Syrie: «Daesh et le régime Assad s’entendent parfaitement»


Par Bruno Faure

mediaFrappes sur Kobane, le 15 novembre 2014 (photo prise depuis le côté turc de la frontière avec la Syrie, ndlr)REUTERS/Osman Orsal

Chaque jour, on compte des bilans humains dramatiques en Syrie: 95 morts dans les frappes du régime sur Raqqa, bastion des jihadistes. Raqqa, Alep, Homs, Deir ez-Zor, Kobané, ces villes sont devenues tristement célèbres depuis 48 mois. Cela représente environ 1400 jours de combats incessants entre d’un côté, l’armée syrienne, et de l’autre, tous ses ennemis qui parfois s’entretuent eux-mêmes. Le professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po, Jean-Pierre Filiu, connait bien la Syrie pour y être allé à de nombreuses reprises. Il répond aux questions de Bruno Faure.

RFI: Sans être spécialiste, on se demande comment cette guerre peut continuer. Les belligérants ne sont-ils pas à bout de force ? Plus assez d’hommes, plus de nourriture, avec une activité économique qui est complètement à l’arrêt…

Jean-Pierre Filiu : L’horreur continuera tant que Bachar el-Assad sera au pouvoir ! Il avait dit dès le premier jour et fait dire par ses partisans : « Assad ou nous brûlons le pays ». Il est en train de mettre ses menaces et son programme à exécution.

Comment fait-on la guerre dans ces conditions ? Quand on n’a plus de moyens finalement, de survivre ? On se dit que tout le monde va mourir, faute de nourriture, faute d’eau, faute d’armes ?

Je pense que Bachar el-Assad est prêt à faire la guerre jusqu’au dernier Syrien ! Lui, il vit très bien dans son palais, sous protection iranienne. Il a littéralement un pont aérien d’armes russes qui ne cessent de remplir ses arsenaux. Il a réussi à éviter en août 2013 des frappes, malgré l’utilisation massive d’armes chimiques. Et depuis, il a recours aux barils. C’est-à-dire des containers de TNT chargés de grenaille qui ont un effet absolument dévastateur. Et comme s’il n’était pas assez protégé par la lâcheté ou la complicité internationale, depuis deux mois on ne parle plus que de Daesh, le soi-disant Etat islamique. Et on a complètement oublié ou feint d’oublier, qu’en Syrie il y a une révolution et que Assad a tué cent fois plus de Syriens que Daesh.

Précisément, on parlait de ces frappes sur Raqqa. Est-ce que cette ville est un objectif prioritaire pour les forces de Bachar el-Assad ?

Il faut bien comprendre qu’on est dans un théâtre d’ombres absolument sinistre. Daesh, donc l’Etat islamique autoproclamé, et le régime Assad, s’entendent parfaitement pour se répartir le pays aux dépens d’adversaires communs qui sont les forces révolutionnaires, qui combattent encore malgré tout, malgré leur rapport de force extrêmement désastreux, et qui tiennent bon encore aujourd’hui à Alep, malgré les risques d’encerclement.

Donc de temps en temps Bachar el-Assad fait des frappes qui – et on l’entend par ce bilan – sont surtout dévastatrices pour les civils qui vivent à Raqqa. Les jihadistes on sait parfaitement où ils sont et ce ne sont pas eux que les gouvernementaux frappent, ça lui permet ainsi de se mettre dans le bon camp, si j’ose dire, celui qui lutte contre le jihad international. Mais la réalité c’est qu’il ne fait que combattre, hier comme aujourd’hui, les révolutionnaires.

Laurent Fabius dit qu’il faut sauver Alep, à la fois des jihadistes et des forces du régime. Il parle de conséquences humaines terribles. Cette initiative de la France, de créer des zones de sécurité qui seraient interdites au régime et aux jihadistes, qu’en pensez-vous ? Est-ce que c’est réaliste ?

Plus on attend et plus il sera difficile de mettre en œuvre la moindre solution. Ceux qui disaient qu’on ne pouvait pas intervenir il y a six mois, sont les mêmes qui disent qu’aujourd’hui c’est encore plus compliqué, c’est vrai.

Je suis convaincu que le monstre qu’on a alimenté en Syrie, en ne faisant rien ou en faisant moins que rien, c’est-à-dire en parlant sans être suivi d’action – ce monstre qui a deux faces ; le dictateur Assad et le jihadiste Bagdadi – ce monstre, il ne va pas rester éternellement en Syrie. Donc de toute façon nous serons obligés d’intervenir. Mais il vaudrait mieux le faire tant qu’il y aura sur place des révolutionnaires qui sont musulmans, arabes et sunnites et qui sont donc les seuls qui puissent s’opposer à la fois au régime et aux jihadistes.

Et c’est pourquoi Laurent Fabius a mille fois raison de mettre l’accent sur Alep. Si nous ne sauvons pas Alep, je pense que l’Europe connaîtra des tragédies que nous ne pouvons pas encore anticiper parce qu’on sera rentré dans autre chose. Donc je dis simplement qu’il faut agir en Syrie non plus pour eux parce que nous avons déjà beaucoup trop tardé, mais pour nous.

Une zone tampon c’est ce que veut l’opposition syrienne, des zones d’exclusion aérienne, ça c’est encore possible ?

Tout est toujours possible si on se donne les moyens de le faire ! Mais c’est évidemment plus compliqué aujourd’hui qu’hier ! Mais ce sera plus facile aujourd’hui que demain.

Le changement de ministre de la Défense aux Etats-Unis, la démission de Chuck Hagel, est-ce que ça peut modifier quelque chose dans ce conflit ?

Ah ! Modifier en pire ! Chuck Hagel a quitté son poste parce qu’il était en désaccord profond avec Barack Obama sur la non-politique menée en Syrie. Et je crains qu’Obama se soit déjà mis en tête de léguer la guerre contre Daesh à son successeur et n’ait aucune envie de prendre les mesures qui s’imposent, surtout depuis le report des négociations sur le nucléaire iranien.

 

Budrus


[youtube http://youtu.be/VusnAkW_Rb8?]

2009 documentaire  israelien/palestinien/americain dirigé par Julia Bacha.

Le film « Budrus » est un documentaire primé sur l’organisateur d’une communauté palestinienne, Ayed Morrar, qui unit des membres du Fatah et du Hamas, ainsi que des sympathisants israéliens, dans un mouvement non armé pour sauver son village, Budrus, de la destruction par la barrière de séparation d’Israël. Et cela sans succès jusqu’à ce que sa fille de 15 ans, Iltezam, mette en action un contingent de femmes qui, rapidement, monte en première ligne. Luttant côte à côte, père et fille déclenchent un mouvement mobilisateur, encore peu connu, dans les Territoires palestiniens occupés, qui gagne toujours du terrain encore aujourd’hui. Dans un documentaire rempli d’actions retraçant ce mouvement dans ses débuts, « Budrus » projette la lumière sur un peuple qui choisit la non-violence pour faire face à une menace.

Christophe Oberlin: La population de Gaza est à bout. Tout peut arriver [Entretien 24.11.2014]


[youtube http://youtu.be/f4CElEVvpJE?]

Entretien réalisé par Silvia Cattori et Gérard Lazare le 25 nov. 2014. www,arretsurinfo.ch
Professeur de médecine à l’Université Paris VII, chirurgien à l’hôpital Bichat, Christophe Oberlin est l’un des meilleurs connaisseurs de la bande de Gaza où il se rend régulièrement depuis 2001. En juillet-août 2014, durant l’agression israélienne contre la population de Gaza il a accusé François Hollande pour son soutien à Israël. Ayant également mis en cause l’Autorité palestinienne pour avoir saboté la plainte déposée auprès de la CPI, Christophe Oberlin a été vivement critiqué par les dirigeants de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS). Il raconte tout cela dans l’ouvrage « Le chemin de la Cour – Les dirigeants israéliens devant la Cour Pénale Internationale ». (Editions Eric Bonnier -14.17 EUR)
Lire également:
– Lettre ouverte à François Hollande et autres racistes qui nous dirigent http://arretsurinfo.ch/video-lettre-o…
– Dernier crime à Gaza : le crime de haute trahison http://arretsurinfo.ch/dernier-crime-…
– « Ce qui se passe à Gaza est en partie à cause de la déclaration de Hollande » http://arretsurinfo.ch/video-ce-qui-s…
– Feu vert de la Cour Pénale Internationale et de Mahmoud Abbas pour continuer les crimes de guerre à Gaza http://arretsurinfo.ch/feu-vert-de-la…

67 ans de ‪#‎Nakba‬ ‪#‎SaveALAQSA‬


Manifestation autorisée
Dimanche 30 Novembre 2014
Rassemblement Avenue de Stalingrad à 14h00
Départ vers la Place de l’Albertine à 15h00
67 ans de ‪#‎Nakba‬ ‪#‎SaveALAQSA‬
Dimanche 30 novembre, 14:00 à Bruxelles
https://www.facebook.com/events/890234164322956/?pnref=story29 Novembre 1947 les Palestiniens sont victimes d’une injustice historique.
L’Assemblée générale des Nations unies décide, le 29 novembre 1947, le partage de la Palestine en un État juif et un État arabe. Le nettoyage ethnique de la Palestine commence. Cette « recommandation » est à l’origine de six décennies d’injustice.

Jérusalem est aujourd’hui sur la ligne de front de la résistance populaire, tout comme la Bande de Gaza se trouve à l’avant-garde de la résistance armée. Nous devons considérer Jérusalem comme une partie de l’ensemble de la Palestine et de toute la cause palestinienne.

La campagne #SaveALAQSA pour défendre Jérusalem et la Palestine n’est pas limitée la défense de la mosquée Al-Aqsa, qui est attaquée, fermée et menacée par l’armée sioniste et les forces politiques et coloniales. Il ne s’agit pas seulement du lieu sacré d’Al-Aqsa, mais de l’ensemble de la Palestine et de sa capitale.

/Al Qods/Jérusalem ne doit pas être sous l’occupation d’un régime colonial raciste, sioniste.
Et cela s’applique également à chaque centimètre de la terre de Palestine

Soutien total et inconditionnel à la Résistance palestinienne sous toutes ses formes

Liberté pour tous les prisonniers palestiniens

Soutien à la campagne BDS – Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre l’État d’Israël.

Halte au silence complice de la « communauté internationale ».

Manifestation autorisée
Dimanche 30 Novembre 2014
Rassemblement Avenue de Stalingrad à 14h00
Départ vers la Place de l’Albertine à 15h00

Info & Contact : 0476/84.19.69

L’ENTRETIEN – Sofia Amara, auteur d' »Infiltrée dans l’enfer syrien »


[youtube http://youtu.be/rafiWc23_2g?]

Journaliste installée à Beyrouth, Sofia Amara s’est rendu à plusieurs reprises en Syrie depuis le début du soulèvement en 2011. Aujourd’hui, après plusieurs reportages, elle publie « Infiltrée dans l’enfer syrien, du printemps de Damas à l’État islamique » (éd. Stock), un ouvrage qu’elle a décidé d’écrire en 2013, lorsqu’elle a « senti que nous allions basculer dans cet enfer jihadiste qu’aujourd’hui nous connaissons ».

Une journée à Pompéi


Day in Pompeii, a Melbourne Winter Masterpieces exhibition, was held at Melbourne Museum from 26 June to 25 October 2009. Over 330,000 people visited the exhibition — an average of more than 2,700 per day — making it the most popular traveling exhibition ever staged by an Australian museum.

Zero One created the animation for an immersive 3D theatre installation which gave visitors a chance to feel the same drama and terror of the town’s citizens long ago, and witness how a series of eruptions wiped out Pompeii over 48 hours.

This video is available in full HD stereo. Please get in touch with Zero One through their website for licensing information for exhibitions, television and other media or to discuss 3D Visualisation solutions. Copyright 2010 Zero One Animation and Melbourne Museum.

Le quotidien d’un camp de réfugiés syriens raconté sur Twitter


Le camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie, accueille 81 000 exilés syriens. C’est le premier à être présent sur les réseaux sociaux, depuis le mois d’octobre 2013.

Du fait de son ampleur, le camp de Zaatari était considéré, en juillet 2013, comme la cinquième « ville » la plus importante de Jordanie par sa population. On y recense onze naissances quotidiennes.

Nasreddine Touaibia, travailleur des Nations unies dans le camp de Zaatari, se charge de publier régulièrement des photos qui illustrent le quotidien des réfugiés sur Twitter. C’est un moyen de rappeler aux internautes la gravité de la situation, explique-t-il à i100.

« Le camp n’est que la partie émergée de l’iceberg. […] Nous avons besoin de rappeler aux gens la tragédie qui se déroule actuellement en Syrie, parce qu’ils ont tendance à penser que la situation se calme et redevient normale. Mais le conflit est toujours là et les réfugiés sont encore en exil. »

Grâce aux photos du camp diffusées sur Twitter, il est possible de visualiser la vie des réfugiés, et rendre leur situation plus concrète dans l’esprit des gens. « L’objectif de notre compte Twitter est de montrer la vie des réfugiés », explique M. Touaibia, qui diffuse par exemple des photos du laboratoire et du restaurant qui font partie du quotidien des réfugiés.

 

Sur le plan économique, le camp compte plus de 3 000 commerces. En outre, 90 % de la population a un accès au réseau électrique, ce qui permet aux habitants de communiquer avec l’extérieur.

 

 

 

Le camp compte onze écoles, où sont scolarisés entre 18 000 et 22 000 enfants. 57 % de la population a moins de 18 ans, et plusieurs loisirs sont mis en place pour animer leur quotidien. « Zaatari est un camp unique pour plusieurs raisons », assure Nasreddine Touaibia, qui publie plusieurs photos illustrant la diversité des activités culturelles proposées aux réfugiés syriens.

 

 

 

Turquie. Les violences aux frontières et le dénuement aggravent le sort des réfugiés syriens


La passivité de la communauté internationale face au nombre croissant de réfugiés syriens gagnant la Turquie est à l’origine d’une crise sans précédent, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 20 novembre. Certains réfugiés sont refoulés et visés par des tirs à balles réelles à la frontière, tandis que plusieurs centaines de milliers d’autres vivent dans la misère.

La passivité de la communauté internationale face au nombre croissant de réfugiés syriens gagnant la Turquie est à l’origine d’une crise sans précédent, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 20 novembre. Certains réfugiés sont refoulés et visés par des tirs à balles réelles à la frontière, tandis que plusieurs centaines de milliers d’autres vivent dans la misère.

Dans son rapport, intitulé Struggling to Survive: Refugees from Syria in Turkey, Amnesty International met en évidence les risques graves en matière de droits humains que courent 1,6 million de personnes venues trouver refuge dans le pays au cours des trois dernières années et demi. L’organisation insiste également sur la réticence de la communauté internationale à assumer une responsabilité financière face à cette crise des réfugiés syriens.

« La Turquie éprouve beaucoup de difficultés pour répondre aux besoins élémentaires de plusieurs centaines de milliers de réfugiés syriens. En conséquence, nombre de ceux qui ont réussi à passer la frontière vivent aujourd’hui dans le dénuement le plus total. L’aide humanitaire internationale est très faible, mais la Turquie doit elle aussi se mobiliser davantage pour se voir octroyer cette aide,a déclaré Andrew Gardner, chercheur d’Amnesty International sur la Turquie.

« Le pays a officiellement ouvert ses postes-frontières aux réfugiés syriens, mais la réalité est tout autre pour ceux qui tentent d’échapper aux ravages de la guerre. Nombre d’entre eux sont refoulés vers la zone de conflit, et certains sont même la cible de tirs à balles réelles. »

La Turquie accueille la moitié des 3,2 millions de femmes, d’hommes et d’enfants qui ont fui les violences, les persécutions et d’autres violations des droits humains en Syrie. À ce jour, le pays a dépensé quatre milliards de dollars pour faire face à cet afflux massif de réfugiés. Et, parallèlement, seuls 28 % des 497 millions de dollars assignés à la Turquie dans le cadre de l’appel de fonds régional 2014 des Nations unies en faveur des Syriens avaient été versés par les donateurs internationaux à la fin du mois d’octobre.

La Turquie et les États voisins (Égypte, Irak, Jordanie et Liban) abritent 97 % des réfugiés en provenance de Syrie.

« La Turquie a pris à sa charge une partie substantielle du poids financier de la crise. Le manque d’empressement des pays riches à assumer une plus grande responsabilité financière dans cette crise et à offrir un nombre décent de places de réinstallation est déplorable », a déclaré Andrew Gardner.

Des réfugiés visés par des tirs à la frontière
Aux postes-frontières officiels, la Turquie applique une politique d’ouverture des frontières pour les Syriens, mais seuls deux postes sont entièrement ouverts sur une bande frontalière de 900 kilomètres. Or, même à ces deux postes, les personnes qui n’ont pas de passeport se voient régulièrement refuser le passage, à moins qu’elles n’aient besoin d’une aide médicale ou humanitaire d’urgence.

En outre, rejoindre ces postes-frontières représente un périple long et risqué pour la plupart des réfugiés. Nombre d’entre eux n’ont d’autre choix que de tenter de franchir la frontière à des points de passage non officiels, d’accès difficile et souvent dangereux, situés dans des zones de conflit, avec l’appui de passeurs dans bien des cas. Ils se heurtent alors fréquemment à des violences.

Selon les informations recueillies par Amnesty International, au moins 17 personnes ont été abattues par des gardes-frontières, qui ont tiré à balles réelles, à des points de passage non reconnus entre décembre 2013 et août 2014. Beaucoup ont été rouées de coups ou ont subi d’autres mauvais traitements avant d’être refoulées vers la Syrie, en proie au conflit.

Ali Özdemir (14 ans) a reçu une balle dans la tête dans la nuit du 18 au 19 mai alors qu’il se dirigeait vers la frontière turque. Son père a raconté à Amnesty International qu’Ali se trouvait avec neuf autres réfugiés. À une dizaine de mètres de la frontière, ils ont entendu parler turc. Ali a eu peur et, alors qu’il avait décidé de faire demi-tour, il a reçu une balle sur un côté de la tête. Aucun avertissement, ni oral, ni par le biais de tirs en l’air, n’avait été donné. Ali est maintenant aveugle.

« Tirer sur des gens qui fuient un conflit et cherchent un refuge est ignoble. C’est une violation manifeste du droit international qui ne doit pas rester impunie, a déclaré Andrew Gardner.

« Les États ont pour obligation fondamentale d’ouvrir leurs portes aux personnes qui fuient des persécutions ou une guerre. Les autorités turques doivent prendre toutes les mesures qui s’imposent pour garantir la sécurité de celles et ceux qui fuient le conflit syrien et leur permettre de rejoindre la Turquie. »

La situation sur le territoire turc
Sur les 1,6 million de Syriens réfugiés en Turquie, seuls 220 000 personnes vivent dans les 22 camps bien équipés, qui ont atteint les limites de leur capacité d’accueil. Plus de 1,3 million de réfugiés sont livrés à eux-mêmes. D’après des sources gouvernementales turques, seuls 15 % des réfugiés syriens vivant en dehors des camps officiels reçoivent une aide de la part d’organismes humanitaires.

Pour se nourrir et se loger, les familles prennent des mesures désespérées, faisant même parfois travailler leurs enfants.

« Ibrahim » (10 ans) et sa famille ont fui Alep il y a deux ans. Ils se sont installés à Kilis, ville frontalière turque, où ils vivent dans une casemate de béton. Pour survivre, le jeune Ibrahim récupère avec son père le plastique dans les poubelles, gagnant 1 livre turque (0,40 dollar) pour 500 g de plastique. Il a raconté à Amnesty International qu’il se levait tous les jours à 6 heures et terminait sa journée de travail vers 16 heures. Certains jours, il a le temps d’apprendre à lire et à écrire auprès d’un imam local. Les neuf autres enfants de la famille ne vont pas à l’école.

« La situation de la plupart des réfugiés syriens après qu’ils ont échappé aux ravages de la guerre est sombre. Ils sont abandonnés par la communauté internationale. Les États les plus riches renâclent à apporter une aide financière et à offrir des places de réinstallation, a déclaré Andrew Gardner.

« La Turquie n’a précisé le statut juridique et les droits des réfugiés syriens qu’en octobre, avec l’adoption par le Parlement d’une directive relative à l’octroi d’une protection temporaire. Ce texte doit être pleinement mis en œuvre et porté à la connaissance des réfugiés syriens comme des fonctionnaires de l’État. »

20 novembre 2014

ÉTAT ISLAMIQUE – Grand-reportage exclusif : De Bagdad à Alep, résister à l’État islamique !


Extrait du reportage se rapportant à Alep

Alep

???????????????????????????????Alep. Bientôt… Cela fait tout juste deux ans que je n’ai pas revu la ville…

Si. J’en avais traversé la banlieue, en août 2013 ; mais j’étais alors prisonnier des Brigades al-Farouk, qui me détenaient comme otage. C’était quelques jours avant d’être libéré…

À l’approche de la ville, je suis inquiet. Le danger est très grand : les islamistes sont partout ; j’espère qu’Adnan et ses hommes ont bien reçu mon message. J’ai confirmé mon arrivée hier soir, mais il n’a pas répondu.

Le pick-up quitte la route, s’engage dans la cour d’une ferme délabrée et s’immobilise. Les exploitants sont partis ; une katiba de l’Armée syrienne libre (ASL) y a établi ses quartiers. « C’est ici ! », me crie Lowand ; et je saute en bas de la benne.

Adnan est au rendez-vous… Je suis soulagé.

Je l’avais rencontré en 2012, à l’état-major de l’ASL. Il a vieilli ; il a les traits tirés, le teint gris. Il porte la barbe, désormais ; et j’ai peine à reconnaître le jeune homme de vingt-cinq ans, tout fringant, qui ne tarissait pas d’optimisme sur la grande aventure révolutionnaire qui allait transfigurer son pays.

Le régime gagne du terrain. Depuis plusieurs mois, depuis que l’État islamique occupe tous les esprits, en Europe et aux États-Unis, plus aucun média ne parle de la Syrie, sinon pour commenter les frappes de la coalition internationale. Mais la guerre se poursuit, à huis clos, et l’armée de Bashar al-Assad redouble ses efforts pour reprendre aux rebelles les zones « libérées ».

Adnan me conduit d’abord à Douer al-Zeitoun, un village que je connais bien, dans le rif d’Alep, à une petite dizaine de kilomètres de la ville : c’est là que, en 2012, je m’étais entretenu à plusieurs reprises avec le colonel Ahmed Jabbal al-Okaidi, le commandant en chef de l’Armée syrienne libre à Alep. Mais, cette fois, l’endroit est désert. Le quartier général du colonel a été déplacé depuis longtemps ; et il ne cesse de se replier, de villages en hameaux…

Douer al-Zeitoun ne sera donc qu’une étape, pour y attendre la confirmation que la route est sécurisée, vers une autre destination : Handarat, une grosse bourgade où ont lieu d’intenses combats.

C’est une position stratégique, réellement, car le village contrôle le couloir qui relie Alep à la frontière turque et l’armée syrienne n’est plus très loin d’en chasser les rebelles –j’apprendrai quelques jours plus tard la chute d’Handarat… et des villages voisins de Sifat et Moudafah.

L’armée gouvernementale se garde bien d’affronter les katiba de l’EI qui se sont emparées d’une partie du terrain tenu jusqu’alors par l’ASL ; et l’EI, comme si un accord tacite avait été passé avec Damas, ne s’en prend pas non plus aux positions de l’armée régulière, à Alep en tout cas.

Daesh et Assad ne sont pour nous qu’un seul et même ennemi, m’explique un des combattants, que je ne connais pas. Ce n’est plus un secret, que le régime a libéré ces types des prisons, ces fanatiques, et les a laissé créer leur milice radicale pour donner au monde une image négative de notre révolution, qui était pacifique au début, et qui demandait seulement la liberté… Le régime a parrainé ces extrémistes ; c’est pour ça qu’il ne les bombarde pas. Au contraire, quand nous lançons une offensive contre Daesh, le régime nous frappe pour ralentir notre progression. À l’état-major, nous sommes persuadés qu’il existe des contacts entre l’armée et Daesh et qu’ils coordonnent leurs opérations. Bien sûr, quand le régime en aura fini avec nous, il règlera son sort à Daesh… Assad va rester ; nous… nous avons perdu…

Aussi, l’ASL est-elle seule face à l’EI qui progresse dans le sud et l’est d’Alep, tandis que les forces gouvernementales l’attaquent par le nord ; un étau qui se resserre peu à peu… Les troupes du régime ont ainsi presque entièrement reconquis le nord du gouvernorat et essaient à présent d’achever l’encerclement de la ville d’Alep en avançant vers l’ouest, pour couper la route vers la Turquie et empêcher toute retraite des combattants de l’ASL et l’approvisionnement des quartiers qu’ils contrôlent. C’était tout l’enjeu de la bataille d’Handarat…

La route est longue jusqu’à Handarat ; car il faut suivre à travers le rif les méandres des pistes et des sentiers, pour éviter les barrages de l’armée régulière. Nous y rejoignons les derniers défenseurs encore vivants.

Adnan, Iohanna, quelques hommes épuisés, courbés… Sur fond du roulement de l’artillerie gouvernementale et des sifflements des obus de mortier qui s’abattent sur les ruines du village, nous nous accroupissons autour d’un feu sur lequel ronronne une théière. Il fait froid. Le soir tombe ; et avec lui, la rosée, l’humidité. « C’est trop pour nous, trop dur, trop de forces contre nous », me lance soudainement Adnan, qui était resté muet depuis mon arrivée. Adossé à un mur de pierres dont le mortier, lépreux, s’effrite et recouvre son blouson, il soupire. « Les soldats d’al-Assad ne sont pas seuls. Dans le sud, ils sont aidés par le Hezbollah. Ici, il y a des brigades iraniennes avec eux, et aussi des brigades chiites, qui sont récemment arrivées d’Irak. Et puis aussi quelques soldats russes. On en a tué plusieurs… »

Comme à chacun de mes séjours en Syrie, en compagnie des combattants de la rébellion, je constate le même manque de moyens, l’absence d’armes lourdes, qui leur font cruellement défaut, les kalachnikovs usées par trois ans de guerre, réparées parfois, rafistolées plus exactement, avec ce qu’on peut encore trouver. Plus même une simple grenade à main ; désormais, ils ne disposent plus guère que de bombes artisanales, des bouteilles et canettes à soda, emplies de poudre noire, de boulons, de clous, de déchets de métaux, dont il faut allumer la mèche avec un briquet avant de lancer.

C’est la raison pour laquelle l’ASL d’Alep n’a pas envoyé d’aide à Kobanê ?, demandé-je.

Pas du tout !, intervient un officier de l’état major qui nous accompagne. Une cinquantaine d’hommes sont déjà partis pour Ayn al-Arab [dénomination arabe de Kobanê, nom kurde de la ville].

Oui, je sais… Cinquante hommes… Excuse-moi, mais… C’est très peu ; c’est symbolique, mais c’est inutile…

Le colonel al-Okaidi était d’accord d’envoyer plusieurs centaines d’hommes. On a même parlé de rassembler 1.300 combattants pour secourir Ayn al-Arab. Mais ce sont les Kurdes qui n’ont pas voulu. On avait l’accord des Turcs pour traverser la frontière et entrer dans Ayn al-Arab. Mais c’est le porte-parole des Kurdes qui a dit non : ils ne veulent pas de l’aide de l’ASL ; ce qu’ils veulent, c’est que les Turcs leur fournissent des armes. Ils ne veulent pas non plus l’aide des Peshmergas d’Irak…

Tu sais bien pourquoi, intervient à son tour Iohanna. La Turquie est trop liée à l’ASL et elle contrôle les Peshmergas du PDK. Ce ne sont pas les Kurdes qui ont dit non, mais l’YPG, parce qu’on sait bien ce qui va se passer si l’ASL et le PDK prennent le contrôle de Kobanê : ils vont imposer les conditions de la Turquie, et ce n’est pas ce que nous voulons.

Adnan et l’officier ne semblent pas très d’accord avec cette assertion : « Le PDK, c’est vrai », proteste Adnan. « Mais pas l’ASL ! »

Inutile de se disputer… De toute façon, ajoute-t-il, à l’intention de l’officier, tu sais bien que Djeich al-Hor[dénomination arabe de l’ASL] n’aurait pas pu détourner mille hommes pour sauver Ayn al-Arab…

La discussion en restera là.

Nous ressassons nos souvenirs, Adnan et moi, comme deux vétérans, et nous rions ensemble… Mais le moral est au plus bas.

Adnan, qui trouvait toujours une bonne raison d’espérer, jadis, qui me baratinait à chaque fois que je le retrouvais sur le front ou au quartier général et m’assurait que tout allait bien, que la victoire était certaine, même lui, aujourd’hui, il m’avoue que la situation est probablement sans issue et que, dans quelques mois, quelques semaines peut-être, pas davantage, le régime aura balayé la révolution de ce dernier bastion, Alep, où elle avait réussi à survivre.

« Nous sommes de moins en moins nombreux », m’explique-t-il. « Chaque jours, plusieurs de nos hommes s’en vont. On voit bien que c’est perdu… On ne peut rien leur reprocher : ils ont été trahis par les Occidentaux ; mais ils se sont bien battus. Maintenant, ils doivent penser à leur famille. La vengeance du régime va être terrible, sans pitié ; ils ne vont pas s’en priver, parce que plus personne ne s’occupe de ce qui se passe ici. Vos gouvernements ont longtemps hésité, mais ils ont finalement choisi leur camp : al-Assad… contre Daesh. Nous, on compte pour rien. On nous a utilisés pour fatiguer le régime ; vous avez réussi à lui enlever ses armes chimiques, tout ce qui restait à la Syrie pour se défendre des Sionistes… Les gars s’en vont ; ils fuient en Turquie parce que, ici, ils ne peuvent plus vivre. Tu sais, Abdulrahmane et Youssef… Ils sont déjà partis. Abou Krahim aussi : il m’a dit qu’il ne pouvait plus continuer comme ça, que ‘son subconscient lui disait de partir’, pour aller vivre en Turquie ou en Europe, pour trouver la paix, un travail, se marier, avoir une vie normale, tranquille, loin des massacres et des destructions qui se répètent depuis trop d’années en Syrie. Il veut étudier, apprendre les sciences et les arts et tout ce qu’il pourra. Il veut vivre heureux, au moins jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans. »

Qu’ils étaient partis, je le savais déjà…

« J’ai vraiment très peur pour l’avenir. », poursuit Adnan. « Si le régime réussit à prendre ce village(Handarat), il pourra couper Alep de toutes les agglomérations que nous tenons encore dans le nord du gouvernorat. Nous avons assez de forces dans la ville ; mais ça voudrait dire qu’Alep connaîtrait une catastrophe humanitaire, le même désastre qu’auparavant à Homs, quand elle était assiégée par l’armée. Et puis, ça se passera comme à Homs : la ville tombera. »

Nous resterons la nuit ainsi, l’un à côté de l’autre, à attendre l’aube, au milieu des flashs des explosions et des craquements des impacts.

J’ai demandé à revoir mon ami, le docteur Yasser, qui m’avait maintes fois hébergé dans son hôpital, au cœur d’Alep, l’hôpital Dar al-Shifaâ, plus tard bombardé par les Migs du régime et aujourd’hui complètement ruiné. Adnan m’emmène en voiture jusqu’à son dispensaire, à l’intérieur de la ville. Il ne faut guère plus d’une vingtaine de minutes pour rejoindre Alep ; la route est encore sûre.

Je n’ai pas reconnu Alep. La plupart des quartiers de la rébellion n’existent presque plus. Ce sont partout des ruines, des immeubles effondrés, des tas de gravats au milieu desquels des familles survivent, sous des bâches, autour d’un feu où brulent encore quelques planches, quelques bouts de bois glanés dans les décombres… Je n’ai rien reconnu de cette ville que j’avais découverte en juillet 2011, quand la « révolution » n’avait pas encore commencé, et de ses avenues que j’avais si souvent parcourues en 2012 avec les katiba de l’Armée syrienne libre, de Liwa al-Tohweed, de Jabhet al-Nosra… Pour dire la vérité, je ne sais même pas quelle partie de la ville j’ai traversé en cet automne 2014.

Yasser attendait ma visite ; il m’attendait dans ce petit local sommairement aménagé, dans un sous-sol, une sorte de cave mal éclairée, où un néon blafard jetait sa lumière crue sur un matelas souillé, taché de sang mille fois séché.

Il est devenu le chef du Conseil des médecins d’Alep, une structure mise sur pied par une petite trentaine de praticiens, ceux qui avaient décidé, dès le début des troubles, de soutenir la révolution et de rester dans la ville. Nous n’avons qu’une petite heure, le temps de nous embrasser et d’échanger quelques mots.

Yasser se souviens : « Comme tu le sais, mon ami, Dar al-Shifaâ a été complètement détruit… J’y avais commencé à opérer les civils blessés par les bombardements et les combattants de l’Armée libre le troisième jour du Ramadan, en 2012 ; vingt jours plus tard, les salles d’opération avaient été mises hors d’état par une attaque de l’aviation d’al-Assad… Tu te rappelles : on avait tout transféré dans le petit centre médical d’al-Daqqaq, quelques rues plus loin… Et je t’avais demandé de ne pas révéler l’endroit dans tes reportages. Mais, maintenant, il est détruit aussi. À l’époque, on avait encore trois autres hôpitaux en état de marche : al-Saqhor, al-Miassar et al-Bohoth al-Elmiah… Tout ça a été bombardé… Aujourd’hui, on se débrouille avec presque rien. On n’a reçu aucune aide, d’aucune ONG. Seulement quelques dons privés, ici, dans le gouvernorat d’Alep; puis aussi un peu d’argent de particuliers, des Syriens qui vivent en Arabie Saoudite, au Qatar et aux États-Unis… Mais c’est très peu, par rapport à tout ce qu’il y a à faire ici… Ce qui m’inquiète, c’est le siège… Si la route vers la Turquie est coupée, je ne sais pas comment on va tenir ; les stocks sont presque vides, l’hiver arrive… et si le régime intensifie ses frappes sur la ville… »

Tu n’as pas trop de problèmes avec Daesh ?

Ça va plus ou moins… On ne les a pas vus venir, ceux-là. On ne sait d’ailleurs toujours pas d’où ils sont sortis… La dernière fois que tu es venu à Alep… en novembre 2012… C’est bien ça ? Ils n’étaient pas encore là. Ils ont commencé à s’implanter ici en octobre 2013. Tout de suite, ils se sont mis à tourner autour de moi et de l’hôpital, et j’ai dû quitter la ville. On m’a averti que c’était devenu dangereux pour moi. J’ai déplacé mon dispensaire en dehors d’Alep, dans un village, al-Atareb, dans l’ouest du gouvernorat… J’ai bien fait : deux jours plus tard, ils ont enlevé deux de mes anciens collaborateurs, dont mon ami Kalled Sabha… On ne les a jamais revus.

Et maintenant ?

Depuis janvier dernier, l’Armée libre fait la guerre contre Daesh… On a nettoyé le quartier et je me suis réinstaller dans la ville. C’était nécessaire : en janvier, j’ai organisé une campagne de vaccination contre la polio… Il fallait qu’on puisse intervenir à Alep.

Depuis lors, je n’ai plus eu de menace ; mais je ne me déplace jamais sans mon arme. Même ici, comme tu vois, je suis armé, me déclare-t-il en me montrant le révolver qu’il porte sous sa vareuse.

Ces types ont blessé notre révolution, à mort… Au début, les gens, ici, haïssaient ces extrémistes. C’est la politique des États-Unis et de leurs alliés européens qui ont poussé les gens à rejoindre Daesh. Tu le sais bien : nos amis d’al-Towheed et d’al-Nosra, Abou Bakri, ce n’étaient pas des radicaux. Ils le sont devenus et ont rejoint Daesh à cause des États-Unis et de vos gouvernements, qui ont envoyé des avions pour frapper Daesh, mais qui ferment les yeux sur la terreur exercée par al-Assad. Tu dois le dire, ça, dans ton journal !

Les gens, ici, ils ont commencé à avoir de la rancœur envers les États-Unis et l’Europe quand ils ont compris que vous ne vouliez pas aider notre révolution. Et cette rancœur s’est changée en haine quand on a vu que, contre Daesh, l’Occident est intervenu ; pas contre al-Assad. Tu dois le dire, ça aussi ! Chaque jour, nos enfants meurent à cause des bombes, des barils d’explosif que les hélicoptères d’al-Assad balancent sur la ville. Mais les États-Unis ne nous permettent pas d’avoir des missiles anti-aériens.

Quel espoir reste-t-il encore à la révolution ?

Il n’y en a plus, Pierre… Nous avons vu disparaître nos derniers espoirs avec l’arrivée de Daesh. Nous avons vu sombrer notre révolution, ballotée entre le régime d’al-Assad, les États-Unis et Daesh… C’est ça, la réalité !

La politique internationale n’a eu aucune pitié pour notre révolution. Chacun a comme d’habitude défendu ses intérêts.

Plus aucun espoir de reprendre le dessus ? L’Armée syrienne libre…

Regarde autour de toi ! Où est-elle, aujourd’hui, l’Armée syrienne libre ?! Il n’y a plus, aujourd’hui, d’Armée syrienne libre ! Maintenant, il y a al-Assad, Daesh, d’autres groupes islamistes, et les États-Unis… Pour nous, c’est terminé. Nous avons perdu, mon ami. Et, pour la Syrie, ce n’est que le début d’une guerre sans fin…

Qu’est ce que tu comptes faire, alors ? Repartir en Turquie ? Reprendre tes anciennes fonctions comme esthéticien ?

Moi ? Non… J’en ai parlé avec ma femme… Tu la connais… Je te l’avais présentée à ta dernière visite… Elle me comprend ; je suis trop impliqué, ici. Je me suis trop investi pour partir comme ça. Je vais rester ici, jusqu’à la fin.

Je ferai comme tous les jours. Je commence très tôt ma journée. On opère des heures durant, dans les conditions que tu voies là. Parfois, je suis tellement épuisé que je me couche parterre et je dors comme ça, jusqu’à ce que d’autres blessés nous soient amenés et qu’on me réveille. Il n’y a plus que quelques médecins, désormais… pas seulement pour la ville, mais pour toutes les zones libérées du gouvernorat.

Et puis, on verra bien… Incha’Allah.

Adnan réapparaît ; il porte plusieurs kalachnikovs aux deux épaules, et des chargeurs à bout de bras. Il est pressé de repartir, et me rappelle que le groupe avec lequel je dois moi-même rebrousser chemin pour rejoindre ceux du YPG ne m’attendra pas.

Yasser sanglote ; il m’embrasse et me retient un instant dans ses bras : « Pierre… Nous avons fait notre révolution parce que nous voulions notre liberté… Pour nous débarrasser de la corruption, pour en finir avec le régime héréditaire de la famille al-Assad… Pas pour voir mourir nos enfants… Pas pour détruire notre pays… Pas pour en venir à devoir combattre les intérêts du monde entier, ici, sur notre terre… Mais personne, dans le monde, ne veut nous aider à arrêter cette guerre. La Syrie, aujourd’hui, c’est le pays des voleurs, des tueurs et des extrémistes. Je te l’ai déjà dis –souviens-toi !- : je ne comprends toujours pas pourquoi le monde entier s’est défié de notre révolution. »

Ce fut une courte rencontre, avec les anciens de la « Bataille d’Alep ». Tout avait commencé le 20 juillet 2012 ; je m’en souviens : j’étais à Tunis et je m’étais précipité dans un avion pour Istanbul, dès l’annonce du soulèvement. J’y aurai participé, à ma façon, le stylographe à la main. J’aurai suivi l’aventure révolutionnaire de ce peuple, pas à pas, de mois en mois, tout au long de mes onze voyages dans la Syrie en guerre. J’en aurai accompagné l’histoire, depuis l’essor de la révolution, jusqu’à son involution ; du début, jusqu’à la fin.

Une trop brève rencontre. Elle a confirmé tout ce que j’avais envisagé, depuis plus d’un an, depuis le début… Et la séparation est déchirante.

Dans le sud, l’ASL est en train de perdre la bataille de la capitale, Damas ; les forces gouvernementales l’ont rejetée dans les lointaines banlieues du rif. Au centre, après avoir dû se retirer de Homs, c’est maintenant dans la région de Hama que l’ASL connaît de cuisants revers…

Et c’est peut-être la dernière fois que je vois Alep, avant longtemps.

Un reportage de Pierre Piccinin da Prata

Pour la totalité du reportage, voyez ici