Une nouvelle «question d’Orient»?


vendredi 19 décembre 2014

Depuis 2011, les sociétés arabes, notamment celles du Levant, connaissent des mutations, des révolutions et des contre-révolutions, qui bouleversent l’ordre politique ayant régné tout au long de ces quatre dernières décennies. Une nouvelle donne se profile dans la région, à la fois étatique et sociétale, dont les contours se dessinent dans la violence, les déchirures et l’incertitude.

Suite au déclin de l’empire ottoman durant la première guerre mondiale, trois moments ont marqué des tournants dans l’histoire du proche orient.

Le premier est celui des promesses européennes, des trahisons et des tracés frontaliers (1915 – 1920). Ce processus avait commencé avec la correspondance entre McMahon (le commissaire britannique en Egypte) et Hussein (Charif du Hijaz) évoquant la reconnaissance d’un royaume arabe indépendant, allié à Londres. Or, ce même processus s’est achevé avec les accords de Sykes-Picot, la déclaration de Balfour et les conférences de Versailles et de San Remo. Des mandats britanniques et Français ont été imposés dans un Levant où des frontières allaient pour la première fois déterminer les territoires des nouveaux états, où un état juif devait être établi, mais pas le royaume arabe promis à Hussein par McMahon.

Le second moment est celui de la création de l’état d’Israël en 1947 suivi par la première guerre israélo arabe (1948-1949), et le déplacement forcé d’un million de palestiniens. Cette « Nakba » va modifier la démographie dans plusieurs territoires, déstabiliser la région et créer de nouvelles dynamiques permettant à des élites militaires de renverser les pouvoirs civils en place depuis les indépendances (En Egypte, puis en Iraq et en Syrie) et d’utiliser la lutte pour la Palestine comme prétexte pour instaurer des régimes autoritaires, voire despotiques.

Le troisième est celui de la révolution iranienne en 1979 et la fondation d’une république islamique, aspirant à exporter son modèle aux pays voisins à forte composante chiite. Cet évènement, précédé par le boom pétrolier de 1973 qui avait permis à l’Arabie Saoudite d’engranger des revenus colossaux et un rôle régional important, sera suivi par la guerre dévastatrice irako-iranienne. Puis est arrivé le jihad afghan soutenu par les Etats Unis, l’Arabie et le Pakistan dans le cadre de la guerre froide, avec l’apparition de nouveaux discours politiques radicaux au sein des courants islamistes sunnites comme chiites, financés par Riyad et Téhéran. La création du Hezbollah (1983), les guerres du golfe (1990 – 1991), le 11 septembre 2001, et les invasions américaines de l’Afghanistan et de l’Iraq (2001 – 2003) avec les conflits qui en ont découlé n’ont fait qu’accélérer une confrontation à grande échelle qui semblait inéluctable, celle opposant l’Iran et ses alliés aux Saoudiens et leurs alliés. Les paramètres confessionnels, le recours à l’Histoire (à la grande discorde entre musulmans au 7ème siècle), et les narratifs opposés seront de puissants outils de mobilisation dans cette confrontation. Ils finiront par s’imposer comme éléments non moins importants que les aspects géostratégiques.

Révolutions et contre révolutions

En 2011, le désir de changement « par le bas », par les sociétés, par les nouvelles générations a bousculé les régimes en place de Tunis à Damas, en passant par le Caire, Tripoli, Sanaa et Manama. Des révolutions ont éclaté et un retour du temps politique, de l’action citoyenne, et de la prise de parole ont laissé augurer une possible rupture et un espoir de voir une volonté populaire triompher face aux dictatures et aux clivages communautaires.

Or cet espoir a été de courte durée. L’année 2012 a connu à la fois des contre-révolutions dans les pays où les régimes furent déchus, et une répression barbare en Syrie menant à une guerre impliquant des acteurs régionaux (l’Iran, l’Arabie, le Qatar et la Turquie) et internationaux (la Russie, les Etats Unis, la France et la Grande Bretagne). Dès lors, le conflit a pris une dimension confessionnelle, que l’arrivée des combattants chiites irakiens et libanais pro- régime Assad, et de jihadistes sunnites cherchant à s’imposer dans les régions libérées des forces du régime a exacerbée à partir de 2013.

Dans le même temps, la scène irakienne a connu une montée fulgurante de « l’Etat Islamique en Iraq et au Levant » (EIIL), une organisation issue d’Al-Qaeda et active dans le centre de l’Iraq depuis 2004. Plusieurs facteurs ont favorisé son expansion en Iraq et la prise d’assaut de l’Est et du nord-est syrien. D’abord il y a les séquelles de la dictature de Saddam (comme celle de son frère-ennemi Assad) qui a stérilisé le champ politique et anéanti les alternatives démocratiques, ensuite la dissolution des institutions étatiques iraquiennes par les américains et la marginalisation des arabes sunnites dans les gouvernements successifs à Bagdad contrôlés depuis 2005 par les alliés chiites de Téhéran. En outre, le recrutement qui a grossi les rangs et l’efficacité de l’EIIL a été largement facilité par l’afflux d’importants fonds de certains réseaux du golfe (puis par la vente du pétrole dans les régions qu’il contrôle) et l’indéniable expérience militaire de plusieurs de ses dirigeants.

La montée de l’EIIL poussa à l’exode des dizaines de milliers de kurdes yazidis et de chrétiens iraquiens. Elle entraina une intervention militaire aérienne américaine, mais aussi iranienne. Quant à la Syrie, l’EIIL a combattu pendant un an l’opposition, pour occuper des zones qu’elle contrôlait. Ainsi cette dernière et les millions de civils syriens ont été pris entre deux feux : celui du régime Assad (faisant jusqu’à décembre 2014 plus de 200.000 morts), et celui de l’EIIL (faisant près de 10.000 morts).

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Un nouveau moment fondateur 

La proclamation par le chef de l’EIIL d’un Califat à l’étendue considérable et la force combattante qu’il dirige créent une nouvelle situation dans la région : la disparition temporaire des frontières entre l’Iraq et la Syrie. Cela s’accompagne par des déplacements massifs de populations : trois millions d’iraquiens (sur une population de 26 millions) sont des déplacés internes réduisant la surface des territoires cohabités par les différentes communautés, notamment sunnites et chiites ; six millions de syriens le sont également tandis que plus de trois autres millions ont quitté la Syrie pour trouver refuge en Turquie, en Jordanie et au Liban (soit 40% du peuple syrien est déplacé aujourd’hui).

Face à ce paysage Syro-iraquien apocalyptique, le Liban sombre dans une série de crises. Au clivage entre sunnites et chiites libanais se « partageant » les chrétiens et paralysant les institutions politiques du pays, s’ajoute la catastrophe humanitaire des réfugiés syriens (et palestiniens) qui constituent désormais le tiers de la population. Quant à la Jordanie, elle se trouve entourée de conflits. Les jordaniens doivent faire face aux défis sécuritaires que posent l’EIIL sur leur frontière avec l’Iraq. Ils doivent garder un œil sur les combats au sud de la Syrie, avec une crainte grandissante des conséquences de l’agonie du processus de Paix entre israéliens et palestiniens. Le projet de loi du gouvernement de Netanyahou de ne plus définir Israël comme « Etat juif et démocratique » mais comme «Etat national du peuple juif», n’arrange certainement pas les choses pour 22% des israéliens, c’est-à-dire les palestiniens chrétiens et musulmans d’Israël, vivant à quelques kilomètres d’Amman.

Ce scénario tragique se déroule sous les yeux d’une « communauté internationale » dont l’impuissance est avérée.  Les américains sous Obama s’intéressent moins au proche orient, les européens peinent à élaborer une politique étrangère commune, et la Russie aspire à réincarner un rôle impérial sans en avoir véritablement les moyens.

Dans ce contexte, les erreurs stratégiques de vision se répètent inexorablement, privilégiant (à nouveau) le despotisme au « risque jihadiste » alors que ce dernier n’est (entre autres) qu’un fruit pourri du premier. L’impasse dans laquelle se trouve le levant laisse craindre une fragmentation et une flambée de violence encore plus importantes. C’est bien une nouvelle « question d’orient » qui semble interroger, en vain, le reste du monde…

Ziad Majed

Article publié dans le numéro spécial de L’EXPRESS, le 17 décembre 2014

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Syrie: aucune transition politique envisageable sans le départ d’Assad


Le président syrien a affirmé mardi 23 septembre que son pays soutenait tout « effort international » visant à lutter contre le terrorisme, après les frappes de la coalition, emmenée par les Etats-Unis, sur les positions de l’Etat islamique, dans le nord et l’est de la Syrie. Est-ce à dire que Bachar al-Assad serait devenu, de facto, le partenaire des Occidentaux et de leurs alliés dans la lutte contre les djihadistes ? Autrement dit, est-il en passe d’être réhabilité par la communauté internationale ? Ce serait là une erreur immense selon Ziad Majed, Professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris, et auteur de « Syrie, la révolution orpheline » : aucune issue à la guerre civile qui déchire la Syrie depuis trois ans, causant plus de 200 000 morts, ne pourra être trouvée tant qu’Assad sera au pouvoir.

Le départ de la famille Assad, au pouvoir depuis 1970, est devenu la clé pour l’opposition afin de rentrer dans un processus de réconciliation et de transition, explique Ziad Majed. (Photo : Shutterstock)

 

JOL Press : Assad est-il, de facto, en passe d’assurer sa propre réhabilitation en devenant un « partenaire » des Occidentaux contre l’Etat islamique (EI) ; ou bien est-il, comme certains l’affirment, la véritable cible de la coalition internationale, qui prendrait prétexte de l’EI pour intervenir en Syrie ?

 

Ziad Majed : Assad ne peut pas devenir un partenaire dans cette lutte contre l’EI, et ce pour plusieurs raisons.

La première est politique. Il n’y a aucune logique, aucune légitimité qui justifieraient de s’allier avec quelqu’un qui a tué 200 000 Syriens – directement ou indirectement – afin de combattre un groupe qui en a tué plusieurs milliers. La barbarie d’Assad précède et excède celle de l’EI, et s’allier à une barbarie contre l’autre rendra impossible tout processus politique, ou toute solution en Syrie, Assad étant lui-même la source du « malheur » syrien qui a vu la montée de l’EI à partir de mai 2013.

La seconde est militaire. Les territoires que l’EI contrôle se trouvent loin des territoires contrôlés par Assad. Il n’y a donc aucune utilité militaire de s’allier au président syrien pour combattre l’EI.

Ni militairement d’un point de vue pragmatique, ni moralement, légalement ou politiquement, il n’y a une nécessité pour les Occidentaux de s’allier avec Assad ou de le réhabiliter temporairement pour combattre l’EI.

Par ailleurs, la coalition internationale est-elle un prétexte pour affaiblir davantage Assad ? Je pense que les Américains sont très hésitants et très ambigus à ce sujet.

Si jamais ils se contentent d’un bombardement aérien contre l’EI, sans inquiéter le régime de Damas ni renforcer l’opposition syrienne, on peut rester dans un statu quo pendant quelque temps, sans grands changements – si ce n’est la perte de membres de l’EI et la destruction de certaines de ses positions, ainsi que probablement de nombreuses victimes civiles vivant près des positions de l’EI.

Si, en revanche, l’Occident décide d’armer des groupes de l’opposition syrienne en les encourageant à progresser sur le terrain, à remplir le vide dans les régions où tombent les frappes contre l’EI, cela va alors renforcer une dynamique aussi bien militaire que politique en faveur de l’opposition. Dynamique qui, à long-terme, finira par affaiblir Assad.

Tout se joue donc au niveau de la qualité de l’appui que l’Occident va fournir à certains groupes de l’opposition syrienne.

JOL Press : Certains observateurs avancent que le président syrien et le groupe djihadiste auraient scellé une sorte d’alliance, au terme de laquelle le premier s’étend prioritairement dans les territoires déjà aux mains des rebelles syriens, territoires que le second prend soin ensuite de ne pas bombarder. Qu’il y ait une telle entente vous paraît-il crédible ?

 

Ziad Majed : Il y a une alliance objective, oui. Mais attention, ce n’est pas une alliance suite à un accord entre les deux camps.

Depuis la naissance de l’EI en Syrie et puis la prise de la région de Raqqa en mai 2013, le régime Assad n’a jamais attaqué les positions de l’EI. De mai 2013 jusqu’à juillet 2014, le régime Assad – qui, jusqu’aux bombardements occidentaux, avait la maîtrise totale des airs – n’a pas inquiété le groupe djihadiste. Au contraire. Il a parfois bombardé des groupes de l’Armée libre ou des factions islamistes de l’opposition qui combattaient l’EI, notamment dans les régions d’Alep et de Deir Ezzor.

Le régime profitait donc de l’affaiblissement de l’opposition par l’EI, qu’il épargnait de ses raids aériens pour lui permettre de monter encore plus en puissance.

Politiquement, le régime d’Assad se servait également de l’EI pour « vendre » à l’Occident l’idée selon laquelle les djihadistes seraient devenus la grande menace ; et qu’il vaut mieux s’allier à lui que de voir ces islamistes extrémistes le remplacer.

De son côté, l’EI n’a pris le contrôle que de territoires qui étaient libérés par l’opposition syrienne (Raqqa et Deir Ezzor et la région est de la province d’Alep) ; ses combattants n’ont jamais progressé en prenant des territoires contrôlés par Assad. Pour le groupe djihadiste, la priorité était d’avoir une main-mise sur les régions du nord et de l’est du pays – en raison du pétrole qui s’y trouve, et de la proximité de la frontière iraquienne -, il a donc évité d’ouvrir un front avec Damas – jusqu’à cet été, où il a pris l’aéroport de Tabaqa (au nord) qui était sous le contrôle du régime.

Il y a donc bien une alliance objective entre les deux. Chacun profite de l’existence de l’autre pour se « légitimiser » quant à la lutte contre le terrorisme pour Damas ; au djihad et à l’attraction de djihadistes pour l’EI.

JOL Press : Quelle est aujourd’hui la stratégie d’Assad ?

 

Ziad Majed : Assad, dès le début de la révolution en 2011, se transformant en une lutte armée en 2012, est dans une logique de survie : maintenir son pouvoir à Damas.

Pour ce faire, il veut se montrer à la fois indispensable à l’Occident en brandissant la menace islamiste contre son régime, tout en flirtant avec certains milieux de gauche occidentaux comme arabes, ainsi que des nationalistes arabes, en parlant d’un complot impérialiste fomenté contre son régime.

Pour arriver à ses fins, Assad a également joué la carte des minorités, en prétendant que celles-ci se trouveraient en danger si le régime est menacé.

Il n’a pas hésité non plus à user de toutes formes de violences, physiques comme symboliques et médiatiques, contre l’opposition syrienne et la population civile, tuant ou causant la mort de 200 000 personnes, faisant 9 millions de réfugiés (dont 3 millions sont déjà à l’extérieur de la Syrie) et 200 000 détenus – dont des milliers sont déjà morts sous la torture.

Enfin, sur le plan diplomatique, Assad cherche à profiter des alliances avec l’Iran et la Russie, mais aussi des contradictions entre certains acteurs régionaux, ainsi que de l’hésitation de Washington et des Européens (qui se demandent encore quelle pourrait être l’alternative à Assad) pour maintenir son pouvoir.

JOL Press : L’avenir d’Assad ne dépend-il pas, plus que jamais, de Moscou et Téhéran ?

 

Ziad Majed : Certainement. En fin 2012, la situation militaire et politique montrait qu’Assad était extrêmement isolé et vulnérable. Il était en train de perdre une grande partie du territoire qu’il contrôlait ; Damas même était menacée, plusieurs quartiers d’Alep et de Homs étaient tombés sous les mains de l’opposition. Ce n’est que grâce à l’appui militaire iranien, et à l’envoi de milliers de combattants du Hezbollah libanais et des milices irakiennes chiites, en plus du soutien diplomatique et stratégique de Moscou avec les vetos au sein du conseil de sécurité de l’ONU et les envois d’armes lourdes et de conseillers militaires, qu’il a pu surmonter les grandes difficultés et rééquilibrer la situation à partir de 2013.

Aujourd’hui, la majorité des forces de l’opposition syrienne est prête à accepter un compromis politique, selon lequel, par exemple, une partie de l’appareil étatique syrien actuel (certains technocrates, certaines administrations, certains officiers de l’armée, etc) pourrait faire partie d’une transition politique.

Ce qui ne peut pas être accepté, en revanche, c’est qu’Assad puisse participer à la transition ; pas après 200 000 morts et la destruction du pays. Le départ de la famille Assad, au pouvoir depuis 1970, est devenu la clé pour l’opposition afin de rentrer dans un processus de réconciliation et de transition.

De son côté, Assad lui-même ne souhaite aucun compromis, il veut maintenir son pouvoir absolu, et toute issue politique avec lui est donc impossible.

Pour que des négociations sérieuses s’ouvrent entre l’opposition, les Occidentaux, les acteurs régionaux (les Turcs et certaines capitales arabes), la Russie et l’Iran, il faut que Moscou et Téhéran soient prêts à sacrifier Assad et son entourage direct ; c’est le seul chemin qui semble mener à une solution politique.

On n’en est pas encore là. Mais, affaiblir davantage Assad – d’où l’importance d’armer l’opposition syrienne qui combat depuis très longtemps sur deux fronts, contre les djihadistes et contre le régime – pourrait être un moyen pour faire pression sur ses sponsors dans le sens d’une telle issue.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Ziad Majed est Professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris, et auteur de « Syrie, la révolution orpheline » (Actes Sud, 2014).

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Syrie : Conférence de Ziad Majed


ce jeudi 19 juin
à 19:00 – 21:00
EED – Avenue des Gaulois, 29 – 1040 Bruxelles

Ziad Majed, politologue libanais, viendra nous présenter son livre « Syrie, la révolution orpheline ». Il sera interviewé par Baudouin Loos, journaliste au Soir.

La conférence sera suivie d’une séance de dédicaces.

« Trois ans après le début des manifestations populaires contre le régime de Bachar al-Assad (15 mars 2011), cet ouvrage tente de répondre aux questions qu’on se pose généralement sur les raisons profondes du soulèvement, sur son contexte régional et international, sur les conditions dans lesquelles il s’est militarisé, sur l’intrusion des djihadistes en Syrie et leurs agissements sur le terrain, sur l’attitude des minorités ethniques et religieuses… L’auteur explique pourquoi les Russes et les Iraniens ont volé au secours du régime, et comment ils ont effectivement consolidé ses positions militaires et diplomatiques, alors que ceux qui se présentaient comme les “amis de la Syrie”, notamment les États-Unis, n’ont cessé de tergiverser, même après l’usage avéré des armes chimiques pour soumettre les zones qui avaient échappé au contrôle de l’armée. Il évoque avec enthousiasme la créativité littéraire et artistique des jeunes révolutionnaires qui s’expriment à travers les réseaux sociaux, et il réfute les arguments des partisans du régime, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, qui décrivent celui-ci comme progressiste, anti-impérialiste et laïc. »

Une organisation de ActionSyrie, avec le soutien de European Endowment for Democracy.

Syrie: « Assad et les djihadistes se justifient mutuellement par leur barbarie »


Propos recueillis par , publié le 23/04/2014 à 20:20

Trois ans après le début du soulèvement contre le régime tyrannique des Assad en Syrie, le pays est plongé dans la guerre. Le politologue Ziad Majed vient de publier « Syrie, la révolution orpheline » qui revient sur ce drame. L’Express l’a interrogé.

Syrie: "Assad et les djihadistes se justifient mutuellement par leur barbarie"

Un Syrien marche dans les ruines d’Alep le 18 mars 2014

 

afp.com/Baraa al-Halabi

 

De tous les pays arabes, hormis ceux du Golfe, la Syriesemble être le pays ou la chape de plomb la plus lourde semble avoir été imposée. Comment l’expliquez-vous?

Le régime syrien est depuis la fin des années 1970 l’un des plus féroces dans la région. Son armée et ses services de renseignements contrôlent l’état et la société. Ils sont construits autour d’un noyau dur, attaché directement au clan des Assad. Ce clan gère les affaires publiques à travers le parti Baath, au pouvoir depuis 1963, et à travers un état d’urgence imposé au pays qui permet aux tribunaux militaires et aux services de sécurité d’intervenir contre toute opposition politique. Les massacres de Hama en 1982 et les campagnes d’arrestation et de liquidation des partis de gauche et des frères musulmans tout au long des années 1980 témoignaient déjà de la barbarie de ce dernier. Elles ont réduit le champ politique syrien en ruines.

A cette répression physique s’est ajoutée au cours des décennies une autre symbolique: le culte d’Assad (d’inspiration stalinienne) et son occupation depuis 1984 de l’espace et du temps en Syrie, à travers les statues, les organisations de la jeunesse, les noms des rues, les portraits et les slogans évoquant sa « présence éternelle ». Il faut ainsi comprendre la succession au sein de la famille en 2000 et la passation du pouvoir du père Hafez au fils Bachar (deuxième cas dans une république après la Corée du nord) comme une volonté de montrer la puissance dynastique et clanique du régime et son pouvoir « éternel »…

Un autre atout des Assad dans l’écrasement des Syriens: la politique étrangère. Damas s’est impliqué dans tous les conflits régionaux et a multiplié toutes les alliances externes possibles afin d’occulter la société syrienne, et de transformer la Syrie aux yeux du monde entier en acteur régional sans « intérieur » et sans visage humain.

Pourquoi l’opposition a-t-elle eu tant de difficultés à se structurer?

L’opposition syrienne souffrait en 2011, quand la révolution a éclaté de plusieurs problèmes : l’absence de coordination entre ses composantes, l’absence d’expérience vue la destruction de la vie politique dans le pays, et sa méconnaissance de la nouvelle génération syrienne à cause de l’impossibilité de toute interaction politique. Elle était également dispersée entre les pays d’exile et l’intérieur (souvent en clandestinité). De plus, les diversités politiques (droite, gauche, islamiste, laïque…) et socio-culturelles (urbaine, rurale, tribale, etc…) qui auraient pu enrichir son discours politique et ses approches se sont transformées en sources de concurrences et de tensions. Et depuis 2012, avec « l’internationalisation » de la gestion de la situation en Syrie, et avec les développements militaires, différents acteurs externes (Turquie, Qatar, Arabie, France, Etats Unis…) ont trouvé des alliés aux rangs de cette opposition avec des agendas différents. Cela l’a affaibli et divisé d’avantage, face à un régime qui a soudé les siens à l’intérieur, et qui a deux grands alliés externes (l’Iran et la Russie) acharnés pour le maintenir (pour des raisons différentes).

On avait cru en 2012 le régime très affaibli. Les opposants espéraient une fin proche du régime. Qu’est ce qui lui a permis de rebondir?

Effectivement, le régime était et est très affaibli. Il a perdu le contrôle de plus de la moitié du territoire syrien, son armée a perdu près de la moitié de ses effectifs et ne peut plus imposer le service militaire que dans quelques régions qu’elle occupe, il est en grande difficulté économique et le sera encore plus dans les prochains mois. Il a également perdu son autorité symbolique et le culte de la personne de son président qui imposait la peur et le silence dans le pays. Mais quatre facteurs l’ont aidé à survivre en 2012 et 2013, et continuent aujourd’hui à l’aider, voire à le renforcer :

1- Le soutien de Téhéran et de Moscou. Le soutien des Iraniens se fait sous forme de dons et de crédits, d’envoi d’équipement militaire (surtout d’avions sans pilotes très efficaces dans les combats depuis novembre 2013), de mobilisation de milliers de combattants chiites libanais (Hezbollah) et irakiens qui ont renforcé les troupes d’Assad sur les fronts autour de Damas et de Homs, et d’entrainement de plus de 30 milles jeunes alaouites syriens constituant une force paramilitaire « l’armée de défense nationale ». Quant au soutien russe, il a pris la forme d’envoi de tonnes d’armes permettant à l’armée d’Assad une puissance de feu et des pièces de rechange, et évidemment un droit de véto au Conseil de Sécurité des Nations Unis bloquant à plusieurs reprises des résolutions et des sanctions contre le régime.

2- L’inaction de la communauté internationale, dans le sens où cette dernière semble avoir accepté le blocage russe du Conseil de Sécurité. Elle s’est contentée de déclarations condamnant les massacres commis par le régime, et de quelques sanctions économiques. Même après l’usage des armes chimiques considérées par Washington comme seule ligne rouge, elle a cédé à un accord avec Moscou et Damas épargnant Assad de toute sanction militaire qui aurait certainement modifié la donne syrienne. Pire encore, le refus catégorique des américains de livrer aux opposants syriens des missiles anti-air a privé ces derniers d’une arme stratégique. Les états du golfe et les européens (divisés quant à l’armement de l’opposition) se sont pliés à cette volonté américaine, et le régime de même que ses alliés en ont profité et se sont sentis impunis.

3- De ces deux facteurs en découle le troisième : l’aviation militaire. au delà des les 15 000 civils tués par l’aviation du régime, au delà des destructions massives et du pourrissement de la situation dans les régions libérées au nord comme à l’est et au sud, l’aviation a joué et joue toujours un rôle déterminant dans les combats. Sans cette aviation, l’armée et ses alliés libanais et irakiens auraient du mal à progresser sur le terrain, ou à se maintenir dans les régions éloignées de Damas (Alep, Idlib et Deir Ezzor par exemple). Et Sans cette aviation, le blocus imposé sur les banlieues de Damas et la Ghouta serait moins « efficace ». On peut dire donc que priver l’opposition syrienne d’armes anti-aériennes lui permettant de neutraliser l’aviation d’Assad a eu des conséquences militaires, politiques et humanitaires terribles.

4- Enfin, l’arrivée des djihadistes fin 2012 (par la frontière irakienne où ils étaient bien implantés et par la frontière turque) a profité à la propagande d’Assad politiquement.t Depuis 2013 cette arrivée lui profite militairement, car ces derniers sont en lutte sanglante avec les forces de l’opposition pour le contrôle du territoire libéré du régime. Plus de 2000 combattants et militants de l’opposition ont trouvé la mort ou sont portés disparus dans cette lutte (des centaines parmi eux sont dans les geôles des djihadistes, notamment ceux de l’EIIL, dans le gouvernorat de Raqqa).

Contrairement à ce que l’on a pu penser, il semble que le régime soit parvenu à garder le soutien d’une frange non négligeable de la population. Comment?

Il n’y a aucun régime dans le monde (aussi despotique qu’il le soit) qui ne profite d’un certain soutien populaire, surtout après 43 ans de pouvoir absolu, de réseaux de corruption et de recrutement des services de renseignement. De plus, le régime syrien a permis à une certaine bourgeoisie affairiste urbaine d’émerger et élargi sa base clientéliste. Mais ce qui maintient la cohésion des alliances autour du clan Assad et lui permet cette combativité c’est surtout laassabiya (solidarité mécanique) d’une majorité de la communauté Alaouite (11% de la population) que le régime du temps du père avait soudé et au sein delaquelle il recruté les officiers de l’armée comme des services sécuritaires dans ses rangs. D’autre part, la peur de certains milieux au sein des minorités chrétiennes et druzes (6% et 3% respectivement) de l’après Assad (vu l’expérience irakienne voisine), les inquiétudes d’une grande partie des Kurdes syriens (12%) du rôle turc et leurs aspirations d’autonomie ont joué avec le temps en faveur du régime.

Le conflit a commencé par des manifestations civiles. La militarisation était-elle inéluctable?

Ce sujet avait divisé et divise toujours les militants et les activistes. A mon avis, bien que la militarisation ai été encouragée par des acteurs externes dans certains cas, il était devenu quasiment impossible après aout 2011 (soit 6 mois après le début de la révolution) de manifester pacifiquement et d’organiser des sit-in en Syrie. La barbarie du régime face aux manifestants, son occupation par les chars des places publiques de même que les arrestations, les assassinats et les sanctions infligées aux activistes, ont poussé beaucoup d’entre eux à prendre les armes pour se protéger. Les déserteurs de l’armée et les groupes de défense locaux qui se sont constitués ont également opté pour la lutte armée. Pour un grand nombre d’opposants syriens, le régime Assad n’est comparable dans la région qu’aux régimes de Saddam Hussein en Irak et de Kadhafi en Libye, et ces deux-là ne sont tombés que par la force…

Vous dénoncez l’abandon des Syriens par la communauté internationale. Pis, certains responsables occidentaux n’écartent plus l’idée de faire avec le régime Assad considéré comme un moindre mal face aux djihadistes. Cela augure-t-il d’une crise durable?

Je pense que l’analyse considérant que la situation actuelle présente un choix à faire entre Assad et les djihadistes est fausse, naïve ou même délibérée afin de justifier « l’option Assad ».

La réalité sur le terrain et l’évolution de la situation en Syrie montrent que nous sommes plutôt devant l’équation suivante: soit Assad et les djihadistes ensemble, l’un se justifiant par la barbarie de l’autre et les deux camps capables de « coexister » et d’occuper chacun une région, soit la chute d’Assad et puis celle des djihadistes qui perdraient ainsi toute possibilité de recrutement, isolés sur le terrain et dans la société même. Dans tous les cas, accepter de normaliser les relations avec Assad après 150.000 morts, 9 millions de blessés, prisonniers et déplacés, 55.000 photos de 11.000 victimes torturées à mort à une échelle industrielles dans les prisons assadiennes, ne serait qu’une invitation à tous les criminels de guerre à défier le monde et à commettre en toute impunités leurs crimes de masse contre les populations civiles et contre leurs ennemis politiques…

Syrie, la Révolution orpheline, de Ziad Majed (Actes Sud).


En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/syrie-assad-et-les-djihadistes-se-justifient-mutuellement-par-leur-barbarie_1509857.html#RHwAsK1y4y8fwiLY.99

Palestine, 64 ans de solitude


À l’automne de l’année dernière, l’élan du printemps arabe a semblé faire avancer d’un pas la bataille diplomatique palestinienne à l’ONU et redonner, après une longue absence, à la Palestine une présence dans les forums internationaux. Puis vint l’adhésion à l’Unesco pour consacrer ce retour et redonner l’espoir d’une reconnaissance internationale d’un État palestinien. Une nouvelle dynamique semblait naître dans la région, après l’échec des négociations, la poursuite de la colonisation, et la finalisation du mur. Aujourd’hui, un an après le discours devant l’Assemblée générale des Nations unies, pourquoi la cause palestinienne est-elle retombée dans les oubliettes et pourquoi son leadership est-il en faillite ? Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr

Bon nombre d’intellectuels et d’activistes palestiniens se désespèrent de la situation de ces dernières années. Les Palestiniens ont toujours été les pionniers dans leur dynamisme et de leur diversité politique, d’opinion et de courants dans un monde arabe gouverné pour l’essentiel par le despotisme et le parti unique et/ou clanique, républiques et monarchies confondues. Ils constituaient avec leurs Intifadas successives (en particulier celle de 1987 contre l’occupation, l’impuissance, le silence et la duplicité internationale) une avant-garde de tous les mouvements populaires arabes.
Et voilà qu’avec les transformations majeures (dues aux révolutions) qui touchent la Tunisie, l’Égypte, la Libye, Bahreïn, le Yémen et la Syrie, avec la progression des contestations au Maroc et en Jordanie, les Palestiniens semblent avoir du mal à emboîter le pas des révolutions et à se rebeller contre leur situation interne en premier et l’occupation israélienne ensuite.
L’Autorité palestinienne a cru compenser cette inertie en livrant une bataille diplomatique dans une période qu’elle jugeait favorable. Mais elle s’est vite ravisée face à la pression américaine, la complexité de la situation et le déchirement national dont elle porte autant que le Hamas la responsabilité.
Aujourd’hui, la situation semble être au plus bas tant au niveau interne qu’externe. Les Palestiniens semblent être dépourvus d’options politiques et de possibilités de réconciliation, et peinent à développer une nouvelle politique étrangère. Quelles sont les raisons de cette impasse ?