Par Catherine Gouëset, publié le 16/05/2013 à 18:02, mis à jour à 21:50
La vidéo montrant un rebelle éviscérant le cadavre d’un soldat a provoqué une forte émotion. Ce type d’exactions se multiplie à mesure que dure la crise et contribue à la guerre des images qui se livre en Syrie.

La vidéo montrant un rebelle syrien éviscérant le cadavre d’un soldat et faisant mine de croquer ses organes a suscité mardi une très forte émotion. L’un des responsables de l’association Human Rights Watch (HRW) qui a révélé cette atrocité se demande s’il agit de la vidéo la plus répugnante depuis le début de la crise en Syrie.
Abou Sakkar, de son nom de guerre, commandant de la brigade rebelle Omar al-Farouq de l’Armée syrienne libre (ASL), découpe le coeur du cadavre avant de lancer: « Nous jurons devant Dieu que nous mangerons vos coeurs et vos foies, soldats de Bachar le chien ». « Oh héros de Baba Amr, massacrez les alaouites et découpez leur coeur pour le manger », ajoute dans la vidéo ce sunnite, comme l’écrasante majorité des insurgés, faisant référence à la minorité issue du chiisme à laquelle appartient Bachar el-Assad.
Un journaliste britannique qui avait rencontré la brigade de Khalid al-Hamad (le vrai nom du combattant) lors du siège de Baba Amr à Homs, au début de 2012, explique pourtant que celle-ci était loin d’être extrémiste. Les proches d’Abou Sakkar se souviennent qu’il participait aux manifestations pacifiques et anti-sectaires au début de la contestation.
Tous les observateurs du conflit syrien soulignent que ce type d’horreurs ne peut aller qu’en augmentant à mesure que la guerre s’intensifie en Syrie. Elles sont le propre de toutes les guerres, rappelle Patrick Clervoy, psychiatre militaire: « Tout être humain plongé dans un milieu chaotique et lui-même témoin d’atrocités peut être amené à ce type de dérive. Qu’il soit Syrien, Européen ou Américain importe peu. Pendant la deuxième guerre mondiale, des GI’s avaient attaché des scalps de soldats japonais à leurs chars et leurs autorités avaient dû écrire des règlements explicites pour interdire la prise et l’exhibition de dépouilles corporelles de l’ennemi. Des vétérans anciens commandos de chasse m’ont rapporté des histoires identiques de cannibalisme rituel pendant la Guerre d’Algérie… comportements importés dans l’armée française par des anciens soldats de la Wermacht engagés dans la Légion étrangère », complète le médecin.qui parle de « décrochage du sens moral » propre au contexte de la guerre.
Interrogé via Skype par le journal américain Time, le combattant, identifié comme Khalid al-Hamad, assure avoir agi de la sorte après avoir découvert dans le téléphone portable du soldat tué des vidéos montrant ce dernier en train d' »humilier » une femme nue et ses deux filles. En Syrie, toucher à une femme est particulièrement tabou.
La bataille des images
Depuis le début du conflit, violence et propagande sont l’un des enjeux de cette crise (Lire La révolution syrienne, entre piège de la violence… et manoeuvres du régime, sur le blog Un oeil sur la Syrie) De nombreuses vidéos circulent sur internet servant la propagande des uns et des autres. Dont un certain nombre de faux, comme le rappelait le GlobalPost en novembre dernier. « Dans la plupart des vidéos, on a affaire à des anonymes, explique Nadim Houry, de HRW. Si celle-ci retient plus l’attention que les autres, c’est parce que l’auteur de ces crimes a été identifié et qu’il a reconnu ses actes ».
La rébellion syrienne a promis de punir les auteurs d’exactions. L’opposition qui cherche à obtenir de l’aide des pays occidentaux contre le régime de Bachar el-Assad est consciente que ce type d’acte porte un coup terrible à sa cause. Pour Ignace Leverrier, ancien diplomate et auteur du blog Un oeil sur la Syrie, le régime de Damas, en encourageant les chabihas à commettre des exactions, cherche aussi à entrainer ce genre de réaction chez les rebelles. Il sait qu’il tirera profit du discrédit que cela entraîne pour l’opposition.
D’autant que la communauté internationale, « qui ne s’indigne que mollement des atrocités commises par le régime, exige en revanche de l’opposition qu’elle soit exemplaire », complète Ignace Leverrier.
Indignation à géométrie variable
Les opposants s’étonnent d’ailleurs de l’indignation à géométrie variable des opinions publiques occidentales. Les massacres récurrents (comme ceux de Houla, en juin 2012, de Darraya en aout 2012, de Jdeidet al-Fadl en avril dernier) commis par le régime se multiplient depuis le début du conflit dans une quasi indifférence.
Début mai, des dizaines de personnes dont des femmes et des enfants ont été massacrés dans des quartiers sunnites à Baniyas et dans le village proche de Baida, en plein coeur de la région alaouite. Les témoignages se multiplient sur ces tueries, dont celui du New York Times, ou celui paru sur le site A l’encontre. Mais « ces régions sont sous le contrôle du gouvernement syrien et les habitants ont enterré leurs proches en catimini ; ils ont très peur de parler et peu de moyens de faire connaître l’ampleur des tueries », explique Nadim Houry. Le nombre de victimes est estimé à au moins 145 par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), dont des femmes et des enfants, mais certaines associations parlent de plusieurs centaines de victimes.
Pour Nadim Houry, « il essentiel que l’opinion internationale redouble d’initiative pour mettre fin au conflit », sans quoi, se sentant délaissés, les Abu Sakkar vont se multiplier.