Affaire Tariq Ramadan par Khaled Abou El Fadl


anniebannie: enseignement de Tariq Ramadan ici

« Comme la célèbre affaire Dreyfus, chaque jour qui passe, cela ressemble de plus en plus à un assassinat politique et non à un jugement équitable. »

 

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L’affaire Tariq Ramadan en France est honteuse et ignominieuse. Je ne peux plus garder mon silence devant cette grotesque parodie de justice. Depuis que des accusations de viol ont été portées contre lui en France, l’affaire Tariq Ramadan a été entachée d’irrégularités de procédure, de déni de procédure équitable et de preuves de discrimination insidieuse. Le mauvais traitement réservé à Ramadan par la justice française et le lynchage des médias français ont été si scandaleusement injustes qu’ils ont atteint le stade de la persécution pure et simple.

Alain Gabon ainsi que d’autres personnes ont déjà détaillé les persécutions et les abus commis par les autorités françaises dans cette affaire. Egalement, plus d’une centaine d’éminents universitaires et savants ont signé une déclaration exigeant un traitement juste et une procédure équitable pour Tariq Ramadan.

Alors pourquoi j’écris ? Tout d’abord parce qu’en tant que musulman, je suis indigné par le silence embarrassant des organisations et des dirigeants musulmans devant le lynchage indéniable d’un éminent savant musulman. Les mêmes organisations qui avaient bénéficié auparavant de la renommée et de la célébrité de Tariq Ramadan, et qui se félicitaient de l’avoir dans la liste des intervenants dans leurs conférences et symposiums, l’ont maintenant abandonné, lui et sa famille à leur sort.

La deuxième raison pour laquelle j’écris est qu’en tant qu’étudiant d’Histoire et de Droit, le cas de Ramadan me rappelle l’affaire scandaleuse de Dreyfus dans laquelle le système judiciaire français éclairé a injustement jugé et condamné un innocent, simplement parce qu’il était juif. J’écris parce que je suis convaincu que la manière dont l’affaire Ramadan est traitée témoigne de préjugés politiques et religieux évidents. Ces préjugés expliquent les nombreuses irrégularités qui affligent les procédures judiciaires en France. J’écris aussi parce que je suis profondément troublé par le non respect de la présomption d’innocence, d’autant plus qu’il existe des preuves substantielles que Tariq Ramadan n’est pas traité comme un accusé faisant face à des accusations de viol, mais qu’il est en réalité un prisonnier politique persécuté par ses ennemis idéologiques jurés. Après avoir étudié toute une série d’affaires pénales déposées contre des violeurs présumés en France, il parait évident que le traitement réservé à Tariq Ramadan n’est pas justifié par les accusations, les allégations ou les procédures d’enquête de l’affaire.

Voici un compte rendu partiel des irrégularités et des problèmes dans cette affaire

1. Tariq Ramadan croupit en détention provisoire depuis le mois de février de cette année. Aucune date pour le procès n’a été fixée, et il n’est même pas certain qu’il y aura un procès.

2. L’affaire a été fondée sur les accusations présumées de trois femmes : Henda Ayari, Mounia Rabbouj (Marie) et Paule-Emma (Christelle). Cependant, Ramadan n’a pas été traité comme un accusé ordinaire. Sans justification aucune, l’affaire a été transférée à la juridiction du procureur général de Paris, François Molins étant une personne plutôt habituée à gérer les affaires de terrorisme dans lesquelles les suspects étaient invariablement musulmans.

3. Le traitement infligé par Molins à Tariq Ramadan ne diffère aucunement de celui réservé habituellement aux suspects terroristes. Ramadan a été placé en isolement ; ses contacts avec sa famille et ses avocats, ainsi que l’accès à ses propres dossiers ont été sévèrement restreints ; et il a été privé de son courrier et de tout droit à la vie privée.

4. De manière choquante, Ramadan a été détenu pendant des mois avant d’être autorisé à parler ou à présenter des preuves à décharge pour sa défense. Ce n’est que le 5 juin dernier qu’il a finalement été autorisé à témoigner et à témoigner en réfutation. Sur le plan juridique, pour sa détention, Ramadan a été placé dans des conditions pénibles, où sa capacité à se défendre contre les accusations est sévèrement restreinte. Le problème avec les restrictions imposées n’est pas seulement d’ordre psychologique. Ces restrictions limitent la capacité de l’accusé à mener des recherches, à se concerter avec son avocat et à se défendre sereinement contre les accusations portées. Imaginez que vous essayez de vous défendre contre des accusations graves tout en étant placés à l’isolement vingt-trois heures par jour, et que vous n’êtes autorisés à sortir de votre cellule que pour très peu de temps, que l’accès à une bibliothèque ou un ordinateur vous est refusé, tout comme l’accès à la plupart de votre courrier, à l’écriture et à la lecture ainsi que l’accès à votre propre dossier!

5. De plus, Tariq Ramadan est très malade, et il n’est pas exagéré d’affirmer que les conditions de son emprisonnement sont tortueuses. Ces conditions ont pour effet une grave détérioration de son état de santé et peuvent même conduire à sa mort. Malgré un dossier médical excessivement documenté, le tribunal français a refusé de le mettre dans un hôpital et de lui fournir les soins médicaux adéquats.

6. La présomption d’innocence signifie que nous devons présumer qu’une personne est innocente jusqu’à preuve du contraire. Mais cela n’a pas été respecté dans l’affaire Ramadan. La manière dont il est traité est semblable à celle dont les tribunaux français ont traité des personnes soupçonnées de terrorisme, où leur droit à une procédure équitable a été bafoué en raison d’une prétendue protection de la sécurité nationale.

Cependant, l’affaire Tariq Ramadan n’est pas censée être lié au terrorisme mais à des agressions sexuelles présumées. Le tribunal n’a produit aucune justification convaincante pour toutes les restrictions qui lui ont été imposées en prison. Tariq Ramadan n’est pas traité comme la plupart des accusés faisant face à des accusations similaires, qui sont libérés sous surveillance jusqu’à la date de leur procès.

Le gouvernement français a d’ailleurs récemment découvert un complot terroriste d’un groupe nationaliste blanc, l’AFO, qui projetait d’attaquer et d’assassiner des musulmans dans toute la France. Bien que les dix membres de l’AFO aient admis leurs intentions de commettre des attentats meurtriers contre des mosquées et des écoles musulmanes en France, le chef du groupe et la plupart de ses membres ont été immédiatement libérés sous surveillance. (https://lemde.fr/2LvtQZZ) Les accusés de l’AFO n’ont rien subi de ce qui a été infligé à Tariq Ramadan.

Je dois avouer que j’aurais montré moins d’empathie pour Tariq Ramadan si les preuves présentées contre lui par les trois présumées victimes étaient plus solides. La vérité est qu’à ce jour, aucune preuve crédible n’a été dévoilée contre Ramadan. La première plaignante, Henda Ayari, a présenté des récits contradictoires et incohérents, non seulement devant les tribunaux, mais aussi dans ses nombreuses apparitions dans les médias français. Entre autres, elle a menti sur sa relation avec la deuxième plaignante, et sur la coordination de leurs récits d’agression sexuelle contre Ramadan. De plus, il s’est avéré qu’elle a des relations maintenues et de longue date avec les ennemis idéologiques de Ramadan, y compris les islamophobes les plus notoires de France. Plus récemment, elle a reçu le soutien des islamophobes américains, tels que le célèbre Robert Spencer. Plus troublant encore, avec son islamophobie et ses attaques contre les musulmans, Ayari est devenue une célébrité dans les médias français et elle a exploité ses accusations contre Ramadan pour développer sa carrière.

A multiples égards, le cas de la deuxième plaignante (appelée Christelle) est plus alarmant. Il a été prouvé qu’elle était une militante du « suprématisme français blanc ». Ce courant a une longue expérience dans la défense des pogroms génocidaires contre les musulmans en France et en Europe, et semble avoir développé une haine compulsive contre Tariq Ramadan. Comme Ayari, «Christelle» a entretenu une relation de longue date avec Caroline Fourest, l’ennemie jurée de Ramadan et l’auteure de « Frère Tariq », un livre islamophobe publié en 2008. Comme Ayari, son témoignage a été contradictoire, incohérent et sans fondement.

Quant à la troisième accusatrice (appelée Marie), elle ne peut plus être considérée comme une plaignante. Ses accusations étaient tellement faibles que même le tribunal français, qui a jusqu’ici ignoré les incohérences et les contradictions des autres plaignantes, a été forcé de rejeter son cas. Lors de l’audience du 5 juin, l’avocat de Ramadan a présenté de nombreux éléments qui prouvent qu’il s’agissait de mensonge pur et simple. Le cas de (Mounia) est désormais exclu.  Ainsi, Ramadan reste détenu à l’isolement et continue de subir un traitement réservé normalement aux personnes soupçonnées de terrorisme, en raison des accusations non fondées portées par deux plaignantes non crédibles, Ayari et Christelle

Déni de procédure équitable

Permettez-moi d’exprimer mon avis aussi clairement que possible : cette affaire a surtout révélé un problème de discrimination. Aucun autre accusé faisant face à des charges similaires n’a subi le traitement réservé à Tariq Ramadan. Il s’agit incontestablement d’un déni de procédure équitable. Les conditions de sa détention l’empêchent effectivement d’assurer sa défense. Egalement, le lynchage subi par Ramadan et sa famille de la part des médias français s’apparente indéniablement à de la persécution. Il y a des preuves cumulatives qui démontrent que les détracteurs politiques de Ramadan ont conspiré avec les plaignantes pour produire des récits non corroborés et très souvent incohérents et contradictoires d’agression sexuelle.

De plus, l’État Français a été complice de l’exploitation de l’opportunité offerte par les accusations portées par deux femmes très suspectes contre un intellectuel musulman public, qui a pendant des années dérangé le gouvernement français. A l’instar du « Muslim Ban » qui a été récemment validé par la Cour suprême des États-Unis, il existe de nombreuses preuves d’une motivation antimusulmane qui sont commodément ignorées par la justice française. Compte tenu des antécédents de la justice française jusqu’à présent, il est permis de douter que le système français soit en mesure de garantir à quelqu’un comme Tariq Ramadan un procès juste et équitable. Comme la célèbre affaire Dreyfus, chaque jour qui passe, cela ressemble de plus en plus à un assassinat politique et non à un jugement équitable.

Dans l’Affaire Dreyfus, un homme innocent a dû être condamné et emprisonné pendant des années avant que les Juifs français réalisent que les valeurs de la République Française de liberté, égalité et fraternité ne les incluaient pas, et qu’en tant que citoyens, ils avaient un statut de seconde classe. Cependant, l’affaire Dreyfus a permis aux Juifs de France et d’Europe de prendre conscience de la nécessité de revendiquer agressivement la dignité et l’égalité des droits en tant que citoyens, et de ne pas hésiter à exiger leur droit en tant que peuple. L’affaire Dreyfus a également été un événement transformateur dans l’histoire de la communauté juive européenne car elle a convaincu de nombreux intellectuels juifs de devenir conscients de leur identité collective, de leur dignité et de leur solidarité avant de pouvoir espérer obtenir des droits égaux en tant que citoyens.

L’affaire Ramadan a cruellement dévoilé l’impuissance et la fragilité politique des musulmans dans toute l’Europe. Il est légitime de se demander si les musulmans ont conscience de ce terrible constat et ce qu’il faudrait faire le cas échéant. Je dois dire que je ne peux pas résister à la pensée plutôt sombre qu’un peuple qui ne reconnaît pas l’importance de soutenir ses plus brillants penseurs quand ils sont injustement traités et privés de droits fondamentaux, aura du mal à gagner le respect en tant que peuple.

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Israël, où est votre indignation face à la légalisation de l’apartheid ?


Gideon Levy's picture
26 juillet 2018

Des dizaines de milliers de personnes sont venues protester contre la loi sur les mères porteuses. Les Palestiniens et les autres devront attendre leur tour

Environ 80 000 personnes, pour la plupart des jeunes, se sont rassemblées samedi soir sur la place Rabin. La plus grande place de Tel Aviv n’avait pas connu un tel rassemblement depuis longtemps ; certainement rien qui se voulait être une manifestation de contestation.

Le rassemblement a couronné une journée de manifestations au cours de laquelle des milliers de personnes ont défilé dans les rues. Les principales voies de communication ont été brièvement bloquées, et beaucoup de gens se sont mis en grève – la plupart avec la bénédiction de leurs employeurs, y compris certaines des plus grandes compagnies du pays. Après des années sans contestation publique généralisée d’une telle ampleur sur un quelconque sujet, la société israélienne a montré des signes de réveil de son profond sommeil.

Les plus de 160 Palestiniens non armés tués le long de la barrière de Gaza ; le siège cruel de la bande de Gaza ; la discrimination croissante contre les Arabes en Israël ; les défis auxquels sont confrontés les Israéliens handicapés, les demandeurs d’asile africains et les employés des usines israéliennes fermées – aucun de ces sujets n’a su susciter ne serait-ce qu’une fraction de la contestation qui a balayé Israël ce week-end. Loin de là.

Progrès pour la communauté LGBT

Alors qui a réussi à sortir Israël de sa léthargie d’indifférence ? La communauté LGBT. Les Israéliens sont descendus dans la rue, pour la première fois depuis des années, suite à l’exclusion des couples homosexuels (ou des hommes célibataires) de la loi sur la gestation pour autrui adoptée par la Knesset. Cela a provoqué un tollé qui perdure.

La communauté LGBT israélienne a parcouru un long chemin ces dernières années, devenant l’un des groupes les plus branchés, tendances et émancipés. Ses progrès sont le résultat d’un effort prolongé et ses réalisations sont une source de fierté.

Mais il reste encore beaucoup à faire. Les gays, les lesbiennes et les personnes transgenres en Israël font toujours l’objet de discrimination et sont loin de jouir d’une pleine égalité. Ils ne peuvent pas se marier dans leur propre pays et sont encore moqués dans certains cercles de la société. Toutefois, la distance qu’ils ont parcourue pour atteindre leur position actuelle de pouvoir, pour faire partie du consensus israélien, est impressionnante.

Il y a quelque chose de suspect dans cette ruée des entreprises vers la solidarité. Que cherchaient-elles exactement avec cette contestation ? La justice ? L’égalité ? C’est une blague

Des dizaines de grandes sociétés ont donc permis à leurs employés de faire grève dimanche. Elles ont soutenu cette marche par le biais de campagnes de relations publiques réalisées par des professionnels grassement rémunérés. Elles n’en ont pas fait de même pour les handicapés ou pour les demandeurs d’asile et certainement pas pour les Palestiniens sous occupation. Elles savaient que suivre la communauté LGBT était sûr ; l’égalité des droits pour les Israéliens LGBT fait maintenant partie du consensus. Le soutien à la communauté LGBT en Israël est le meilleur moyen d’apaiser sa conscience.

Il y a quelque chose de suspect dans cette ruée des entreprises vers la solidarité. Que cherchaient-elles exactement avec cette contestation ? La justice ? L’égalité ? C’est une blague. Vont-elles maintenant permettre à leurs employés de manifester et de faire grève pour d’autres causes, vont-elles permettre à chaque employé de suivre son cœur ? Encore plus drôle.

Ce sont néanmoins des questions insignifiantes. La communauté LGBT a réussi à engager le secteur économique dans sa lutte ; bravo pour la puissance de sa campagne.

La zone de confort d’Israël

Ce qui reste très important aujourd’hui, c’est l’ordre des priorités pour la société israélienne, sa boussole sociale et morale, sa conscience collective. Israël s’est mis en grève pour une question qui, objectivement, ne figure pas parmi les causes de contestation les plus pressantes – la gestation pour autrui – pour un groupe qui ne figure pas en tête de la liste des marginalisés, opprimés et discriminés dans le pays : la communauté LGBT.

La vérité est qu’aujourd’hui, il existe peu d’autres groupes aussi puissants et ayant d’aussi bonnes relations que la communauté LGBT. Le succès relatif de ce groupe n’indique rien sur son devoir de continuer la lutte pour ses droits, ni sur la justice de son chemin.

Cependant, la grève révèle tout ce qu’il y a à savoir sur la société israélienne, qui a choisi une fois de plus de fuir vers sa zone de confort, où aucun prix n’est à payer pour la contestation, toujours dans le domaine du permis et de l’accepté – où il s’agit seulement d’Israël se sentant bien, améliorant son image, et, surtout, nettoyant les couches de crasse qui souillent sa conscience en raison de ses autres crimes et maladies.

La loi sur la gestation pour autrui a attiré environ 80 000 manifestants à Tel Aviv le 22 juillet 2018 (AFP)

Israël aurait dû faire grève, avec le soutien des principales sociétés du pays, contre la loi sur l’État-nation qui a été approuvée la semaine dernière à la Knesset. Ils auraient dû faire grève en signe de solidarité avec les résidents arabes de ce pays après que la Knesset leur a craché au visage tout en leur remettant un avis législatif officiel : vous êtes des citoyens de seconde zone ici.

Quelle guérison profonde, quelle infusion d’espoir aurait été produite par une grève de cette envergure, par solidarité avec Sakhnin et Nazareth, Umm el-Fahm et Taibeh, et en signe de solidarité avec tous les citoyens arabes d’Israël pour qui la loi sur l’État-nation était un coup bas.

Quelle atmosphère de camaraderie aurait pu s’ensuivre ; quel fruit précieux récolté pour toute la société aurait pu donner une démonstration de solidarité dans ce sens. Toutefois, cela exigerait une dose de courage et une boussole morale claire – deux choses qui manquent parmi les entreprises leaders du pays comme dans la société israélienne dans son ensemble.

Endoctrinés et haineux

Personne ne s’attend plus à ce qu’Israël organise des manifestations de masse contre l’occupation, le siège ou les colonies dans les territoires : presque tout le monde en Israël est trop endoctriné, haineux et anxieux pour le faire.

Peut-être pensaient-ils que s’ils se joignaient à cette lutte relativement plus marginale, leur conscience les troublerait moins à l’avenir. Ou peut-être qu’ils espéraient nettoyer la tache de leurs crimes vraiment importants. Mais c’est une illusion, bien sûr

Cependant, la loi sur l’État-nation, adoptée quelques heures après la loi sur la GPA, est de loin la plus cruciale, fatidique, outrageante et discriminatoire, celle qui exclue le plus. Elle ne prévoit pas de fardeau sur le droit de devenir parents. Elle légifère un fardeau sur l’appartenance à votre propre pays. C’est, pour certains Israéliens, un repère qui marque leur fin de l’appartenance ici. Il signale à tous les Israéliens qu’à partir de maintenant, ils vivent dans un État d’apartheid – non seulement en pratique, mais aussi d’un point de vue législatif.

La direction de cette tendance est également différente. La communauté LGBT est sur la voie du succès. Une autre manifestation, une autre élection et la gestation pour autrui – ce problématique chemin vers la parentalité parfois considéré avec plus de révulsion que la prostitution – sera également approuvée pour les hommes.

À LIRE ► Vous ne nous empêcherez pas de dénoncer le pinkwashing d’Israël

La législation contre les Arabes nous pousse exactement dans la direction opposée. La loi sur l’État-nation est seulement un avant-goût de ce qui va arriver. Il y a une pente glissante évidente droit devant, et rien pour arrêter la chute. Une contestation de masse aurait pu signaler un changement et stopper l’avalanche.

La loi sur l’État-nation intéressait toutefois relativement peu d’Israéliens, et en a fait descendre encore moins dans les rues, bien qu’elle ait dû toucher la conscience de tout Israélien – juif ou arabe – qui se soucie du genre de pays où il vit, du genre de régime sous lequel il vit.

La loi sur l’État-nation a tracé la voie qu’Israël emprunte, définissant par des mots, en droit, ce qu’on savait déjà : Israël est un État d’apartheid, pas seulement dans les territoires occupés, mais dans tout le pays entre le Jourdain et la Méditerranée.

Contestation d’évasion

Ce fait n’a pas indigné la plupart des Israéliens, ni ses chefs d’entreprise ni ses citoyens. Au fond de leur cœur, peut-être, ils savent à quoi tend leur pays, mais n’ont pas le courage de résister au troupeau galopant qui soutient ce gouvernement d’extrême droite.

C’est peut-être pour cette raison que ces entreprises ont si bruyamment soutenu le droit des gays à la gestation pour autrui. Peut-être pensaient-ils que s’ils se joignaient à cette lutte relativement plus marginale, leur conscience les troublerait moins à l’avenir. Ou peut-être qu’ils espéraient nettoyer la tache de leurs crimes vraiment importants. Mais c’est une illusion, bien sûr.

L’incroyable fuite, le déni et la répression d’Israël sont visibles partout : dans l’apathie à propos de l’occupation, dans l’ignorance, dans les mensonges que les gens se racontent, et dans l’indifférence face à ce qui se passe

L’incroyable fuite, le déni et la répression d’Israël sont visibles partout : dans l’apathie à propos de l’occupation, dans l’ignorance, dans les mensonges que les gens se racontent, et dans l’indifférence face à ce qui se passe – et désormais dans les mouvements contestataires.

C’est un phénomène nouveau et fascinant : la contestation pour fuir la réalité. C’est ce qui s’est passé cette semaine en Israël. Imaginez ce que nous aurions pensé si les blancs en Afrique du Sud, à l’époque de l’apartheid, étaient descendus dans la rue pour défendre le droit des hommes à devenir parents grâce à la gestation pour autrui, tandis que la population noire continuait à vivre sous un régime malfaisant. C’est exactement ce qui s’est passé en Israël cette semaine.

Le vrai opprimé peut attendre. Israël participe à la marche des fiertés.

 

– Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal Haaretz. Il a rejoint Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Lauréat du prix Olof Palme pour les droits de l’homme en 2015, il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997 et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Son nouveau livre, The Punishment of Gaza, a été publié par Verso en 2010. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des pro-LGBT participent à une manifestation à Tel Aviv, le 22 juillet 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

Le père Paolo Dall’Oglio – Cinq ans après sa disparition en Syrie


 

Voici ce que j’ai retenu des rencontres auxquelles j’ai assisté à Paris avec le jésuite Paolo Dall’Oglio ou autour de ses idées. Et les traces les plus significatives qu’il a laissées sur la Toile en langue française, du fait de son engagement en faveur des Syriens aspirant à la liberté. Depuis sa disparition le 29 juillet 2013, à Raqqa, dans le nord-est de la Syrie, aucun signe de vie ni aucune preuve de sa mort n’ont été communiqués ni aux autorités italiennes, ni au Vatican, ni à ses proches.

Le 25 septembre 2012 à la mairie du XXe arrondissement à Paris – Les chrétiens de Syrie par le père Paolo Dall’Oglio :

Cet homme est un jésuite italien, qui a restauré de ses propres mains dans les années 80 le monastère Mar Moussa al-Habachi [Saint Moïse l’Abyssin], du XIesiècle, dans le désert au nord de Damas, avec l’aide de jeunes. (À l’époque, l’État donne des permis de résidence à des chrétiens étrangers pour apporter leur aide à la minorité chrétienne). Il est très engagé dans le dialogue interreligieux et unanimement respecté dans l’opposition syrienne, toutes communautés confondues. Contraint de quitter la Syrie, qui était devenue sa deuxième patrie en juin 2012, il ne mâche pas ses mots au point d’irriter certains chrétiens syriens venus se mêler aux opposants syriens de Paris car il ose parler politique : « Le départ de Ben Ali a eu pour nous comme un parfum pascal. Depuis 2005, le régime nous interdisait d’utiliser les mots “société civile” ! Cependant, nous avons tout essayé pour que ce moment advienne.

Au début du soulèvement, j’ai suggéré la création d’un Centre international sur les pathologies politiques et demandé l’envoi de 50 000 acteurs non-violents de la part de la communauté internationale. J’ai aussi prévenu l’ambassadeur de France à Damas Éric Chevallier : il faudra 200 000 morts pour qu’Assad parte. » [Sur ce point, il s’est trompé !]

Monastère de Mar Moussa al-Habachi

suite du long article ici

La flottille de la liberté est en route pour Gaza


Le 21 juillet à 20h, trois bateaux ont quitté Palerme vers Gaza. Ils transportent des médicaments et les bateaux sont destinés aux Gazaouis.

L’UJFP salue cette flottille sur laquelle se trouve l’une de ses membres, Sarah Katz, aux côtés d’une trentaine de personnes.

Gaza est une prison où l’occupant expérimente comment on peut enfermer hermétiquement deux millions de personnes en les bombardant périodiquement et en les assassinant en toute impunité. La flottille rappelle que le blocus de Gaza est une ignominie et que Palestiniens et solidaires se battront sans relâche pour y mettre fin.

Nous saluons la grande diversité présente dans cette flottille qui comprend des femmes et des hommes venu-e-s du Canada, des États-Unis, de Norvège, de Suède, de France, de Malaisie, de Jordanie et aussi d’Israël et de Palestine.v

Nous saluons les responsables politiques ou élu-e-s qui ont accueilli la flottille à l’image du maire de Palerme. Nous saluons les pays (comme la Suède) qui ont rappelé à Israël que l’acte de piraterie qui est en préparation viole le libre droit de navigation et qui demandent la fin du blocus.

Nous dénonçons par contre notre gouvernement qui se tait et la mairie de Paris qui a manifesté une fois de plus sa complicité honteuse avec le gouvernement israélien, en empêchant deux bateaux de la flottille d’accoster à Paris.

Nous appelons les citoyen.ne.s et femmes et hommes politiques français à protéger cette flottille en popularisant partout cet acte de solidarité. Les Gazaouis qui sont régulièrement agressés et bombardés espèrent beaucoup de cette flottille.

Nous nous adressons à nos frères palestiniens. Cette guerre n’est ni religieuse, ni raciale, ni communautaire. Vous demandez la liberté, l’égalité et la justice. Votre lutte et votre résistance concernent toute l’humanité.

Comme association juive, nous nous adressons aux Juifs du monde entier. Le gouvernement israélien ne vous protège pas. Il commet des crimes en votre nom et veut vous forcer à être complice. Il vient de légaliser l’apartheid qui était à l’œuvre depuis bien longtemps. Il vous met en danger délibérément pour vous pousser à émigrer. Nétanyahou fait aujourd’hui comme l’OAS autrefois en Algérie. Rompez avec cette politique criminelle qui tourne le dos à vos valeurs et à votre identité !

Nous nous adressons à toutes les femmes et les hommes de bonne volonté.

Soutenez cette flottille, tenez-vous informés en permanence, popularisez cette action, faites savoir la souffrance et la résistance des Gazaouis, forcez nos grands médias à rompre avec leur silence complice.

Le Bureau national de l’UJFP, le 22 juillet 2018


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Sois un homme’


Le hashtag “Sois un homme’’ fait rage sur les réseaux sociaux et divise la société marocaine. Tahar Ben Jelloun s’invite au débat. Par une série d’anaphores, il explique les significations et les valeurs qu’il confère à l’injonction “Sois un homme’’.

Sois un homme, respecte la femme et sa liberté, son droit et son mode de vie. Laisse-la se vêtir selon son choix, son désir et sa volonté.

Sois un homme, veille à l’éducation de tes enfants. Ne les laisse pas gagner par la rue et ses illusions. Apprends-leur à lire, à réfléchir, à penser, à discuter, à douter et à te contredire.

 

Sois un homme, apprends le vivre-ensemble dans l’harmonie, l’intelligence et la célébration de la culture et de la beauté.

 

Sois un homme, balaie devant ta maison et n’envoie pas la poussière chez les voisins.

 

Si tu habites dans un immeuble, n’oublie pas de payer les charges et baisser le volume de la télévision. Tu n’iras pas t’immiscer dans la vie des autres pour leur imposer avec violence et menace ta vision du monde.

 

Si tu travailles dans un secteur sensible, mène une lutte sans merci contre la corruption sous toutes ses formes, résiste et donne l’exemple d’un citoyen responsable, patriote et courageux. Ne cède jamais; n’achète jamais un droit; ne reçois aucun centime en vue de fermer les yeux sur ce droit qu’on te demande d’ignorer.

 

Si tu es un homme croyant, célèbre avec discrétion les valeurs de ta religion. N’essaie pas de les imposer à ceux qui ne croient pas ou qui ne pensent pas comme toi. Ta prière tu la fais en silence. Les principes religieux doivent rester dans la limite de ta sphère privée. Tu n’essaieras pas de convaincre ton cousin ou ton voisin de l’absolue nécessité de ta religion.

 

N’entre pas dans un parti qui utilise la religion comme un marchepied pour accéder au pouvoir. Non seulement tu t’en éloignes, mais tu le critiques légalement quand tu peux.

 

Sois un homme, va voter le jour des élections. Refuse qu’on achète ta voix. Ne laisse pas les autres décider à ta place.

 

Sois un homme, tends la main au faible, à l’indigent, à celui qui est humilié par la pauvreté. Ne lui fais pas honte.

 

Dans ton travail, tu sais qu’être un homme, c’est être sérieux, être fiable, un homme en qui on fait confiance et qui ne trahit jamais cette confiance.
Le sérieux est le ciment essentiel pour faire de tout être un homme digne.
Sois un homme et respecte les codes: code de la route; code de la courtoisie; code du bon voisinage. En voiture, tu t’arrêteras au feu rouge, tu ne dépasseras pas la ligne droite, tu attendras dans un Stop, tu ne te mettras pas en double file pour discuter avec un copain sans considérer les automobilistes que tu fais attendre pendant que tu tailles une bavette.

 

La politesse et la galanterie sont la base de tout commerce entre humains. Tu donnes le salut au début et à la fin.

 

Sois un homme et ne place pas ton honneur au niveau de ton sexe. Si une personne ne pratique pas la même sexualité que toi, tu l’acceptes et tu ne la juges pas.

 

Sois un homme et débarrasse-toi des préjugés racistes concernant des personnes étrangères, d’une autre couleur de peau, d’une autre langue, d’une autre culture.
Apprends à tes enfants le rejet et la lutte contre la stupidité du racisme.

 

Sois un homme, aime-toi, sois narcissique, (pas trop) car en t’aimant, tu aimeras et respecteras les autres, tu iras vers les autres et tu les accepteras dans leurs différences et leurs diversités.

 

Sois un homme de ton temps. Répudie la nostalgie, car la nostalgie c’est les souvenirs qui s’ennuient. Ne dis pas c’était mieux avant. Regarde devant toi, fais confiance à l’avenir, à la grâce du temps qui nous enlace et nous mène en bateau.
Sois un homme, exigeant, rigoureux, vivant, généreux, solidaire et fou de poésie.
Pourquoi la poésie? C’est la poésie qui sauvera le monde. Pas le fanatisme, l’étroitesse d’esprit, pas la violence et la jalousie, pas la mesquinerie et la petitesse. N’oublie pas, sois un homme aimant la poésie, la vraie, la belle, la grande et sublime. Celle qui fait la vie, la vraie vie.

 

Par Tahar Ben Jelloun