Le Sud découvre qu’il est entravé, pas en retard


L’un des courants de la critique du modèle économique dominant s’attache à mettre au jour les mécanismes d’exploitation sur le lieu de travail, notamment celui opposant employeurs et salariés. Mais l’analyse des rapports de forces caractéristiques du capitalisme se déploie également à l’échelle internationale : d’un côté, les pays du « centre » (riches et souvent au Nord) ; de l’autre, les pays de la périphérie.

Le Sud découvre qu’il est entravé, pas en retard

 

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Chéri Chérin, « Congo Kitoko », 2015.
© Chéri Chérin / Courtesy Galerie Magnin-A, Paris.

En 1949, le président américain Harry Truman (1945-1953) emploie pour la première fois le concept de « sous-développement » au sujet de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine dont il craint que la pauvreté ne les fasse basculer dans l’escarcelle communiste. Dans cette perspective, le développement est conçu comme un processus linéaire : engagés plus tôt que les autres dans cette voie, les pays du Nord ont pris une avance qu’il revient au Sud de rattraper. Comment ? En s’intégrant toujours davantage au système économique mondial. En d’autres termes, en tournant le dos à la volonté – jugée irrationnelle – d’exercer leur souveraineté nationale dans le domaine économique et en ouvrant la porte au vent modernisateur du capital international…

Pourtant, l’idée d’une linéarité du développement avait été remise en cause, notamment par l’économiste argentin Raúl Prebisch (1901-1986). Dès les années 1940, celui-ci décompose le monde entre un centre (en substance, les pays de la modernité capitaliste) et une périphérie (le reste du monde). D’autres, à leur tour, comme l’auteur de ces lignes, soutiennent dès 1957 que sous-développement et développement ne se succèdent pas, mais sont concomitants : ils constituent les deux faces du déploiement mondial du capitalisme, lequel conduit à l’accumulation des richesses au Nord. Qu’on en juge : l’écart de richesse entre les sociétés constituant plus de 95 % de la population planétaire vers l’an 1500 était au plus de 1 à 2 (pas toujours à l’avantage des sociétés européennes). Au terme de cinq siècles de déploiement capitaliste, il est passé de 1 à plus de 30, une évolution sans pareille dans l’histoire de l’humanité. Siphonnant les ressources du Sud, le développement (du centre) engendre mécaniquement le sous-­développement (de la périphérie), comme l’observe l’économiste germano-américain André Gunder Frank dans les années 1970. À l’époque, d’autres — tels l’auteur de ces lignes — soulignent la nature « inégale » du développement.

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Que faire face à un Assad triomphant?


 

 

Depuis le début du mois de juillet, alors que le monde entier était captivé par la Coupe du monde de football, le régime syrien a commencé à annoncer aux familles des milliers de citoyens disparus dans ses prisons que leurs proches étaient décédés. Sans explications ni remise de corps. Juste la date du décès indiquée sur un certificat. Pour de nombreuses familles, dans l’angoisse depuis des années, c’est la fin la plus redoutée de leur long cauchemar.

Selon toute probabilité, Bachar el-Assad, le tyran local, se sent à présent suffisamment fort pour brandir la sordide réalité de sa victoire à la face de ceux qui, parmi les Syriens, avaient osé le défier. Dans son palais sur les hauteurs de Damas, le « raïs » respire. Ils sont loin les tourments de 2013 à 2015, quand les rebelles, au nord, au sud et autour de la capitale, les djihadistes à l’est et les Kurdes au nord-est avaient conquis l’essentiel du territoire syrien. Son armée, exsangue, semblait sur le point de subir une déroute retentissante qui eût planté devant l’avenir de la Syrie un gigantesque point d’interrogation.

Mais les alliés de Bachar el-Assad, à Moscou comme à Téhéran, ont empêché le développement de ce scénario qui menaçait leurs ambitions régionales. L’aviation militaire russe et les milices chiites recrutées du Liban jusqu’en Afghanistan sont alors intervenues en force. Et la guerre a peu à peu changé de visage. Les rebelles, divisés, privés d’armes anti-aériennes, se sont effondrés ou ont rejoint les milices extrémistes qui avaient trouvé en Syrie un terrain de prédilection.

Les djihadistes un moment victorieux ont cru pouvoir exporter leurs méthodes terroristes en Occident, s’attirant les foudres d’armées bien plus puissantes qu’eux. Leurs méthodes sanguinaires hideuses semblaient faire du régime syrien un moindre mal, alors pourtant que celui-ci restait responsable d’une immense majorité des malheurs et destructions, comme en attestent les millions de réfugiés que ses bombardements ont suscités.

Il ne reste donc plus guère de doutes quant à la victoire d’Assad. Même si des foyers de résistance et des parcelles de territoire gagnées à l’extrémisme subsisteront sans doute longtemps çà et là, le monde devra composer avec le maintien du tyran de Damas. Dans l’impunité la plus totale, malgré les 400.000 morts, malgré les armes chimiques, malgré la torture généralisée ?

Morale et politique, certes, ne font pas bon ménage ; elles s’ignorent ou s’opposent et en tout cas se détestent. Mais ce serait faire injure aux victimes de conflit que d’ignorer les principaux responsables de ce drame effroyable. Entre des sanctions à maintenir, des inculpations devant la justice internationale à mettre en œuvre et l’aide à la reconstruction à conditionner, il y a des pistes à explorer.

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