Tarek Amara
TUNIS (Reuters) – La police a ouvert le feu lundi pour disperser la foule rassemblée dans deux villes de Tunisie, rapportent des témoins, au lendemain d’un week-end marqué par la mort de 14 personnes.
Aucune nouvelle victime n’a été signalée.
Mobilisés depuis la mi-décembre, les manifestants disent dénoncer la pénurie d’emplois pour les jeunes en Tunisie.
Le gouvernement impute les troubles à des extrémistes qui s’en sont pris aux forces de l’ordre. Le président Zine el Abidine Ben Ali lundi a mis en cause des « éléments étrangers ».
« Les événements furent l’oeuvre de bandes masquées qui ont attaqué la nuit des édifices publics et même des civils à leur domicile lors d’un acte terroriste qu’on ne saurait taire », a-t-il déclaré dans un discours retransmis à la télévision publique.
« Les événements sont dirigés par des éléments étrangers qui ne veulent pas le bien du pays (…) La justice a pris son cours pour élucider les circonstances de ces événements et en déterminer les responsabilités », a ajouté le chef de l’Etat, qui est au pouvoir depuis 23 ans et intervenait pour la deuxième fois à la télévision depuis le début des troubles.
A Bruxelles, Maja Kocijancic, porte-parole de la Commission européenne pour les Affaires étrangères, a lancé « un appel à la retenue dans le recours à la force et au respect des libertés fondamentales ».
AMBASSADEUR AMÉRICAIN CONVOQUÉ
À Paris, Bernard Valero, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, a de même invité à l’apaisement.
« Nous déplorons les violences, qui ont fait des victimes, et appelons à l’apaisement. Nous sommes profondément attristés par le bilan humain des affrontements meurtriers du week-end en Tunisie », a-t-il déclaré.
« La Tunisie est confrontée à des problèmes économiques et sociaux. Seul le dialogue permettra aux Tunisiens de les surmonter. La coopération entre la France et la Tunisie, qui est fortement orientée sur l’emploi, le restera », a-t-il ajouté.
La semaine dernière, les Etats-Unis avaient exprimé leur préoccupation au sujet de l’attitude des autorités face aux manifestants. Le ministère tunisien des Affaires étrangères annonce lundi avoir convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis pour lui exprimer son étonnement.
La déclaration américaine était fondée sur des récits d’éléments hostiles qui n’ont pas été vérifiés, estime le ministère dans un communiqué lu à la télévision publique.
« Nous confirmons que toutes les libertés sont respectées (…) Nous espérons que les Etats-Unis feront preuve d’objectivité et de compréhension, et qu’ils refléteront le degré de coopération entre les deux pays », poursuit-il.
Le ministère annonce en outre la remise en liberté d’un nombre indéterminé de « saboteurs » de sites internet gouvernementaux et le maintien en détention de deux d’entre eux, inculpés pour des faits non précisés.
RASSEMBLEMENT ÉTUDIANT À TUNIS
A Kassérine, à 200 km au sud-ouest de la capitale, un témoin a déclaré qu’une marche funèbre pour des civils tués lors du week-end avait tourné à la confrontation avec la police. Les forces de l’ordre ont tiré en l’air, a raconté à Reuters Mohamed Ali Nasri, joint par téléphone.
A Regueb, des témoins font également état de heurts en marge de processions à la mémoire de victimes de précédents affrontements.
« L’agglomération est cernée par la police. Il y a 2.000 contestataires dans une confrontation à travers la ville avec la police, qui tire des grenades lacrymogènes et ouvre le feu », a déclaré a Reuters Kamel Labidi, qui affirme être sur place.
Aucun représentant des autorités n’a pu être joint.
Dans la capitale jusqu’ici épargnée par ces troubles, rares en Tunisie, des étudiants ont organisé une manifestation lundi pour dénoncer la réaction de la police.
Selon un correspondant de Reuters sur place, des dizaines de policiers anti-émeutes ont pris position autour de l’université Al Manar, dont ils ont fermé les accès. Quelques centaines d’étudiants étaient rassemblées à l’intérieur.
Dans le centre-ville, les magasins étaient ouverts et le dispositif de sécurité était à peine visible.
Dans les villes de province où ont été signalés des troubles, comme Thala, Kassérine, Seliana, Regueb et Meknassi, des camions de l’armée ont été dépêchés pour renforcer les policiers, ont rapporté des habitants.
Eric Faye, Jean-Loup Fiévet et Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser
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