Que s’est-il passé à Daraya « la pacifiste » ? Dès dimanche, l’Organisation syrienne des Droits de l’Homme (OSDH) annonçait qu’au moins 320 corps avaient été retrouvés. Les comités de coordination locale recensaient de leur côté près de 440 victimes. Mercredi, un nouveau bilan faisait état de 675 victimes.
Appelons-le C. A. (lire notre Boîte noire). Il est membre fondateur du mouvement pacifiste de Daraya, sa ville natale, et responsable au sein du mouvement révolutionnaire de cette banlieue de Damas. À partir de témoignages recueillis, depuis l’étranger, auprès d’activistes et de proches sur place, il raconte l’offensive du régime contre l’Armée syrienne libre (ASL) et comment les civils se sont retrouvés piégés et livrés à la terreur exercée par les milices du régime et de ses collaborateurs. Il dénonce enfin les conséquences dramatiques de l’absence d’appui extérieur et en particulier des moyens de communication. Entretien.
Peut-on retracer ce qui s’est passé à Daraya ? Quand a commencé l’offensive ?
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut revenir sur le statut particulier de Daraya. C’est l’une des villes les plus pacifiques de Syrie : c’est là qu’est né le mouvement pacifique syrien, qui s’est fait connaître, à partir de 2002, pour ses activités non violentes. Pendant la révolution, la ville a joué un rôle clé dans la mobilisation pacifiste, mais les habitants ont fini par accepter la présence de l’Armée syrienne libre en tant que force de protection. L’ASL ne menait pas des opérations contre les forces du régime, sa mission à Daraya consistait à protéger les habitants. Elle empêchait ainsi les chabiha (milices du régime – ndlr) de pénétrer dans la ville.
Même avec l’évolution des combats dans la capitale, l’ASL à Daraya s’est contentée de protéger la population et les manifestations nocturnes qui s’y déroulaient, en surveillant les entrées de la ville. Depuis deux mois, il n’y avait plus de morts lors des manifestations ; les seules victimes étaient le résultat des affrontements aux barrages, aux portes de la ville, entre l’ASL et les milices. Les manifestants venaient des localités voisines, Qataniyé, Moadamiyé… Daraya était devenue le lieu de rassemblement de toute la région.
C’était surtout un modèle de ville « libérée » où la population, et les révolutionnaires en particulier, avaient pris en charge la sécurité et la gestion de la vie quotidienne en toute harmonie. Cela explique l’acharnement du régime contre Daraya qui le défiait de la sorte.
L’une des manifestations de Daraya, au mois de juillet 2012 réunissant les habitants de Daraya ainsi que ceux de al-Qaddam.
La semaine dernière (dimanche 20 août – ndlr), le régime a massé ses forces – notamment les militaires de la 4e brigade (dirigée par Maher al-Assad), les hommes des services de renseignement de l’armée de l’air et les chabiha – autour de la ville. Elles se sont positionnées à toutes les entrées, bloquant les accès, jusqu’aux petites artères où se sont déployées les chabiha. Plus personne ne pouvait entrer ni sortir. Deux jours après, mardi 22 août, ils ont commencé à bombarder la ville, avec l’artillerie lourde, les hélicoptères. Les bombardements ont duré trois jours, jusqu’à vendredi.
Nous, les activistes des comités locaux de coordination, les révolutionnaires et relais de l’ASL, avons demandé à l’ASL de sortir de la ville, car la stratégie du régime est claire. Ils bombardent, puis reculent selon la résistance qu’ils rencontrent avant de bombarder à nouveau pour contraindre l’ASL à se replier. Il était inutile que l’ASL épuise ses rares munitions et nous voulions éviter les représailles de l’armée et la vengeance du régime. Les médiations que nous avons menées, à l’intérieur et depuis l’extérieur, ont abouti à un accord sur la nécessité d’un repli : vendredi à 17 heures, les deux Katibats de l’ASL de Daraya nous ont informés de leur intention de partir dans la nuit. Et dès qu’elles sont parties, dans la nuit de vendredi à samedi, à 2 heures du matin, les bombardements ont cessé. Ces trois jours de bombardement avaient déjà fait près de cent morts.
