Syrie. Lettre de Bachar al-Assad à son père


Cher Papa,

Je sais que tu te faisais beaucoup de souci pour moi avant de mourir. Je crois que tu avais tort. Tout s’est en effet très bien passé au moment de la succession. J’ai eu ensuite quelques petits problèmes avec le Liban (il m’a fallu liquider Hariri), mais il a suffi de faire le gros dos pour que, petit à petit, tout rentre dans l’ordre. La Syrie a prospéré au cours des dix premières années de mon règne. Je dois dire que le cousin Rami m’a beaucoup aidé. Tout allait bien et tout aurait pu durer ainsi éternellement – même s’il me fallait périodiquement emprisonner des contestataires -, sans l’agitation que Ben Ali et Moubarak ont laissé se développer dans leurs pays. Tu imagines ? : Ils ont été renversés. Pire encore, Kadhafi a été écharpé par son peuple.

Bien entendu, le mouvement de protestation a fini par arriver chez nous. Je me suis souvenu de la manière inflexible avec laquelle tu avais traité les Frères et j’ai suivi ton modèle. J’ai transformé toutes les villes de Syrie – ou peu s’en faut – en autant de Hama. Le problème, que tu n’avais pas rencontré en 1982, est qu’il m’a été impossible de boucler le pays. Avec les moyens de communication qui ont cours aujourd’hui, les images de la répression se sont répandues dans le monde entier.

Au début, cela m’a beaucoup inquiété. Toutes ces démocraties qui, périodiquement, venaient me parler de droits de l’homme risquaient de vouloir intervenir, comme elles l’ont fait en Libye. Mais – le croiras-tu ? – elles n’ont pas bronché. Bien entendu, elles m’ont traité de tous les noms : « boucher », « assassin », tous les qualificatifs désobligeants y sont passés. J’ai eu droit aussi à des remarques ridicules sur la perte de toute légitimité. Curieux, comme ces dirigeants sont incapables de concevoir que nous ne pensons pas comme eux. Mais ils se sont contentés de discourir.

Il est vrai que les Russes m’ont beaucoup aidé. Tu avais vraiment raison de conclure une alliance avec eux. Ces gens-là ont la même façon de voir les choses que nous. Et ils se moquent de toutes ces remarques grotesques sur la vérité et le mensonge, le bien et le mal. Ils savent que la seule chose qui compte est de rester au pouvoir. Avec les Chinois, qui m’ont toujours paru moins convaincus qu’eux, mais qui les ont suivis, ils ont tout bloqué au Conseil de sécurité. Les Occidentaux n’ont pas osé passer outre et recommencer ce qu’ils avaient fait pendant la guerre de Bosnie. Ils ont même publiquement assuré que jamais ils n’interviendraient en Syrie. Je n’en attendais pas tant, mais, bien sûr, j’en ai profité pour réprimer à tout-va.

Les Iraniens m’ont, eux aussi, beaucoup aidé. Tes anciens collaborateurs m’avaient critiqué de m’être rapproché de l’Iran lorsque tout allait encore bien pour nous. Ils voient maintenant que j’avais raison. Je sais bien que les Perses ne me soutiennent pas pour mes beaux yeux bleus, mais pour garder leur emprise sur la région. Qu’importe, tant qu’ils me fournissent (comme les Russes) des armes et même des hommes. Le Hezbollah est je dois dire un précieux allié : tu as eu une riche idée en encourageant sa création.

Tout n’est pas réglé, loin s’en faut, mais je tiens toujours Damas et les rebelles ne disposent pas d’autant de matériel que l’armée du régime. Rien n’est perdu. Fidèle à ton enseignement, je crois qu’il me suffit d’attendre que l’ennemi s’épuise. Au pire, nous nous replierons sur notre montagne et, d’une manière ou d’une autre, nous continuerons à nous battre et à empêcher la Syrie et ce peuple, si ingrat, de se relever.

Ce qui m’a le plus frappé dans toute cette affaire, ce sont les contradictions, la pusillanimité et la lâcheté des peuples occidentaux. Au fond, ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Ils dénoncent ma politique, réclament mon départ, veulent me faire juger à la CPI tout en continuant à m’envoyer des émissaires. Rends-toi compte : ils ont ressorti Kofi Annan et maintenant Lakhdar Brahimi pour jouer ce rôle !

Je suis parvenu à les manipuler d’une manière digne de toi. C’est tellement facile de les embrouiller en faisant croire que certaines de nos opérations ont été menées par des rebelles que ce n’en est même plus drôle. Ils en sont à donner des leçons de morale aux généraux rebelles plutôt que des armes. Car, vois-tu, ils ne supportent pas l’idée que l’armée rebelle puisse tuer qui que ce soit, y compris les chabbiha. En revanche, si, comme la semaine dernière, je fais égorger 400 civils, dont pas mal d’enfants, ils ne réagissent même pas.

J’ai aussi repris ta technique du repoussoir jihadiste. Cela marche à tous les coups. Je n’ai eu qu’à libérer quelques-uns des terroristes maison et à demander aux « services » d’inoculer ce poison dans les rangs des rebelles. Quelques attentats bien organisés ont jeté le discrédit sur l’opposition armée. Le succès a dépassé toutes mes espérances ! Alors que nos ennemis commençaient à susciter un début de sympathie en Occident, il n’est plus question dans leurs médias que de la menace « islamiste » ! Il est vrai que les brigades jihadistes font vendre les journaux ou regarder les nouvelles à la télévision, bien plus que mes massacres.

Un dernier exemple de la faiblesse de caractère des Occidentaux. Obama (l’actuel président américain) et ses homologues britanniques et français m’avaient menacé il y a quelques mois si j’utilisais des armes chimiques. Curieux qu’ils ne se soient pas rendu compte que cela signifiait a contrario que je pouvais tuer autant de Syriens que je voulais par d’autres moyens (je suis récemment passé aux SCUDS : cela marche très bien), sans qu’ils ne s’en mêlent. J’ai voulu voir jusqu’où je pouvais aller – d’autant que les Iraniens étaient intéressés eux aussi par ce test. J’ai donc fait tirer quelques missiles armés de produits chimiques à dose réduite. La première fois, l’Américain, l’Anglais et le Français ont décrété qu’il n’y avait pas de preuves. J’ai donc recommencé à plusieurs reprises. Cela devenait difficile à Obama de prétendre que je n’avais pas franchi ce qu’il avait qualifié de « ligne rouge ». Ne voulant décidément rien faire contre moi, il a ajouté une seconde condition : il faudrait que les armes chimiques soient employées à grande échelle pour « changer le jeu ». Le « jeu » ! Je peux donc continuer à m’amuser tranquillement à détruire la Syrie à petit feu. Quand on pense que la droite américaine soupçonne cet Obama d’être musulman !

Comme tu le vois, cher Papa, j’ai tout bien en main. J’ai bien retenu toutes les leçons que tu m’as enseignées et je les appliquerai jusqu’au bout, dussè-je pour cela détruire complètement le pays.

Ton fils dévoué,

Bachar

(Avec l’assistance d’Isabelle Hausser)

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http://petitseigneur.com/lettre-de-bachar-al-assad-a-son-pere/

Samer Issawi, Gardez-nous de nos amis…


Henri Wajnblum : Voici un article que j’ai publié dans le numéro de mai de Points critiques, la revue mensuelle de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB). Même si entretemps Samer Issawi a mis fin à sa grève de la faim, il me semble qu’il n’y a rien à y changer sur le fond

samer

 

Vous n’en avez peut-être jamais entendu parler. Il est vrai que nos responsables politiques et nos médias ont de ces pudeurs…

Il s’appelle Samer Issawi, 33 ans. Il est palestinien, militant du Front démocratique pour la Libération de la Palestine (FDLP, mouvement marxiste-léniniste) et résident de Jérusalem-Est. En 2002, il a été condamné à 26 ans de prison par un tribunal israélien après avoir été reconnu « coupable de tentative de meurtre, de possession d’armes, d’entraînement militaire et d’appartenance ‡ un groupe terroriste ». En 2011, il faisait partie des 1.027 prisonniers palestiniens graciés et libérés dans le cadre de l’accord d’échange avec le soldat israélien Gilad Shalit. Mais sa libération fut de courte durée… Il fut en effet réincarcéré le 7 juillet de l’année dernière pour « violation des conditions de sa libération », en l’occurrence pour avoir dépassé les limites de la zone de résidence qui lui avait été assignée.

Un mois plus tard, en août, il entamait une grève de la faim et il en est aujourd’hui à près de 250 jours, s’il n’est pas mort entre le moment où ces lignes sont rédigées (le 17 avril, journée des prisonniers palestiniens), et celui où vous les lirez.

En effet, à la mi-avril le ministre palestinien des Prisonniers – le fait que l’État de Palestine doive avoir un ministre des Prisonniers en dit bien plus que de longs discours – le ministre palestinien des Prisonniers donc, Issa Qaraqaë, faisait savoir que des responsables israéliens l’avaient informé que Samer Issawi était dans un état critique et pouvait mourir à tout moment

L’Autorité palestinienne a proposé qu’il soit libéré à Ramallah pour un temps, mais les Israéliens ont refusé. Elle a ensuite proposé qu’il soit envoyé en Europe pour quelques mois afin de recevoir un traitement médical approprié, avant de revenir… Nouveau refus.

 

Samer Issawi s’explique

La condition posée par Israël pour que Samer Issawi soit libéré est qu’il soit exilé à Gaza ou dans un pays de l’Union européenne. Mais cette condition, c’est lui qui la rejette, catégoriquement. Et il s’en est expliqué dans un message posté sur sa page facebook par son avocat Jawad Boulos :

« En ce qui concerne l’offre, faite par l’occupant israélien, de me déporter à Gaza, j’affirme que Gaza fait indéniablement partie de mon pays et son peuple est mon peuple. Cependant, je rendrai visite à Gaza quand j’en aurai envie et quand je le déciderai, car elle fait partie de mon pays, la Palestine, dans lequel j’ai le droit d’aller où bon me semble, du nord au sud. Je refuse catégoriquement d’être déporté à Gaza, car cette pratique ne fait que raviver l’amer souvenir des expulsions que notre peuple palestinien a subies en 1948 et 1967. (…) Je n’accepterai d’être libéré qu’à Jérusalem car je sais que l’occupant israélien tente de vider Jérusalem de ses habitants pour que les Arabes deviennent une minorité.
La question de la déportation n’est plus une décision personnelle. Il s’agit au contraire d’un principe national. Si chaque détenu accepte, sous la pression, d’être déporté loin de Jérusalem, la ville finira par être totalement dépeuplée.
Je préfère mourir sur mon lit d’hôpital que d’être déporté loin de Jérusalem. Jérusalem est mon âme et ma vie. M’arracher à elle serait arracher mon âme à mon corps. (…)  »

J’ouvre une parenthèse… Je reviens moi-même d’un court séjour à Jérusalem et Bethlehem, à l’invitation d’une délégation de la Maison de la Famille de St-Gilles. Je vous en parlerai plus en détails dans le prochain numéro, car aujourd’hui, l’urgence c’est Samer Issawi. Je tiens simplement à dire combien il a raison concernant Jérusalem. D’un voyage à l’autre j’ai en effet pu constater l’expansion galopante de la colonisation dans la vieille ville de Jérusalem-Est, ainsi qu’à Silwan et à Sheikh Jarrah, deux quartiers palestiniens de Jérusalem-Est.

Fin de la parenthèse et retour à Samer Issawi qui, le 10 avril, s’adressait ainsi à la société civile israélienne, via le quotidien Ha’Aretz :

« (…) J’ai choisi de vous écrire : à vous, intellectuels, universitaires, écrivains, avocats, journalistes et militants de la société civile israélienne. Je vous invite à me rendre visite à l’hôpital et à me voir : un squelette menotté et attaché à son lit. Trois gardiens de prison épuisés, qui mangent et boivent derrière mon lit, m’entourent. Les gardiens suivent ma souffrance et ma perte de poids. De temps à autre, ils regardent leur montre et se demandent : Comment ce corps survit-il encore ? Israéliens, je cherche parmi vous quelqu’un d’éclairé qui a franchi le stade du jeu des ombres et des miroirs. Je veux qu’il me regarde au moment où je perdrai conscience. (…) Je le verrai et il me verra. Je verrai à quel point il est tendu à propos du futur et il me verra, moi, un fantôme accroché à son flanc et qui ne le quitte pas. (…)

Je suis Samer Issawi, ce jeune Araboush, pour reprendre le langage de votre armée. Cet habitant de Jérusalem que vous avez enfermé sans autre raison que d’avoir quitté Jérusalem pour se rendre dans sa périphérie. (…) Je n’ai entendu aucun d’entre vous intervenir ou tenter de faire taire la voix qui impose la mort, alors que vous vous êtes tous mués en fossoyeurs, en porteurs d’uniformes militaires : le juge, l’écrivain, l’intellectuel, le journaliste, le commerçant, l’universitaire, le poète. Et je ne puis croire qu’une société tout entière soit devenue la gardienne de ma mort et de ma vie et qu’elle défende les colons qui persécutent mes rêves et mes arbres.

Israéliens, je mourrai satisfait, je n’aurai pas été chassé de ma terre et de mon pays natal. » (…)

Interpellés ainsi directement, un groupe d’intellectuels, parmi lesquels les deux grands écrivains Amos Oz et A.B. Yehoshua, ont immédiatement réagi… Pour exiger des autorités qu’elles dévoilent enfin de quels crimes Samer Issawi était accusé ? Pour exiger sa libération immédiate compte tenu de son état, et surtout de l’absence de preuves d’une quelconque activité terroriste dans son chef ?

Pensez-vous !… Ils ont tout simplement déversé un tombereau de larmes de crocodiles sur Samer Issawi et l’ont Exhorté à mettre un terme à sa grève de la faim  afin d’alléger… leurs tourments !… «Nous sommes horrifiés par la dégradation de votre état de santé. Votre acte suicidaire ne fera qu’ajouter un autre élément de tragédie et de désespoir au conflit entre les deux nations. Donnez-vous de l’espoir afin de renforcer l’espoir parmi nous ». Et d’ajouter qu’il y avait « de nouveaux signes encourageants pour espérer que les négociations entre les parties arrivent enfin à une heureuse conclusion » ! Mais où sont-ils donc allé chercher ça ? Les voies de ces intellectuels de gauche, militants de la paix, tels qu’« on » les présente, sont décidément impénétrables. À Leurs yeux, c’est donc Samer Issawi qui détient les clefs de la réussite des négociations de paix, ou de leur échec ! Et il prendrait une lourde responsabilité en ne mettant pas un terme à sa grève ! Comme manière de se défausser et comme faux jetons, il sera désormais difficile de faire plus fort.

Mais c’en était encore trop pour l’Agence d’information Guysen qui titrait : « Un groupe d’intellectuels israéliens, parmi lesquels l’Écrivain Amos Oz, ont adressé une lettre d’encouragement (sic) au terroriste palestinien Samer Issawi » !

Heureusement que tous les Israéliens n’ont pas la couardise de ces intellectuels de gauche

Durant ces quelques dernières semaines, plusieurs femmes israéliennes membres de l’organisation Machsom Watch (vigiles aux check-points) ont en effet rendu visite à Samer Issawi à l’hôpital Kaplan de Rehovot. On ne les a pas autorisées à entrer dans sa chambre, mais elles ont néanmoins réussi à en ouvrir la porte pour lui tendre des fleurs et lui transmettre des messages de solidarité, jusqu’au moment où les gardes les ont éloignées.

Par ailleurs, une grève de la faim de huit jours, devant le ministère de la Défense, a été entamée le 18 avril par un groupe de militants israéliens en solidarité avec Samer Issawi et pour exiger sa libération.

Notons qu’il n’a nulle part été question d’une quelconque participation des pleureuses Amos Oz et A.B. Jehoshua à cette action de solidarité et de protestation…

 

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