La Tunisie, Ben Ali et moi


BAUDOUIN LOOS

mardi 18 janvier 2011, 10:42
LA TUNISIE LIBÉRÉE célèbre le départ de son tyran. Heurs et bonheurs de dix-neuf ans de couverture du dossier. Un récit très personnel.

La Tunisie, Ben Ali et moi
La Tunisie de « Big Brother » Ben Ali, ici aux élections d’octobre 2009 dans la capitale Du temps où l’ordre du tyran régnait © FETHI BELAID/AFP

Une fois n’est pas coutume : qu’il me soit permis de partager ici les heurs et bonheurs que dix-neuf ans de couverture du dossier tunisien ont pu me faire vivre comme journaliste du Soir. Quand, à 18 h 38 vendredi dernier, une dépêche urgente de l’Agence France Presse annonça que le président Ben Ali avait quitté son pays, une forte émotion m’a envahi et je dus presque réprimer une larme. Voici pourquoi.

Feu Pierre Lefèvre, alors chef du service Monde, avait eu l’idée, en 1992, de m’envoyer à Tunis suivre le congrès du RCD (le Rassemblement constitutionnel démocratique), le parti déjà omnipotent en Tunisie. J’allais d’ailleurs vite comprendre que les partis (ou les pays) qui veillent à ajouter le qualificatif « démocratique » dans leur nom souffrent en réalité d’un gros problème de ce côté.

Des invités de tout le monde arabe étaient attendus à ce congrès qui me permit en effet de nouer de nombreux contacts intéressants. Mais une anecdote me mit au parfum des us et coutumes locales. Je fus en effet contacté par Moncef Marzouki, alors président d’une Ligue tunisienne des droits de l’homme déjà harcelée par le pouvoir. Il m’avait rejoint dans le hall de notre hôtel avenue Bourguiba, mais insista à ma grande surprise pour monter rapidement dans notre chambre. Là, il mit le poste de télévision en marche avec le son bien fort. « Vous comprenez, “ils” ont des oreilles partout ! » L’interview, par ailleurs très instructive, se passa dans ces conditions curieuses…

L’ambassadeur mécontent Par la suite, des amis tunisiens m’apprirent que la teneur de mes articles écrits de Bruxelles déplaisait beaucoup à Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur. Ce dernier me convia finalement à un entretien au cours duquel il tenta de me convaincre des bienfaits du régime du président Zine el-Abidine Ben Ali. C’était trop tard : mes indignations en matière de droits de l’homme avaient pris le dessus. Un reportage aux élections de 1994 confirma mon impression. Et déplut d’importance au dit ambassadeur.

C’est ensuite que l’une de mes connaissances tunisiennes, un habitué de l’ambassade, me fit savoir que j’étais officieusement persona non grata en Tunisie. Six années sans reportages allaient suivre. Un « espion » dont je disposais au sein du conseil des ambassadeurs arabes à Bruxelles me raconta alors en 1998 que la Tunisie (et l’Algérie) avait demandé que figurât à l’ordre du jour d’une des réunions mensuelles des ambassadeurs arabes dans un hôtel bruxellois de luxe cette question : « Que faire avec ce Baudouin » (l’usage arabe impose de nommer les gens par leur prénom). Par chance, il n’y eut apparemment pas unanimité sur le sort à me réserver grâce, je crois, à la fougueuse défense de mon « espion ».

Quant à retourner en Tunisie, je dus attendre mon tour. Qui vint en septembre 2000, à l’occasion du retour chez lui du journaliste Taoufik Ben Brik, qui avait passé quelques mois estivaux à Paris après une célèbre grève de la faim menée pour obtenir son passeport. Ben Brik, un drôle de coco à la plume inspirée trempée dans le picrate, avait réuni des députés européens et quelques amis journalistes pour lui faire une garde d’honneur de nature à dissuader le régime de l’embastiller dès son retour. Le scénario allait bien fonctionner : à l’arrivée à l’aéroport de Tunis-Carthage, une foule en liesse nous avait accueillis et Ben Brik put organiser de sympathiques agapes nocturnes bien arrosées.

Mais les articles du Soir continuaient à déplaire en haut lieu. Chaque ambassadeur tunisien affecté à Bruxelles s’en plaignait amèrement, puisque, chose bizarre mais avérée, il était tenu pour personnellement responsable de tout papier négatif paru sur le régime ! On dit même que l’un des ambassadeurs tunisiens dans la capitale belge fut limogé à la suite d’un de mes articles, mais cela n’a pu être vérifié…

L’acrimonie du régime tunisien à mon égard se confirma en tout cas peu de temps plus tard. Un diplomate belge rencontré quelques années plus tôt à Jérusalem me confia en effet qu’à l’occasion d’une visite à Bruxelles du ministre tunisien des Affaires étrangères, en 2002, Louis Michel, alors son alter ego belge, s’entendit demander s’il pouvait « faire taire ce journaliste-là, ce Baudouin, qui nuit à l’image de la Tunisie » ! Selon ma source, des plus fiables, « Big Loulou » vit rouge et fit comprendre d’un ton peu amène à son interlocuteur qu’on ne mangeait pas de ce pain-là en Europe…

J’eus d’ailleurs plusieurs fois l’occasion d’interviewer à Tunis des ministres importants : ceux des Affaires étrangères, de l’Information, de la Justice, des Droits de l’homme (si, si !). Le point commun de tous ces hommes n’étonnera personne : tous, avec un identique zèle pathétique, maniaient une langue de bois ahurissante, même quand ils constataient avec dépit que leurs efforts rhétoriques ne semblaient pas percer mon scepticisme ombrageux.

Les yeux vides de Lassaad Les violations des droits de l’homme dûment répertoriées par des ONG, tunisiennes ou internationales ? « Des inventions de militants mal intentionnés, des ennemis de la Tunisie ! », répondaient-ils d’un air agacé. Mes propres investigations sur place, pourtant, apportaient toujours plus de preuves quant à la validité des rapports terrifiants des organisations compétentes.

Ces investigations furent pour moi l’occasion de croiser des destins émouvants. Je resterai longtemps hanté par le long corps décharné, le visage émacié et les yeux vides de Lassaad, un islamiste torturé pendant des mois et d’une manière abominable qui l’avait laissé handicapé. Son témoignage poignant, infiniment triste, était de ceux qui vous font douter de la nature humaine.

Par le même biais, je pus rencontrer des êtres d’exception. Comme Radhia Nasraoui. Ce merveilleux petit bout de femme, avocate admirable défendant sans relâche les plus démunis, les islamistes par exemple, alors que les barbouzes locales ne perdaient pas une occasion de la maltraiter, l’insulter, de saccager son cabinet, de détruire ses dossiers, de cerner son immeuble.

Le pied de nez de Radhia Radhia cumulait les torts, il est vrai – et quel plaisir ai-je à rédiger ces lignes à l’imparfait ! : son mari, Hamma Hammami, se trouve être le chef d’un parti d’extrême gauche, le Parti communiste ouvrier tunisien, qui menait une opposition radicale au régime de Ben Ali. Au point de prendre le maquis pour plusieurs années. C’est alors que le couple adressa un extraordinaire pied de nez à la flicaille qui le harcelait en réussissant à concevoir un enfant alors que tout l’appareil sécuritaire était mobilisé à la recherche de Hamma !

D’autres profils me viennent à l’esprit, même si je ne puis nommer chacun. Kamel Jendoubi est de ceux qui ont marqué ma vie. Voilà un homme, exilé en France, qui n’a eu de cesse de faire savoir la vérité sur la Tunisie, notamment par le très actif Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme qu’il préside.

Le régime le détestait, preuve de son efficacité. En 2005, lorsque son père décéda, Tunis refusa de lui octroyer un passeport pour qu’il pût rendre un dernier hommage à son géniteur. Malade, Kamel dont je suis si fier d’être l’ami, partait ces jours-ci pour Tunis avec sa famille. Il humera enfin l’air – libre ! – de son pays…

D’autres noms se bousculent dans ma tête. Comme Taïeb Moalla, ce jeune journaliste rencontré à Tunis en 2000 qui devint brièvement le correspondant du Soir avant d’aller vivre à Québec non sans pourtant rester l’homme le mieux informé au monde sur le « who s’who » en Tunisie. Taïeb m’a rendu d’innombrables services, et avec une vivacité qui m’a toujours bluffé.

Son compère Mohamed Bouriga, alias « Omar Khayyam » (un pseudo, pris auprès d’un écrivain-savant persan né mille ans plus tôt) vit aussi au Canada. Lui, sur son blog, cultive avec finesse l’art de distiller des textes exquis de fiction qui mettent en scène Ben Ali dans des postures burlesques.

L’infatigable activisme de mon ami Khemaïs Chammari m’aura également beaucoup profité, lui qui assiégeait littéralement les instances européennes avec ses rapports toujours pareillement convaincants. Le sérieux de ses analyses passionnées m’aura bien aidé pendant toutes ces années.

Sihem leur cloue le bec Sihem Bensedrine, de son côté, conservera une place à part dans mes souvenirs. Comment cette consœur aussi menue que déterminée réussissait-elle de sa voix fluette à clouer le bec aux zélateurs grossiers du régime lors de conférences bruxelloises ou autres où ils venaient avec la ferme intention d’imposer le désordre ? Cela restera toujours un mystère. Mais la ténacité tout en finesse de cette grande dame discrètement soutenue par Omar Mistiri, son mari, restera une constante de ces deux dernières décennies.

Vous parlerais-je aussi des caractères plus faibles que j’ai croisés ? Ce Mezri Haddad, brillant intellectuel qui, également exilé à Paris, m’avait donné des interviews éloquentes où il dénonçait « la trahison des intellectuels et la flagornerie des courtisans » et cela pendant plusieurs années avant de soudainement se faire le chantre du régime et même d’en devenir l’ambassadeur (à l’Unicef). Il a opportunément claqué la porte ce vendredi, quelques heures avant la fuite de son maître…

Plus triste encore est le cas d’Ahmed Manaï, un homme torturé puis exilé à Paris où les sbires du régime réussirent à la retrouver pour le rosser et l’envoyer à l’hôpital. Son livre Un supplice tunisien comportait des lignes presque insupportables. Eh bien ! cet homme a aussi rallié le régime, dans la plus absolue discrétion, sans doute parce qu’il voulait mourir dans son pays…

Quant aux ambassadeurs belges à Tunis, auxquels je rendais toujours visite, j’eus l’occasion d’en croiser de toute sorte. Un Guido Courtois, en 1994, facilita avec Anne-Marie Lizin une interview exclusive de Yasser Arafat. J’oublierai charitablement d’autres ambassadeurs belges pour m’arrêter au dernier, Thomas Antoine, qui avait tout compris sur le régime et me le disait. Un type bien.

Lors de mon dernier reportage, en octobre 2009, à l’occasion des ultimes « élections » que le régime allait organiser, je me rendis d’abord à l’ATCE (Agence tunisienne de communication extérieure, notamment chargée de surveiller la presse étrangère) pour y obtenir mon accréditation. L’hôtesse à l’accueil signala prestement ma présence à Mme Bochra Malki, une charmante quinquagénaire qui s’occupe des journalistes « difficiles » dans mon genre. Elle descendit quatre à quatre pour m’accueillir les bras ouverts et le sourire aux lèvres avec cette exclamation : « Ah, quel plaisir d’accueillir à Tunis la légende Baudouin Loos ! ». Très bon pour l’ego, ce genre de réflexion, même si le côté dérisoire de la scène ne m’échappait pas.

Et d’ailleurs la dame m’expliqua qu’elle me lisait toujours attentivement (ce qui ne pouvait pas être le cas de la plupart des Tunisiens puisque Le Soir y était interdit, que cela soit en version papier ou en ligne), qu’elle appréciait même mes articles à quelques nuances près… « Je peux vous citer ? », ma question facétieuse l’avait rendue rouge écarlate.

Malgré cette « admiration » dont je faisais l’objet, malgré les discrètes filatures dont on me gratifia si souvent, je n’eus cependant jamais les honneurs d’une expulsion en bonne et due forme, contrairement à mon excellente consœur du Monde, Florence Beaugé. Celle-ci fut renvoyée en France au même moment, en octobre 2009. Je vécus très mal cette injustice car Florence et moi avions le même carnet d’adresses, et une plume pareillement critique, pourtant jamais n’eus-je la chance de vivre une belle expulsion. Ne l’avais-je donc point méritée ?

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L’Ecole normale supérieure annule un débat avec Stéphane Hessel sur le Proche-Orient


Stéphane Hessel, en janvier, à Paris.

Stéphane Hessel, en janvier, à Paris.AP/Francois Mori

Un débat sur le Proche-Orient, prévu mardi 18 janvier à l’Ecole normale supérieure (ENS), a été annulé par la direction de l’école. Au menu : une conférence de Stéphane Hessel sur la répression de la campagne de boycott des produits israéliens (« Boycott, désinvestissement, sanctions », aussi appelée BDS). L’auteur d’Indignez-vous ! devait faire tribune commune avec Leïla Shahid, représentante de la Palestine à Bruxelles, les pacifistes israéliens Michel Warschawski et Nurit Peled ou encore la députée socialiste Elisabeth Guigou. Le secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature, Benoist Hurel, devait également participer à la conférence.

L’annonce de ce débat a provoqué le malaise du Conseil représentatif des associations juives de France (CRIF) et de plusieurs associations juives. « Il s’agissait de défendre le collectif BDS et ses membres, autrement dit les partisans du boycott anti-israélien, ce qui est illégal », a assuré Richard Prasquier, le président du CRIF, à l’AFP. Sur le site Internet du CRIF, M. Prasquier avait dénoncé « un crime contre l’esprit », commis par « quelques élèves de l’école convertis au terrorisme intellectuel ». M. Prasquier s’est félicité de l’annulation de la conférence et a salué le rôle joué par Valérie Pécresse « ainsi que le rectorat de l’Université de Paris que nous avons contactés en urgence [et qui] ont réagi sans ambiguïté ».

La direction de l’ENS assure, dans un communiqué, que « la réservation [de la salle] n’avait pas été faite en mentionnant la nature exacte de la réunion [réunion publique]« . Une version contestée par les organisateurs du débat. Selon une source interne à l’ENS, la direction connaissait les noms de certains des invités, dont Stéphane Hessel et Leila Shahid, et s’était félicitée d’accueillir un tel débat, avant que la polémique n’éclate. Avant d’opérer un revirement, la semaine dernière, sous la pression du rectorat et du ministère.

Le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, qui a déjà porté plainte contre M. Hessel, avait également demandé l’interdiction de ce colloque. L’ancien résistant est connu pour ses prises de position pro-palestiniennes. Toute une partie de l’ouvrage Indignez-vous ! est d’ailleurs consacrée à Gaza et à la Cisjordanie et à un appel à l’« insurrection pacifique ». (Lire sur le blog Guerre ou Paix, des extraits des propos de Hessel sur la question palestinienne). « Dans cette conférence, il ne s’agissait pas de soutenir le boycott mais de débattre de la liberté d’expression, en particulier autour de la question israélo-palestinienne », s’est défendu l’un des organisateurs, Florian Alix, en soulignant que les invités n’étaient « pas nécessairement partisans du boycott ».

RASSEMBLEMENT DE PROTESTATION

La campagne pour le boycott des produits israéliens, lancée par la société civile palestinienne, entend faire pression sur Israël à la manière des initiatives qui ont combattu l’apartheid en Afrique du Sud. Le gouvernement estime que cette campagne est « illégale ». En octobre, une sénatrice écologiste et un militant du NPA, poursuivis pour avoir appelé au boycott d’Israël, ont été relaxés par la justice. Deux militants ont été récemment condamnés à des amendes de 1 000 euros, à Bordeaux puis à Créteil.

Mais d’autres procès pourraient avoir lieu en 2011. Environ 80 personnes sont poursuivies en France pour avoir appelé à boycotter des produits israéliens. Les partisans du boycott font circuler un appel de « soutien à Stéphane Hessel et autres victimes de la répression », qui a recueilli les signatures d’Oliver Besancenot, Noël Mamère, Pierre Joxe, Eva Joly ou le député UMP Etienne Pinte.

Les organisateurs de cette conférence dénoncent un acte de censure et appellent à un rassemblement, mardi en fin de journée, près du Panthéon, « pour défendre la liberté d’expression ». Stéphane Hessel et plusieurs des intervenants devraient s’exprimer lors de ce rassemblement. Plusieurs étudiants de l’ENS ont également écrit à la direction de l’école pour demander des explications sur cette annulation.

Le groupe PCF-Parti de gauche au conseil de Paris et un groupe d’étudiants normaliens « indignés d’une ENS indigne«  ont également protesté. Plusieurs intellectuels se sont émus de cette annulation. Dans une tribune sur Rue89, l’historienne Esther Benbassa, « opposée à cette campagne de boycott telle qu’elle est menée », estime que « le CRIF bafoue la liberté d’expression ». Dans un texte commun, Alain Badiou, Jacques Rancière, Etienne Balibar et plusieurs chercheurs dénoncent un acte de censure.

Pour en savoir plus :

— Sur Le Monde.fr, une série de tribunes pour et contre le boycott des produits israéliens.

LEMONDE.FR | 17.01.11 | 19h54  •  Mis à jour le 17.01.11 | 20h07

L’après-Ben Ali raconté par les internautes du Monde.fr


LEMONDE.FR | 17.01.11 | 18h59  •  Mis à jour le 17.01.11 | 20h46

Dans le centre de Tunis, lundi 17 janvier.

Dans le centre de Tunis, lundi 17 janvier.AFP/FRED DUFOUR

Vers 18 h 30, vendredi 14 janvier, la Tunisie apprenait la chute du régime Ben Ali : après vingt-trois ans d’un règne sans partage, le président quittait en urgence le pays. Les internautes du Monde.fr racontent les trois premiers jours de l’après-Ben Ali, trois jours pendant lesquels la fierté et l’espoir ont peu à peu laissé la place à l’incertitude, à la peur des pillages et des exactions commises par les milices restées fidèles au président déchu, aux difficultés d’approvisionnement. Et à nouveau à l’espoir.

SAMEDI

Mon premier jour de liberté, par Elyes M.

Ce matin je suis sorti faire tout le tour de Tunis à pied, du centre-ville jusqu’à la ville de l’Ariana, dans une Tunisie ensoleillée et libre. Il n’y avait plus les immenses photos du dictateur assassin qui remplissaient toutes les rues et les avenues depuis plus de 23 ans. Les simples gens dans la rue qui, jusqu’à hier, n’osaient même pas parler de politique, parlaient tous aujourd’hui des opposants de gauche dont on n’osait même pas prononcer le nom avant. Ils discutaient de politique normalement, en toute sérénité, comme s’ils parlaient de footballeurs dont ils jugeaient le rendement. C’était vraiment mon premier jour de liberté, moi qui n’avais que quatre ans lorsque Ben Ali a fait son coup d’Etat en 1987…

Des moments historiques, par Nejia M., 43 ans

Ce sont des moments historiques que nous vivons en ce moment en Tunisie. Les Tunisiens se sont débarrassés de la dictature en un mois. Nous sommes fiers d’être Tunisiens, nous n’avons eu besoin de personne. Ni de M. Sarkozy ni de M. Obama ! La situation ce matin dans le centre de Tunis est calme, les gens se ruent vers les denrées alimentaires par peur des pénuries. Mais ce n’est pas grave, même si on meurt de faim, on est libre libre libre… Quelques bandes de voyous qui appartiennent à l’ancien régime sèment le trouble dans certains quartiers, mais tout le monde est conscient et on va tout faire pour les arrêter et pour reconstruire notre pays.

Une révolution politique plus que sociale, par Sarra B., 35 ans, Tunis

Ce matin, nous sommes allés en banlieue Nord de Tunis pour constater que les maisons de la famille honnie, les Trabelsi, ont été brûlées, pillées et dévastées. Riches et pauvres étaient sur place pour prendre des photos et jubiler sur les maisons encore en feu. Les médias occidentaux parlent de crise sociale, moi je vous le dis : ce qui a uni les Tunisiens hier, c’est une profonde haine envers une famille de mafieux qui a pendant plus de 20 ans, exproprié, extorqué, exilé, emprisonné et humilié la population.

Ni « e-revolution » ni « révolution du jasmin », par Samia M.

D’aucuns qualifient déjà la chute du régime de Ben Ali de premier exemple de « e-Revolution » et tentent de la baptiser du nom de « révolution du jasmin« . Y croire serait penser qu’il suffit d’un ordinateur et d’une connexion à Internet pour faire chuter un dictateur. Y croire serait oublier de manière tout à fait indécente les morts tombés à Sidi Bouzid, Kasserine, Regueb, Douz et ailleurs. Y croire serait faire fi du combat de longue haleine mené par une poignée d’hommes et de femmes dignes et courageux qui bravent depuis des années cette dictature dont les tentacules sont largement ancrés dans la société tunisienne. Y croire serait oublier les prisonniers politiques qui croupissent dans les prisons de Ben Ali. Y croire serait oublier le soulèvement du bassin minier de Gafsa, fin 2008, où les syndicalistes appelaient déjà à une répartition plus équitable des quelques richesses de la Tunisie. Y croire serait oublier l’action des syndicalistes et des véritables partis politiques d’opposition qui malgré leurs moyens dérisoires, n’ont jamais faibli. Non, la « révolution » ne s’est pas faite sur Twitter, ni sur Facebook. Non la « révolution » ne s’est pas faite en un mois. Non, tous les Tunisiens n’ont pas connu la douceur de vivre au « pays du jasmin ».

Les Tunisiens sont débarrassés de leur honte d’eux-mêmes, par Laurent H., 45 ans

Les Tunisiens sont tellement fiers et heureux ce matin. Malgré la désolation des destructions un peu partout et les frayeurs de la nuit, il y a un tel sentiment de fraternité et de dignité nationale retrouvée. Les Tunisiens sont débarrassés de leur honte d’eux-mêmes. Ce matin, les visages sont marqués par le peu de sommeil, entre auto-surveillance de son quartier, de sa maison, et appels aux amis et à la famille pour prendre des nouvelles. La nuit a été marquée, à Tunis, par le bruit des patrouilles militaires, accompagnées des hélicoptères, lesquels ont directement tiré sur certaines bandes de pillards. Personne ne doute que ce sont les forces spéciales de Ben Ali qui se défoulent, obéissant aux derniers ordres donnés avant de partir. Ici, dans mon quartier, toutes les boutiques qui n’avaient pas de solides rideaux de fer ont leur vitrines défoncées et, le plus souvent, ont été dévalisées et saccagées. Les « chiens de Ben Ali » ont grand ouvert les prisons, libérant les prisonniers les plus dangereux. C’est une bonne nouvelle, cela fait de la place pour qu’ils y aillent.

C’est nous la force de la Tunisie, par Ihsène B., 30 ans, banlieue de Tunis

Ce qui m’a vraiment rendue heureuse, c’est que notre courage et notre honnêteté se sont exprimés d’abord par la chute de Ben Ali. Puis, lorsque les plus corrompus ont commencé par se manifester hier et encore aujourd’hui avec leurs pillages et leur fuite, ce sont encore les mêmes valeureux qui descendent dans la rue défendre leur maison et leur pays. Vers 8 heures, hier soir, les coups de feu ont commencé à déferler, mon mari est descendu rejoindre les hommes de la cité pour parer aux assauts des pilleurs. Tout le monde savait que les anciennes milices du pouvoir, qui nous ont tant terrorisés auparavant, allaient réagir. Avec les coups de feu ont commencé les pleurs de mes deux enfants (2 et 5 ans). Terrible moment pour une maman de 30 ans, tiraillée entre la peur de perdre son mari et la nécessité de faire semblant que tout va bien devant ces enfants en leur expliquant que c’étaient des feux d’artifice. C’est vrai que ces jours sont difficiles, mais ils le sont moins pour moi que 23 ans à avoir peur de ces mêmes milices qui auparavant nous dénonçaient car on refusait d’aller voter, qui pirataient mon compte Facebook… Moins difficile que les 5 années passées dans une entreprise étatique à bosser comme une dingue en tant qu’ingénieur pour finalement démissionner, ainsi que mon mari, à la suite des harcèlements de la part de notre PDG (n’ayant même pas eu le bac mais proche du pouvoir). Je me lève et je vais de l’avant, c’est nous la force de la Tunisie. Oui, mon fils, on va gagner contre les méchants.

Pelles, bâtons, couteaux de cuisine, par Mohsen G., 25 ans, étudiant

J’habite à Hammam-Lif, une petite ville dans la banlieue Nord de Tunis. Moi et mes frères avons passé un vendredi soir horrible tellement la peur nous guettait en apprenant que les pillards descendaient dans les rues de la ville pour cambrioler les maisons et détruire les biens des gens. Des numéros d’appels d’urgence ont été mis à notre disposition pour prévenir l’armée en cas de besoin, sauf que ces numéros étaient occupés toute la nuit vu le nombre d’appels à l’aide. Pour pouvoir protéger nos biens nous avons dû monter une garde avec les hommes du quartier. Chacun prenait ce qui lui passait sous la main : pelles, bâtons, couteaux de cuisine… On entendait des cris de partout, des coups de feu qui étaient tout près de nous mais on n’arrivait pas à voir ce qui se passait réellement, ce qui avait tendance à nous inquiéter encore plus et nous laissait sur les nerfs toute la nuit sans pouvoir ni manger ni dormir. Nous vivons dans un pays pacifiste, nous ne sommes pas prêts à vivre une situation plus grave que celle-ci, tout ce que nous demandons c’est d’avoir le plus tôt possible un président qui soit à la hauteur de ce pays et qui saura lui attribuer des droits dignes de son peuple. Que la paix soit rétablie.

Française et fière des Tunisiens, par Magaly H., 38 ans

Je suis Française, je vis à Tunis depuis 16 ans et je dois dire que je suis très fière de ce peuple qui s’est débrouillé seul. Je ne compte pas partir de ce pays, ma vie est ici et je ferai de mon mieux pour les aider à reconstruire. Les informations nous parviennent grâce à nos amis tunisiens via les réseaux sociaux. Et pour finir, si Sarkozy a fait une chose de bien dans sa vie c’est d’interdire le territoire à Ben Ali.

Dans la ville natale de Ben Ali, un point de vue différent, par Richard F., 42 ans, Hammam Sousse

Je réside depuis le début des événements dans le quartier populaire du village d’Hammam Sousse, qui est la ville natale du président Ben Ali. Le point de vue que j’ai pu avoir sur les événements est par conséquent un peu particulier. Nous sommes longtemps restés étrangers aux échos du soulèvement, et ce pour plusieurs raisons : la principale étant le fait d’avoir intégré la peur de la répression et du contrôle des consciences. On ne parle pas, ici, de politique dans la rue. De plus, Ben Ali est ici l’enfant du pays, l’opinion le concernant est plus nuancée qu’ailleurs. (…) « Cela ne se serait jamais vu sous le président »… Ma boulangère, une jeune fille de 16 ou 17 ans, est presque en larmes : elle ne comprend pas comment leur président a pu les abandonner.

L’humiliation de Ben Ali est celle de tout un peuple, par Insaf, 26 ans, Tunis, architecte

Je suis triste et indignée, de voir la jouissance du monde devant la chute et l’humiliation du président Zine El-Abidine Ben Ali – président et non dictateur, comme le monde entier est en train de le décrire aujourd’hui. Je ne nie pas les erreurs d’un homme, mais je n’oublie pas ce que le président a donné et édifié. Il est Tunisien, et son humiliation est une humiliation pour toute une nation. Je suis triste. Je veux aussi exprimer mon amour pour toujours à Ben Ali. J’ai vécu 26 ans en Tunisie, une terre de paix et de fête où, en tant que femme, j’ai joui d’une liberté d’action et de parole, de rentrer chez moi à 4 heures du matin seule. En tant que citoyenne tunisienne, je dis aujourd’hui que je ne suis pas fière, que je suis blessée.

DANS LA NUIT DE SAMEDI À DIMANCHE

Un film de guerre, par Randa T., 33 ans

C’est le chaos total ! Ce qui se passe est tellement surréaliste qu’on a l’impression de jouer dans un film de guerre – une guerre civile plus exactement ! On n’entend que le bruit des hélicopteres et des tirs… Dans toutes les villes, des maisons ont été attaquées et des biens dérobés et saccagés, des femmes violées ! Nous vivons dans la peur, attendant à chaque instant notre tour, après avoir entendu le récit de voisins ou d’amis. La plupart des familles se sont regroupées dans une seule maison en emportant que quelques biens précieux… Des comités de protection des quartiers sont assurés par les civils eux-mêmes puisque l’armée est débordée. Les hommes assurant la garde a l’extérieur – malgré le couvre-feu – munis de bâtons, de couteaux et autres, et femmes et enfants à l’intérieur ne pouvant même pas dormir d’angoisse ! Des prisonniers se sont évadés de toutes les prisons du pays tandis que d’autres y sont morts brûlés lors des heurts avec les milices. Personnellement, j’ai sérieusement peur que les islamistes comme Rached El-Ghannouchi profitent de ces circonstances tragiques, bien qu’historiques, et tentent d’accéder au pouvoir.

Plus de lait pour mon petit neveu, par Béatrice B., 43 ans

A l’heure où j’écris, c’est la panique totale dans les quartiers de la Manouba, en banlieue de Tunis. Il y a des hommes armés qui tirent au hasard dans les rues et sur les gens. L’armée est dépassée, elle demande aux gens de s’organiser par milices pour défendre les groupes d’habitations. Il y a des tirs de mitraillette. Tout le monde est apeuré. En plus, il n’y a presque plus rien à manger. La petite épicerie que tiennent mes beaux-parents a été dévalisée. Surtout, il n’y a plus de lait pour mon petit neveu d’un an. Nous appelons toutes les heures, on entend les tirs au téléphone. Ceux qui mettent la panique sont des policiers affiliés à Ben Ali. Les gens ne comprennent plus rien.

Guerre civile, par Abdelkader L.

Les événements commencent à ressembler à une vraie guerre civile. Les pillages de bandes armées sèment la terreur dans le pays. Plus personne n’est en sécurité malgré l’état d’urgence et la surveillance de l’armée, qui manque cruellement de moyens. De plus, des milices de l’ancien pouvoir font tout pour déstabiliser le pays par des actes de sabotage et de vol et des règlements de compte. Des élections doivent se tenir très prochainement, mais est-ce possible dans un tel climat ? Tous les magasins sont fermés et on commence à manquer de tout. Je crains que l’espoir des Tunisiens de voir enfin naître une démocratie ne soit qu’un rêve et que la Tunisie se retrouve dans une voie sans issue. Je souhaite me tromper, que Dieu protège notre patrie.

Le Tunisien ne ploiera pas, par Rym T., 34 ans, Ariana

En ce moment-même, l’hélicoptère de l’armée est en train de survoler nos têtes et nos hommes sont debout dans nos rues pour assurer la sécurité de leurs biens et des êtres qui leur sont chers. Tous nos hommes, sans exception d’âge, d’origine ou de classe sociale. Du nord au sud du pays. Tous unis pour défendre et reconstruire notre nouvelle Tunisie. Les milices de l’ancien pouvoir ont semé la terreur dans tout le pays : pillages, destructions, incendies. La Tunisie ressemble à un champs de bataille, mais des citoyens libres et fiers se sont unis à l’armée et aux membres intègres de la police nationale pour prouver encore une fois à ces chiens enragés que le Tunisien est décidé à écrire l’histoire avec son sang. Le Tunisien ne baissera pas les bras, nous passerons encore des nuits blanches ; les jeunes femmes devant la télé ou l’ordinateur à l’affut de l’information ou pour donner l’alerte par le biais des chaînes télévisées locales ou des réseaux sociaux, et les hommes dans la rue pour accueillir comme il se doit les traîtres à la patrie. Le Tunisien ne ploiera pas, il a su étouffer sa terreur du dictateur, il saura étouffer la peur des pilleurs, pour construire enfin un avenir meilleur.

DIMANCHE

Victoire ou cauchemar, par Zeineb C.

Malgré la victoire du peuple face à notre ancien dictateur, un climat d’insécurité et de peur règne ici. La Tunisie n’a pas pu fermer l’œil de la nuit, chaque minute passée est une minute de gagnée sur la terreur. Même si la plupart des gens sont cloîtrés chez eux de peur d’être tués, les jeunes du quartier aident l’armée du mieux qu’ils le peuvent contre ces innombrables milices et évadés de prison chargés par Ben Ali de piller et de tuer les civils dans leurs maisons… C’est un mélange d’émotion de voir la jeunesse tunisienne aux portes des quartiers, mais aussi la peur qu’on leur tire dessus… On ne peut savourer la liberté, à chaque instant des hélicoptères passent, des cris sortent par-ci par-là, ou bien des tirs de mitraillettes retentissent à tout bout de champ. On peut même sentir le brûlé où que l’on se situe. Mon Dieu, c’est un vrai calvaire, ou plutôt dirais-je un cauchemar duquel 12 millions de Tunisiens voudraient se réveiller.

Facebook, par Cherifa B., 35 ans, Carthage

La situation est très tendue. Des bandes armées, qui s’attaquent aux supermarchés, banques et maisons pour créer chaos et peur, nous ont confisqué la joie d’avoir conquis notre liberté. De nombreuses photos et vidéos ainsi que de nombreux témoignages de nos amis confirment qu’il s’agit de milices de l’ancien régime et de policiers qui se servent et brûlent tout sur leur passage. La nuit a été très stressante : cloîtrés à la maison par le couvre-feu qui dure de 17 h à 7 h, nous communiquions entre nous via Facebook ou téléphone pour savoir ce qui se passait dans les quartiers des uns et des autres ou pire, à chercher des infos sur ceux qui ne donnaient pas signe de vie depuis la manifestation. Le stress était d’autant plus fort qu’il y a eu beaucoup de coups de feu, de bruits d’hélicoptères et que nous n’avions aucune idée de ce qui se passait. Nous avons finalement compris que l’armée protégeait les citoyens et les bâtiments. Mais l’armée ne peut pas être partout et nous recevions des appels paniqués d’amis qui n’arrivaient pas à joindre les militaires alors que des bandes saccageaient leur voisinage. Espérons qu’on pourra bientôt fêter notre victoire comme il se doit.

Que fait l’ambassade de France ?, par Angelina P. 35 ans, Tunis

Je suis une expatriée française à la Marsa, en banlieue de Tunis. La nuit a encore été difficile ici… L’armée a tiré contre des policiers qui s’en prenaient aux passants en plein après-midi et des pilleurs ont tenté une incursion dans le quartier. J’ai deux enfants en bas âge et le ravitaillement devient difficile. Notre chance est que les Tunisiens sont vraiment solidaires et s’inquiètent pour leurs familles et maisons. (…) Et que dire de l’attitude de l’ambassade de France ! Aucune information… les chefs d’îlots censés nous prévenir en cas de rapatriement, ne se sont jamais fait connaître. Les associations d’expatriés sont plus présentes que l’ambassade, alors que ce n’est pas leur vocation. Une honte…

Que fait-on si des Français sont tués ici ?, par Pierre K., 52 ans

Je vis ici à la Marsa et travaille à Tunis depuis dix mois avec ma famille de deux enfants. La situation est tendue et depuis mercredi dernier les autorités françaises du consulat et de l’ambassade brillent par leur silence ! On croit vivre un vrai film de science-fiction, alors que je suis inscrit et immatriculé au consulat : pas un mail, pas un SMS, pas un coup de fil, pas un numéro pour connaître la situation et les mesures prises concernant notre protection. Je me suis alors renseigné et m’aperçois avec effroi que c’est le cas de la majorité des 20 000 Français vivant ici. Alors que fait-on monsieur Sarkozy ? Si des Français sont tués ici ? Vous leur remettrez la médaille de je ne sais pas quoi avec un discours des plus minables et pitoyables pour adoucir votre image ? Et vous irez pleurer sur leurs tombes accompagné de votre ministre qui proposait d’exporter le savoir-faire de la police française pour aider à la mise en place de la démocratie ici ? Ça suffit cette hypocrisie !

Les prisonniers se sont enfuis, par Manel J., 30 ans

Je me trouve en ce moment à Nabeul. Je viens de faire un tour dans la région en voiture : c’est le chaos ! Des immeubles brûlés, des policiers partout, toujours aussi désagréables, et des militaires aussi. En ce moment, tout le monde à peur des pillages et des vols. Hier, on entendait des tirs toute la nuit et des sirènes de voiture. On a peur que quelqu’un vienne nous agresser la nuit. Et pour couronner le tout, des prisonniers se sont enfuis ce matin des prisons de Monastir, Mahdia et Bizerte. On a vu certains prisonniers arriver déjà ici et accueillis chaleureusement par leurs familles : des tueurs, des voleurs, violeurs… On sait maintenant tous et de source sûre que tous ces vols et braquages sont organisés par des policiers et les partisans du RCD. Des policiers frappent aux portes des gens (parfois en uniforme), les font sortir et les tabassent avant de tout voler et casser ! Les policiers sont des criminels ici, il n’y a que l’armée pour nous protéger.

La faim, par Eymen S.

Personne n’en parle mais des gens n’ont pas mangé depuis deux jours, il n’y a plus d’approvisionnement. Ceux qui n’avaient pas de réserves suffisantes tentent au mieux de rationner la nourriture qui est aujourd’hui un gros problème, notamment dans la capitale.

Des fermes incendiées, par Zahria B., 21 ans, Teboursouk (gouvernorat de Beja)

Si l’armée est présente dans la capitale et les principales villes de Tunisie pour calmer la situation et arrêter les pillards, ce n’est pas le cas dans des régions plus rurales, comme le gouvernorat de Beja. Une bande de pillards (une centaine d’hommes, armées de bâtons, barres de fer) se sont attaqués aux fermes environnantes. Une ferme a été complètement incendiée avec l’ensemble de son bétail à l’intérieur (brebis, vaches). Dans une seconde ferme, le fourrage a été brûlé, et alors que son gardien a essayé de défendre son troupeau, il a été battu à mort. Plus de 700 têtes ont été volées. Ces pillards sont composés en majorité d’hommes vivant dans la région, souvent reconnus par les fermiers, qui profitent de la désorganisation totale (plus de police, de mairie…) pour s’emparer des quelques richesses du pays. Plus que la destruction d’une ferme, ces pillages sont dangereux car ils vont amener à une situation d’approvisionnement de crise dans le pays. Et un pays qui meure de faim, est un pays qui n’est pas apte à élire la meilleure personne pour devenir président, mais la première personne qui pourra les défendre et leur donner à manger. Espérons que l’armée rétablira très rapidement la sécurité sur l’ensemble du pays. L’assistance de la France (envoi de l’armée) pour aider à rétablir la sécurité du pays est souhaitée par bon nombre de Tunisiens. Et non pas comme le suggerait Michèle Alliot-Marie, pour contrôler les manifestants tunisiens.

Les Tunisiens de France ne se rendent pas compte, par Meriam N., 32 ans, Tunis

Depuis la fuite de Ben Ali, les Tunisiens vivent dans l’insécurité, et ce malgré les militaires que nous apercevons ici et là ; les voleurs, pilleurs, issus pour la plupart d’entre eux de quartiers très pauvres, sont à l’affût des biens de la population. Les Tunisiens sont cloîtrés dans leurs maisons, avec un sentiment de peur, de crainte et d’angoisse. Les Tunisiens de France montrent leur grande joie à l’annonce du régime Ben Ali écrasé, mais ne s’imaginent pas à quelle situation économique et sociale nous allons faire face : la crise alimentaire, financière et sociale commence d’ailleurs à se faire ressentir.

Ils peuvent être dix mille, nous sommes dix millions, par Malika A;, 24 ans, juriste

Nous sommes très inquiets pour la sécurité de tous car des exactions continuent d’être commises. Ce n’est ni plus ni moins que du terrorisme, une politique de la terre brûlée que pratiquent les hommes de Ben Ali. Cependant, nous sommes confiants, ils peuvent être dix mille, nous sommes dix millions. Les gens de tous âges et de tous milieux sortent en journée pour nettoyer les rues et ceux-là mêmes forment des comités de quartier le soir pour protéger nos concitoyens. L’armée fait un travail remarquable. Jamais je n’ai vu tant de solidarité, tant d’unité, tant de patriotisme. Nous sommes plus motivés que jamais, ce qu’ils détruisent, nous allons le reconstruire, pour pouvoir nous concentrer sur les élections à venir. L’économie pâtira peut-être un moment de la situation, mais elle redémarrera en trombe dès que la situation se sera calmée, sans les blocages, les découragements et les innombrables détournements occasionnés par les Trabelsi et leur bande. Nous œuvrons main dans la main pour préserver notre liberté retrouvée, nous n’avons plus peur, le pire est forcément derrière nous.

Les passe-droits, c’est fini, par Nabil G., 48 ans

Ce matin, il y avait quelques centaines de personnes qui faisaient la queue devant la boulangerie du quartier. Il y avait environ une heure d’attente dans une ambiance bon enfant. Les voisins du quartier ont spontanément organisé un service d’ordre afin de décourager les éventuels resquilleurs. A une dame qui voulait quand même tenter sa chance, mon voisin a répondu, « Madame, il va falloir vous habituer à faire la queue comme tout le monde, sinon on n’a vraiment rien compris ». Il a ensuite rajouté : « Je ne vous en veux pas du tout, car j’ai moi-même essayé d’avoir du pain directement chez mes copains à l’intérieur, ce matin, mais quand le type du service d’ordre m’a interpellé, j’ai eu honte de moi ». Que voulez-vous, c’était tellement banal… Le passe-droit était devenu la règle. Je suis intimement persuadé qu’après le changement politique, il y aura un changement social, et des valeurs que je croyais définitivement perdues comme la solidarité, la responsabilité, le sens du devoir et le sens civique ressurgiront comme par miracle. On pourra enfin être fier d’être Tunisien.

Liberté, par Mongia B., 46 ans, Tunis

Je suis Tunisienne et fière de l’être. Nous vivons des moments historiques que nous avons gravés à jamais dans l’histoire. Je ne peux décrire ce sentiment qui m’anime : un bonheur nouveau, d’un goût différent, désormais je peux parler politique librement avec tout le monde, je peux critiquer, aller sur des sites Internet jusque-là fermés. Maintenant, au moment où j’écris ces mots, des tirs, des hélicoptères sillonnent la Marsa. Je tremble, ma famille aussi, c’est qu’on n’a jamais vécu cela ! Mais bizarrement, notre peur est mélangée de fierté, on a l’impression d’avoir créé quelque chose d’unique, d’énorme : la liberté. Enfin, je souhaite que le calme et la stabilité reviennent pour qu’on puisse savourer ce que nous avons acquis après tant d’année de silence. Vive la Tunisie !

Retourner au travail, par Sami H.

La Tunisie retrouve le calme après la révolte du jasmin qui a réussi a éliminer un des plus féroces dictateurs de notre époque. Il reste encore quelques fidèles du régime sortant qui essaient encore de perturber la vie normale, mais le peuple tunisien est capable de les emmener au diable vert. Nous remercions Dieu, le seul qui nous ait aidés à en finir avec ce régime. Nous retournerons demain inch’allah à nos postes pour reconstruire notre pays.

LUNDI

Résistance passive, par Sabah B.

Le mot d’ordre aujourd’hui est de reprendre le travail. En parcourant les rues de Tunis, ce matin, je voyais des gens reprendre un semblant de vie normale, des éboueurs en train de nettoyer les rues, des pharmacies, des boulangeries qui rouvraient. Une forme de résistance passive s’organise pour vaincre la peur. Aujourd’hui on doit franchir une seconde étape non moins cruciale après celle de la chute de l’ancien régime, reprendre nos activités normales et braver tous ceux qui veulent nous terroriser.

L’espoir, par Chafika C., 55 ans

Incontestablement, le 14 janvier 2011, le peuple tunisien a tourné une des pages les plus terribles de son histoire. Une page de terreur, de népotisme, de non-droit. Depuis 48 heures, les gens sont visiblement plus heureux, fiers de leur identité de Tunisien. Ce peuple qui a repris confiance en lui se montre plus solidaire, plus responsable, avec un sens du civisme inhabituel, jusque-là voilé par une chappe de peur et de frustration.

La liberté l’a transformé. Oui les milices de Ben Ali sévissent encore ça et là, mais ce scénario ne semble pas avoir eu les résultats escomptés. La terreur et chaos ne sont pas au rendez-vous. Ben Ali ne reviendra plus que pour être jugé. (…) La situation devrait à l’évidence évoluer positivement à condition que le président (homme ou femme) soit suffisamment fédérateur (toutes les forces vives, tous les partis politiques) avec un nouveau gouvernement excluant toute personne ayant participé de près ou de loin avec l’ancien. Une telle détermination, une telle cohésion et un tel regain de confiance ne peuvent que rassurer sur le proche avenir. Je l’espère de tout cœur.

Le silence de la France, par S., 34 ans

Je suis heureuse de voir ce jour votre page qui s’ouvre enfin et au lieu du « 404 not found » éternel, un petit espace où nous pouvons enfin nous adresser au « Monde » (vous et le monde entier)… Je suis fière de mon peuple et encore incrédule de ce qui s’est passé ce dernier mois. En décembre, nous n’aurions jamais cru imaginable la chute de Ben Ali. Tous espérons aujourd’hui du fond du cœur un retour rapide au calme et l’installation, enfin, d’une démocratie. Nous souhaitons continuer et garder précieusement ce que nous a légué notre président Bourguiba en restant le pays ouvert, accueillant et agréable à vivre que nous avons toujours connu. (…) Je compte sur l’intelligence du peuple tunisien pour construire enfin un pays où le mot peur sera remplacé par celui de confiance. Que la Tunisie libre soit à la hauteur de ses espoirs. (…) Un peu triste quand même du silence de la France pendant que notre peuple se faisait tuer.

Fraternité, par Fares K., 15 ans

Ces dernières années, les Tunisiens ont perdu leur patriotisme. Mais on a assisté ces jours-ci à une révolution qui n’est guère une révolution politique mais une révolution humaine. Tous ensemble, on a combattu contre le tyran du pays, tous ensemble nous sommes en train de combattre ses milices qui sèment le trouble et tous ensemble nous bâtirons une Tunisie meilleure. Il y a un mois, je connaissais pas la majorité de mes voisins, aujourd’hui ce sont mes frères et sœurs car nous avons lutté ensemble.

En Suisse aussi : lancement de la campagne nationale du « boycott des produits israéliens »


Le samedi 5 février

14h-17h

à Berne (à proximité de la gare de long de la Heiliggeistkirche)

La campagne BDS Suisse a décidé de focaliser ses efforts sur les deux grands distributeurs suisses Migros et Coop. Par toutes sortes de pressions, il leur est demandé de cesser de vendre des produits israéliens. Ceci jusqu’à ce qu’Israël respecte le droit international et reconnaisse les droits légitimes des palestiniens. Ces deux chaînes sont ainsi prises au mot, puis que l’une et l’autre prétendent être animées par un souci éthique dans le choix des produits venus. Lors de la distribution de tracts de boycott devant les supermarchés, beaucoup de consommateurs et consommatrices affirment boycotter les produits depuis des années. Lors de cette campagne nationale, nous espérons fédérer cette contestation individuelle et la rendre plus visible. Mais surtout nous voulons insister sur le fait que la politique menée par l’Etat d’Israël est une politique d’apartheid. En cela les gouvernements et les compagnies qui travaillent avec Israël deviennent eux-mêmes complices de cette politique.

Le 5 février 2011 les militants BDS de différentes villes de la Suisse viendront à Berne pour lancer la campagne. Différentes actions sont prévues au centre ville et une conférence de presse aura lieu en fin d’après-midi.

BDS Genève compte bien être présent et nous aimerions être nombreux ! Pour cela nous allons organiser des moyens de transports etc. Si vous voulez participer à cette après-midi, vous pouvez nous contacter à l’adresse suivante: bdsgeneve@gmail.com

Par ailleurs nous voulons créer un groupe d’action pour animer la campagne à Genève. Dans un premier temps nous allons lancer «  une boîte aux idées » pour récolter des suggestions, idées etc., pour différentes animations. Ensuite il s’agira de mettre sur pied ces animations pour que les gens puissent participer facilement.

Grâce au travail du BDS Suisse, nous avons toute un matériel à disposition : poster, autocollants, flyers, textes avec arguments vis-à vis de Migros et Coop. Sur le site www. bds-info.ch, vous pouvez consulter le matériel y compris « not Shop » qui fournira des informations plus spécifiques sur les produits.

Si vous aimeriez faire partie du groupe d’actions, si vous avez des idées d’animation, si vous êtes d’accord de participer de temps en temps à ces animations, inscrivez-vous !

BDS GE

bdsgeneve@gmail.com.