3 novembre 2010
Réponse à Pascal Bruckner, Bertrand Delanoë, Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy, Yvan Attal, Pierre Arditi, Michel Boujenah, Patrick Bruel et Cie…

3 novembre 2010
Alain Gresh
Alain Gresh
Mardi 2 novembre 2010
Dans le quotidien Le Monde daté du 2 novembre, une trentaine de personnalités signent un appel intitulé « Le boycott d’Israël est une arme indigne ».
Il commence ainsi :
« Une entreprise commence à faire parler d’elle en France, consistant à promouvoir un embargo d’Israël tant dans l’ordre économique que dans celui des échanges universitaires ou culturels. Ses initiateurs, regroupés dans un collectif intitulé Boycott, désinvestissement, sanctions, ne s’embarrassent pas de détails. Au vu de leur charte, tout ce qui est israélien serait coupable, ce qui donne l’impression que c’est le mot même d’Israël que l’on souhaite, en fait, rayer des esprits et des cartes. »
« L’illégalité de la démarche ne fait pas de doute et la justice française ne tardera pas à la confirmer. »
Les signataires font référence à des condamnations prononcées par des tribunaux français sur injonction politique (« Quand la France laisse entrer les produits des colonies et poursuit ceux qui s’y opposent »), contre des militants appelant au boycott. Mais, ce qu’ils oublient de dire c’est que, même d’un point de vue purement juridique, il est parfaitement légal d’appeler au désinvestissement et aux sanctions contre un Etat. Le seul point de litige est celui que soulignait Willy Jackson dans un article du Monde diplomatique (septembre 2009), « Israël est-il menacé par une campagne de désinvestissement ? » :
« S’il fait appel à la liberté de chacun de consommer ou de ne pas consommer, le boycott peut contrevenir à certaines dispositions légales lorsqu’il se transforme en incitation à une action collective. En France, par exemple, l’article 225 alinéa 2 du code pénal modifié par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dispose que toute discrimination qui consiste « à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque » est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ainsi, autant chacun peut librement choisir ce qu’il achète et l’afficher publiquement comme attitude individuelle, autant le fait d’appeler au boycott pourrait tomber sous le coup de cet article. »
Mais même sur ce point, deux remarques s’imposent :
d’abord qu’une grande partie des produits israéliens qui entrent en France comportent une composante qui implique une activité économique dans les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Et que c’est en en permettant l’accès libre de ces produits que le gouvernement français viole le droit international. La Cour de justice de l’Union européenne a adopté le 25 février 2010 une résolution stipulant que les produits originaires de Cisjordanie ne peuvent bénéficier du régime douanier préférentiel de l’accord CE-Israël. Quelles mesures les signataires de cet appel préconisent-ils pour arrêter ce scandale ?
la question que pose le boycott est celle de l’impunité. Comment ne pas comprendre l’indignation devant une occupation qui se poursuit depuis plus de 40 ans sans aucune mesure prise par la communauté internationale contre cette violation du droit international ? Et s’il n’y avait pas eu la flottille de Gaza, le blocus de ce territoire se serait-il (légèrement) assoupli ? Si la société civile n’était pas intervenue, Gaza vivrait encore sous le même blocus (pourtant condamné du bout des lèvres par les Etats-Unis, l’Union européenne, et sans doute la majorité des signataires de ce texte). Les porteurs de valise, qui aidaient le Front de libération nationale algérien violaient la loi, comme la violaient ces Américains qui refusaient de partir au Vietnam.
Les signataires [1] poursuivent :
« Mais la justice sera bien en peine de sanctionner ce qui est essentiel dans cette affaire. C’est pourquoi, nous, associations, citoyens de tous bords, acteurs de la vie de notre pays, tous également attachés à la paix au Moyen-Orient et, donc, à l’avènement d’un Etat palestinien viable et démocratique aux côtés d’Israël, nous sommes convaincus que les boycotteurs se trompent de combat en prenant le parti de la censure plutôt que celui de la paix, celui de la séparation plutôt que celui de la possible et nécessaire coexistence – celui, en un mot, de la haine et non de la parole et de la vie partagées. »
Qui est aujourd’hui, en parole au moins, contre la création d’un Etat palestinien ? Même le président George W. Bush et Benyamin Netanyhou s’y sont ralliés en paroles. Et alors ? Le refus de considérer que l’on a d’un côté un occupant et de l’autre un peuple occupé, d’un côté un Etat puissant de l’autre une Autorité impuissante, fausse tout possibilité de solution.
Il est significatif que ce texte sur la nécessaire coexistence soit publié alors même que le gouvernement israélien cherche à faire adopter un texte pour empêcher les Palestiniens citoyens d’Israël de pouvoir habiter dans des quartiers juifs (lire le texte de Zvi Bar’el, « South Africa is already here », Haaretz, 31 octobre 2010)
« La possibilité de critiquer, même de manière vive, le gouvernement israélien concernant sa politique vis-à-vis des Palestiniens n’est pas ici en cause. Peu de gouvernements sont autant sévèrement jugés, y compris par certains d’entre nous. Mais la critique n’a rien à voir avec le rejet, le déni, et, finalement, la délégitimation. Et rien ne saurait autoriser que l’on applique à la démocratie israélienne un type de traitement qui n’est réservé aujourd’hui à aucune autre nation au monde, fût-elle une abominable dictature. »
Critiquer Israël ? Finkelkraut, Encel et Lévy critiques du gouvernement israélien ? On croit rêver. En pleine guerre de Gaza, ils justifiaient les crimes commis par l’armée israélienne et, encore plus révoltant, Bernard-Henri Lévy pénétrait dans Gaza assis sur la tourelle d’un char israélien. Quant aux signataires membres du Parti socialiste, faut-il rappeler que leur parti est lié au Parti travailliste, qui a mené les guerres au Liban et à Gaza et qui, aujourd’hui, aux côtés d’Avigdor Lieberman, participent au gouvernement de Benyamin Netanyahou ? et que leur parti est resté passif durant l’invasion de Gaza ?
Certains des signataires critiquent peut-être le gouvernement israélien, mais comment cette critique se traduit-elle en actes ? Ne sont-ils pas coupables de non assistance à un peuple en danger ?
Quant à l’argument selon lequel on applique à la démocratie israélienne un traitement qui n’est réservé à aucun autre pays appelle deux remarques :
le fait qu’Israël soit démocratique (pour ses citoyens juifs seulement), ne l’empêche pas de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. La France martyrisant l’Algérie durant la guerre d’indépendance était aussi un pays démocratique. Faut-il s’étonner que les Palestiniens ne fassent pas la différence entre une bombe démocratique et une bombe dictatoriale ?
D’autre part, il est vrai que le traitement du gouvernement israélien est sans équivalent : aucun Etat n’a violé impunément autant de résolutions du conseil de sécurité des Nations unies depuis plus de 40 ans, résolutions votées aussi bien par les Etats-Unis que l’Union européenne.
« D’autant que, de plus, la globalité du rejet et sa bêtise font que l’on emporte dans le même mouvement les forces qui, en Israël, œuvrent jour après jour au rapprochement avec les Palestiniens en sorte que les partisans du boycott sont, aussi, des saboteurs et des naufrageurs d’espérance. »
Oui, il y a des forces en Israël qui luttent avec courage, mais ce ne sont pas celles auxquelles les signataires font allusion : faut-il rappeler que non seulement le Parti travailliste mais aussi le mouvement La Paix maintenant ont justifié les guerres du Liban et celles de Gaza ?
Et le texte se poursuit :
« La paix ne se fera pas sans les Palestiniens. Mais elle ne se fera pas non plus sans les Israéliens. Et moins encore sans les intellectuels et les hommes et femmes de culture qui, quels que soient leur pays d’origine ou leur parti pris politique, travaillent à rapprocher les peuples. Céder à l’appel du boycott, rendre impossibles les échanges, infliger aux chercheurs israéliens, par exemple, ou aux écrivains on ne sait quelle punition collective, c’est abandonner toute perspective de solution politique au conflit et signifier que la négociation n’est plus dans le champ du possible. »
L’argument est repris sans cesse pour affirmer qu’on ne peut pas boycotter la culture. Rappelons d’abord que la coopération culturelle et scientifique entre Israël et l’Union européenne concerne avant tout des laboratoires et des universités qui participent directement au complexe militaire israélien. Quant à l’argument sur le boycott des livres ou du cinéma, je renvoie à la polémique autour des cinémas Utopia (« Yann Moix et Le Figaro condamnés »).
Conclusion des signataires :
« Nous n’acceptons pas cet aveu d’échec. Nous pensons que notre rôle est de proposer un chemin de dialogue. C’est pourquoi, nous, signataires, sommes résolument contre le boycott d’Israël et pour la paix – et, précisément, contre le boycott parce que nous sommes pour la paix. »
Mais de quel dialogue, de quelle paix parle-t-on ? Qui pourrait être contre la paix ? Les questions qui se posent sont pourtant simples et devraient interpeller les signataires : la paix est-elle possible avec l’occupation et la colonisation ? Comment obtenir la fin de la colonisation qu’ont poursuivie depuis 1967 tous les gouvernements israéliens sans exception ? Comment mettre fin à l’occupation ? Le mouvement de boycott-désinvestissement-sanction (BDS) représente la réponse de la société civile à l’impuissance de la communauté internationale et pose une simple question : Israël se retirera-t-il des territoires occupés s’il n’y a aucune pression, aucune sanction ? La réponse, pour tout observateur de bonne foi, est non. En ne faisant rien, les signataires sont les complices non seulement de la politique d’occupation mais aussi de la poursuite de l’impasse avec tous les risques qu’elle fait peser sur l’avenir de la région.
Notes
[1] La liste des signataires :
Yvan Attal, comédien ; Pierre Arditi, comédien ; Georges Bensoussan, historien ; Michel Boujenah, comédien ; Patrick Bruel, comédien et chanteur ; Pascal Bruckner, essayiste ; David Chemla, secrétaire général de JCALL, ; Bertrand Delanoë, maire de Paris ; Frédéric Encel, géopolitologue ; Alain Finkielkraut, philosophe ; Patrick Klugman, avocat ; François Hollande, député (PS) de Corrèze ; Georges Kiejman, avocat ; Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris ; Bernard-Henri Lévy, philosophe ; Mohamed Sifaoui, essayiste ; Yann Moix, écrivain ; Bernard Murat, directeur de théâtre ; Jean-Marie Le Guen, député ; Pierre Lescure, directeur de théâtre ; Serge Moati, journaliste ; Daniel Racheline, vice-président de JCALL ; Arielle Schwab, présidente de l’UEJF ; Dominique Sopo, président de SOS-Racisme ; Gérard Unger, président de JCALL ; Manuel Valls, député-maire d’Evry ; Michel Zaoui, avocat.
On comparera cette liste à celle des personnalités qui se sont prononcées contre l’inculpation de Stéphane Hessel, Alima Boumediene-Thiery et tous ceux qui ont été mis en cause dans la campagne de boycott]. On notera, parmi elles, Michel Rocard, Laure Adler, Raymond Aubrac, Etienne Balibar, Jean Baubérot, Miguel-Angel Estrella, Eva Joly, Jean Lacouture, Noël Mamère, François Maspero, etc.
Ramallah (Ma’an) – Le ministre des Affaires des Prisonniers de l’Autorité palestinienne, Issa Qaraqe, vient de publier une nouvelle information sur des cas d’enfants torturés lors d’interrogatoires par les Israéliens.
Il en fait l’annonce la veille d’une publication, par un groupe israélien des droits de l’homme, accusant Israël « d’autoriser les sévices contre les personnes interrogées », et ce, dans au moins un centre de détention, à Petah Tikva, dans le centre d’Israël.
Qaraqe évoque le cas de deux écoliers de 6ème, âgés de 13 ans, Muhammad Tare Abdul Latif Mukhaimar et Muhammad Nasser Ali Radwan, de Beit Ur At-Tahta, une ville dans le centre de la Cisjordanie. Tous les deux ont été arrêtés par les forces israéliennes en juillet, indique-t-il, et ils ont raconté leurs tortures à des officiels.
Mukhaimar et Radwan disent qu’ils ont été pris par les gardes-frontières qui patrouillaient sur la route nationale 443, une route précédemment réservée aux colons, et où de nouveaux check-points avaient été installés, jusqu’à ce qu’un tribunal israélien décide qu’elle devait être ouverte aux Palestiniens. Une fois qu’il a été obligé de monter dans le véhicule de la patrouille, Mukhaimar dit qu’il a été frappé à coups de pieds dans les jambes et à coups de crosses de fusil, jusqu’à ce qu’il s’écroule sur le plancher. Le garçon dit qu’alors ils lui ont bandé les yeux et l’ont emmené au centre de détention.
Selon le rapport commun de B’Tselem et de HaMoked, des témoignages apportés par 121 détenus « indiquent qu’il s’agit d’un cadre manifeste de l’activité par les autorités » qui « constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant ».
Enfermé dans le même centre de détention que celui évoqué par le rapport, Mukhaimar raconte que lui et Radwan ont enfermés tout nus dans les W.C. et qu’ils y ont été laissés pendant deux jours avec des jets d’air conditionné. Ils avaient tellement soif, dit-il, que lui et Radwan buvaient l’eau de la cuvette. Chaque fois qu’ils étaient pris par le sommeil, des gardes cognaient dans la porte des toilettes et les réveillaient, ajoute-t-il. « Le plus terrible, c’est quand les soldats sont entrés dans les W.C., qu’ils ont pissé sur nous, sans se servir des toilettes, » dit Mukhaimar, ajoutant que l’un des soldats a même filmé la scène.
Les deux disent qu’après avoir passé au moins 48 heures dans les toilettes, ils furent transférés au centre de détention de la colonie Binyamin, où ils furent interrogés de 22 h à 3 h du matin. Ils furent alors emmenés à la prison d’Ofer pour trois mois, puis à la prison de Remonim, où ils restèrent en attendant leur procès.
Les témoignages de ces deux enfants sont dans la droite ligne des révélations contenues dans le rapport des organisations des droits de l’homme, disant que les infractions commises à l’encontre des détenus « commencent dès leur arrestation et se poursuivent jusqu’à ce que les détenus soient transférés hors du centre ».
Selon les témoignages recueillis, « dans ces violations, il faut inclure les conditions cruelles de détention dans des cellules hermétiques, la mise à l’isolement, des conditions d’hygiène honteuses, les mains menottées continuellement dans les salles d’interrogatoire, la privation de sommeil, et d’autres méthodes qui cherchent à faire mal aux détenus, physiquement et moralement. »
« 9% des témoins racontent que ceux qui les interrogeaient utilisaient la violence physique contre eux dans les salles d’interrogatoire. »
Le rapport note que « l’usage de l’une de ces méthodes, associée à d’autres certainement, constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant et, dans certains cas, une torture. Tous sont strictement interdits par le droit international, et le droit israélien. »
Qaraqe indique encore que le ministère allait déposer plainte contre les soldats impliqués dans les tortures contre Mukhaimar et Radwan, et que les sévices avaient été dénoncés lundi lors de la réunion du cabinet de l’Autorité palestinienne.
Une déclaration du cabinet dit que « les pratiques et les mesures répressives des autorités de l’occupation » contre les enfants sont « une violation du droit international, des conventions des droits de l’homme relatives à l’enfance. » Les ministres invitent les institutions des droits de l’homme et les Nations unies à « s’engager dans un travail juridique et humanitaire pour protéger nos enfants et nos prisonniers des pratiques israéliennes brutales à leur encontre les prisons et les centres de détention ».
L’Etat autorise les sévices
Le rapport des groupes des droits de l’homme conclue cependant qu’il n’y a guère d’espoir de justice à attendre des tribunaux israéliens.
Depuis 2001, note le rapport, « des Palestiniens, interrogés par les agents des services de sécurité israéliens, ont déposé 645 plaintes devant le ministère de la Justice contre la façon dont ils avaient été interrogés. Pas une seule de ces plaintes n’a abouti à une enquête pénale contre l’interrogateur ».
Les organisations des droits de l’homme disent que l’usage constant de la torture et de sévices contre les détenus palestiniens est justifié pour l’Etat, lequel « prétend que ces actions sont nécessaires pour contrer les actes graves de terrorisme ».
Cependant, des analystes et les organisations disent que « cette allégation ne justifie pas la violation de l’interdiction absolue de torture et traitement cruel, inhumain et dégradant, » et ils ajoutent que « les tentatives d’Israël à détourner le débat public vers ce qu’il appelle ‘le dilemme de la bombe à retardement’ sont artificielles ».
Les analystes citent les témoignages de détenus comme Mukhaimar et Radwan qui n’étaient pas suspectés d’infractions graves. Certains des témoins, interrogés pour le rapport, étaient accusés d’actes de nature politique ou religieuse, et les peines de prisons allaient de quelques mois à deux ans maximum.
« Les sévices contre les détenus se poursuivent après la fin de l’interrogatoire, » continue le rapport, qui « réfute l’allégation selon laquelle les méthodes d’interrogatoire sont choisies avec l’intention de contrer des actes de terrorisme. »
http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=329707
traduction : JPP