Encore l’un de ces billets que j’hésite à produire, et encore plus à diffuser.
Seulement voilà: parfois tout déborde. Qu’il s’agisse des tripes par lesquelles on est pris, du coeur qui s’arrache à la poitrine, des larmes qui remplissent jusqu’à l’intérieur du crâne et supurent par-delà les yeux, des cris qui veulent sortir jusque par les pores de la peau ou de la suffocation qui vient étreindre notre gorge, rien ne semble être à sa place là où il se trouve, et doit partir pour ne pas nous faire imploser.
Il pleut. 6 degrés, un vent à décorner les cocus et un froid pénétrant , comme si chaque gouttelette tombant du ciel et nous arrivant par le flanc était un glaçon fin, étroite stalactite de glace piquant au travers des vêtements déjà humides jusque dans la chair, pour y répandre une douleur polaire diffuse.
L’un des premiers que nous avons remarqués parmi les nombreux que nous croisâmes fut celui-ci, qui dépiautait aux ciseaux, avachi sur le duvet troué qui lui servait de lit offert à la pluie du ciel, un vêtement piteux au milieu d’un ramassis terrible de résidus de vie.
« Monsieur, avez-vous besoin de quelque chose? » Lui demandé -je en prenant garde de ne pas le surprendre ni d’être condescendant
« Non non, pas besoin », m’avait-il répondu sans me regarder en agitant sa main mouillée, avant de se remettre à l’ouvrage dans la flaque épouvantable dans laquelle il dormirait sûrement.
Nous en avons croisé d’autres. Un nombre invraisemblable, pour tout dire. Des tentes aussi, des abris de fortune, des caches.
Et puis il y avait ceux-ci, pires que les autres. Vulnérables à un point qui défiait l’entendement. Déments alcooliques, déments tout court, indigents amochés jusqu’à l’âme. Comme le résidu putride d’une humanité foireuse que la société aurait recraché avant de le piétiner pour le faire disparaître de son paysage.
Il y a eu cet autre, là, tas informe comme un ver dans une housse, à deux pas d’une Compagne Républicaine de Sécurité dont le coût de l’équipement aurait pu le faire vivre deux ans, et son coût du jour trois semaines.
Le pire fut peut être, enfin, ce cauchemar de la conscience, cette insupportable déchéance mentale montée sur un corps en miettes qui hurlait en silence sa colère de tout, sa douleur insondable, inextinguible à être, emporté dans une damnation si cynique qu’elle l’avait posé au pied rutilant d’une vitrine obscène où l’on bradait du rien pour des gens qui n’en avaient pas besoin mais l’achèteraient quand même. De son regard blanchi, probablement aveugle, il tentait de percer les ténèbres de l’incohérence inouïe du monde qui le refusait au point de le nier.
Nous pleurâmes à deux, impuissants. Désespérés.
Nous venions de quitter la place où s’étaient rassemblés un peu des constructeurs d’un demain meilleur, pleins d’utopie et de certitudes. Un avenir vert et bienveillant, où le pouvoir serait horizontal et les Hommes grands.
Nous, nous ramassions nos tripes en nous accrochant aussi fort que nous pouvions à nos maigres repères, à nos convictions, nos aspirations, pour penser que tout cela pouvait en valoir la peine, exister malgré eux, là, qui témoignaient de notre échec collectif à prendre soin des autres en vivant hors de nous et même hors d’eux-mêmes, au milieu de la foule impropre à l’empathie pour mieux s’affranchir de son impuissance ou simplement égoïste au point de ne plus rien voir.
Tout autour de la place où l’on commençait à réécrire le monde meilleur dans une ambiance pacifique, il y avait plusieurs compagnies de forces de l’ordre armées et équipées. Rien que leur prestation du jour valait le prix de dix logements d’urgence, en dur, qui pourraient durer des années.
Nous ramassames nos tripes, nous essuyâmes discrètement nos pleurs, et nous partîmes, écoeurés du constat terrible des priorités de la nation.
Je fis quelques photos, en me disant que les partager et expliquer cela serait ce que je pourrais faire de plus utile aujourd’hui.
La gorge serrée. Les poings blancs.
Et, plus que jamais, je compris qu’il n’y aurait pas d’avenir meilleur sans traîner dans la fange pour en tirer l’argile , de nos mains nues, et redonner forme humaine à ceux qui l’ont perdue.
Paris, 2019.
.De l’excellente page de Eric Lenoir sur fb ici
« L’avion du ministère des Situations d’urgence russe a atterri (…). Il a réalisé un vol spécial depuis Bagdad avec trente enfants russes« , a indiqué le président tchétchène Ramzan Kadyrov sur son compte Telegram, précisant que l’avion s’était posé à l’aéroport Joukovski dans la région de Moscou. Les pères de ces enfants, de jeunes garçons et des fillettes âgés de trois à dix ans, auraient été tués dans les trois années de combats entre le groupe jihadiste et les troupes irakiennes qui ont chassé fin 2017 l’EI de l’ensemble des centres urbains du pays, a précisé avant leur départ une source diplomatique russe.
Selon le président tchétchène, il s’agit « d’une preuve indéniable de l’accomplissement rigoureux de la mission fixée par le président russe Vladimir Poutine de sauver des femmes et enfants se trouvant en Syrie et en Irak« . « Si nous ne (les) ramenons pas à la maison, ils deviendront la cible des services spéciaux étrangers« , a-t-il poursuivi sur Telegram.
Les enfants sont en mauvaise santé
Selon le service de presse du ministère de la Santé russe, cité par l’agence russe Interfax, les enfants ont été conduits dès leur arrivée vers un hôpital du centre de Moscou où ils subiront des « examens poussés ». Sur le réseau social Vkontakte, Ramzan Kadyrov a également posté une vidéo montrant leur départ de Bagdad, précisant que 24 d’entre eux étaient originaires du Daguestan et trois de Tchétchénie. « Leur état de santé est évidemment affreux, confie Anna Kuznetsova, commissaire russe pour les droits de l’enfant. Les enfants sont très minces et faibles. Nous savons que la prison n’est pas le bon endroit pour eux. C’est la première fois qu’on les ramène (en Russie) et il y aura de nouvelles tentatives. Nous avons déjà une liste de trente-six enfants et nous espérons que cette liste sera confirmée à la mi-janvier. »
A Moscou, ce sont les grands-parents qui sont venus récupérer les enfants. Leurs pères, tous membres du groupe terroriste Etat Islamique, ont été tués dans les combats. Quant aux mères, elles sont en prison en Irak. Pour les grands-parents, ce retour est un choc ! Un soulagement, aussi… « Nous ne savions même pas qu’ils étaient là-bas, . Quand ils nous ont appelés, j’ai été choquée. Ils pleuraient tout le temps, ils voulaient rentrer chez eux. ils disaient : ‘Grand-mère, grand-père, s’il vous plaît, ramenez-nous à la maison’, mais comment pourrions-nous aller là-bas et les ramener. Mon coeur était malade. » « Je suis content, vraiment content qu’ils aient ramené les enfants à la maison, ajoute Aslanbek Berebov, grand-père. S’ils en ramènent d’autres, ça serait même mieux. Je suis vraiment content. »
« Ces enfants sont également des victimes »
Dimanche, le Premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi a reçu l’envoyée du président russe pour les droits des enfants, devant laquelle il a appelé à « faire la distinction entre les questions humanitaires et les crimes terroristes« . « Ces enfants sont également des victimes« , a-t-il ajouté, selon des propos rapportés par son bureau, sans mentionner le rapatriement.
En novembre, l’une des conseillères de M. Kadyrov, dirigeant autoritaire de la petite république russe, Kheda Saratova, avait accusé le FSB russe (Service fédéral de sécurité) d’empêcher le rapatriement en Tchétchénie de veuves et d’enfants de combattants russes de l’EI . Selon elle, « environ 2.000 » d’entre eux se trouvent en Irak et en Syrie voisine, alors qu’une centaine d’enfants et de femmes -la plupart originaires des républiques russes du Caucase- sont jusqu’à présent revenus en Russie.
Lors de sa grande conférence de presse annuelle mi-décembre, M. Poutine avait affirmé qu’un programme pour le retour de ces enfants était en cours et qu’il allait se poursuivre. Près de 4.500 citoyens russes étaient partis à l’étranger pour combattre « du côté des terroristes« , avait indiqué il y a un an le FSB. Plus de 300 personnes, dont une centaine d’étrangères, ont été condamnées à mort en Irak, et autant d’autres à la prison à perpétuité, pour appartenance à l’EI. La plupart des condamnées sont Turques ou originaires des anciennes républiques de l’Union soviétique.