L’un des courants de la critique du modèle économique dominant s’attache à mettre au jour les mécanismes d’exploitation sur le lieu de travail, notamment celui opposant employeurs et salariés. Mais l’analyse des rapports de forces caractéristiques du capitalisme se déploie également à l’échelle internationale : d’un côté, les pays du « centre » (riches et souvent au Nord) ; de l’autre, les pays de la périphérie.

En 1949, le président américain Harry Truman (1945-1953) emploie pour la première fois le concept de « sous-développement » au sujet de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine dont il craint que la pauvreté ne les fasse basculer dans l’escarcelle communiste. Dans cette perspective, le développement est conçu comme un processus linéaire : engagés plus tôt que les autres dans cette voie, les pays du Nord ont pris une avance qu’il revient au Sud de rattraper. Comment ? En s’intégrant toujours davantage au système économique mondial. En d’autres termes, en tournant le dos à la volonté – jugée irrationnelle – d’exercer leur souveraineté nationale dans le domaine économique et en ouvrant la porte au vent modernisateur du capital international…
Pourtant, l’idée d’une linéarité du développement avait été remise en cause, notamment par l’économiste argentin Raúl Prebisch (1901-1986). Dès les années 1940, celui-ci décompose le monde entre un centre (en substance, les pays de la modernité capitaliste) et une périphérie (le reste du monde). D’autres, à leur tour, comme l’auteur de ces lignes, soutiennent dès 1957 que sous-développement et développement ne se succèdent pas, mais sont concomitants : ils constituent les deux faces du déploiement mondial du capitalisme, lequel conduit à l’accumulation des richesses au Nord. Qu’on en juge : l’écart de richesse entre les sociétés constituant plus de 95 % de la population planétaire vers l’an 1500 était au plus de 1 à 2 (pas toujours à l’avantage des sociétés européennes). Au terme de cinq siècles de déploiement capitaliste, il est passé de 1 à plus de 30, une évolution sans pareille dans l’histoire de l’humanité. Siphonnant les ressources du Sud, le développement (du centre) engendre mécaniquement le sous-développement (de la périphérie), comme l’observe l’économiste germano-américain André Gunder Frank dans les années 1970. À l’époque, d’autres — tels l’auteur de ces lignes — soulignent la nature « inégale » du développement.
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