Pour une théologie à la lumière des sciences humaines et sociales


Samedi 21 septembre 2019 de 14:00 à 19:00
Organisé par Projet Mosquée Fatima
source Kahina Bahloul sur FB

Dans le prolongement des réflexions et des initiatives pour l’émergence d’un courant libéral en islam, La Mosquée Fatima organise son 1er colloque le 21 septembre 2019 à Paris. La thématique est dédiée à l’élaboration d’une pensée théologique et religieuse dans le contexte contemporain sécularisé.
La conscience religieuse des musulmans est abreuvée, depuis des siècles, par un discours religieux, fondé sur des textes médiévaux, que l’on peut qualifier d’inopérants pour relever les défis d’aujourd’hui. Pour les clercs des institutions religieuses musulmanes, il est essentiel de reproduire les actes des pieux prédécesseurs des premiers temps de l’Islam. Certains d’entre eux considèrent que la théologie spéculative est un mal absolu qu’il faut interdire, les conduisant à adopter la position du refus de la théologie, et à se restreindre à imiter (taqlid) les anciens (Salaf). D’autres, dans leur logique exclusive et restrictive, renient les apports philosophiques et spirituels du versant mystique de l’islam, le soufisme. Bien d’autres mécanismes ont été mis en place et, en s’accumulant, ont fini par aboutir à une sclérose de la pensée religieuse musulmane.
Cela pose un véritable problème épistémologique. Car la recherche contemporaine en islamologie a montré les biais méthodologiques (anachronisme, incohérence) sur lesquels s’élaborent des discours religieux traditionalistes et exclusivistes.
Le paradigme hégémonique ne peut plus se justifier, d’après le sociologue Omero Marongiu-Perria. C’est la raison pour laquelle notre projet de mosquée libérale se construit en dehors de ce paradigme médiéval pour prendre en considération notre propre époque postmoderne. S’il en est un qui doit guider notre action, nous pourrions le définir comme un « paradigme harmonique ». Car notre but est de pratiquer l’islam selon une double harmonie : harmonie avec le sens de la révélation coranique et du message muhammadien, mais aussi harmonie avec notre époque et son Esprit (ruh al-zaman). De ce point de vue, il n’y a pas d’opposition entre l’esprit du message islamique et la volonté de vivre ensemble, en toute justice et émancipation, sans rapport de domination entre les genres, les ethnies ou les religions.

Nous avons pour objectif (entre autres) de faire rencontrer des acteurs de la recherche scientifique et des acteurs de terrain ; ce sont des intellectuels, des théologiens et des imams – dont certains cumulent ces trois identités -, pour réfléchir aux questions qui se posent à la pensée musulmane contemporaine :
– quelles réformes de la pensée dans ces différents domaines : la théologie scolastique, la jurisprudence (fiqh), la philosophie, la mystique, etc. ? Quelles réformes dans la pratique des rites ? ;
– quel statut pour le texte coranique ? Que peuvent nous apporter les analyses socio-historiques de la révélation coranique ? Tous les versets ont-ils la même portée ? Comment lire les versets qui concernent le statut de la femme : l’héritage, le témoignage, la tutelle, le mariage des musulmanes avec les non-musulmans, etc. ?
– comment rouvrir les portes de l’effort intellectuel ? Peut-on considérer que la révélation est toujours en marche à chaque époque et que chaque génération doit faire parler et dialoguer avec le texte en fonction de son contexte intellectuel et social ? Ou bien, faut-il considérer que la révélation est accomplie et qu’il n’y a plus d’effort d’interprétation à faire ? Quelle méthode pour lire les textes ? Quel rôle pour l’histoire sociale et politique ?

Nous avons l’ambition d’ouvrir des pistes de réflexion fécondes et de contribuer à élargir nos conceptions du religieux dans nos vies. Il est possible d’embrasser la modernité par un islam ouvert et précurseur qui affirme la concordance entre la tradition, la culture, la foi, ses principes et le monde dans lequel nous vivons. Un islam qui accorde à la connaissance une place prépondérante, car la connaissance est nécessaire à la conscience, la compréhension est indispensable à l’observance des rites.
L’Islam libéral proclame l’importance du dialogue avec les autres religions et revendique l’égalité parfaite entre hommes et femmes dans tous les aspects de la vie. L’Islam libéral est égalitaire. Il abolit toute forme de discrimination ou de séparation des hommes et des femmes lors des offices et dans la vie profane. Les femmes peuvent occuper le poste d’imame avec les mêmes prérogatives qu’un homme. Elles peuvent officier à la prière du vendredi et monter en chaire pour le prêche (Khotba).
Une éthique religieuse contemporaine doit forcément prendre en compte la raison, l’éthique et la liberté de conscience individuelle pour mieux réhabiliter l’éthique de responsabilité chez le musulman.
Le mouvement de l’islam libéral insiste sur l’importance des rites marquant la vie du musulman tout en laissant au croyant la latitude nécessaire dans les modalités concrètes du rituel comme expression de sa foi, de son lien direct avec Dieu. C’est là le vrai sens de l’individu qui exerce sa liberté et sa responsabilité.

Les intervenants :
• Mohamad Bajrafil, théologien, docteur en linguistique, essayiste et imam ;
• Omero Marongiu-Perria, docteur en sociologie, spécialiste de l’islam français ;
• Steven Duarte, agrégé d’arabe, docteur en islamologie spécialiste du réformisme religieux en islam contemporain. Maître de conférences à l’Université Paris 13 Nord ;
• Eric Goffroy, islamologue arabisant et écrivain. Enseignant d’islamologie à l’Université de Strasbourg et dans d’autres institutions, il est spécialiste académique du soufisme ;
• Fouzia Oukazi, Diplômée de l’Institut d’Études Politiques d’Alger, spécialisée en histoire moderne et en sciences des religions;
• Faker Korchane, Professeur de philosophie, théologien spécialiste du mu’tazilisme et imam de La Mosquée libérale Fatima;
• Kahina Bahloul, islamologue, théologienne et imame de La Mosquée Fatima.

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Edouard Louis : ”Chaque personne qui insultait un gilet jaune insultait mon père”


anniebannie vient de découvrir Edouard Louis et reprend cet article bien que le sujet ne fasse plus guère la une mais les gilets jaunes continuent d’exister et de souffrir.

L’écrivain analyse le mouvement des gilets jaunes dans un texte qu’il nous a transmis.

Edouard Louis, auteur de Qui a tué mon père (Seuil) décrit « le choc » qu’il a ressenti en découvrant les images des Gilets Jaunes, et les sentiments puissants qu’elles ont suscité:

« Depuis quelques jours j’essaye d’écrire un texte sur et pour les gilets jaunes, mais je n’y arrive pas. Quelque chose dans l’extrême violence et le mépris de classe qui s’abattent sur ce mouvement me paralyse, parce que, d’une certaine façon, je me sens personnellement visé.

J’ai du mal à décrire le choc que j’ai ressenti quand j’ai vu apparaitre les premières images des gilets jaunes. Je voyais sur les photos qui accompagnaient les articles des corps qui n’apparaissent presque jamais dans l’espace public et médiatique, des corps souffrants, ravagés par le travail, par la fatigue, par la faim, par l’humiliation permanente des dominants à l’égard des dominés, par l’exclusion sociale et géographique, je voyais des corps fatigués, des mains fatiguées, des dos broyés, des regards épuisés.

La raison de mon bouleversement, c’était bien sûr ma détestation de la violence du monde social et des inégalités, mais aussi, et peut-être avant tout, parce que ces corps que je voyais sur les photos ressemblaient aux corps de mon père, de mon frère, de ma tante… Ils ressemblaient aux corps de ma famille, des habitants du village où j’ai vécu pendant mon enfance, de ces gens à la santé dévastée par la misère et la pauvreté, et qui justement répétaient toujours, tous les jours de mon enfance « nous on ne compte pour personne, personne ne parle de nous » – d’où le fait que je me sentais personnellement visé par le mépris et la violence de la bourgeoisie qui se sont immédiatement abattus sur ce mouvement. Parce que, en moi, pour moi, chaque personne qui insultait un gilet jaune insultait mon père.

Tout de suite, dès la naissance de ce mouvement, nous avons vu dans les médias des « experts » et des « politiques » diminuer, condamner, se moquer des gilets jaunes et de la révolte qu’ils incarnent. Je voyais défiler sur les réseaux sociaux les mots « barbares », « abrutis », « ploucs », « irresponsables ». Les médias parlaient de la « grogne » des gilets jaunes : les classes populaires ne se révoltent pas, non, elles grognent, comme des bêtes. J’entendais parler de la « violence de ce mouvement » quand une voiture était brulée ou une vitrine cassée, une statue dégradée. Phénomène habituel de perception différentielle de la violence : une grande partie du monde politique et médiatique voudrait nous faire croire que la violence, ce n’est pas les milliers de vie détruites et réduites à la misère par la politique, mais quelques voitures brûlées. Il faut vraiment n’avoir jamais connu la misère pour pouvoir penser qu’un tag sur un monument historique est plus grave que l’impossibilité de se soigner, de vivre, de se nourrir ou de nourrir sa famille.

Les gilets jaunes parlent de faim, de précarité, de vie et de mort. Les « politiques » et une partie des journalistes répondent : « des symboles de notre République ont été dégradés« . Mais de quoi parlent ces gens ? Comment osent ils ? D’où viennent ils ? Les médias parlent aussi du racisme et de l’homophobie chez les gilets jaunes. De qui se moquent-ils ? Je ne veux pas parler de mes livres, mais il est intéressant de noter que chaque fois que j’ai publié un roman, j’ai été accusé de stigmatiser la France pauvre et rurale justement parce que j’évoquais l’homophobie et le racisme présents dans le village de mon enfance. Des journalistes qui n’avaient jamais rien fait pour les classes populaires s’indignaient et se mettaient tout à coup à jouer les défenseurs des classes populaires.

Pour les dominants, les classes populaires représentent la classe-objet par excellence, pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu ; objet manipulable du discours : de bons pauvres authentiques un jour, des racistes et des homophobes le lendemain. Dans les deux cas, la volonté sous-jacente est la même : empêcher l’émergence d’une parole des classes populaires, sur les classes populaires. Tant pis s’il faut se contredire du jour au lendemain, pourvu qu’ils se taisent.

Bien sûr, il y a eu des propos et des gestes homophobes et racistes au sein des gilets jaunes, mais depuis quand ces médias et ces « politiques » se soucient du racisme et de l’homophobie ? Depuis quand ? Qu’est-ce qu’ils ont fait contre le racisme ? Est-ce qu’ils utilisent le pouvoir dont ils disposent pour parler d’Adama Traoré et du comité Adama ? Est-ce qu’ils parlent des violences policières qui s’abattent tous les jours sur les Noirs et les Arabes en France ? Est-ce qu’ils n’ont pas donné une tribune à Frigide Barjot et à Monseigneur je-ne-sais-plus-combien au moment du mariage pour tous, et, en faisant cela, est-ce qu’ils n’ont pas rendu l’homophobie possible et normale sur les plateaux de télé ?

Quand les classes dominantes et certains médias parlent d’homophobie et de racisme dans le mouvement des gilets jaunes, ils ne parlent ni d’homophobie ni de racisme. Ils disent : « Pauvres, taisez-vous ! » Par ailleurs, le mouvement des gilets jaunes est encore un mouvement à construire, son langage n’est pas encore fixé : s’il existe de l’homophobie ou du racisme parmi les gilets jaunes, c’est notre responsabilité de transformer ce langage.

Il y a différentes manières de dire : « Je souffre » : un mouvement social, c’est précisément ce moment où s’ouvre la possibilité que ceux qui souffrent ne disent plus : « Je souffre à cause de l’immigration et de ma voisine qui touche des aides sociales« , mais : « Je souffre à cause de celles et ceux qui gouvernent. Je souffre à cause du système de classe, à cause d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe« . Le mouvement social, c’est un moment de subversion du langage, un moment où les vieux langages peuvent vaciller. C’est ce qui se passe aujourd’hui : on assiste depuis quelques jours à une reformulation du vocabulaire des gilets jaunes. On entendait uniquement parler au début de l’essence, et parfois des mots déplaisants apparaîssaient, comme « les assistés« . On entend désormais les mots inégalités, augmentation des salaires, injustices.

Ce mouvement doit continuer, parce qu’il incarne quelque chose de juste, d’urgent, de profondément radical, parce que des visages et des voix qui sont d’habitude astreints à l’invisibilité sont enfin visibles et audibles. Le combat ne sera pas facile : on le voit, les gilets jaunes représentent une sorte de test de Rorschach sur une grande partie de la bourgeoisie ; ils les obligent à exprimer leur mépris de classe et leur violence que d’habitude ils n’expriment que de manière détournée, ce mépris qui a détruit tellement de vies autour de moi, qui continue d’en détruire, et de plus en plus, ce mépris qui réduit au silence et qui me paralyse au point de ne pas réussir à écrire le texte que je voudrais écrire, à exprimer ce que je voudrais exprimer.

Mais nous devons gagner : nous sommes nombreuses et nombreux à se dire qu’on ne pourrait pas supporter une défaite de plus pour la gauche, et donc pour celles et ceux qui souffrent ».