Coup de gueule contre l’hypocrisie sur la guerre 1914-1918


 

Face à l’endoctrinement de la jeunesse, sommée de répéter à l’infini en ces jours de « mémoire », que nos anciens sont morts pour « notre liberté », face à toute cette hypocrisie qui déplore les millions de morts de la boucherie de 1914-1918, dont mon arrière-grand-père, le jeune Français lyonnais, Edouard Davendre, je ressens le besoin pressant de rendre hommage aux rares courageux qui ont tout fait pour en empêcher l’éclatement. De ces gens-là, pas un mot dans les commémorations actuelles, ni dans les « leçons d’histoire » infligées aux écoliers et lycéens. Et pourtant, sans relâche, ils ont dénoncé les visions impérialistes et guerrières de « leur » bourgeoisie et appelé les peuples à s’unir pour empêcher la guerre. Je ne cite que les plus connus, mais il faut aussi rappeler les centaines de soldats inconnus, qui ont fraternisé dans les tranchées avec l’ennemi d’en face, découvrant ensemble l’absurdité de cette guerre horrible, et souvent fusillés pour la cause !

Partie de foot de fraternisation entre les soldats « ennemis » à Ypres

À cette époque, ceux qui s’élevaient contre la guerre l’ont fait au péril de leur vie et la plupart ont été lâchement assassinés. Leur mort nous rappelle que seuls les résistants et les courageux donnent un vrai sens à l’histoire et de l’inspiration à notre propre vie.

Jean Jaurès haranguant les travailleurs contre la guerre à venir

Discours de Jaurès du 25 juillet 1914, à Lyon (France), cinq jours avant son assassinat :
« Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar ».

Karl Liebknecht, appelant à l’insurrection au lendemain de la défait allemande de 1918

Karl Liebknecht, député au Reichstag (Allemagne) : « Mais ma protestation va à la guerre, à ceux qui en sont responsables, qui la dirigent ; elle va à la politique capitaliste qui lui donna naissance (…) Et c’est pourquoi je repousse les crédits militaires demandés », un des rares socialistes européens qui a refusé de voter les crédits de guerre.

Rosa Luxemburg, tenant meeting à Stuttgart en 1907

Rosa Luxemburg, née juive polonaise et de nationalité allemande, déclarait dans un meeting en septembre 1913 : « Si on attend de nous que nous brandissions les armes contre nos frères de France et d’ailleurs, alors nous nous écrions : « nous ne le ferons pas ». » Cette déclaration contre la guerre lui valut d’être inculpée d’appel à l’insubordination lors d’un procès en février 1914.
Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg seront assassinés le même jour, avec 30 autres personnes, le 15 janvier 1919, pour avoir poursuivi jusqu’au bout leur dénonciation de la guerre et avoir lutté pour une issue révolutionnaire à toute cette barbarie.

Lénine, révolutionnaire russe, ne cessa jamais de dénoncer le caractère impérialiste de tous les fauteurs de guerre, qui n’avaient en vue que le repartage des colonies et la consolidation du pouvoir des plus riches : « La mystification du peuple la plus largement pratiquée par la bourgeoisie dans cette guerre est le camouflage de ses buts de brigandage derrière l’idée de la “ libération nationale ”. Les Anglais promettent la liberté à la Belgique; les Allemands à la Pologne, etc. En réalité, comme nous l’avons vu, c’est une guerre entre les oppresseurs de la majorité des nations du monde pour consolider et étendre cette oppression ».
Publié par Nadine Rosa-Rosso  ICI

 

Jean Giono à Verdun


Jean Giono avait 19 ans et était élève-aspirant à Montségur dans la Drôme lorsqu’il fut mobilisé en 1914.
Il participa aux batailles de Verdun et du Chemin des Dames. Il y fut légèrement gazé aux yeux alors que son meilleur ami ainsi que beaucoup de ses camarades furent tués.
Cette expérience de la première guerre mondiale le traumatisa. Il devint un pacifiste convaincu et évoqua l’épreuve de la guerre dans Le Grand Troupeau et dans plusieurs écrits pacifistes des années 30 dont voici un extrait qui pourra parfaitement illustrer la vie des soldats dans le programme de 3e de l’an prochain et faire l’objet d’un travail en collaboration avec un professeur de lettres.

 Vous ne tarderez pas à comprendre que ces petites choses matérielles sales et basses ont beaucoup plus d’importance pour vous que tout l’esprit supérieur du combat. Brusquement au milieu d’une bataille qui semblait se dérouler pour des besoins spirituels légitimes, vous sentez qu’en réalité on vous a illégalement imposé un simple débat entre vous-même et la douleur, vous-même et la nécessité de vivre, vous-même et le désir de vivre, que tout est là ; que si, simplement vous mourez, il n’y a plus ni bataille, ni patrie, ni droit, ni raison, ni victoire, ni défaite et qu’ainsi on vous fait tout simplement vous efforcer douloureusement vers le néant. Il n’y a pas d’épopée si glorieuse soit-elle qui puisse faire passer le respect de sa gloire avant les nécessités d’un tube digestif. Celui qui a construit l’épopée avec la souffrance de son corps sait que dans ces moments dits de gloire, en vérité, la bassesse occupe le ciel.
Sous le fer de Verdun les soldats tiennent. Pour un endroit que je connais nous tenons parce que les gendarmes nous empêchent de partir. On en a placé des postes jusqu’en pleine bataille, dans les tranchées de soutien, au-dessus du tunnel de Tavannes. Si on veut sortir de là il faut un ticket de sortie. Idiot mais exact ; non pas idiot, terrible. Au début de la bataille, quand quelques corvées de soupe réussissent encore à passer entre le barrage d’artillerie, arrivées là, elles doivent se fouiller les cartouchières et montrer aux gendarmes le ticket signé du capitaine. L’héroïsme du communiqué officiel, il faut ici qu’on le contrôle soigneusement. Nous pouvons bien dire que si nous restons sur ce champ de bataille, c’est qu’on nous empêche soigneusement de nous en échapper. Enfin, nous y sommes, nous y restons ; alors nous nous battons ? Nous donnons l’impression de farouches attaquants ; en réalité nous fuyons de tous les côtés. Nous sommes entre la batterie de l’hôpital, petit fortin, et le fort de Vaux, qu’il nous faut reconquérir. Cela dure depuis dix jours. Tous les jours, à la batterie de l’hôpital, entre deux rangées de sacs à terre, on exécute sans jugement au revolver ceux qu’on appelle les déserteurs sur place. On ne peut pas sortir du champ de bataille, alors maintenant on s’y cache. On creuse un trou, on s’enterre, on reste là. Si on vous trouve on vous traîne à la batterie et, entre deux rangées de sacs à terre, on vous fait sauter la cervelle. Bientôt il va falloir faire accompagner chaque homme par un gendarme. Le général dit « ils tiennent ». A Paris est un historien qui s’apprête à conjuguer à tous les temps et à toutes les personnes (compris la sienne) le verbe « tenir à Verdun ». Ils tiennent, mais, moi général, je ne me hasarderais pas à supprimer les gendarmes ni à conseiller l’indulgence à ce colonel du 52ème d’infanterie qui est à la batterie de l’hôpital. Cela dure depuis quinze jours.

Depuis huit jours les corvées de soupe ne reviennent plus. Elles partent le soir à la nuit noire et c’est fini, elles se fondent comme du sucre dans du café. Pas un homme n’est retourné. Ils ont tous été tués, absolument tous, chaque fois, tous les jours sans aucune exception. On n’y va plus. On a faim. On a soif. On voit là-bas un mort couché par terre, pourri et plein de mouches mais encore ceinturé de bidons et des boules de pain passées dans un fil de fer. On attend. que le bombardement se calme. On rampe jusqu’à lui. On détache de son corps les boules de pain. On prend les bidons pleins. D’autres bidons ont été troués par les balles. Le pain est mou. Il faut seulement couper le morceau qui touchait le corps. Voilà ce qu’on fait tout le jour. Cela dure depuis vingt-cinq jours. Depuis longtemps il n’y a plus de ces cadavres garde-manger. On mange n’importe quoi. Je mâche une courroie de bidon. Vers le soir, un copain est arrivé avec un rat. Une fois écorché, la chair est blanche comme du papier. Mais, avec mon morceau à la main j’attends malgré tout la nuit noire avant de manger. On a une occasion pour demain : une mitrailleuse qui arrivait tout à l’heure en renfort a été écrabouillée avec ses quatre servants à vingt mètres en arrière de nous. Tout à l’heure on ira chercher les musettes de ces quatre hommes. Ils arrivaient de la batterie. Ils doivent avoir emporté à manger pour eux. Mais il ne faudrait pas que ceux qui sont à notre droite n’y aillent avant nous. Ils doivent guetter aussi de dedans leur trou. Nous guettons. L’important c’est que les quatre soient morts. Ils le sont. Tant mieux. Cela dure depuis trente jours.

C’est la grande bataille de Verdun. Le monde entier a les yeux fixés sur nous. Nous avons de terribles soucis. Vaincre? résister? tenir? faire notre devoir? Non. Faire nos besoins. Dehors, c’est un déluge de fer. C’est très simple : il tombe un obus de chaque calibre par minute et par mètre carré. Nous sommes neuf survivants dans un trou. Ce n’est pas un abri, mais les quarante centimètres de terre et de rondins sur notre tête sont devant nos yeux une sorte de visière contre l’horreur. Plus rien au monde ne nous fera sortir de là. Mais ce que nous avons mangé, ce que nous mangeons se réveille plusieurs fois par jour dans notre ventre. Il faut que nous fassions nos besoins. Le premier de nous que ça a pris est sorti ; depuis deux jours il est là, à trois mètres devant nous, mort déculotté. Nous faisons dans du papier et nous le jetons là devant. Nous avons fait dans de vieilles lettres que nous gardions. Nous sommes neuf dans un espace où normalement on pourrait tenir à peine trois serrés. Nous sommes un peu plus serrés. Nos jambes et nos bras sont emmêlés. Quand on veut seulement plier son genou, nous sommes tous obligés de faire les gestes qui le lui permettront. La terre de notre abri tremble autour de nous sans cesse. Sans cesse les graviers, la poussière et les éclats soufflent dans ce côté qui est ouvert vers le dehors. Celui qui est près de cette sorte de porte a le visage et les mains écorchés de mille petites égratignures. Nous n’entendons plus à la longue les éclatements des obus ; nous n’entendons que le coup de masse d’arrivée. C’est un martèlement ininterrompu.

Il y a cinq jours que nous sommes là-dedans sans bouger. Nous n’avons plus de papier ni les uns ni les autres. Nous faisons dans nos musettes et nous les jetons dehors. Il faut démêler ses bras des autres bras, et se déculotter, et faire dans une musette qui est appuyée sur le ventre d’un copain. Quand on a fini on passe la saleté à celui de devant, qui la passe à l’autre qui la jette dehors. Septième jour. La bataille de Verdun continue. </p><p> De plus en plus héros. Nous ne sortons toujours pas de notre trou.

Nous ne sommes plus que huit. Celui qui était devant la porte a été tué par un gros éclat qui est arrivé en plein dedans, lui a coupé la gorge et l’a saigné. Nous avons essayé de boucher la porte avec son corps. Nous avons bien fait. Une sorte de tir rasant qui s’est spécialisé depuis quelques heures sur ce morceau de secteur fait pleuvoir sur nous des éclats de recul. Nous les entendons frapper dans le corps qui bouche la porte. Malgré qu’il ait été saigné comme un porc avec la carotide ouverte, il saigne encore-à chacune des ces blessures qu’il reçoit après sa mort. J’ai oublié de dire que depuis plus de dix jours aucun de nous n’a de fusil, ni de cartouches, ni de couteau, ni de baïonnette. Mais nous avons de plus en plus ce terrible besoin qui ne cesse pas, qui nous déchire. Surtout depuis que nous avons essayé d’avaler de petites boulettes de terre pour calmer la faim, et aussi parce que cette nuit il a plu et, et comme nous n’avions pas bu depuis quatre jours, nous avons léché l’eau de la pluie qui ruisselait à travers les rondins et aussi celle qui venait de dehors et qui coulait chez nous par-dessous le cadavre qui bouche la porte. Nous faisons dans notre main. C’est une dysenterie qui coule entre nos doigts. On ne peut même pas arriver à jeter ça dehors. Ceux qui sont au fond essuient leurs mains dans la terre à côté d’eux. Les trois qui sont près de la porte s’essuient dans les vêtements du mort. C’est de cette façon que nous nous apercevons que nous faisons du sang. Du sang épais mais absolument vermeil. Beau. Celui-là a cru que c’était le mort sur lequel il s’essuyait qui saignait. Mais la beauté du sang l’a fait réfléchir.

Il y a maintenant quatre jours que ce cadavre bouche la porte et nous sommes le 9 août, et nous voyons bien qu’il se pourrit. Celui-là avait fait dans sa main droite ; il a passé sa main gauche à son derrière ; il l’a tirée pleine de ce sang frais. Dans le courant de ce jour-là nous nous apercevons tous à tour de rôle que nous faisons du sang. Alors, nous faisons carrément sur place, là, sous nous. J’ai dit que nous n’avons plus d’armes depuis longtemps ; mais, nous avons tous notre quart passé dans une courroie de notre équipement car nous sommes à tous moments dévorés par une soif de feu,et de temps en temps nous buvons notre urine. C’est l’admirable bataille de Verdun.

Deux ans plus tard, au Chemin des Dames, nous nous révolterons (à ce moment-là je survivais seul de ces huit derniers) pour de semblables ignominies. Pas du tout pour de grands motifs, pas du tout contre la guerre, pas du tout pour donner la paix à la terre, pas du tout pour de grands mots d’ordre, simplement parce que nous en avons assez de faire dans notre main et de boire notre urine. Simplement parce qu’au fond de l’armée, l’individu a touché l’immonde.«

Jean Giono, Extrait de « Recherche de la pureté », Ecrits pacifistes,1939.

La finance : regard rétrospectif


De la revue de Triodos La couleur de l’argent

 

Portrait de Koen Schoors, deboutVous avez fait votre doctorat il y a 20 ans. Comment percevez-vous l’évolution du monde de la finance depuis cette époque ?

D’abord, il y a eu la libéralisation avec une explosion de nouveaux produits qui se sont révélés dangereux par la suite. Nous étions dans une époque où l’avidité ne cessait de croître. L’aveuglement à l’égard des risques a conduit à la crise financière de 2008. Vint alors le temps des désillusions. Beaucoup de ceux qui avaient alimenté la crise ont retiré leurs billes. Certains, dégoûtés, ont quitté le secteur. Un soutien de l’État a permis de sauver les banques, sur lesquelles s’est abattue une grande vague de régulation qui est parfois passée à côté de sa cible.

Pourquoi la régulation a-t-elle manqué sa cible ?

La régulation est devenue si lourde et univoque qu’elle a rendu le fonctionnement des petites banques pratiquement impossible. Par conséquent, la diversité des banques a diminué. C’est une évolution dangereuse car la diversité est un facteur de robustesse. Lorsque quelque chose tourne mal en raison de certaines pratiques bancaires, les autres acteurs peuvent survivre. Lorsque tout le monde fait la même chose et que le modèle est fragilisé, cela peut dégénérer.

La crise financière n’a-t-elle déclenché aucun changement fondamental ?

Si. Beaucoup de réglementations ne donnent leur pleine mesure qu’aujourd’hui. C’est le cas des règles plus sévères sur le capital et les liquidités. Les récentes réglementations sur les restructurations et liquidations des banques sont aussi entièrement d’application et rendent le secteur bancaire globalement plus sûr. L’ensemble de ces mesures a un impact profond sur les stimuli et les mécanismes internes des banques. Elles contraignent chaque banque à mieux réfléchir aux risques qu’elle prend. Et il est clair qu’une banque moyenne est moins portée vers le risque qu’il y a dix ans. Mais, d’un autre côté, les gens ont la mémoire courte et sous la contrainte d’une pression concurrentielle accrue, ils font parfois des affaires dont nous savons qu’elles sont risquées.

 

Les futurs défis de la finance

 

Quels défis attendent le monde financier dans les prochaines années ?

La digitalisation est un phénomène que les banques n’ont pas anticipé. Elles subissent la concurrence de nouvelles plateformes qui n’ont ni un bagage historique ni un parc immobilier à supporter. Parfois, les banques sont entièrement contournées et les gens accordent eux-mêmes directement des crédits pour une initiative qui leur plaît.

Vous visez le crowdfunding ?

Le crowdfunding est une notion fourre-tout, qui peut être trompeuse. Il s’agit parfois de charité, parfois de capitalisation et parfois d’un prêt. Je pense en particulier aux plateformes de crédit. Mais la digitalisation n’est pas que cela. De gros joueurs tels que Google, Facebook ou une chaîne de supermarchés peuvent tout aussi bien ouvrir une banque très simple, sans bureaux physiques, avec cinq produits financiers de base par exemple.

Cela ne contribue-t-il pas justement à une plus grande diversité dans le secteur financier ?

C’est vrai, mais c’est aussi très disruptif. Nous sommes à la croisée des chemins et nous ne savons pas dans quelle direction les choses vont évoluer. De même qu’Uber a fait imploser le secteur des taxis dans un certain nombre de pays et qu’Airbnb a mis sous pression le secteur hôtelier, la révolution digitale pourrait menacer la banque traditionnelle et faire disparaître un certain nombre d’acteurs du monde bancaire.

À quel niveau évaluez-vous le risque que cela se produise ?

La probabilité est de 100 %. Mais ce sera plus lent que ce que nous imaginons. La confiance est un facteur clé du système bancaire. Malgré tout ce qui s’est passé, les gens font heureusement encore confiance aux banques. La question est de savoir comment ces nouvelles plateformes et technologies obtiendront cette confiance. Prenez le bitcoin. Cette monnaie fluctue comme un yo-yo, ce qui n’inspire guère confiance. Mais nous n’en sommes qu’au début. De nouvelles formes améliorées pourraient surgir et concurrencer sérieusement le secteur bancaire. Une autre grande incertitude provient de la révolution du Big Data. Beaucoup de banques recourent au Big Data en particulier pour le marketing, mais le potentiel est bien plus important que cela.

Que pourrait-on faire d’autre avec le Big Data ?

Les banques pourraient s’en servir pour mieux estimer le risque, lorsqu’elles prêtent de l’argent à une entreprise. Il est en effet possible de connaître ses dépenses, ses clients et ses rentrées d’argent, autant d’éléments qui permettent d’évaluer correctement le risque. Que cela soit permis ou non, c’est une autre question, relative au respect de la vie privée. Avec le Big Data, vous pouvez aussi améliorer ou transformer vos processus internes. Ou vous pouvez aider vos clients à changer leurs comportements de consommation en les informant chaque mois, sous forme d’un diagramme, de la part durable de leurs dépenses. Ces idées germent un peu partout.

 

Pour une définition des investissements bruns

 

L’UE a récemment établi un plan d’action pour rendre le monde financier plus durable…

Pour chaque crédit accordé, une banque doit immobiliser des capitaux propres. Cela a un coût pour les banques. Selon qu’un crédit comporte plus ou moins de risque, la banque doit apporter un capital plus ou moins important. Le but de ceci est que, lorsqu’un crédit n’est pas remboursé, la banque soit en mesure d’endosser la perte. L’idée centrale du plan d’action de l’UE est de stimuler les investissements verts via l’exigence de capitalisation et ceci, de deux manières : soit en réduisant les exigences pour les investissements durables, soit en durcissant les exigences pour les investissements polluants,
dits “bruns”.

Laquelle de ces solutions est préférable ?

Tout dépend de la définition que vous donnez aux investissements “verts” et “bruns”. Une interprétation très large des investissements bruns n’aura pas d’effet de sensibilisation clair car presque tous les investissements seront concernés. De plus, les exigences supplémentaires de capitaux pour ces investissements entraîneront d’importants surcoûts avec, à la clé, un risque de “credit crunch” qui signifie que les banques accorderont moins de crédits. Dans ces conditions, il semblerait donc préférable de stimuler les investissements verts en réduisant les exigences de capitalisation. Néanmoins, si nous parvenons à établir des critères pour bien définir les investissements bruns les plus polluants, il serait alors bien plus efficace de décourager de tels investissements avec des exigences de capitaux plus sévères. En effet, la punition implicite par des règles de capitalisation plus importante induit une prise de conscience vis-à-vis des investissements à éviter, sans que l’économie ne soit affectée dans son ensemble. L’idéal serait donc de trouver de bons critères pour les investissements bruns et d’exiger davantage de capitaux pour ceux-ci.

Pensez-vous que la réglementation puisse atteindre son objectif ?

Oui. L’idée est très claire et elle peut fonctionner. Chaque acteur va plaider de toutes ses forces pour faire reconnaître son activité comme ” verte “, ou au moins comme n’étant pas ” brune “. Nous devons donc être vigilants. Si nous parvenons à contrecarrer le lobby des industries polluantes, les investissements durables seront moins chers. Les secteurs durables bénéficieront d’un coup de fouet, car ils seront plus rentables. Lorsqu’on veut agir sur les masses, on ne peut se contenter d’espérer qu’elles fassent tel ou tel choix parce que c’est bien. Non, il faut faire en sorte que les investissements durables soient meilleur marché et que le financement des activités polluantes soit plus coûteux. Alors, chacun investira mieux, même si c’est par intérêt.

Les réglementations supplémentaires imposées aux acteurs financiers classiques ne donnent-elles pas un avantage à de nouveaux joueurs, qui parviendront à échapper à ces règles ?

Si les banques veulent continuer à compter et que les règles fonctionnent bien, elles devront s’adapter rapidement. Sinon, elles seront dépassées par de nouveaux acteurs. Mais la concurrence joue un rôle et elle fonctionne lorsque les règles sont justes. Lorsque les règles sont faites de telle sorte que ce qui rapporte le plus est ce qui pollue le plus, et que vous laissez la concurrence jouer librement, vous obtenez une économie très efficace pour générer de la pollution !
L’économie est un terrain de jeu. Ce que fait l’UE, c’est déplacer les goals. Tout le monde a toujours envie de marquer, de faire du profit. Mais si le goal est positionné différemment, les joueurs s’efforceront de viser dans cette nouvelle direction. Et ils se feront concurrence pour y parvenir. C’est exactement ce qui est souhaité. La concurrence n’est pas un problème, si les objectifs sont correctement formulés.

Vous donnez cours à l’Université de Gand (UGent). Est-ce que la façon dont l’économie est enseignée a fortement évolué au fil des années ?

Ces dernières années, j’ai essayé d’accorder plus d’attention à la durabilité et à une vision holistique de l’économie. Il faut apprendre de tout aux étudiants. Je veille particulièrement à leur ouvrir les yeux sur l’économie du partage, l’économie de plateforme, les biens publics, l’économie sociale, les externalités et les inégalités. Je leur apprends à ne pas envisager ces questions comme des problèmes isolés, mais comme parties d’un tout. D’un autre côté, il ne faut pas être naïf. Le profit et les intérêts particuliers jouent un rôle.

Le profit et l’intérêt particulier sont-ils incompatibles avec la durabilité ?

Pas nécessairement. Sans un profit minimum, aucune initiative ne peut être durable. Mais si on ne tient compte que du profit et de l’intérêt particulier, la durabilité sera le plus souvent oubliée. C’est précisément pour cela que nous devons nous efforcer d’avoir une vision plus holistique de l’entreprise, où non seulement le profit et l’intérêt particulier ont leur place, mais aussi où les clients, les employés et la société dans son ensemble occupent une position centrale. Une entreprise qui ne parvient à générer du profit qu’en nuisant gravement à l’environnement, est en fait déficitaire du point de vue de la durabilité. Nous devons donc repenser complétement nos processus logistiques et de production à partir de cette vision plus holistique, qui ne soit pas aveuglée par les profits à court terme, mais qui regarde le tableau dans son ensemble. Cela ne passe pas forcément par l’absence de profit.

Regardez-vous la situation actuelle avec optimisme ?

Bien sûr qu’il y a de l’espoir. Et c’est un espoir qui donne un cap et invite à l’action. Voyez autour de vous le nombre de personnes qui garent leur vélo devant cette gare. Lorsque j’étais étudiant, il y avait un petit bosquet de vélos, aujourd’hui c’est une forêt. Et le parking est lui aussi rempli chaque jour : ce sont autant de gens qui préfèrent prendre le train plutôt que la voiture. Et quand vous preniez le train, vous ne voyiez pas ces éoliennes, qui font aujourd’hui partie du paysage. Ou encore, en passant près des habitations, vous verrez de plus en plus de panneaux solaires sur les toits, même s’ils ne sont plus subsidiés. Peu à peu, les esprits mûrissent. Les modèles économiques suivent. La construction des maisons, l’agriculture et l’alimentation se dirigent vers la durabilité. On expérimente en créant des quartiers entiers qui sont durables et énergétiquement neutres. Ce mouvement est désormais rapide. Dans vingt ans, lorsque nous regarderons en arrière, nous verrons que la norme aura été totalement modifiée pour devenir plus durable.

 

QUI EST KOEN SCHOORS ?

Koen Schoors est professeur à l’UGent et directeur du CERISE (Centre for Russian, International Socio-Political and Economic Studies). Il mène principalement des recherches sur le système bancaire et financier, l’histoire économique, le droit économique, la complexité économique et la corruption. Il est membre du Comité directeur de la Stichting Administratiekantoor Aandelen Triodos Bank (SAAT, une fondation de droit néerlandais).

source

Appel pour la remise en liberté immédiate de Mimmo Lucano, maire de Riace, Calabre/Italie


« Si vous avez le droit de diviser le monde entre italien.ne.s et étranger.ère.s, alors je dirai que je n’ai pas de Patrie et je réclame le droit de diviser le monde entre déshérité.e.s et opprimé.e.s d’un côté, privilégiés et oppresseurs de l’autre. Les un.e.s sont ma patrie, les autres mes étrangers » (Don Milani, 1965)

Le 16 octobre, Les juges ont levé les arrêts domiciliaires et les ont remplacés par l’interdiction faite au maire de Riace, suspendu de ses fonctions, de continuer à résider dans sa municipalité. La bataille loin de s’arrêter doit prendre une vigueur nouvelle d’appui bien sûr à Mimmo Lucano, auquel on interdit de circuler librement, et à celles et ceux qui sont entrés en lutte pour défendre des valeurs fondamentales aujourd’hui niées.

Accusé d’avoir « favorisé l’immigration clandestine » le maire de Riace (Calabre) est aux arrêts domiciliaires depuis le 2 octobre. Il s’agit d’une arrestation en représailles à l’action courageuse de Mimmo Lucano, surnommé le « maire de l’accueil », qui s’était mis cet été en grève de la faim pour protester contre la politique migratoire inhumaine du gouvernement italien. Sa seule faute : avoir su mettre en place dans sa commune un système d’accueil qui fonctionne. Il a non seulement permis d’offrir à des femmes et des hommes fuyant la guerre et la misère des conditions de vie et de travail décentes, mais aussi à la population locale en créant des emplois (médiateurs.trices culturels, enseignant.e.s etc…), et en promouvant des formation inédites (laboratoires artisanaux, fermes pédagogiques). Une réussite dans un territoire connu pour ses mafias et son chômage. C’est cet exemple courageux que le gouvernement italien veut punir. Mimmo Lucano a pu en effet faire la preuve que l’accueil des migrant.e.s pouvait se conjuguer avec le dialogue et le bien être d’une communauté tout entière. Il est pour cela depuis quelques années sur la liste noire de tous les partis et mouvements qui entendent faire de la peur de l’autre et de la répression contre les migrant.e.s leur fonds de commerce politique.

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