La sauvagerie de l’impérialisme états-unien


Noam Chonsky

Vendredi 10 décembre 2010

1. L’empire des États-Unis, le Moyen-Orient et le monde

Il est tentant de reprendre depuis le début. Le début c’était il y a bien longtemps, mais il est utile de revoir certains points d’histoire qui pourront être comparés à la politique actuelle des États-Unis au Moyen-Orient. Les États-Unis sont un pays très particulier par bien des aspects. Ils sont probablement le seul pays au monde qui soit né empire. C’était un empire enfant – comme George Washington l’a appelé –, et les Pères fondateurs étaient très ambitieux. Le plus libéral d’entre eux, Thomas Jefferson, pensait que l’empire enfant devait s’étendre davantage et devenir le « nid » à partir duquel le continent entier serait colonisé. Cela signifiait se débarrasser des « rouges », les Indiens, lesquels ont effectivement été déplacés ou exterminés. Les Noirs devaient être renvoyés en Afrique dès qu’on n’aurait plus besoin d’eux et les Latins seraient éliminés par une race supérieure.

La conquête du territoire national

Les États-Unis ont été un pays très raciste pendant toute leur histoire, et pas seulement à l’encontre des Noirs. Les idées de Jefferson étaient assez communes, les autres étaient globalement d’accord avec lui. C’est une société de colons. Le colonialisme de peuplement c’est ce qu’il y a de pire comme impérialisme, le genre le plus sauvage parce qu’il requiert l’élimination de la population indigène. Ce n’est pas sans relation, je crois, avec le soutien automatique des États-Unis à Israël, qui est aussi une société coloniale. La politique d’Israël d’une certaine façon fait écho à l’histoire états-unienne, en est une réplique. Et, il y a plus, les premiers colons aux États-Unis étaient des fondamentalistes religieux qui se considéraient être des enfants d’Israël répondant au commandement divin de peupler la terre et de massacrer les Amalécites, etc. C’est tout près d’ici, les premiers colons, au Massachusetts.

Tout cela était fait avec les meilleures intentions. Ainsi, par exemple, le Massachusetts (le Mayflower et toute cette histoire) à reçu sa Charte de la part du roi d’Angleterre en 1629. La Charte chargeait les colons de sauver les populations locales des affres du paganisme. D’ailleurs si vous regardez le sceau de la Bay Colony du Massachusetts vous voyez un Indien qui tient une flèche pointée vers le bas en signe de paix. Et devant se bouche il est écrit « Come over and help us » [« Venez et aidez-nous »]. C’est l’un des premiers exemples de ce qu’on appelle aujourd’hui l’interventionnisme humanitaire. Et ce n’est qu’un exemple, il y a bien d’autres cas au cours de l’histoire, et cela dure jusqu’à nos jours. Les Indiens demandaient aux colons de venir et de les aider et les colons suivaient gentiment le commandement leur demandant de venir et de les aider. En fait nous les aidions en les exterminant.

Après coup on a trouvé ça bizarre. Dans les années 1820, un membre de la Cour suprême a écrit à ce propos. Il dit qu’il est assez étrange que, malgré toute notre bienveillance et notre amour pour les Indiens, ils dépérissent et disparaissent comme les « feuilles d’automne ». Comment était-ce possible ? Il a fini par en conclure que la volonté divine est « au-delà de la compréhension humaine ». C’est simplement la volonté de Dieu. Nous ne pouvons pas espérer comprendre. Cette conception – appelée le providentialisme – selon laquelle nous suivons toujours la volonté de Dieu existe encore aujourd’hui. Quoi que nous fassions nous suivons la volonté de Dieu. C’est un pays extrêmement religieux, unique en son genre en matière de religiosité. Une grande partie de la population – je ne me souviens plus du chiffre, mais il est assez élevé – croit littéralement ce qui est écrit dans la Bible. Le soutien total à Israël est l’une des conséquences de tout cela, parce que Dieu a promis la terre promise à Israël. Donc nous devons les soutenir.

Les mêmes personnes – une part importante des plus importants défenseurs d’Israël – sont des anti-sémites, parmi les plus extémistes du monde. À côté d’eux Hitler semble assez modéré. Leur perspective est l’élimination des Juifs après Armageddon. Il y a tout un tas d’histoires à ce propos, lesquelles sont crues, littéralement, jusqu’à un très haut niveau – probablement des gens comme Reagan, George W. Bush, et d’autres. Cela n’est pas sans lien avec l’histoire colonialiste du sionisme chrétien – il précède le sionisme juif, et il est beaucoup plus puissant. C’est l’une des raisons qui expliquent le soutien automatique et inconditionnel à Israël.

La conquête du territoire national est une histoire assez laide. Certaines des personnes les plus honnêtes l’ont reconnu, comme John Quincy Adams, qui était l’un des grands stratèges de l’expansionnisme – le théoricien de la Destinée manifeste, etc. À la fin de sa vie, longtemps après ses propres crimes, il se lamentait sur le sort de ceux qu’il appelait « la malheureuse race des indigènes américains, que nous exterminons sans pitié et avec une perfide cruauté ». Il a dit que ce serait l’un des péchés pour lesquels le Seigneur allait nous punir. Nous attendons encore.

Ses idées sont jusqu’à nos jours tenues en haute considération. Il y a un livre de référence, universitaire, écrit par John Lewis Gaddis, un grand historien états-unien, qui concerne les racines de la doctrine Bush. Gaddis, avec raison, présente la doctrine Bush comme héritière de la grande stratégie de John Quincy Adams. Il dit que c’est un concept qui existe tout au long de l’histoire des États-Unis. Il en fait l’éloge, il considère que c’est la conception correcte – nous devons assurer notre sécurité, l’expansion est le moyen de la sécurité, et vous ne pouvez pas vraiment assurer votre sécurité sans tout contrôler. Donc nous devons nous déployer, non seulement dans l’hémisphère, mais partout dans le monde. C’est la doctrine Bush.

Au moment de la Deuxième Guerre mondiale, sans entrer dans les détails… Bien que les États-Unis aient été depuis longtemps et de loin le pays le plus riche du monde, ils jouaient un rôle secondaire sur la scène mondiale. L’acteur principal c’était la Grande-Bretagne – et y compris la France avait une plus grande présence dans le monde. La Deuxième Guerre mondiale a changé tout cela. Les stratèges états-uniens durant la Deuxième Guerre mondiale, les planificateurs de Roosevelt, ont dès le début de la guerre très bien compris qu’au bout du compte les États-Unis allaient se retrouver dans une position de supériorité absolue.

Alors que la guerre se déroulait – les Russes terrassaient les Allemands, ils ont à ce moment presque gagné la guerre en Europe – on avait compris que les États-Unis seraient dans une position de domination encore plus nette. Et ils ont donc élaboré des plans pour la configuration du monde de l’après-guerre. Les États-Unis auraient le contrôle total d’une zone qui comprendrait l’hémisphère occidental, l’Extrême-Orient, l’ex-Empire britannique, la plus grande partie possible de l’Eurasie, incluant donc l’Europe occidentale et son importante infrastructure commerciale et industrielle. C’est le minimum. Le maximum c’est le monde entier ; et bien entendu c’est ce dont nous avons besoin pour notre sécurité. Dans cette zone les États-Unis auraient le contrôle incontesté et empêcheraient tous les pays d’aller vers davantage de souveraineté.

Les États-Unis se trouvent à la fin de la guerre dans une position de domination et de sécurité sans équivalent dans l’histoire. Ils ont la moitié de la richesse mondiale, ils contrôlent tout l’hémisphère occidental et les deux rives des deux océans. Ce n’était pas un contrôle total. Les Russes étaient là et il y avait encore quelques parties hors de contrôle, mais l’expansion avait été remarquable. Juste au centre se trouvait le Moyen-Orient.

Adolf A. Berle, une personnalité libérale, qui fut très longtemps le conseiller du président Roosevelt, mettait l’accent sur le fait que contrôler le pétrole du Moyen-Orient signifierait dans une bonne mesure contrôler le monde. Cette doctrine reste inchangée, elle est encore en vigueur actuellement et c’est l’un des facteurs essentiels pour décider des orientations politiques.

Après la Deuxième Guerre mondiale

Durant la Guerre froide les décisions politiques étaient invariablement justifiées par la menace russe. C’était dans une bonne mesure une menace fictive. Les Russes géraient leur propre petit empire avec un prétexte similaire, la menace états-unienne. Ce rideau de fumée n’existe plus depuis la chutte de l’Union soviétique. Pour ceux qui veulent comprendre la politique étrangère de États-Unis, un point qui de toute évidence devrait être observé c’est ce qui est arrivé après la disparition de l’Union soviétique. C’est naturellement le point qu’il faut observer, et il s’ensuit presque automatiquement que personne ne l’observe. On en parle à peine dans la littérature universitaire alors qu’il est évident que c’est ce que vous devez regarder pour comprendre la Guerre froide. En fait si vous regardez vous obtenez des réponses tout à fait claires. Le président à l’époque était George Bush I. Immédiatement après la chute du mur de Berlin, il y a eu une nouvelle stratégie de sécurité nationale, un budget de la défense, etc. C’est très intéressant. Le message principal est le suivant : rien ne va changer sauf les prétextes. Donc nous avons encore besoin, disaient-ils, d’une force militaire gigantesque, non pas pour nous défendre des hordes russes parce que ça n’existe plus, mais à cause de ce qu’ils ont appelé la « sophistication technologique » de certains pouvoirs dans le Tiers monde. Maintenant si vous êtes une personne bien éduquée, bien formée, qui vient de Harvard, etc., vous n’êtes pas supposé rire quand vous entendez ça. Et personne n’a ri. En fait je pense que personne n’en a rendu compte. Donc, disaient-ils, nous devons nous protéger de la sophistication technologique des puissances du Tiers monde et nous devons maintenir ce qu’ils ont appelé la « base industrielle de la défense » – un euphémisme pour parler de l’industrie high-tech (les ordinateurs, Internet, etc.), qui dépend principalement du secteur étatique, sous le prétexte de la défense.

Concernant le Moyen-Orient… Ils disaient que nous devions maintenir nos forces d’intervention, la plupart d’entre elles au Moyen-Orient. Puis vient une phase intéressante. Nous devons faire barrage pour contenir l’ennemi. Nous devons maintenir les forces d’intervention au Moyen-Orient pour défendre nos intérêts, la région qui « ne pouvait pas être offerte en cadeau au Kremlin ». En d’autres termes, désolés les gars, nous vous avons menti pendant 50 ans, mais maintenant que le prétexte n’existe plus, nous vous dirons la vérité. Le problème au Moyen-Orient est ce qu’on appelle le nationalisme radical. « Radical » signifie simplement indépendant. C’est un terme qui signifie « ne suit pas les ordres ». Le nationalisme radical peut être de différentes sortes. L’Iran en est un bon exemple.

La menace du nationalisme radical

En 1953 la menace iranienne c’était un nationalisme laïque. Après 1978 c’est le nationalisme religieux. En 1953 on a renversé le régime parlementaire et on a installé un dictateur beaucoup plus à notre goût. Ce n’était pas un secret. Le New York Times, par exemple, dans un éditorial, se réjouissait du renversement du gouvernement iranien, estimant qu’il s’agissait d’une bonne « leçon de choses » pour les petits pays qui devenant fous, emportés par le nationalisme radical, rejettent toute autorité et veulent contrôler eux-mêmes leurs ressources. Ce sera une leçon de choses pour eux : n’essayez pas ce genre de bêtises, et certainement pas dans cette région dont nous avons besoin pour contrôler le monde. C’était en 1953.

Depuis le renversement du tyran imposé par les États-Unis en 1979 l’Iran a continuellement été attaqué par les États-Unis. Au début Carter a essayé de répondre au renversement du shah en organisant un coup d’État. Ça n’a pas marché. Les Israéliens – l’ambassadeur… il y avait des relations très proches entre Israël et l’Iran sous le shah, bien que théoriquement il n’y eût pas de relations formelles – ont fait savoir que si nous pouvions trouver des officiers disposés à tuer 10 000 personnes dans les rues, nous pourrions rétablir le régime du shah. Zbigniew Brzezinski, le conseiller de Carter à la sécurité nationale, avait à peu près les mêmes idées. Mais ça n’a pas vraiment marché. Les États-Unis ont alors immédiatement soutenu Saddam Hussein, pour qu’il envahisse l’Iran. Et ce n’est pas une mince affaire. Des centaines de milliers d’Iraniens ont été massacrés. Les gens qui sont à la tête de l’Iran actuellement sont des vétérans de cette guerre et ils ont une claire conscience du fait que l’ensemble du monde est contre eux – les Russes, les États-Uniens, tout le monde soutenait Saddam Hussein, tout le monde voulait renverser le nouvel État islamique.

Ce n’est pas peu de choses. Le soutien des États-Unis à Saddam Hussein est allé très loin. Les crimes de Saddam – comme le génocide d’Anfal, massacre de Kurdes – étaient niés. Le gouvernement Reagan les démentait et les attribuait à l’Iran. À l’Irak on a même donné un privilège rare. C’est le seul pays, avec Israël, qui a pu attaquer un navire états-unien et s’en sortir impunément. Dans le cas d’Israël c’était le USS Liberty en 1967. Dans le cas de l’Irak c’était le USS Stark en 1987 – un navire qui appartenait à la flotte états-unienne protégeant les convois irakiens des attaques iraniennes pendant la guerre. Ils ont atttaqué le navire avec des missiles français, ils ont tué plusieurs dizaines de marins – et ils n’ont reçu qu’une petite tape sur la main, rien de plus.

Le soutien des États-Unis était tel que c’est quasiment eux qui ont remporté la guerre pour l’Irak. Une fois la guerre finie, le soutien des États-Unis à l’Irak a continué. En 1989 George Bush I a invité des ingénieurs nucléaires irakiens aux États-Unis, pour qu’ils reçoivent des formations de pointe dans le domaines des armes nucléaires. C’est l’une de ces petites choses qu’on cache parce que quelques mois plus tard Saddam est devenu un mauvais garçon. Il a désobéi aux ordres. Juste après cela il y a eu de terribles sanctions, etc.

La menace iranienne

Pour en revenir à notre époque, dans la littérature sur la politique étrangère et dans les commentaires généraux ce que vous lisez généralement c’est que le problème le plus important pour les États-Unis était et reste la menace iranienne. Qu’est-ce que c’est que cette menace iranienne au juste ? Nous disposons d’une source qui fait autorité sur ce point. C’était il y a quelques mois : un compte rendu au Congrès des États-Unis émanant du département de la défense et des services d’intelligence. Tous les ans ils font un compte rendu au Congrès sur la situation mondiale en matière de sécurité. Le dernier compte rendu, celui d’avril dernier, comporte une partie qui concerne l’Iran, bien sûr, la plus grande menace. Il est important de lire ce compte rendu. Ce qu’ils disent c’est que, quoi qu’il en soit de la menace iranienne, ce n’est pas une menace militaire. Ils disent que les dépenses militaires iraniennes sont plutôt basses, y compris si on les compare aux pays de cette région ; et si on les compare à celles des États-Unis, elles sont insignifiantes – probablement moins de 2% de nos dépenses militaires. Par ailleurs ils disent que la doctrine militaire iranienne est basée sur le principe de la défense du territoire national, elle est conçue pour contenir une invasion pendant un temps suffisant pour rendre possible le passage à l’action diplomatique. Voilà la doctrine militaire des Iraniens. Ils disent qu’il est possible que l’Iran pense aux armes nucléaires. Ils ne vont pas plus loin que cela, mais ils disent que si les Iraniens développaient des armes nucléaires ce serait dans le cadre de leur stratégie défensive, afin de prévenir une attaque, ce qui est une éventualité assez réaliste. Le plus grand pouvoir militaire de l’histoire – c’est-à-dire nous –, qui leur a toujours été extrêmement hostile, occupe deux pays frontaliers de l’Iran et menace ouvertement d’attaquer ce pays. Israël, État client des États-Unis, lance les mêmes menaces. Voilà pour le côté militaire de la menace iranienne telle qu’identifiée dans le Military Balance.

Ils disent par ailleurs que l’Iran est une menace majeure parce que ce pays tente d’étendre son influence dans les pays voisins. On appelle cela déstabilisation. Ils œuvrent à la déstabilisation dans les pays voisins en tentant d’augmenter leur influence et cela est un problème pour les États-Unis, parce que les États-Unis tentent d’apporter la stabilité. Lorsque les États-Unis envahissent un pays c’est pour apporter la stabilité – un terme technique dans la littérature des relations internationales qui signifie obéissance aux ordres des États-Unis. Donc lorsque nous envahissons l’Irak ou l’Afghanistan, c’est pour créer de la stabilité. Si les Iraniens essaient d’accroître leur influence, juste chez leurs voisins, c’est déstabilisant. Cette doctrine, comme tant d’autres, est élaborée dans les universités. Un commentateur libéral et ex-éditeur de Foreign Affairs, James Chase, a même pu dire sans crainte du ridicule que les États-Unis devaient déstabiliser le Chili d’Allende pour apporter la stabilité – c’est-à-dire la soumission aux États-Unis.

Qu’est-ce que le terrorisme ?

La deuxième menace iranienne c’est le soutien au terrorisme. Qu’est-ce que le terrorisme ? On nous donne deux exemples du soutien de l’Iran au terrorisme : son soutien au Hezbollah libanais et son soutien au Hamas palestinien. Quoi que vous pensiez du Hezbollah et du Hamas – vous pensez peut-être que c’est ce qu’il y a de pire au monde –, qu’est-ce qui fait qu’on les considère terroristes ? Bon, le « terrorisme » du Hezbollah est fêté tous les ans au Liban le 25 mai, fête nationale libanaise qui célèbre l’expulsion des envahisseurs israéliens du Liban en 2000. La résistance du Hezbollah et sa guerre de guérilla avaient fini par obliger Israël à se retirer du Sud-Liban, mettant fin à une occupation de 22 ans, avec son lot de terreur, de violence, de torture – occupation maintenue en violation des ordres du Conseil de sécurité de l’ONU.

Donc Israël a finalement quitté le Liban et c’est le jour de la Libération au Liban. Voilà globalement ce qui est considéré comme le terrorisme du Hezbollah. C’est comme ça qu’il est décrit. En fait, en Israël c’est même décrit comme une agression. Vous pouvez lire la presse israélienne ces jours-ci et des politiciens de premier plan disent que c’était une erreur de se retirer du Sud-Liban parce que cela permet à l’Iran de poursuivre son « agression » contre Israël, agression qui a commencé en 2000 avec le soutien à la résistance contre l’occupation israélienne. C’est considéré comme une agression contre Israël. Ils ont les mêmes principes que les États-Unis, nous disons la même chose. Voilà pour le Hezbollah. Il y a d’autres actes que vous pourriez critiquer, mais voilà ce qu’est le terrorisme du Hezbollah.

Un autre crime commis par le Hezbollah c’est que la coalition dont il est l’élément principal a largement emporté les dernières élections parlementaires ; mais en raison du principe communautariste qui prévaut pour l’assignation des sièges ils n’ont pas reçu la majorité des sièges. Thomas Friedman [du New York Times] a donc versé des larmes de joie, comme il l’a lui-même expliqué, lors de ces merveilleuses élections libres au Liban, le président Obama ayant battu le président iranien Ahmadinejad. D’autres se sont joints à cette célébration. Autant que je sache personne n’a rendu compte des véritables résultats électoraux.

Et le Hamas ?

Hamas est devenu une menace sérieuse – une organisation terroriste importante – en janvier 2006 lorsque les Palestiniens ont commis un crime vraiment grave. C’était au moment des premières élections libres jamais tenues dans le monde arabe et les Palestiniens ont voté comme il ne fallait pas. C’est inacceptable pour les États-Unis. Immédiatement, sans la moindre hésitation, les États-Unis et Israël ont fait savoir qu’ils prenaient la décision de punir les Palestiniens pour ce crime. Juste après vous avez pu lire dans le New York Times deux articles qui se côtoyaient – l’un des deux parlant de notre amour pour la démocratie, ce genre de choses, et l’autre parlant de nos projets de punition contre les Palestiniens parce qu’ils avaient mal voté aux élections de janvier. Aucune contradiction.

Les Palestiniens avaient dû subir bien des punitions avant les élections, mais elles ont été accentuées après – Israël est allé jusqu’à couper l’alimentation en eau à la bande de Gaza, si aride. Au mois de juin Israël avait déjà lancé 7 700 roquettes sur Gaza. Tout cela s’appelle défense contre le terrorisme. Puis les États-Unis, et Israël, avec la coopération de l’Autorité palestinienne, ont essayé d’organiser un coup pour renverser le gouvernement élu. Ils ont échoué et le Hamas a pris le contrôle de Gaza. Après cela le Hamas est devenu l’une des principales forces terroristes au monde. Vous pouvez leur faire beaucoup de critiques – leur façon de traiter leur propre population par exemple – mais le terrorisme du Hamas est assez difficile à prouver. Les accusations actuelles concernent les roquettes lancées de Gaza sur les villes israéliennes frontalières. C’est la justification qui a été donnée pour l’opération « plomb durci » (l’invasion israélo-états-unienne de décembre 2008) et aussi pour l’attaque israélienne contre la Flotille de la paix en juin 2010, dans les eaux internationales. Neuf personnes avaient alors été tuées.

Il n’y a que dans un pays très endoctriné que vous pouvez entendre ces choses ridicules et ne pas rire. Passons sur la comparaison entre les roquettes Qassam et le terrorisme que les États-Unis et Israël pratiquent constamment. L’argument n’a absolument aucune crédibilité pour une raison bien simple : Israël et les États-Unis savent très bien comment arrêter les tirs de roquettes : par des moyens pacifiques. En juin 2008 Israël a accepté un cessez-le-feu avec le Hamas. Israël ne l’a pas vraiment respecté – ils étaient supposés ouvrir les frontières et ils ne l’ont pas fait – mais le Hamas l’a respecté. Vous pouvez vérifier sur les sites officiels israéliens ou écouter leur porte-parole officiel, Mark Regev : ils sont d’accord pour dire que durant le cessez-le-feu le Hamas n’a pas lancé une seule roquette.

Israël a rompu le cessez-le-feu en novembre 2008 en envahissant Gaza et en tuant une demi-douzaine de militants du Hamas. Quelques roquettes ont alors été lancées, puis Israël a lancé une attaque bien plus importante. Il y a eu des morts, tous palestiniens. Hamas a proposé le retour au cessez-le-feu. Le gouvernement israélien a évalué l’offre, puis l’a rejetée, optant pour le recours à la violence. Quelques jours plus tard il y a eu l’attaque israélo-états-unienne contre Gaza.

Aux États-Unis, et en Occident de façon générale, y compris les organisations de défense des droits humains, y compris le rapport Goldstone, on considère comme une évidence le droit d’Israël à se défendre en utilisant la force. Il y a eu des critiques disant que l’attaque était disproportionnée, mais cela est secondaire par rapport au fait qu’Israël n’avait absolument pas le droit d’utiliser la force. Vous n’avez aucune justification pour l’utilisation de la force tant que vous n’avez pas épuisé les recours pacifiques. Dans ce cas les États-Unis et Israël n’avaient non seulement pas épuisé les recours pacifiques, ils avaient rejeté tout recours aux moyens pacifiques, alors que c’était parfaitement possible et ils le savaient bien. Ce principe selon lequel Israël a le droit de lancer des attaques militaires est tout bonnement un fascinant cadeau.

Quoi qu’il en soit, que l’Iran essaie d’étendre son influence et que l’Iran soutienne le Hezbollah et le Hamas c’est, du point de vue des services d’intelligence et du département de la défense, ce qui constitue son soutien au terrorisme.

Noam Chomsky

Source : http://www.zcommunications.org/u-s-…

Traduction : Numancia Martínez Poggi

Au bord de l’abîme


samedi 11 décembre 2010 – 11h:24

Khaled Amayreh


Comme les USA laissent à Israël tout loisir de créer des colonies, Abbas envisage à nouveau de tout laisser tomber écrit Khaled Amayreh depuis Jérusalem occupée.

L’administration Obama a porté le coup de grâce au projet de paix et d’unité nationale de l’Autorité palestinienne (AP) du président Mahmoud Abbas en renonçant à faire pression sur Israël pour reconduire le gel de la construction des colonies.

Quelques heures avant la diffusion de la déclaration US, Abu Mazen parlait encore de « si » au cours de son interview télévisée à Ramallah cette semaine. Abbas a dit que si les négociations de paix avec Israël s’effondraient, les Palestiniens pourraient chercher à obtenir la reconnaissance unilatérale par les Nations unies d’un État en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et à Jérusalem-Est – territoires saisis par Israël en 1967 – et que tout le maintien de l’ordre serait cédé aux Israéliens.

« Si tous les efforts échouent, je dirai aux Étasuniens et aux Israéliens « Qu’on en finisse. Ça ne peut pas durer. Je ne peux pas présider une autorité qui n’existe pas. Gardez tout et libérez-moi de cette responsabilité ».

Quand on lui a demandé s’il parlait sérieusement, Abbas a répondu « oui, je dis aux Israéliens : ‘vous pouvez continuer à occuper [notre pays], mais on ne peut pas en rester là ‘ ».

Les paroles d’Abbas reflètent apparemment sa profonde déception devant le processus de paix stérile, constamment érodé par la construction sans trêve de colonies israéliennes ainsi que les efforts interminables et généralement infructueux déployés par l’administration Obama pour amener Israël à arriver à un « compromis » qui inciterait l’AP à reprendre des entretiens incertains.

En outre, la menace d’Abbas – qu’il ne brandit pas pour la première fois – est ostensiblement en réaction à l’annonce faite officieusement par l’administration Obama au leadership de l’AP concernant son échec à obtenir d’Israël la prolongation du gel des colonies afin de donner une chance aux négociations de paix.

Les sources de l’AP ont dit qu’aucun message final n’avait été reçu et que l’AP attendait toujours ce message de Washington. L’administration Obama essaierait d’inciter Israël à geler partiellement l’expansion des colonies pendant 90 jours en échange d’une assistance militaire massive et de concessions diplomatiques que certains commentateurs occidentaux ont taxées de « galéjades » et de « scandaleuses ».

Il n’est pas certain qu’Abbas mettrait sérieusement sa menace à exécution et dissoudrait complètement l’AP. Ceux qui le critiquent décrivent le régime de l’AP comme un boulet massif, mais avantageux en attendant la création d’un véritable État palestinien indépendant.

« Que nous le voulions ou non, l’Autorité palestinienne sert à consolider et à perpétuer l’occupation israélienne. Le nombre de colonies juives dans les territoires occupés a triplé sous le régime de l’AP et Israël utilise l’autorité pour se dérober à ses responsabilités légales au titre de la quatrième Convention de Genève » a avancé Hazem Kawasmeh, économiste de renom de Jérusalem-Est. « En fait, Israël utilise l’AP pour annoncer au monde que l’occupation est terminée ».

Kawasmeh a relevé que l’AP jouait le pire rôle possible de toute organisation languissant sous une occupation militaire étrangère ; à savoir, la prétendue « coordination de sécurité » avec l’ennemi. « C’est la raison pour laquelle nous voyons des membres des forces de sécurité palestiniennes, formées par les USA, disparaître chaque fois que les forces d’occupation envahissent les agglomérations palestiniennes pour arrêter, écraser ou tuer des Palestiniens ».

Ceux qui partagent ce point de vue prétendent que le peuple palestinien ne devrait jamais se laisser prendre en otage dans une situation où il lui faut choisir entre une autorité sans souveraineté et une occupation militaire perpétuelle. Néanmoins, ce sont les carrières, les gagne-pain et le bien-être financier de nombreuses personnes qui sont inextricablement liés à l’existence et à la survie de l’AP. Par conséquent, parler de démanteler l’AP est une chose et le faire sur le terrain en est une autre.

On estime à 130 000 le nombre de fonctionnaires qui reçoivent leur salaire de l’AP à la fin du mois. Il y a en outre 60 000 à 70 000 agents de sécurité répartis entre plusieurs agences qui contribuent à maintenir la loi et l’ordre ainsi qu’à maîtriser les « éléments adversaires de la paix » — euphémisme qui désigne les militants islamiques. Que se passerait-il si ces centaines de milliers de personnes perdaient leur emploi et leur source de revenus ?

Par ailleurs, la police de l’AP et les forces paramilitaires remettraient-elles simplement leurs armes, leur équipement et leurs installations aux Israéliens avant de rentrer chez elles ? Israël n’est pas particulièrement enthousiaste à l’idée de reprendre l’administration quotidienne de près de 3 millions de Palestiniens déçus et en colère. En dépit de l’opposition de certains colons messianiques qui voulaient reprendre la terre et en expulser les habitants, Israël a vu dans la création de l’autonomie palestinienne une bonne chose lui permettant de garder pratiquement tous les avoirs palestiniens – en tant que puissance occupante – tout en forçant tout le passif sur le gouvernement palestinien, lui-même obligé de lui rendre des comptes.

Il est donc très douteux que même si le leadership de l’AP voulait dissoudre le régime de l’AP, Israël permettrait le retour au statu quo ante (situation d’avant la signature des accords d’Oslo en 1993). Une telle situation est un cauchemar pour les stratèges israéliens dont les calculs se fondent sur l’annexion d’un maximum de terres palestiniennes avec un minimum d’habitants palestiniens.

Entre-temps, l’AP a reçu un encouragement moral des plus nécessaires de la part de trois Etats sud-américains – le Brésil l’Argentine et le Paraguay – qui ont annoncé qu’ils reconnaîtraient l’État-nation de Palestine dans les frontières de 1967. D’autres pays pourraient leur emboîter le pas, créant ainsi une nouvelle réalité, voire un nouvel élan vers une solution éventuelle au conflit le plus long du monde. La reconnaissance internationale sèmerait aussi la pagaille dans les plans US et provoquerait l’embarras et l’isolement diplomatique d’Israël.

(JPG) Khalid Amayreh est un journaliste qui vit à Dura, dans le district d’Hébron, Cisjordanie, Palestine occupée. Il a un bachelor en journalisme de l’université d’Oklahoma (1981) et un master en journalisme, de l’université de Southern, Illinois (1983)

Du même auteur :

- Netanyahu : le champion des colons
- Ramallah cherche une issue
- Le fascisme sous forme de lois
- Pour Abbas, c’est le moment de démissionner
- Colonies juives : une débauche de constructions
- Pendant les pourparlers, Israël continue de tuer
- Irrémédiables criminels de guerre
- Un échec clairement programmé

9 décembre 2010 – Al-Ahram Weekly – Vous pouvez consulter cet article ici :
http://weekly.ahram.org.eg/2010/102…

source

Un Etat policier en construction


vendredi 10 décembre 2010 – 01h:11

Samah Jabr – Bitterlemons


Les mesures sécuritaires, sous parrainage des Etats-Unis, empêchent toute avancée vers un accord de réconciliation entre les deux partis principaux en Palestine, le Hamas et le Fatah.
(JPG)

Les milices d’Abbas dans Ramallah – Photo : AP/Muhammed Muheisen

Bien que la coordination sécuritaire sous le parrainage des Etats-Unis ait commencé dans les années 1990, l’étendue et la nature de l’intervention des Etats-Unis dans les affaires internes palestiniennes se sont intensifiées à travers le programme mené par le Lt. Gen. Keith Dayton, lancé par l’administration Bush en 2005. Quand le Hamas a chassé le Fatah de la bande de Gaza en juin 2007, l’ambiance était mûre pour une escalade de la mutation politique qui transforma d’anciens « héros nationaux » en « « terroristes ».

Alors que les forces de sécurité du Hamas à Gaza sont jugées illégales, les gouvernements d’Europe et d’Amérique du Nord apportent une aide financière généreuse à l’Autorité palestinienne et ses forces de sécurité. Dans un discours à Washington, à l’Institut sur la politique au Proche Orient, Dayton déclara (comme si c’était un compliment) que son programme avait créé une « nouvelle sorte de Palestinien ».

Trois bataillons de 500 hommes chacun ont été au bout de ce programme et d’autres sont actuellement en formation pour entamer une série d’offensives contre les membres des groupes de la résistance en Cisjordanie.

De hauts gradés israéliens ont été si impressionnés par les troupes palestiniennes, selon Dayton, qu’ils lui ont demandé, « Combien de ces nouveaux Palestiniens pouvez vous créer de plus, et dans combien de temps ? » Dayton a promis d’investir environ 1,3 milliard de dollars dans la mise en place de l’appareil de sécurité palestinien ; de former 4700 militaires ; de fournir la formation et l’équipement et de faciliter la capacité de se développer de 15 000 soldats supplémentaires ; de restaurer la structure organisationnelle des institutions sécuritaires de l’ANP. Les Etats-Unis n’investissent pas d’argent dans le bien-être de la population palestinienne – pour construire des écoles, des hôpitaux qui soutiennent la détermination du peuple palestinien, par exemple – mais préfèrent utiliser cet argent pour acheter des Palestiniens par le pouvoir, l’argent et les privilèges qui renforcent le conflit interne et la désunion des Palestiniens. Ils créent des « contras » palestiniens pour faire le sale travail de l’occupation israélienne et imposer l’agenda et les décisions politiques américains à la population palestinienne épuisée, terrifiée et paupérisée qui subit ce chantage.

En août, les services de la Sécurité préventive et des Renseignements généraux ont raflé plus de 700 sympathisants des groupes de la résistance palestinienne après une attaque meurtrière contre des colons en Cisjordanie.

Et on se demande : qui les forces de sécurité servent-elles ? Où disparaissent-elles quand les soldats de l’occupant israélien envahissent nos villes et nos cités pour kidnapper, blesser et tuer des Palestiniens ? Est-ce qu’elles intimident quiconque hormis des Palestiniens ? Est-ce qu’elles attaquent des bases militaires israéliennes ou seulement les institutions caritatives du Hamas ? Ont-elles jamais arrêté ou interrogé des colons israéliens qui attaquent les villageois en Cisjordanie ? Est ce que les interrogatoires, les arrestations et la torture sont exclusivement réservés aux Palestiniens ?

La Cisjordanie est en train de devenir un Etat policier. Al Haq, la Commission palestinienne indépendante pour les Droits humains, Human Rights Watch, et le journal le Guardian sont tous des références crédibles qui témoignent qu’un nombre significatif de détenus sont torturés en toute impunité pendant les interrogatoires par les forces des Renseignement généraux et de la Sécurité préventive.

Dayton peut bien être parti maintenant mais ses arrangements sécuritaires brutaux ont endommagé la crédibilité de l’Autorité palestinienne et déclenché du ressentiment à son encontre. Plus important encore, ces arrangements ont brouillé et érodé la structure sociale palestinienne.

Alors qu’il existait précédemment un consensus pour dénoncer les violations des droits humains par les autorités israéliennes, ça a été une expérience humiliante et démoralisante à vous briser le coeur de voir des Palestiniens torturer et maltraiter leurs concitoyens.

Les mesures sécuritaires empêchent toute avancée vers un accord de réconciliation entre les deux partis principaux en Palestine, le Hamas et le Fatah. Pendant ce temps l’Autorité palestinienne n’arrive pas à trouver le saint Graal que représentent la croissance économique ou de la construction des institutions palestiniennes.

Les négociations de paix semblent être la dernière chance pour l’Autorité palestinienne – et elles ne semblent guère porteuses d’espoir. Je me demande combien de temps l’Autorité palestinienne va survivre quand l’Administration américaine décidera qu’elle n’est pas un partenaire pour la paix.

(JPG) * Samah Jabr, écrivain indépendant, est psychiatre.

L’un des objets politiques de son combat est un État unique pour une perspective de paix et de liberté commune. Ses chroniques touchantes nous parlent d’une vie au quotidien en pleine occupation ; d’un regard lucide, elle nous fait partager ses réflexions en tissant des liens entre sa vie intime, son travail en milieu psychiatrique et les différents aspects politique d’une situation d’apartheid.

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