Une vie au cœur du conflit syrien


Jihed, soignant de l’UOSSM France nous livre son témoignage bouleversant. Un récit rempli d’humilité et de courage qui nous montre chaque jour la résilience de ces soignants qui ont choisi de rester en Syrie pour sauver des vies, parfois au péril de la leur.

« Lorsque je travaillais dans un hôpital à Sarmin, je me souviens d’un incident terrible qui hante encore mes nuits. Les bombardements étaient très proches de l’hôpital et comme je suis spécialiste en chirurgie générale, nous étions aux urgences lorsqu’un homme a été blessé par un éclat d’obus. Les dommages avaient engendré une hémorragie au niveau du foie. Ici, aucun autre chirurgien n’était présent, et cet homme était sur le point de perdre la vie. Durant l’opération, l’hôpital a été attaqué plusieurs fois. Deux infirmières et un anesthésiste étaient avec moi dans le bloc. Et d’un coup, je me retrouve seul face au patient, un trou béant dans la salle d’opération, mes collègues ayant dû fuir pour se protéger. La peur fut ma première émotion. S’en sont suivies mon devoir et ma responsabilité envers la personne sur la table. J’ai réussi à arrêter l’hémorragie et appelé une ambulance d’urgence pour le transférer le plus vite possible vers un hôpital plus sécurisé. Dieu soit loué, le patient a survécu.« Dr Jihed, médecin de l’UOSSM France
 

En cette fin d’année, nous souhaitons rendre hommage et soutenir tous ces héros du quotidien qui font preuve de courage et de détermination pour mener leur mission à bien avec très peu de moyens. Après 10 ans de guerre et de destruction massive des infrastructures de santé, l’hôpital, c’est eux. 

Raphaël Pitti, Lettre Ouverte


#LettreOuverte Monsieur le Président de la République,

Je rentre de Raqqa, ville fantôme, ville martyre qui a connu les pires atrocités, dont les murs des immeubles délabrés se succèdent et pleurent un drame humain sans nom. C’est mon 32ème voyage en Syrie. Croyez-le ou non, mais chaque voyage, chaque mission humanitaire est un électrochoc. Chaque rencontre avec les soignant.es, les populations, les enfants en Syrie, est un bouleversement, un boomerang émotionnel.

Je connais le drame syrien, je le vis dans ma chair depuis 10 ans. Mais à chaque fois, partager leurs regards, leur voix, leurs peurs, leurs inquiétudes est une nouvelle émotion qui me submerge. Paradoxalement, c’est aussi une nouvelle énergie qui m’engage à témoigner, à prendre la parole, à m’adresser à vous aujourd’hui.

Cette parole, je la prends d’abord au nom de mes collègues soignant.es avec qui je suis en contact direct tous les jours. Ma collègue Soumaia, médecin à Raqqa, qui sillonne actuellement les camps de déplacés dans le cadre de la première étude jamais réalisée sur la santé infantile en Syrie en temps de guerre, me rapporte des cas de malformations, de maladies infantiles, de traumatismes psychologiques, qui ne sont pas pris en charge faute d’accès aux soins dans ces camps. Les soignant.es qui aujourd’hui incarnent à eux-seul.es la santé sont complètement démunis.

 Ici, en Syrie, l’hôpital s’appelle Soumaia, Souleymane… Sans eux, point d’accès aux soins ni de système de santé.

Je m’adresse aussi à vous car l’année 2021 qui s’achève marque la fin d’un triste anniversaire, celui des 10 ans du conflit en Syrie, 10 ans de bombardements, 10 ans de morts, 10 ans d’atteinte au droit humanitaire… Une décennie de violences, reconnue comme la pire crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale, continue de se dérouler sous nos yeux. A défaut de statistiques morbides précises, quasiment impossibles à définir, nous avons estimé à 2 millions le nombre total de personnes décédées par manque d’accès aux soins du fait de la guerre. Que vous dire concernant ce chiffre glaçant !

Après 10 ans, nous pourrions croire que la situation s’améliore. Malheureusement, la crise s’ancre dans un temps long et se mue en chaos humanitaire où le nombre de personnes déplacées vivant dans les camps a augmenté de 20% depuis janvier 2020, où 90% des syrien.nes vivent sous le seuil de pauvreté. Ironie du destin, ce pays dévasté par la guerre, n’échappe pas à la pandémie de la COVID-19. Au moment où je vous écris, la Syrie subit de plein fouet une flambée épidémique de cas de COVID-19. Le système de santé est submergé, les hôpitaux sont saturés, les populations sont à l’agonie. Le nombre de cas positifs au COVID-19 a explosé ces dernières semaines : il a été multiplié par 3 entre le 1er août 2021 et le 4 novembre 2021. C’est en Syrie que l’on trie véritablement les malades par manque d’oxygène et de réanimation.

Malgré notre témoignage, notre plaidoyer incessant, je me sens comme bâillonné, inaudible face au désastre humanitaire. Alors pour ces quelques semaines restantes de ce mois de décembre 2021, de cette année si spéciale de triste anniversaire, je me devais de vous envoyer cette lettre ouverte pour tenter un sursaut, un élan de solidarité et d’engagement politique fort pour la santé en Syrie.

Notre appel pour la Syrie :

– Permettre le renouvellement en janvier 2022 du dernier couloir humanitaire encore ouvert en Syrie, Bab Al-Hawa, qui permet l’acheminement de l’aide humanitaire la plus essentielle, la plus fondamentale aux populations : nourriture, médicaments, tentes, matériel médical…

– Débloquer des fonds d’urgence pour la réhabilitation du système sanitaire, éducatif, alimentation, eau, logement.

– Apporter une aide médicale d’urgence spécifique pour la lutte contre la pandémie de la COVID-19 : de l’oxygène, du matériel de protection : masques, blouses, kits d’hygiène, la vaccination…

Soutenir les actions humanitaires des ONG qui sont les seules à permettre un accès à la santé en Syrie : cliniques mobiles, centres de santé, équipes de protection.

Pour conclure, je voulais aussi ajouter un mot à mes collègues soignant.es français.es, à mes ami.es, à ceux qui m’écoutent, aux citoyens français qui me lisent aujourd’hui. Nous entrons dans cette douce période des fêtes de fin d’année où chacun s’affaire pour préparer les retrouvailles en famille, et c’est bien normal.

Quoi de plus normal, de plus naturel, que d’être auprès des siens, des plus proches en temps de fêtes. Je vous demanderai, si vous le pouvez, d’avoir une pensée ou plus pour les soignant.es et les populations en Syrie, qui vivront des nuits supplémentaires sous les tentes, sous les bombardements, dans la souffrance de manquer de tout.

Je vous adresse, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.

Pr Raphaël Pitti, Médecin humanitaire, responsable formation de UOSSM France, anesthésiste-réanimateur.