Trio Joubran
[youtube https://youtu.be/0zNxeQkK7DY?]
Un pilote italien a créé la surprise vendredi parmi les employés de la compagnie aérienne italienne Alitalia, après avoir annoncé par haut-parleurs aux passagers : « Bienvenue en Palestine », alors que l’avion a atterri à l’aéroport Ben Gourion à Tel Aviv.
Le porte-parole de la compagnie italienne Orli Sigal a confirmé les faits, précisant que ledit pilote ne pourra plus dorénavant partir vers Israël.
Selon les médias israéliens, l’incident a eu lieu à bord d’un avion en provenance de Rome.
Il s’agit du deuxième incident de ce genre en quelques mois, puisqu’un pilote travaillant dans une compagnie aérienne française a fait la même annonce.
En 2003, un pilote d’Alitalia a dit par haut-parleur : « Bienvenue en Palestine… bonne fête de l’indépendance à la Palestine », alors qu’il s’apprêtait à atterrir dans l’aéroport Ben Gourion.
Les passagers avaient l’air confus devant ces propos inhabituels. Une fois interrogé, le pilote a répondu que « les Israéliens tuent les Palestiniens tous les jours » .(Avec Agences)
Comment ne pas être envahi, submergé, par un puissant sentiment de dégoût mêlé d’abattement ? Ces tueries qui s’accumulent. Au nom, soi-disant, d’une religion, cet islam qui a bon dos…
Il n’y a plus de lieu sûr. Cela s’est passé hier à Sousse, à Koweït-City et près de Lyon, mais cela pourrait être demain – à nouveau – à Bruxelles, à Miami, à Bangkok ou ailleurs. A la veille des vacances pour la majorité des gens. Dégoût et abattement, oui.
Pour la Tunisie, c’est une catastrophe d’ampleur nationale. « Si tu ne viens plus, les terroristes ont gagné », nous disait au téléphone un ami qui habite Sousse où il est né. Il a raison. En même temps, ceux qui ont annulé, qui annulent et qui vont annuler leurs réservations ont de bonnes raisons aussi, hélas !
Les nombreux appels à la solidarité façon « Je vais en Tunisie » qui avaient fleuri sur les réseaux sociaux après l’attentat déjà sanglant du Musée du Bardo à Tunis le 18 mars dernier vont-ils résister à ce nouvel assaut fanatique ? On peut en douter.
Un tweet relevé par notre confrère français Pierre Haski, du site Rue89, en dit long.« Après 4 ans de sacrifices et d’énergie dépensée, le terrorisme va réussir à nous ramener au régime policier », lâchait Farah Hached, présidente du Labo démocratique, une ONG tunisienne. Oui, car la Tunisie, quatre ans après sa révolution et toutes les autres de ce qu’on osa appeler « les printemps arabes », restait seule au firmament des réussites potentielles. Grâce à la vigueur d’une société civile tunisienne mature, décidée et combative.
Il n’existe pas de recette toute faite pour vaincre l’extrémisme religieux. Ni dans le monde musulman ni chez nous. Mais les autorités tunisiennes, par laxisme sinon parfois par complaisance, n’ont pas pris la mesure du danger après la révolution. Les signes n’ont cependant pas manqué. Attentats sanglants contre policiers et soldats perpétrés par des terroristes passés dans le maquis, nombre record de jeunes perdus dans les chimères djihadistes en Syrie : des marqueurs clairs qui auraient dû secouer les décideurs…
Les marges de manœuvre, certes, semblent étriquées. Transition démocratique et préservation des droits et libertés de chacun riment mal avec discriminations régionales et injustices sociales.
Plus globalement, convoquer l’amalgame et le manichéisme sont autant de postures funestes et erronées que les terroristes espèrent imposer par l’effroi. Toutes leurs cibles, à Tunis, Bruxelles et partout ailleurs, sont prévenues.
Les initiateurs de l’association tout récemment créée, le Belgian Academic and Cultural Boycott of Israel (Bacbi), sont on ne peut plus clairs : ils boycotteront toutes les institutions académiques officielles d’Israël tant que ce pays poursuivra sa politique d’occupation et de colonisation, et qu’il s’obstinera à fouler aux pieds le droit international.
En 2005, un groupe d’universitaires et d’artistes palestiniens lançaient le PACBI, le Palestinian Academic and Cultural Boycott of Israel, en tant que composante de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissements et Sanctions, NdlR). BDS a été créée par un important groupe d’organisations du monde associatif palestinien. Aujourd’hui, des universitaires belges s’y joignent par le biais de la création du Belgian Academic and Cultural Boycott of Israel (BACBI).
Patrick Deboosere, professeur à la VUB
« Nous désirons nous joindre à la campagne de boycott, parce qu’un boycott international est le moyen principal, aujourd’hui, qui permettrait de mettre un terme à l’oppression du peuple palestinien par l’Etat d’Israël », explique le professeur Patrick Deboosere (VUB), cofondateur du BACBI. « Comme l’a bien montré en son temps la lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, le boycott est une arme très efficace. Le fait que, récemment, au Parlement israélien, une majorité de droite a approuvé une loi rendant punissable l’appel au boycott, montre clairement à quel point l’on a peur de cette stratégie. »
Comment cette action de boycott est-elle née ?
Patrick Deboosere. En 2009, lorsque nous nous sommes rendus en Palestine en compagnie d’un certain nombre de collègues et d’artistes amis, nous avons été en contact pour la première fois avec des partisans d’un boycott international. Depuis lors, je n’ai plus cessé de soutenir la campagne BDS.
On ne peut pas faire autrement quand on voit la situation sur place. Nous avons tous été profondément touchés par l’injustice incroyable qui règne là-bas. Il suffit de franchir un checkpoint israélien pour ressentir les humiliations et le mépris que doivent subir quotidiennement les citoyens palestiniens.
On y voit l’inégalité dans la façon de traiter les gens, avec la destruction et l’expropriation des terres palestiniennes et la construction de colonies juives illégales. C’est en infraction avec le droit international, mais cela se passe toutefois sous la protection de l’armée israélienne.
Et il y a le mur…
Patrick Deboosere. On le connait évidemment via les photos et les images télévisées. Mais la confrontation sur place est littéralement écrasante. Un vrai mur de l’apartheid, long de plusieurs centaines de kilomètres. L’image seule de la façon dont ce mur passe au beau milieu des faubourgs et des villages qui entourent Jérusalem-Est hallucinante. Et en même temps, on remarque comment, par toutes sortes d’artifices, la construction du mur est également mise à profit pour accaparer plus de terres palestiniennes encore.
Le mur a également annexé de facto Jérusalem-Est et l’a coupé du reste de la Cisjordanie. Le mur traverse littéralement le campus de l’Université al-Quds, ce qui fait qu’aujourd’hui, plus de 13 000 étudiants palestiniens doivent franchir au moins un des 600 check-points israéliens lorsqu’ils quittent leur domicile pour se rendre à l’université.
Avec l’agression contre Gaza en juillet dernier, de plus en plus de collègues se sont adressés à moi pour lancer une initiative en faveur d’un boycott académique. En quelques semaines, il y a du côté palestinien plus de 2 100 tués et plus de 10 000 blessés, en grande majorité des civils, dont de nombreux enfants. Quelque 17 000 bâtiments ont été détruits. Du côté israélien, l’opération a fait 73 morts, dont 66 militaires.
Ca a été une boucherie et la chose a encore été confirmée récemment par les témoignages directs de dizaines de soldats israéliens, avec « Breaking the silence« .
Pourquoi est-il important que des universitaires se joignent à une telle campagne ?
Patrick Deboosere. En tant qu’universitaires, nous devons prendre nos responsabilités. En mars dernier, dans 22 pays, une « Semaine de l’apartheid israélien » a été organisée. Des étudiants de plusieurs universités belges s’y sont ralliés. Entre autres à l‘ULB et à la VUB, cela a provoqué beaucoup de remu-ménage. Des pressions ont été exercées par l’ambassade israélienne afin de supprimer ces activités. L’ULB a menacé de suspension l’organisation estudiantine favorable au boycott. Cela prouve à quel point ils est important que le corps académique lui aussi s’exprime en faveur du boycott international.
En quoi consiste précisément cette action de boycott ?
Patrick Deboosere. Notre déclaration de principe rejoint l’appel palestinien au boycott académique et culturel et, en ce moment, elle a déjà été singée par près de 300 académiques, de toutes les universités et hautes écoles du pays. Depuis que l’appel est en ligne, chaque jour, de nouvelles signatures viennent s’ajouter. (*)
Concrètement, le boycott signifie que nous ne collaborons pas avec les institutions officielles et universités d’Israël et que nous nous opposons à tout subventionnement émanant de l’Europe. Nous voulons que l’Europe résilie tous les accords de collaboration avec Israël et nous appelons dès maintenant à ne pas coopérer avec les universités israéliennes dans le cadre de projets européens. Aujourd’hui, toutes les universités israéliennes sont complices de la politique de racisme, d’apartheid et d’oppression de l’Etat israélien. Toutes, ou à peu près, collaborent au renforcement de l’appareil militaire israélien.
Si une université israélienne devait officiellement se distancier de l’occupation et de la politique d’apartheid, nous serions disposés à collaborer avec cette université. Jusqu’à ce jour, ce n’est malheureusement pas le cas.
Comment réagissent les universitaires en Israël face à un boycott ?
Patrick Deboosere. Il y a certes un certain nombre d’universitaires israéliens courageux qui s’opposent ouvertement à la politique de leur pays. Aussi sommes-nous en faveur d’une collaboration et d’un dialogue avec des universitaires israéliens à titre individuel. Je pense qu’il est très important de continuer à collaborer et à discuter avec nos collègues israéliens.
Ce n’est pas un boycott individuel. Le but est d’accroître la pression sur Israël de sorte que soit mis un terme aux violations du droit international. Cette pression doit également venir de nos collègues israéliens. Nous n’en sommes pas encore là. Nous essayons de développer une médiatisation suffisante afin que nos universités cessent leur collaboration, à l’exemple de la façon dont, aujourd’hui, le mouvement pour le boycott international prend forme dans plusieurs universités américaines ou européennes.
Quelles actions allez-vous entreprendre ?
Patrick Deboosere. Nous avons créé un site internet, www.bacbi.be, et nous espérons que le plus grand nombre possible de nos collègues des universités et des hautes écoles signeront également notre appel. A court terme, l’intention est que les universités cessent de collaborer avec les universités israéliennes.
Le lobby pro-israélien accuse systématiquement d’antisémitisme tous ceux qui expriment des critiques à l’égard d’Israël. Mais, soyons bien clairs : nous sommes opposés à toute forme de racisme et d’antisémitisme.
L’indignation spontanée qu’éprouvent bien des personnes au vu de l’injustice que subit le peuple palestinien doit recevoir un soutien solide de la part du monde académique.
Au sein du BACBI, nous voulons étendre l’action de boycott au secteur culturel. Si des musiciens et des compagnies théâtrales refusent de se produire enIsraël, cela aura un grand retentissement et cela contribuera à accroître encore la pression.
Nous sommes d’ailleurs pas seuls, dans cette campagne. Le boycott académique et culturel s’étend au niveau international. Notre but final est de mettre un terme aux infractions et violations systématiques du droit international par Israël et de contribuer à une paix juste au Moyen-Orient. C’est un travail de longue haleine mais, quand on est fondamentalement du côté de l’injustice et de l’oppression, on finit toujours par perdre.
Le physicien, mathématicien et cosmologiste britannique Stephen Hawking est probablement la personne la plus célèbre à participer au boycott académique contre Israël. Lorsque le président israélien l’a invité pour une conférence, Hawking lui a envoyé une lettre signifiant son refus pour protester contre l’attitude d’Israël dans les territoires palestiniens.
Article publié dans le mensuel du Parti du Travail de Belgique (PTB) « Solidaire« , le 1er juin 2015.
(*) 380 signatures au 18 juin
Mise à jour le Jeudi, 18 Juin 2015 18:43
RDV le dimanche 21 juin à 13h30 à Bruxelles, gare Centrale, pour une grande manifestation de soutien au peuple grec !
En résistant au chantage de leurs créanciers, en refusant de se plier plus longtemps à l’austérité qu’on leur impose depuis cinq ans, en tenant tête à l’Union européenne, au FMI et à la BCE, les Grecs et leurs représentants ne se battent pas seulement pour la Grèce : ils se battent pour chacun de nous, citoyens européens.
Ils se battent, d’abord, pour une autre politique économique en Europe, dont nous bénéficierions tous. Il n’y a pas de solution simple à la crise dans laquelle l’UE — la zone euro en particulier — est embourbée depuis 2009. Mais une chose est désormais claire : l’austérité est un échec. Elle casse la demande, fait exploser le chômage, tire les salaires vers le bas, détruit les services publics, défait la protection sociale, sans réduire l’endettement des États, qu’elle maintient au contraire dans la terreur des marchés financiers. On nous dit : il n’y a pas d’alternative. Celle que propose les Grecs est pourtant simple et raisonnable : non pas la réduction des dépenses publiques mais une fiscalité juste et efficace, le désendettement par la croissance plutôt que par l’austérité, la finance au service de l’économie et celle-ci au service de la société, plutôt que l’inverse.
Ce faisant, les Grecs se battent pour démocratiser l’Union européenne. En refusant de négocier avec la Troïka, en exigeant des interlocuteurs et une négociation politiques, ils rappellent une évidence : il n’est pas acceptable qu’une politique soit imposée à des citoyens européens par des institutions dans lesquelles ils ne sont pas représentés ; exit, donc, le FMI et la BCE.
Au passage, les Grecs réactivent une conception et une pratique du gouvernement que nous avions presque oubliées, nous qui avons été habitués par nos représentants à des engagements qui ne tiennent que le temps d’une campagne électorale, aux promesses trahies, pire : au renoncement avant même d’essayer.
Leur bataille ouvre à d’autres enjeux qui ne sont sans doute pas des moindres. À l’heure où l’extrême droite, suivie par des gouvernements lessivés, mime la guerre des civilisations au sein de l’UE et à ses frontières, les Grecs nous rappellent au seul vrai clivage : celui du partage des richesses. Ils forcent l’UE à choisir entre les intérêts des détenteurs de capitaux et ceux des retraités pauvres, entre les créanciers du nord et les chômeurs du sud, entre une Europe barricadée et l’ouverture aux migrants, qu’elle laisse mourir en Méditerranée. Il y a là une leçon pour ceux qui croient qu’on fait pièce au nationalisme et à la xénophobie en leur emboîtant le pas.
Il ne s’agit donc pas d’apporter aux Grecs notre solidarité, comme à une victime ou à une cause qu’on soutiendrait avec sympathie, mais de l’extérieur et de loin. Il s’agit d’en être solidaires comme on le dit des pièces d’une même machine, des éléments d’un ensemble, de coéquipiers. Il s’agit désormais de se battre avec eux, pour eux et pour nous, pour tous. Il s’agit d’exiger de ceux qui parlent en notre nom dans les instances européennes qu’ils soutiennent le gouvernement d’Alexis Tsipras, et qu’ils comprennent enfin que leur sort, et le nôtre, lui sont liés. Il s’agit d’exiger de l’UE une autre politique, puisque celle dans laquelle elle s’entête nous mène à la catastrophe. L’issue de cette bataille se joue dans les jours qui viennent. Si les Grecs échouent, nous sombrons avec eux.
par la revue Vacarme
RDV le dimanche 21 juin à 13h30 à Bruxelles, gare Centrale, pour une grande manifestation de soutien au peuple grec !
ABONNÉS Publié le mercredi 25 juin 2014 à 12h23 – Mis à jour le mercredi 25 juin 2014 à 12h23
Robert H. King embrasse la pièce mansardée du regard. Il affiche un air las, soupire. On ne sait trop s’il est juste fatigué d’avoir enfilé septante marches d’escalier, pour arriver sous le toit de la maison bruxelloise d’Amnesty International, ou s’il est usé d’être sans cesse renvoyé dans la petite cellule où il a passé vingt-neuf ans en confinement solitaire pour un crime qu’il n’avait pas commis. Sa vie d’homme libre, à Austin (Texas), avec son chien Kenya, le jeune septuagénaire ne la consacre pas qu’à la confection de bonbons. Il se force à retourner mentalement au pénitencier d’Angola, en Louisiane, pour témoigner de son expérience, sensibiliser le public et les autorités aux effets destructeurs et déshumanisants de l’isolement carcéral de longue durée. « Si ce n’est pas de la torture, qu’est-ce que c’est ? »
« Je suis né aux Etats-Unis, né noir, né pauvre. Est-il étonnant que j’aie passé la majorité de ma vie en prison ? » La perspective de revenir aux sources, celles de son enfance, ne l’enchante guère. « Oh God… J’ai tout dit dans mon autobiographie. Vous ne l’avez pas lue ? » (*) Mais plus que parcourir des mots qu’il a commencé à coucher sur papier en prison pour rétablir sa vérité – « on m’a fait passer pour quelqu’un d’incorrigible, mais c’est le système qui est incorrigible ! » -, on aimerait entendre sa voix, le voir s’animer, soutenir un regard qui n’a pu s’évader à plus de trois mètres durant si longtemps.
Un témoin de la ségrégation
« Je suis un enfant d’après-guerre. » La vie de Robert King est imprégnée d’une époque, celle de la ségrégation qui sévissait encore à sa naissance, à Gonzales, le 30 mai 1942. Le gamin ne se sent « pas bien » dans ce monde-là, mais ne se pose pas vraiment de questions. « C’était comme cela. Vous vous acclimatez à votre environnement. Ce n’est que vers sept ou huit ans que j’ai compris qu’il y avait un problème, mais j’étais incapable de l’exprimer clairement. »
Ses premières années, il les passe sous l’aile de sa grand-mère maternelle, Alice, à La Nouvelle-Orléans. « Elle m’a adopté en quelque sorte. J’avais six ans quand j’ai réalisé qu’elle n’était pas ma mère biologique. » Un beau jour, Robert se met en tête de retrouver son père. « Je voulais partager ma vie avec lui. » Alice ne voit pas d’inconvénient à ce que son petit-fils, de treize ans maintenant, soit mieux encadré, mais les deux années qu’il passe à Donaldsonville sont en fin de compte pénibles – papa se révèle violent – et l’adolescent retourne chez sa chère « maman ».
La maison de correction le fiche à vie
À cet âge-là, des rêves, Robert en avait. « Je voulais terminer mes études et devenir professeur », raconte-t-il doucement. « Je pense que j’étais excellent à l’école.Mais je m’y ennuyais. » Il a quinze ans, prend la tangente, lâche les amarres. Avec le recul d’une vie tragique, plus d’un demi-siècle plus tard, il ne regrette aucunement ce choix de teenager, au contraire; qu’on puisse le remettre en cause l’agace. « D’ailleurs, ce que je sais, je l’ai appris hors de l’école. Je pense avoir pris le seul chemin possible dans le contexte dans lequel je vivais. Je n’avais pas le choix. Je devais survivre. »
Alice n’aura pas eu le temps de le voir dériver, son cœur s’arrêtera avant. L’adolescent effectue des petits jobs à gauche à droite, mais commet aussi des larcins. Et vole en maison de correction pour jeunes de couleur à Scotlandville. C’est entre ces murs qu’il se tatoue la main gauche. Les lettres L-O-V-E sur les phalanges et H-A-T-E sur les phalangettes : « l’amour au-dessus, la haine en-dessous ». Une sorte d’insecte sur le dos de la main : « je ne sais pas ce que c’est, cela ne ressemble à rien qui existe ! Certains y ont vu un signe d’appartenance à un gang », s’esclaffe-t-il, alors que « c’était juste pour moi une façon d’être à la mode« . « Ma mère, enfin ma grand-mère, était très croyante, j’ai aussi une croix sur mon bras. »
La prison d’Angola, une « zone de guerre »
Le nom de Robert King gonfle la liste des petits délinquants noirs, fichés par « un système raciste qui a défini ma vie ». Le début de la fin en quelque sorte. Il ne bénéficiera plus jamais, désormais, de la présomption d’innocence : il sera d’office présumé coupable. « Si j’avais eu un rêve, il avait disparu. »
Il a 18 ans à peine lorsqu’il est une première fois envoyé à la prison d’Angola pour une attaque à main armée qu’il assure ne pas avoir commise. « Elle avait été perpétrée par deux personnes, mais nous sommes quatre à avoir été condamnés. Je faisais partie des jeunes Noirs qu’on voulait éloigner des rues. Je n’étais pas une exception dans ma génération, vous savez. » Il est condamné à dix ans de travaux forcés.
Pour les Afro-Américains du sud des Etats-Unis, la prison a remplacé l’esclavage. À Angola, les détenus sont contraints de travailler dans les champs pour 2,5 cents de l’heure. Robert, lui, est affecté en cuisine – c’est là qu’il apprendra à faire des bonbons – et se tourne vers la religion pour survivre dans ce pénitencier réputé pour sa violence extrême. « C’est une zone de guerre », où l’on bat, on viole « le poisson frais », on tue. En sortir sans trop de dommages est « une réalisation en soi ».
Le jeune homme est libéré sur parole en 1965. Il a la vingtaine, la vie devant lui. Il s’installe à La Nouvelle-Orléans, se marie avec Clara – « c’est comme si l’on s’était toujours connu » -, se lance dans la boxe, en semi-pro, sous le nom de « Speedy King ». « Les gens disaient que j’étais bon », dit-il, l’œil fier. Mais l’aventure ne dure pas. Il se fait à nouveau arrêter, alors que sa femme est enceinte de huit mois et demi. « Ma libération conditionnelle a été révoquée et j’ai purgé ma peine jusqu’en 1969 », rapporte-t-il. Le jeune papa n’aura guère eu le temps de voir grandir son fils. Lil’Robert « est mort à cinq ans d’une tumeur »…
Sa conscience politique s’affirme
Ses ennuis avec la police et la justice n’en finiront plus. Robert King est arrêté en février 1970 pour un vol à main armée « que je n’avais pas commis », assure-t-il encore. Peu importe l’absence de preuves, son alibi ou le fait que la victime ne reconnaisse pas, dans ce jeune homme, son agresseur de 40 ans. « Le système légal se soucie peu de culpabilité ou d’innocence, surtout pour les Noirs. Il veut obtenir une condamnation et clore l’affaire. Dans ce processus, on peut être moralement innocent et légalement coupable. » Le voilà condamné à 35 ans de travaux forcés. Un énorme sentiment d’injustice l’envahit. Il tente une évasion, ratée, et prend quelques années supplémentaires.
Au fil des épreuves, « graduellement », il se forge une conscience politique, alors que « je n’étais pas attiré au début ». Les discours de Martin Luther King ne le séduisent pas plus que cela; il se montre plus sensible aux Black Panthers qu’il découvre derrière les barreaux. « C’est le rejet qui nous a mis en contact. » Le parti« articule » sa pensée et lui « permet de tenir le coup ». Lui et ses coreligionnaires organiseront des grèves de la faim et manifesteront pour améliorer les conditions de vie des prisonniers, faire cesser les humiliations quotidiennes – la nourriture jetée sous les barreaux, les fouilles anales systématiques. « D’autant que plusieurs d’entre nous n’avaient rien à faire en prison ! »
Au souvenir de cette lutte, il hausse la voix, s’anime, mitraille ses mots et arguments pour défendre la justesse du combat des panthères noires. « Eh, on était à l’époque du Klu Klux Klan ! » , rappelle-t-il. « Les Black Panthers se battaient pour tout le monde. Je vais vous surprendre, mais j’ai connu des Blancs qui étaient membres du parti ! »
Vingt-neuf années dans 5 m2
Dans son engagement politique les autorités ont tout de suite vu une raison de plus pour le casser. Il est envoyé en cellule de confinement solitaire pour une raison fallacieuse. Le meurtre d’un détenu donnera l’occasion de lui tomber à nouveau dessus. Il est condamné à perpétuité en 1975, sur base d’un faux témoignage.
Robert King devra attendre 1987 pour que l’homme qui l’avait chargé se rétracte; et 2001 pour se retrouver une nouvelle fois face à la justice. « Ils voulaient que je plaide coupable », pour justifier les trente et un ans de prison, dont vingt-neuf en confinement solitaire, qu’il avait dû subir. « J’ai refusé. Ils m’ont alors proposé de plaider coupable de « complot en vue de commettre un assassinat ». Je ne voulais qu’une chose : sortir, rentrer chez moi, c’est-à-dire hors de cette prison. Alors je leur ai dit ce qu’ils voulaient entendre. » Au moment où Robert King doit jurer de dire toute la vérité, il lève la main gauche à la place de la droite. Personne ne le remarque, à part le procureur de district. Leurs regards se croisent, l’homme de loi ne dit rien. Personne n’est dupe.
Robert King est libéré le 8 février 2001 à 16h12. À ce jour, selon Amnesty International, près de 80 000 prisonniers sont incarcérés à l’isolement aux Etats-Unis. Parmi eux, Albert Woodford, Black Panther lui aussi, croupit depuis 40 ans.
« Je n’ai pas l’air fou »
Finalement, Robert King se sera peu épanché sur ses journées seul entre quatre murs. Il concède à se lever de sa chaise pour donner une idée de la taille de sa cellule : « six pieds sur neuf ». Il tend les bras sur le côté, fait trois pas devant lui : 5 m2. « Enfermez-vous quelques jours dans votre salle de bain, vous verrez… » Il n’en est sorti que peu, pour prendre une douche, et enchaîné. Il a lu des livres, commencé à écrire son autobiographie, fait de l’exercice. « Des gens pensent que si l’on peut fumer une cigarette, avoir un stylo et recevoir de la visite, c’est déjà bon… Mais ce n’est pas humain ! », tempête-t-il. « Ce sont les quakers qui avaient inventé le confinement solitaire au XIXe siècle. Mais ils le limitaient à six mois, parce qu’ils pensaient qu’on ne pouvait pas supporter cela plus longtemps sans devenir dingue… » , explique-t-il.
« Moi, on me dit souvent que je n’ai pas l’air fou. » On lui demande aussi régulièrement s’il est possible vivre normalement après une telle épreuve. Robert King prend un air malicieux, joue avec les mots. « Il n’est pas très difficile de retrouver une vie normale, mais on ne peut pas redevenir complètement normal. Quand les gens me posent cette question, je les laisse sans réponse. Je ne vous ai pas dit que je n’étais pas fou. Ni que j’étais sain d’esprit. » Il prend un regard amusé, redevient vite sérieux. « Mais comment voulez-vous vivre une telle épreuve et en sortir sans être affecté ? Quand on passe tant de temps dans une poubelle, on n’en sort pas sans en garder l’odeur. »
(*) « From the Bottom of the Heap. The Autobiography of Black Panther », PM Press, 2008.
Nous sommes tous responsables. Accepteriez vous de payez un mobile 4 ou 6 fois plus cher ? Ou de vous priver de mobile ? Eh non pour rien au monde n’est ce pas !