qu’Assad tue les civils par dizaines de milliers, les le Pen, Zemmour, Mariani vantent son action contre les islamistes qu’il a lui-même fortement contribué à faire émerger, là où Mélenchon parle d’une guerre de gazoduc et félicite Poutine pour le bon boulot. Il y a aussi les faux experts avec l’étiquette universitaire comme Fabrice Balanche et Frederic Pichon, ce dernier est même décoré par le gouvernement d’Assad. Enfin les médias, si on peut qualifier ainsi Russia Today ou Sputnik ou Le Média TV la chaine des Insoumis qui n’a rien à envier sur le dossier syrien à ses grandes sœurs russes. Mais là où il y a un gros problème c’est le service public notamment France 2. Il y a eu de bons reportages comme « Syrie le cri étouffé », mais il y a eu aussi énormément de reportages de cette chaîne dans lesquels les journalistes et envoyés spéciaux se sont fait porte-paroles du régime. Au moins deux fois Anne-Charlotte Hinet s’est rendue en Syrie pour parler de « la libération » de la Syrie par les troupes d’Assad. Ou du gouvernement syrien en faillite « parce qu’il subventionne le pain aux pauvres », ou encore de réfugiés syriens « heureux de la victoire d’Assad et qui rentrent au pays »… Je n’oublie pas David Pujadas, encore présentateur du 20h, qui va à Damas demander à Assad si c’est bien lui qui massacre son peuple. Je peux aussi parler de France2 qui donne la parole à Pierre Le Corf, un pro Assad déguisé en Humanitaire. Je peux rappeler ce reportage de France 2 à l’école française de Damas qui est devenu un outil de propagande d’Assad. Dans ce reportage il est question de « la résistance dont fait preuve le personnel de l’école et les familles des élèves face au terrorisme des opposants à Assad », et pas un mot sur la bibliothécaire de l’école qui n’est autre que la femme d’Amr Armanazi responsable du programme d’armement chimique du régime, et surtout pas un mot de de Mazen Dabbagh salarié de l’école et citoyen français et de son fils Patrick disparus dans les geôles du régime et dont on apprendra plus tard leur mort sous la torture.

Mais le pire du pire de France 2 a été le reportage un œil sur la planète « Syrie le grand aveuglement » de Patrick Boitet et de Sama Soulah. Ce document a repris tous les récits conspirationnistes : un complot djihadiste, une guerre de gazoduc… En donnant principalement la parole à Frederic Pichon, l’homme qu’Assad a décoré, et faisant fi des milliers de massacres d’Assad. Il y a eu un avant et un après ce doc, je l’ai vu sur les réseaux sociaux. Ce doc a donné du grain à moudre à tous les complotistes et à ceux qui cherchent à réhabiliter Assad en niant ces crimes ou en les excusant. Et bien sur comme il est trop souvent le cas sur le service public personne n’a jamais répondu de ces fautes graves qui s’apparentent à de la compromission. Non ils sont tous encore là. Oui j’ai la haine

Massacres syriens


Source en En : https://newlinesmag.com/reportage/how-a-massacre-of-nearly-300-in-syria-was-revealed/


Firas Kontar

New Lines Mag publie une enquête concernant des informations fournies par un déserteur des services de renseignement syrien. J’avais hier publié quelques lignes sur une des séquences vidéo fournie par ce déserteur et dévoilée par The Guardian où l’on voyait un des sous-officiers d’Assad, Amjd Youssuf, exécuter 41 personnes. Il y a en tout 27 séquences vidéo rapportées par ce déserteur où l’on voit des agents du régime de la branche de renseignement 227 aidés par des miliciens de la garde nationale en train d’exécuter 288 civils en avril 2013. Parmi les victimes vues sur ces séquences il y a 7 femmes et 12 enfants. Sur une des vidéos on peut voir Amjd Youssuf, un des bourreaux les plus en vue sur les différentes séquences, « se féliciter du sacrifice d’enfants en l’honneur de son frère mort en martyr » devant les corps de plusieurs enfants qu’il venait de tuer.

Le mode opératoire des exécutions est bien rodé. Les prisonniers arrivaient en minibus au quartier Tadamone depuis les centres de détention. Ils avaient tous les yeux bandés, ils étaient amenés au lieu d’exécution puis jetés un à un dans un trou creusé en plein milieu des rues étroites où les agents du régime avaient préalablement déposé des pneus. Les pneus servaient à alimenter le brasier, une fois tous les prisonniers exécutés les miliciens aspergeaient la montagne de cadavres d’essence. Puis la fosse était recouverte. Sur la photo ci-dessous extraite des vidéos on peut apercevoir une des victimes menées à la mort par Amjd qu’on reconnait à son chapeau de pêcheur. Au 2eme plan on aperçoit une fosse, les pneus et un des agents du régime qui attend kalash à la main. Il s’agit là d’une fosse commune en plein milieu d’une zone résidentielle, non loin de la ligne de front.

Nous sommes ici face à une preuve d’un processus génocidaire. Ce qui est nouveau dans cette enquête, c’est la présence des séquences vidéo. En 2013 beaucoup d’enquêtes et de rapports avaient levé le voile sur les massacres de masse du régime syrien basés notamment sur des témoignages. La communauté internationale et surtout Obama ont regardé ailleurs même quand quelques mois plus tard Assad a utilisé le sarin contre les civils à quelques kilomètres du quartier de Tadamone. « Le plus jamais ca c’est juste pour les discours » c’est ce qu’a affirmé Obama en privé après le massacre de la Ghouta au sarin. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, Poutine a massacré les syriens, un test avant ses crimes en Ukraine.

Vous trouverez l’article en commentaire, tout y est extrêmement détaillé : les lieux, les responsables, la chaine de commandement… il est à lire

ÉGYPTE, IL FAUT ENQUÊTER SUR LES POLICIERS POUR LES VIDÉOS DE TORTURE QUI ONT FUITÉ


AJOUTÉ LE 14 MARS 2022

Amnesty :

torture détenus egypte

Les autorités égyptiennes doivent mettre un terme à leurs représailles contre au moins neuf détenus et trois de leurs proches et amis, sur lesquels elles enquêtent en raison de la diffusion de vidéos qui ont fuité au sujet de violences policières commises au premier poste d’al Salam, au Caire, a déclaré Amnesty International le 14 mars 2022. Elle demande des enquêtes rapides et efficaces sur tous les policiers en cause concernant les traitements infligés aux détenus et décrits dans les vidéos, notamment les contusions et les marques visibles, et le fait qu’ils soient maintenus dans des positions douloureuses.

Au lieu d’enquêter sur les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements, le service du procureur général de la sûreté de l’État a ouvert des enquêtes sur neuf détenus, dont huit qui apparaissaient dans les vidéos rendues publiques pour la première fois par le Guardian le 24 janvier, et sur trois autres personnes, dont un mineur de 15 ans, arrêtées depuis février pour avoir « contribué à diffuser les vidéos ». Initialement arrêtés pour des infractions à caractère non politique, notamment possession de stupéfiants et agression, les détenus doivent répondre, depuis la divulgation des vidéos, d’une série d’accusations, notamment de « diffusion de fausses informations ».

Voir aussi : Égypte, il faut cesser de poursuivre en justice les défenseur·e·s des droits humains qui dénoncent les violences sexuelles

« Il est à la fois honteux et surréaliste que la réponse des autorités égyptiennes à ces vidéos soit de punir les victimes et certains de leurs amis au lieu d’enquêter sur ceux qui sont filmés et incarnent l’épidémie de torture et de mauvais traitements qui se répand en Égypte. Il s’agit d’un chapitre de plus dans la mascarade des autorités qui nient éhontément tout acte répréhensible et musèlent la voix des victimes qui osent réclamer justice, a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et de l’action de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Les policiers du premier poste d’al Salam raisonnablement soupçonnés d’avoir participé à des actes de torture ou à d’autres mauvais traitements infligés à des détenus doivent être suspendus de leurs fonctions dans l’attente des conclusions des enquêtes pénales. En outre, il importe de protéger les détenus alléguant des actes de torture et des mauvais traitements contre d’autres représailles et de leur permettre de témoigner en toute confidentialité. Toutes les personnes détenues uniquement en relation avec la diffusion des vidéos divulguées doivent être libérées immédiatement car elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression. »

Amnesty International a examiné les deux vidéos en question, qu’elle a reçues d’une source le 23 janvier 2022 avant que le Guardian ne publie son article. Enregistrée secrètement à travers une porte de cellule, la première vidéo montre deux détenus torse nu, suspendus par les bras à une grille métallique. Sur la seconde, on peut voir des détenus alignés montrer des blessures et des marques et les entendre affirmer qu’elles leur ont été infligées par des policiers. Amnesty International a examiné les comptes de réseaux sociaux de trois policiers dont les noms sont cités par les détenus dans les vidéos qui indiquent qu’ils travaillent au premier poste de police d’al Salam.

« Les personnes détenues uniquement en relation avec la diffusion des vidéos divulguées doivent être libérées immédiatement car elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression »

En réaction à l’article paru dans le Guardian le 24 janvier, le ministère de l’Intérieur a balayé les vidéos d’un revers de main comme étant forgées de toutes pièces. Le 15 février, le ministère public est allé jusqu’à affirmer que les hommes figurant dans ces vidéos avaient été « incités par des inconnus » depuis l’intérieur et l’extérieur du pays à « se blesser » avec une pièce de monnaie en métal, et à diffuser la vidéo dans le but de « répandre mensonges et instabilité ». L’enquête a été entachée de graves irrégularités, le ministère public ayant même admis s’être appuyé sur les investigations de la police.

Plus tard en février, des médias et des comptes de réseaux sociaux progouvernementaux ont partagé des vidéos dans lesquelles certains détenus admettent avoir mis en scène les vidéos divulguées et s’être blessés lors d’une bagarre. Ces « aveux » ont été filmés dans des circonstances visiblement coercitives, les détenus étant menottés les uns aux autres et interrogés de manière agressive par des policiers, en violation de leur droit de ne pas témoigner contre eux-mêmes, ainsi que de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements.

Le 1er février 2022, Amnesty International a reçu une troisième vidéo montrant plusieurs détenus qui apparaissaient dans l’une des vidéos originales implorer le président égyptien de les sauver de la torture et des représailles de la police. Sur cette troisième vidéo filmée le 28 janvier, on peut voir des hommes blessés au niveau du haut du corps et des bras, se plaindre d’avoir été passés à tabac par des policiers et d’être privés de visites familiales et de livraisons de nourriture à titre de punition pour les fuites initiales. Au moins l’un de ces hommes est détenu dans un lieu tenu secret depuis le 30 janvier dans des conditions s’apparentant à une disparition forcée.

LES VICTIMES SONT POURSUIVIES

Selon trois sources bien informées et le Front égyptien des droits de l’homme, au moins 12 personnes ont été traduites séparément devant le service du procureur général de la sûreté de l’État entre le 16 février et le 1er mars en lien avec les vidéos divulguées. Toutes ont ensuite été détenues dans l’attente d’enquêtes sur divers chefs d’accusation, notamment « diffusion de fausses nouvelles », « appartenance à un groupe terroriste », « assistance à un groupe terroriste », « possession d’un outil de publication dans un lieu de détention », « financement d’un groupe terroriste » et « utilisation à mauvais escient des réseaux sociaux ».

Nasser Omran, 46 ans, détenu en lien avec les vidéos divulguées, a été soumis à une disparition forcée depuis son arrestation le 9 février jusqu’à sa comparution devant le service du procureur général de la sûreté de l’État le 20 février, en violation du droit international et du droit égyptien. Pendant cette période, il s’est vu refuser tout contact avec sa famille et son avocat. Il avait été détenu au premier poste de police d’al Salam entre décembre 2021 et janvier 2022 pour une infraction relative aux stupéfiants, dont il a depuis été innocenté.

Des proches et des amis des détenus figurant dans les vidéos divulguées sont également pris pour cibles.

Le 16 février, les forces de sécurité ont arrêté Ziad Khaled, un étudiant de 15 ans, à son domicile de Salam City, au Caire. Ils ont effectué une descente sans présenter de mandat, ont saisi son téléphone et l’ont détenu dans des conditions s’apparentant à une disparition forcée dans un lieu tenu secret. Là, les forces de sécurité l’ont interrogé sur sa relation avec un détenu figurant dans les vidéos divulguées avant de le conduire devant le service du procureur général de la sûreté de l’État le 1er mars. Il est maintenu en détention dans l’attente des conclusions de l’enquête sur des accusations d’« assistance et financement d’un groupe terroriste et diffusion de fausses informations ».

« Les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements doivent recevoir des réparations adéquates pour les préjudices subis »

Amnesty International invite les autorités égyptiennes à abandonner les enquêtes contre les 12 détenus pour leur implication dans les vidéos et à ordonner leur libération, à moins qu’ils ne soient inculpés et déférés devant un tribunal pour des infractions prévues par le droit international sans rapport avec les vidéos divulguées. Par ailleurs, les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements doivent recevoir des réparations adéquates pour les préjudices subis.

« Le gouvernement égyptien assure qu’il améliore la situation des droits humains, mais ces propos sonnent creux face aux preuves de la complicité entre le parquet et la police pour porter des accusations infondées de terrorisme contre des victimes qui osent dénoncer la torture et les mauvais traitements imputables aux policiers – au lieu d’amener les policiers à rendre des comptes. Ce climat d’impunité et de représailles met en évidence la nécessité d’un mécanisme international de surveillance et de communication de l’information au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour examiner la situation des droits humains en Égypte », a déclaré Philip Luther.

Complément d’information

La torture et les mauvais traitements sont couramment utilisés en Égypte, en particulier pendant la phase d’enquête et pendant la période initiale de détention. Les méthodes les plus fréquemment signalées sont les décharges électriques, la suspension par les membres, l’isolement pour une durée indéterminée dans des conditions inhumaines, les sévices sexuels et les passages à tabac.

Voir aussi : Toutes nos infos sur l’Egypte

Amnesty International a constaté le recours à la torture et aux disparitions forcées par l’Agence de sécurité nationale, le Renseignement militaire et les Renseignements généraux depuis 2015, notamment dans le but d’extorquer des « aveux ». Des dizaines de personnes sont mortes en détention depuis 2013, alors que des informations crédibles font état de torture, de mauvais traitements et de privation de soins de santé.

ARABIE SAOUDITE, L’EXÉCUTION DE 81 HOMMES SOULIGNE L’URGENTE NÉCESSITÉ DE L’ABOLITION DE LA PEINE DE MORT


AJOUTÉ LE 15 MARS 2022

Arabie Saoudite éxécutions

L’exécution collective de 81 personnes, saoudiennes et étrangères, qui a eu lieu samedi est le signe d’une épouvantable accélération du recours à la peine capitale en Arabie saoudite, a déclaré Amnesty International le 15 mars. Ces dernières exécutions en date portent déjà à 92 le nombre total de mises à mort recensées dans le pays depuis le début de l’année.

Le ministère de l’Intérieur a annoncé [1] samedi l’exécution de 81 personnes qui avaient été condamnées pour des infractions très diverses allant d’infractions liées au « terrorisme » au meurtre, en passant par le vol à main armée et le trafic d’armes. Un certain nombre d’entre elles avaient aussi été déclarées coupables d’infractions du type « perturbation du tissu social et de la cohésion nationale » et « participation et incitation à participer à des sit-in et à des manifestations », qui font référence à des actes pourtant protégés au titre des droits à la liberté expression, de réunion pacifique et d’association.

Voir aussi : Arabie saoudite, il faut cesser le mépris pour les droits des détenus

« Cette vague d’exécutions est d’autant plus terrifiante que le système judiciaire de l’Arabie saoudite est marqué par de graves irrégularités et que des peines de mort sont prononcées à l’issue de procès d’une flagrante iniquité, y compris sur la base d’« aveux » extorqués sous la torture ou au moyen d’autres mauvais traitements, a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Ce nombre révoltant de mises à mort met également en évidence le manque de transparence de l’Arabie saoudite en ce qui concerne le recours à la peine de mort dans le pays, car nous savons que le nombre réel de condamnations à la peine capitale est toujours nettement plus élevé que celui qui est officiellement annoncé. De nombreuses personnes en Arabie saoudite risquent actuellement d’être exécutées à très brève échéance. »

EXÉCUTÉS POUR AVOIR PARTICIPÉ À DES MANIFESTATIONS

Selon les documents dont dispose Amnesty International, deux des 81 hommes exécutés samedi avaient été condamnés à mort pour des infractions liées à leur participation à de violentes manifestations contre le gouvernement. Le nombre total de personnes exécutées pour des accusations similaires est probablement plus élevé.

Le Tribunal pénal spécial (TPS) a condamné Mohammad al Shakhouri à la peine capitale le 21 février 2021 pour des infractions violentes qu’il aurait commises en lien avec sa participation à des manifestations contre le gouvernement. Il n’a pas eu accès aux services d’un·e avocat·e pendant sa détention et ses interrogatoires, et sa famille n’a pu lui rendre visite que huit mois après son arrestation.

« 81 hommes exécutés samedi avaient été condamnés à mort pour des infractions liées à leur participation à de violentes manifestations contre le gouvernement »

Mohammad al Shakhouri a déclaré devant le tribunal qu’il souffrait de contusions et de fortes douleurs au dos, aux côtes et à la bouche dues aux actes de torture qui lui avaient été infligés. Il a perdu presque toutes ses dents à cause des coups au visage que lui ont portés des agents des services de sécurité, mais il a été privé de soins médicaux. Mohammad al Shakhouri a rétracté ses « aveux » parce qu’ils lui avaient été arrachés sous la torture. Le juge a prononcé de façon discrétionnaire une peine de mort.

As’ad Ali, qui a lui aussi été exécuté samedi, avait été condamné à mort par le TPS le 30 janvier 2021 pour des infractions du même type. Il a déclaré devant le tribunal avoir été torturé physiquement et émotionnellement pendant ses interrogatoires lors de sa détention à l’isolement, et que ses « aveux » lui avaient été extorqués au moyen de la torture. As’ad Ali a dit avoir été privé de soins médicaux alors qu’il souffrait d’intenses douleurs.

L’Arabie saoudite a procédé à deux autres exécutions collectives ces dernières années, d’une moindre ampleur cependant : en 2019, 37 personnes ont été exécutées et la plupart d’entre elles étaient des hommes chiites condamnés à l’issue de parodies de procès ; en 2016, 47 personnes ont été mises à mort, dont le dignitaire religieux chiite de premier plan Nimr al Nimr.

Amnesty International a rassemblé des informations sur les cas d’au moins 30 autres personnes qui risquent d’être exécutées du fait de leur condamnation à mort à l’issue de procès iniques et pour diverses infractions liées à leur opposition au gouvernement ou à leur participation à des manifestations contre les pouvoirs publics, ou encore pour trafic de drogue, pour de violentes attaques ou pour meurtre. Le nombre total de personnes condamnées à mort pour des infractions de ce type est probablement beaucoup plus élevé.

Dans tous les cas examinés par Amnesty International, les peines capitales ont été prononcées à l’issue de procès d’une flagrante iniquité, entachés pour beaucoup par des allégations de torture infligée pendant la détention ; ces allégations n’ont pas fait l’objet d’une enquête, en violation des obligations internationales de l’Arabie saoudite.

En mars 2022, Abdullah al Huwaiti, un jeune homme âgé de 14 ans au moment des faits qui lui étaient reprochés, a été condamné à mort à l’issue d’un nouveau procès ; il avait été condamné à mort une première fois, mais cette sentence capitale avait été annulée en novembre 2021. Il a de nouveau été condamné à mort pour meurtre et vol à main armée. Selon son dossier judiciaire, il a été maintenu en détention à l’isolement quatre mois, pendant toute la durée de son interrogatoire qui a eu lieu sans la présence de ses parents ou d’un· avocat·e.

CONDAMNÉS À MORT POUR AVOIR EXERCÉ LEUR DROIT À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

Fin mars 2022, l’universitaire saoudien Hassan al Maliki comparaîtra devant le TPS, pour la reprise de son procès. Il risque d’être condamné à mort en raison d’accusations liées à l’exercice de la liberté d’expression. Figurent au nombre des 14 chefs d’accusation retenus contre lui : « outrage aux dirigeants et au Conseil des grands oulémas de ce pays » ; « interviews avec des journaux et des chaînes occidentaux hostiles [à l’égard du royaume] » ; « rédaction de livres et de documents de recherche […] publiés en dehors du royaume » et « possession de 348 livres non autorisés par l’autorité compétente ».

Dans une affaire similaire, le dignitaire religieux Salman Alodah risque lui aussi d’être condamné à mort par le TPS en raison d’accusations liées au soutien qu’il aurait apporté à des dissidents emprisonnés et aux Frères musulmans, un groupe politique interdit. Salman Alodah a été maintenu en détention à l’isolement pendant les cinq premiers mois de sa détention, en violation de normes internationales telles que les Règles Nelson Mandela ; il n’a pas été autorisé à contacter sa famille ou un·e avocat·e, mis à part lors d’un bref appel téléphonique un mois après son arrestation.

En août 2018, Salman Alodah a comparu devant le TPS lors d’une audience secrète, où il a été accusé de 37 chefs, y compris du chef d’appel à la liberté d’expression et à des réformes politiques en Arabie saoudite. En mai 2019, après une autre audience secrète, son avocat a fait savoir à sa famille que le procureur avait requis la peine de mort. Il attend actuellement le verdict du tribunal.

« Les peines capitales ont été prononcées à l’issue de procès d’une flagrante iniquité, entachés, pour beaucoup, par des allégations de torture »

« Hassan al Maliki et Salman Alodah doivent être libérés immédiatement et sans condition. Nul ne devrait être condamné à mort simplement pour avoir exercé le droit à la liberté d’expression. L’instrumentalisation par l’État des exécutions à des fins politiques, pour étouffer la contestation, constitue un détournement endémique de la justice », a déclaré Lynn Maalouf.

MODIFICATIONS RÉCENTES CONCERNANT LA PEINE DE MORT

Un décret royal promulgué en 2020 a annoncé la fin du recours à la peine de mort contre les personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits qui leur sont reprochés, mais uniquement dans les affaires où les juges peuvent de façon discrétionnaire prononcer la peine capitale et en dehors du cadre de la législation antiterroriste. Ce décret ne précisait pas si cette annonce concernait les mineurs également en cas de hadd (infractions passibles de peines fixes et sévères au titre de la charia) ou d’infractions sanctionnées par la règle du qisas (réparation). Ce décret royal ne respectait pas les obligations incombant à l’Arabie saoudite au titre de la Convention relative aux droits de l’enfant.

Début 2021, les autorités saoudiennes ont annoncé des modifications concernant le recours à la peine capitale, notamment un moratoire sur les exécutions en cas d’infractions liées à la législation sur les stupéfiants, la peine de mort étant dans ces affaires prononcée de façon discrétionnaire et non imposée par la charia. Ce moratoire a apparemment été appliqué, mais il n’a pas encore été formalisé et il ne sera pas officialisé tant que la législation sur les stupéfiants prévoira la peine de mort et tant que les personnes qui ont par le passé été condamnées à mort pour des infractions liées aux stupéfiants resteront dans le quartier des condamnés à mort.

De plus, des tribunaux ont continué de prononcer des peines capitales et les autorités ont continué d’exécuter des condamnés pour d’autres infractions qui ne sont sanctionnées par la peine capitale qu’à la discrétion du juge. Ja’far Sultan et Sadiq Thamer, qui sont tous deux de nationalité bahreïnite, ont été condamnés à mort de façon discrétionnaire le 7 octobre 2021 pour des infractions liées au « terrorisme », notamment pour contrebande d’explosifs, entraînement militaire en Iran, et « participation à des manifestations à Bahreïn qui appelaient au renversement du gouvernement ». Leur condamnation a été confirmée en appel en janvier 2022, mais elle peut encore être annulée par la Cour suprême.

Voir aussi : Toutes nos infos sur l’Arabie Saoudite

La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, et une violation du droit à la vie. Amnesty International exhorte les autorités saoudiennes à mettre immédiatement fin aux exécutions, à mettre en place un moratoire officiel sur toutes les exécutions et à élaborer des lois instaurant l’abolition totale de la peine de mort pour tous les crimes.

L’Arabie saoudite doit également veiller à ce qu’aucun « aveu » et aucune déclaration extorquée au moyen de la torture ou d’autres mauvais traitements ne soient acceptés par les tribunaux, et à ce que toutes les plaintes dénonçant des abus fassent rapidement et efficacement l’objet d’enquêtes diligentées par des organes indépendants.

source

L’État d’Israël avant tout


Gideon Levy @ Haaretz

Ben Gourion Airport

Si Israël devait ouvrir ses portes aux réfugiés d’Ukraine comme le font la plupart des pays européens, ce ne serait pas Israël. Faire des efforts pour absorber les réfugiés non-juifs avec compassion et sans réserve, comme le font actuellement la plupart des pays européens, irait à l’encontre de son ADN. Il est donc inutile d’essayer de rejeter la faute sur une seule personne, sur Ayelet Shaked ou Naftali Bennett – chaque gouvernement se serait comporté de la sorte. C’est inscrit dans nos gènes. Nous avons imprégné cette xénophobie et cette condescendance pour tous les autres peuples avec le lait de notre mère. On ne peut donc pas attendre d’Israël qu’il agisse différemment dans une guerre à laquelle il ne participe pas. Vous ne pouvez pas attendre d’Israël qu’il agisse humainement sans être sélectif. Un pays qui agirait de la sorte ne serait pas Israël.

Ce qui se passe actuellement en Israël est la conséquence de décennies d’endoctrinement. Le nom du jeu est l’égoïsme. Tout est mesuré uniquement en fonction de ce qui est bon pour Israël. Il n’y a pas d’autre considération. Cette attitude est tellement ancrée dans les esprits qu’elle ne peut pas être modifiée par une simple guerre en Ukraine. Un pays qui s’est entouré de murs physiques comme aucun autre pays ne l’a fait, et de murs nationalistes et religieux, ne peut pas s’ouvrir du jour au lendemain. Les murs monstrueux que nous avons construits autour de nous n’étaient pas tous des barrières de sécurité. Certains étaient des barrières contre la compassion, comme les denses fils barbelés à la frontière égyptienne, et d’autres étaient des barrières contre le mélange avec les autres. Les bonnes et les mauvaises clôtures ont toujours eu pour rôle supplémentaire de se prémunir contre la menace démographique maladive. Ces clôtures ne peuvent pas être démantelées maintenant.

La phrase clé pour les Israéliens est « on ne peut pas comparer ». Vous ne pouvez comparer Israël à aucun autre pays. C’est la terrible exemption que nous nous sommes donnée de l’humanité, de la compassion, de la solidarité et du respect du droit international et de la communauté internationale. Israël est quelque chose de différent. Le monde entier peut et doit absorber des réfugiés, mais pas Israël. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas comparer. Parce qu’Israël est un cas spécial. Les mots-clés ici sont Holocauste, peuple élu et menace d’extermination. Dieu lui-même nous a dit que nous étions le peuple élu. N’importe quel enfant de maternelle peut vous le dire. Alors, à quoi vous attendez-vous ?

Dans un hôtel de Jérusalem, des réfugiés ukrainiens sont confrontés aux incertitudes d’une nouvelle vie.
Accueillir des réfugiés ukrainiens ? Rappelez-vous 1648 !
Ce ministre israélien a créé un fiasco inutile de réfugiés ukrainiens pour Israël.
Lorsque des générations sont élevées dans la condescendance et la victimisation, il est évident que les portes seront fermées aux réfugiés. Quand on passe des décennies à proclamer l’unicité du peuple juif et sa grande supériorité morale, comment pourrait-il y avoir une égalité entre les réfugiés juifs et non-juifs ? Cette sélectivité est dans notre sang. Le peuple élu ne peut absorber que ceux qui font partie du peuple élu. Pourquoi tout le monde ne comprend-il pas cela ?

Oui, il y a des manifestations émouvantes de solidarité, d’aide et de compassion en Israël aussi. Mais ce sont presque toujours les actes d’individus ou d’organisations. Et ces efforts, pour la plupart, restent dans la zone de confort : Nous collectons des vêtements dont nous n’avons plus besoin, nous donnons des jeux, nous construisons un hôpital de campagne à grand renfort de fanfare et de relations publiques, même à la frontière de Gaza après avoir tué des centaines de ses enfants.

Le pays continue de se prémunir contre la souillure de son sang sacré. Très peu d’Israéliens sont prêts à aller à contre-courant, à prendre un risque et à payer un prix personnel pour changer cela. Les excuses sont toujours prêtes : Les Palestiniens veulent nous anéantir, l’Ukraine n’est pas un État frontalier, la Syrie sanglante était un État frontalier et aussi un État ennemi, alors à quoi vous attendez-vous ? Les Soudanais sont une menace démographique, les Ukrainiens pourraient l’être aussi. N’importe quelle excuse commode fera l’affaire contre l’étranger. Et derrière tout cela, il y a les prémisses de base du sionisme : Une nation qui habite seule ; après l’Holocauste, nous pouvons faire ce que nous voulons ; personne ne va nous faire la morale ; Israël avant tout, un État juif avant tout.

Ainsi, lorsque des explications de la conduite honteuse d’Israël sont avancées – Raviv Drucker a suggéré que tout cela n’était destiné qu’à mettre la gauche en colère (Haaretz, mercredi) – il faut le dire clairement : C’est Israël, Drucker. Il ne pourrait pas se comporter autrement.

Une vie au cœur du conflit syrien


Jihed, soignant de l’UOSSM France nous livre son témoignage bouleversant. Un récit rempli d’humilité et de courage qui nous montre chaque jour la résilience de ces soignants qui ont choisi de rester en Syrie pour sauver des vies, parfois au péril de la leur.

« Lorsque je travaillais dans un hôpital à Sarmin, je me souviens d’un incident terrible qui hante encore mes nuits. Les bombardements étaient très proches de l’hôpital et comme je suis spécialiste en chirurgie générale, nous étions aux urgences lorsqu’un homme a été blessé par un éclat d’obus. Les dommages avaient engendré une hémorragie au niveau du foie. Ici, aucun autre chirurgien n’était présent, et cet homme était sur le point de perdre la vie. Durant l’opération, l’hôpital a été attaqué plusieurs fois. Deux infirmières et un anesthésiste étaient avec moi dans le bloc. Et d’un coup, je me retrouve seul face au patient, un trou béant dans la salle d’opération, mes collègues ayant dû fuir pour se protéger. La peur fut ma première émotion. S’en sont suivies mon devoir et ma responsabilité envers la personne sur la table. J’ai réussi à arrêter l’hémorragie et appelé une ambulance d’urgence pour le transférer le plus vite possible vers un hôpital plus sécurisé. Dieu soit loué, le patient a survécu.« Dr Jihed, médecin de l’UOSSM France
 

En cette fin d’année, nous souhaitons rendre hommage et soutenir tous ces héros du quotidien qui font preuve de courage et de détermination pour mener leur mission à bien avec très peu de moyens. Après 10 ans de guerre et de destruction massive des infrastructures de santé, l’hôpital, c’est eux. 

Raphaël Pitti, Lettre Ouverte


#LettreOuverte Monsieur le Président de la République,

Je rentre de Raqqa, ville fantôme, ville martyre qui a connu les pires atrocités, dont les murs des immeubles délabrés se succèdent et pleurent un drame humain sans nom. C’est mon 32ème voyage en Syrie. Croyez-le ou non, mais chaque voyage, chaque mission humanitaire est un électrochoc. Chaque rencontre avec les soignant.es, les populations, les enfants en Syrie, est un bouleversement, un boomerang émotionnel.

Je connais le drame syrien, je le vis dans ma chair depuis 10 ans. Mais à chaque fois, partager leurs regards, leur voix, leurs peurs, leurs inquiétudes est une nouvelle émotion qui me submerge. Paradoxalement, c’est aussi une nouvelle énergie qui m’engage à témoigner, à prendre la parole, à m’adresser à vous aujourd’hui.

Cette parole, je la prends d’abord au nom de mes collègues soignant.es avec qui je suis en contact direct tous les jours. Ma collègue Soumaia, médecin à Raqqa, qui sillonne actuellement les camps de déplacés dans le cadre de la première étude jamais réalisée sur la santé infantile en Syrie en temps de guerre, me rapporte des cas de malformations, de maladies infantiles, de traumatismes psychologiques, qui ne sont pas pris en charge faute d’accès aux soins dans ces camps. Les soignant.es qui aujourd’hui incarnent à eux-seul.es la santé sont complètement démunis.

 Ici, en Syrie, l’hôpital s’appelle Soumaia, Souleymane… Sans eux, point d’accès aux soins ni de système de santé.

Je m’adresse aussi à vous car l’année 2021 qui s’achève marque la fin d’un triste anniversaire, celui des 10 ans du conflit en Syrie, 10 ans de bombardements, 10 ans de morts, 10 ans d’atteinte au droit humanitaire… Une décennie de violences, reconnue comme la pire crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale, continue de se dérouler sous nos yeux. A défaut de statistiques morbides précises, quasiment impossibles à définir, nous avons estimé à 2 millions le nombre total de personnes décédées par manque d’accès aux soins du fait de la guerre. Que vous dire concernant ce chiffre glaçant !

Après 10 ans, nous pourrions croire que la situation s’améliore. Malheureusement, la crise s’ancre dans un temps long et se mue en chaos humanitaire où le nombre de personnes déplacées vivant dans les camps a augmenté de 20% depuis janvier 2020, où 90% des syrien.nes vivent sous le seuil de pauvreté. Ironie du destin, ce pays dévasté par la guerre, n’échappe pas à la pandémie de la COVID-19. Au moment où je vous écris, la Syrie subit de plein fouet une flambée épidémique de cas de COVID-19. Le système de santé est submergé, les hôpitaux sont saturés, les populations sont à l’agonie. Le nombre de cas positifs au COVID-19 a explosé ces dernières semaines : il a été multiplié par 3 entre le 1er août 2021 et le 4 novembre 2021. C’est en Syrie que l’on trie véritablement les malades par manque d’oxygène et de réanimation.

Malgré notre témoignage, notre plaidoyer incessant, je me sens comme bâillonné, inaudible face au désastre humanitaire. Alors pour ces quelques semaines restantes de ce mois de décembre 2021, de cette année si spéciale de triste anniversaire, je me devais de vous envoyer cette lettre ouverte pour tenter un sursaut, un élan de solidarité et d’engagement politique fort pour la santé en Syrie.

Notre appel pour la Syrie :

– Permettre le renouvellement en janvier 2022 du dernier couloir humanitaire encore ouvert en Syrie, Bab Al-Hawa, qui permet l’acheminement de l’aide humanitaire la plus essentielle, la plus fondamentale aux populations : nourriture, médicaments, tentes, matériel médical…

– Débloquer des fonds d’urgence pour la réhabilitation du système sanitaire, éducatif, alimentation, eau, logement.

– Apporter une aide médicale d’urgence spécifique pour la lutte contre la pandémie de la COVID-19 : de l’oxygène, du matériel de protection : masques, blouses, kits d’hygiène, la vaccination…

Soutenir les actions humanitaires des ONG qui sont les seules à permettre un accès à la santé en Syrie : cliniques mobiles, centres de santé, équipes de protection.

Pour conclure, je voulais aussi ajouter un mot à mes collègues soignant.es français.es, à mes ami.es, à ceux qui m’écoutent, aux citoyens français qui me lisent aujourd’hui. Nous entrons dans cette douce période des fêtes de fin d’année où chacun s’affaire pour préparer les retrouvailles en famille, et c’est bien normal.

Quoi de plus normal, de plus naturel, que d’être auprès des siens, des plus proches en temps de fêtes. Je vous demanderai, si vous le pouvez, d’avoir une pensée ou plus pour les soignant.es et les populations en Syrie, qui vivront des nuits supplémentaires sous les tentes, sous les bombardements, dans la souffrance de manquer de tout.

Je vous adresse, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.

Pr Raphaël Pitti, Médecin humanitaire, responsable formation de UOSSM France, anesthésiste-réanimateur.

Dix années de guerre pour les enfants syriens


Les enfants sont les premières victimes du conflit syrien. Ils sont même des cibles pour le régime de Bassar el-Assad. Leur sort mérite bien davantage d’attention de la part de la Communauté internationale.

Un petit garçon en pleurs sur les ruines de maisons endommagées par des bombardements à Damas.
Un petit garçon en pleurs sur les ruines de maisons endommagées par des bombardements à Damas. – Reuters
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Carte blanche -Par Action Syrie (Ahmad Darwiche Sbahi, Sarah Degée, Alec de Vries, Caroline Goossens, Rend Haffar, Bicher Haj Ibrahim, Yahia Hakoum, Anne-Laure Losseau, Hisham Masalmeh, Median Omar Albakkour, Marie Peltier et Simone Susskind), ainsi que plusieurs cosignataires*Publié le 18/11/2021 à 14:45 Temps de lecture: 8 min

Alors que nous fêtons le 32e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, nous pleurons une décennie de guerre en Syrie. Bien que la Syrie ait ratifié cet instrument juridique, la guerre se déroulant sur son sol s’avère dramatiquement cruelle pour les enfants. Ceux-ci n’y sont pas des victimes collatérales, mais bien des victimes premières. Que l’on ne s’y trompe pas : le régime de Bachar el-Assad n’a pas échoué à protéger les enfants, il en a fait, délibérément, des cibles.

Hiver 2011, en plein printemps arabes, des adolescents écrivent sur le mur de leur école « ton tour arrive docteur ». Ce message s’adresse à Bachar el-Assad, ophtalmologue de formation et fait référence à la chute des dictateurs Ben Ali et Moubarak. Dans de nombreux pays, ces enfants auraient été réprimandés pour leurs tags et auraient dû nettoyer les murs de leur école. Mais en Syrie, la famille Assad et leurs affidés, en place depuis les années septante, sont aussi mégalomanes que cruels. Ils se déchaînent sur tout individu osant les défier, même par des actes minimes et même s’il s’agit d’enfants. Peu de temps après, les services secrets ont retrouvé Mohamed, Bachir, Nayef, Ahmed et les autres. Ils les ont arrêtés et torturés. Ces actes ignobles engendrèrent les premières manifestations au printemps 2011 et déclenchèrent la révolution syrienne. Mohamed et les autres personnifient le drame du peuple syrien et leurs corps meurtris illustrent la barbarie du régime.

Des chiffres accablants et l’ensemble des droits violés

Après dix années de guerre, les enfants syriens victimes se comptent par millions. La situation est tellement grave qu’une carte blanche ne pourrait suffire à citer l’ensemble des droits de l’enfant violés. Quelques chiffres toutefois : en mars 2021, Unicef avançait le chiffre de 12.000 enfants syriens morts ou blessés du fait de la guerre (1), tandis que le SNHR avance le chiffre de 29.618 enfants tués. Ils et elles sont morts sous les bombardements et les tirs émanant des différentes parties en conflit, mais surtout parce que le régime Assad a délibérément bombardé des maternités, des écoles et des hôpitaux et gazé à plusieurs reprises la population. D’autres enfants sont morts de faim, de soif et de froid. Rappelons à cet égard que des villes entières ont été et sont assiégées par le régime. De plus, dans les prisons de Bachar ainsi que dans celles des groupes terroristes, croupissent des mineurs d’âge arrêtés sans nulle autre forme de procès qui subissent tortures, viols et maltraitances psychologiques. Aussi, 5.700 enfants âgés entre sept et dix-huit ans ont été enrôlés dans les combats par les différentes parties belligérantes. En outre, le Comité onusien des droits de l’enfant condamne les violences sexuelles et mariages forcés auxquels sont exposées les filles et dont sont coupables les forces armées ainsi que certains groupes de l’opposition. Des mariages forcés de mineures syriennes ont également lieu dans les camps de réfugiés. Enfin, 2,14 millions d’enfants vivant en Syrie et 750.000 réfugiés dans les pays limitrophes sont privés de scolarisation.À lire aussiAmnesty: les réfugiés syriens qui rentrent au pays risquent torture et disparition

Quel avenir pour ces martyrs ?

Au-delà des chiffres nous parviennent des images marquantes d’enfants syriens. Celles de Sama dans le documentaire « Pour Sama » qui illustre une enfance sous les bombes lors du siège d’Alep. Qui peut encore ignorer le sort de ces fillettes yézidies vendues comme esclaves sexuelles par des groupuscules terroristes ? La photographie, désormais mondialement célèbre, du photographe turc Mehmet Aslan.

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Crédit: Mehmet Aslan

On peut y voir un père unijambiste, victime d’un bombardement dans la région d’Idlib, tenant son jeune enfant né sans membres inférieurs ni supérieurs, à la suite des gaz inhalés par sa mère durant des attaques du régime. Les images, enfin, d’enfants vivant dans des camps de réfugiés, comme celles prises par le photographe syrien vivant en Belgique Abdulazez Dukhan.

Ces images à la fois tragiques et belles sont porteuses d’humanité ; elles illustrent et personnifient le drame des enfants syriens. Nous ne souhaitons pas les réifier face à la tragédie dont ils et elles sont victimes. Pour autant, nous posons avec force et inquiétude la question de leur avenir. Ces enfants ont été exposés à de graves privations et carences. Celles-ci, pour tout être humain, constituent des entraves au développement physiologique et neurologique. Unicef mentionne que plus d’un demi-million d’enfants âgés de moins de cinq ans vivant en Syrie souffrent d’un retard de croissance engendré par la malnutrition chronique. Les enfants ayant grandi en Syrie et sur les routes migratoires sont également exposés à l’insécurité psychique. Or, vivre de manière répétée, continue et profonde l’insécurité psychique n’est pas sans conséquence sur le développement physiologique, neurologique, affectif et social.À lire aussiSyrie: les violences reprennent à Deraa, où tout avait commencé

Des Etats très peu réactifs

Au-delà de ces inquiétudes, nous sommes préoccupés par le peu de considération portée par les pays de l’Union européenne aux enfants syriens. Le Danemark a commencé à révoquer, depuis peu, les titres de séjour de Syriens et Syriennes se trouvant sur son sol arguant que la situation dans la région de Damas, entre autres, est « sûre ». Or, les Syriens et Syriennes rentrant au pays sont exposés aux arrestations, à la torture et au viol, même s’ils et elles sont mineurs. En Grèce, dans les camps, les enfants sont exposés à des conditions de survie indignes, leurs besoins et droits les plus fondamentaux sont entravés. En Belgique et en France, le nombre de structures spécialisées pour accueillir les enfants ayant vécu la guerre demeure insuffisant. En outre, aucun des Etats européens, pour l’heure, et ce, depuis le début du conflit, n’agit d’une manière ferme à l’encontre du régime de Bachar el-Assad. De même, les dernières observations finales du Comité onusien des droits de l’enfant adressées à la Syrie, datant de 2019, nous semblent bien « molles » face à ce régime tuant, torturant et bafouant les enfants autant que leurs droits.À lire aussiGuerre en Syrie: Assad, dix ans plus tard, règne sur un monceau de ruines

Nous refusons d’accepter ces réalités. D’abord, au nom de notre humanité commune. Ensuite, parce que les enfants méritent une protection particulière, raison de l’existence même de la Convention internationale des droits de l’enfant. Enfin, parce que, lorsque les conditions favorables à un bon développement sont réunies, les enfants syriens, comme tous les enfants du monde, peuvent se réaliser et offrir ce qu’ils et elles ont de meilleur, à l’instar de Leen, championne d’échec syrienne de quatorze ans vivant en France.

*Cosignataires : Basel Adoum, médiateur culturel et réfugié syrien ; Hani Al Helwani, pharmacien et réfugié syrien ; Sabreen Al Rassace, spécialiste Genre en Exil-Asile ; Noura Amer, psychologue et présidente de l’ASBL Awsa – Arab Women’s Solidarity ; Sema Aydogan, psychopédagogue ; Fabienne Brion, professeure de criminologie et islamologue (UCLouvain) ; Raphaële Buxant, enseignante engagée, Lycée Martin V Louvain-la-Neuve ; Françoise Cousin, psychologue et enseignante ; Jean-Baptiste Dayez, psychologue social et militant des droits humains ; Damien Dejemeppe, directeur du Lycée Martin V, Ecole d’application de l’UCLouvain ; Stéphanie Demblon, militante des droits humains ; Martine Demillequand, collaboratrice pédagogique UCLouvain ; William Donni, travailleur social exerçant, entre autres, auprès de familles syriennes ; Jean-Louis Dufays, professeur de littérature et de didactique (UCLouvain) ; Abdulazez Dukhan, photographe et réfugié syrien ; Nadia Echadi, enseignante et responsable de l’ASBL Maxi-Liens, réseau Être bon pour les enfants ; Mohamed El Hendouz, militant des droits humains ; Sabiha El Youssfi, enseignante ; Roman Foy, secrétaire général de l’association Revivre ; Caroline Guilleaume, enseignante en classe Daspa ; Brigitte Herremans, politologue et doctorante à l’Université de Gand ; Bruno Humbeeck, psychopédagogue ; Hana Jaber, directrice exécutive de la Fondation Lokman Slim ; Marie Jadoul, PhD researcher Faculté de droit et de criminologie UCLouvain ; Cristèle Jonnart, enseignante ; Firas Kontar, opposant au régime syrien et juriste ; Esther Kouablan, militante antiraciste ; Irène Labeyrie, architecte retraitée ayant vécu en Syrie (entre 1976 et 2013) ; Christelle Macq, doctorante et assistante en droit, membre de l’équipe droits européens et migrations (UCLouvain) ; Altay Manço, directeur scientifique de l’Institut de Recherche Formation Action sur les Migrations (IRFAM) ; Laura Merla, professeure de sociologie (UCLouvain) ; Thierry Moreau, avocat, professeur extraordinaire à la Faculté de droit et de criminologie de l’UCLouvain et directeur du Centre interdisciplinaire des droits de l’enfant ; Yasser Mustafa, enseignant et réfugié syrien ; Laurence Nazé, citoyenne engagée dans l’accueil des migrant.e.s en transit ; Jennifer Nowé, travailleuse exerçant dans le champ des migrations et de l’interculturalité ; Élodie Oger, enseignante et chercheuse à l’UCLouvain ; Rudi Osman ; Joëlle Petit, pédagogue, professeure d’art et formatrice d’enseignant.e.s (UCLouvain) ; Olivier Peyroux, sociologue, cofondateur de l’association Trajectoires ; Eric Picard, pédopsychiatre ; Edith Praet, criminologue et directrice d’un centre d’hébergement pour enfants ; Salim Sendiane, docteur en droit et réfugié syrien ; Marianne Stasse, militante des droits des migrant.e.s ; Mohamed Taha, archéologue et réfugié syrien ; Pauline Thirifays, enseignante ; Corinne Torrekens, professeure de science politique (ULB) ; Doris Van Cleemput, psychologue en soins de santé ambulatoires – Bruxelles Service de Santé Mentale Chapelle-aux-Champs ; Roman Witterbroodt, enseignant.https://b0ffd2a13f76f712ab21b3c6095e3030.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html

(1)  Ces chiffres couvrent la période de 2011 à 2020..