Syrie: une implacable surenchère d’atrocités


Par , publié le 16/05/2013 à 18:02, mis à jour à 21:50

La vidéo montrant un rebelle éviscérant le cadavre d’un soldat a provoqué une forte émotion. Ce type d’exactions se multiplie à mesure que dure la crise et contribue à la guerre des images qui se livre en Syrie.

Syrie: une implacable surenchère d'atrocités
Syrie- « Dans la plupart des vidéos, on affaire à des anonymes. Si celle d’Abou Sakkar retient plus l’attention que les autres, c’est parce que l’auteur de ces crimes a été identifié et qu’il a reconnu ses actes ».Capture d’écran du Daily Mail

La vidéo montrant un rebelle syrien éviscérant le cadavre d’un soldat et faisant mine de croquer ses organes a suscité mardi une très forte émotion. L’un des responsables de l’association Human Rights Watch (HRW) qui a révélé cette atrocité se demande s’il agit de la vidéo la plus répugnante depuis le début de la crise en Syrie.

Abou Sakkar, de son nom de guerre, commandant de la brigade rebelle Omar al-Farouq de l’Armée syrienne libre (ASL), découpe le coeur du cadavre avant de lancer: « Nous jurons devant Dieu que nous mangerons vos coeurs et vos foies, soldats de Bachar le chien ». « Oh héros de Baba Amr, massacrez les alaouites et découpez leur coeur pour le manger », ajoute dans la vidéo ce sunnite, comme l’écrasante majorité des insurgés, faisant référence à la minorité issue du chiisme à laquelle appartient Bachar el-Assad.

Un journaliste britannique qui avait rencontré la brigade de Khalid al-Hamad (le vrai nom du combattant) lors du siège de Baba Amr à Homs, au début de 2012, explique pourtant que celle-ci était loin d’être extrémiste. Les proches d’Abou Sakkar se souviennent qu’il participait aux manifestations pacifiques et anti-sectaires au début de la contestation.

Tous les observateurs du conflit syrien soulignent que ce type d’horreurs ne peut aller qu’en augmentant à mesure que la guerre s’intensifie en Syrie. Elles sont le propre de toutes les guerres, rappelle Patrick Clervoy, psychiatre militaire: « Tout être humain plongé dans un milieu chaotique et lui-même témoin d’atrocités peut être amené à ce type de dérive. Qu’il soit Syrien, Européen ou Américain importe peu. Pendant la deuxième guerre mondiale, des GI’s avaient attaché des scalps de soldats japonais à leurs chars et leurs autorités avaient dû écrire des règlements explicites pour interdire la prise et l’exhibition de dépouilles corporelles de l’ennemi. Des vétérans anciens commandos de chasse m’ont rapporté des histoires identiques de cannibalisme rituel pendant la Guerre d’Algérie… comportements importés dans l’armée française par des anciens soldats de la Wermacht engagés dans la Légion étrangère », complète le médecin.qui parle de « décrochage du sens moral » propre au contexte de la guerre.

Interrogé via Skype par le journal américain Time, le combattant, identifié comme Khalid al-Hamad, assure avoir agi de la sorte après avoir découvert dans le téléphone portable du soldat tué des vidéos montrant ce dernier en train d' »humilier » une femme nue et ses deux filles. En Syrie, toucher à une femme est particulièrement tabou.

La bataille des images

Depuis le début du conflit, violence et propagande sont l’un des enjeux de cette crise (Lire La révolution syrienne, entre piège de la violence… et manoeuvres du régime, sur le blog Un oeil sur la Syrie) De nombreuses vidéos circulent sur internet servant la propagande des uns et des autres. Dont un certain nombre de faux, comme le rappelait le GlobalPost en novembre dernier. « Dans la plupart des vidéos, on a affaire à des anonymes, explique Nadim Houry, de HRW. Si celle-ci retient plus l’attention que les autres, c’est parce que l’auteur de ces crimes a été identifié et qu’il a reconnu ses actes ».

La rébellion syrienne a promis de punir les auteurs d’exactions. L’opposition qui cherche à obtenir de l’aide des pays occidentaux contre le régime de Bachar el-Assad est consciente que ce type d’acte porte un coup terrible à sa cause. Pour Ignace Leverrier, ancien diplomate et auteur du blog Un oeil sur la Syrie, le régime de Damas, en encourageant les chabihas à commettre des exactions, cherche aussi à entrainer ce genre de réaction chez les rebelles. Il sait qu’il tirera profit du discrédit que cela entraîne pour l’opposition.

D’autant que la communauté internationale, « qui ne s’indigne que mollement des atrocités commises par le régime, exige en revanche de l’opposition qu’elle soit exemplaire », complète Ignace Leverrier.

Indignation à géométrie variable

Les opposants s’étonnent d’ailleurs de l’indignation à géométrie variable des opinions publiques occidentales. Les massacres récurrents (comme ceux de Houla, en juin 2012, de Darraya en aout 2012, de Jdeidet al-Fadl en avril dernier) commis par le régime se multiplient depuis le début du conflit dans une quasi indifférence.

Début mai, des dizaines de personnes dont des femmes et des enfants ont été massacrés dans des quartiers sunnites à Baniyas et dans le village proche de Baida, en plein coeur de la région alaouite. Les témoignages se multiplient sur ces tueries, dont celui du New York Times, ou celui paru sur le site A l’encontre. Mais « ces régions sont sous le contrôle du gouvernement syrien et les habitants ont enterré leurs proches en catimini ; ils ont très peur de parler et peu de moyens de faire connaître l’ampleur des tueries », explique Nadim Houry. Le nombre de victimes est estimé à au moins 145 par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), dont des femmes et des enfants, mais certaines associations parlent de plusieurs centaines de victimes.

Pour Nadim Houry, « il essentiel que l’opinion internationale redouble d’initiative pour mettre fin au conflit », sans quoi, se sentant délaissés, les Abu Sakkar vont se multiplier.

NAIM KOSAYYER : LA TERRIFIANTE SITUATION DES HOPITAUX D’ALEP


  • (Entretien avec FB)
    A Alep, nous étions accompagnés d’une équipe de tournage car nous voulions filmer le travail des médecins bénévoles. Sur place, on nous a informés qu’il était nécessaire d’avoir une autorisation… et qu’il serait très probablement très difficile de l’obtenir. Pourquoi ? Parce que, nous a-t-on expliqué, dès lors qu’ils apparaissent dans les médias, les hôpitaux et les lieux de soins sont systématiquement bombardés.
    L’hôpital « Dar Al-Chifa’ » est là pour en témoigner. Ou plutôt… il n’est plus là. Il a été la cible du régime une bonne dizaine de fois. Les bombardements n’étant pas d’une précision chirurgicale, un des immeubles mitoyens a cédé le premier et il n’en reste plus rien non plus. Le quartier qui se trouve juste derrière l’hôpital Al-Zarzour a été complétement anéanti par un missile SCUD. Les médecins assurent que c’est l’hôpital qui était visé : ils racontent avoir entendu le SCUD passer au-dessus de leurs têtes. Pour le corps médical, il n’y a pas deux interprétations possibles : la « mafia » Assad, c’est un des noms donnés au régime, ne veut pas que des images de blessés civils apparaissent dans les médias, pour que ces derniers se focalisent sur des sujets plus politiques qu’humanitaires. Moins spectaculaire, il y a également les enlèvements de médecins aux portes mêmes de ces hôpitaux, preuve si l’en est que c’est bien le corps médical qui est visé.En dépit de tout cela, les médecins ont pris le risque, dans le passé, de laisser les grands médias les filmer, avec l’espoir que les images d’horreur absolue encourageraient le monde, désormais au fait du drame humanitaire, à envoyer une aide à la mesure des besoins. Hélas, cette aide est restée à ce jour très loin d’être suffisante. Comme pour ne pas donner l’impression qu’ils sont ingrats, les médecins ajoutent qu’ils remercient vivement ceux qui répondent à l’appel, mais ils déplorent dans le même temps qu’ils soient si peu nombreux. Finalement, les aides qui arrivent ne justifient donc absolument pas le risque de se faire bombarder, et de perdre ainsi du matériel durement acquis, sans parler des médecins eux- mêmes. D’où cette interdiction de plus en plus fréquente de filmer.

    Les médecins eux-mêmes se font de plus en plus rares. Quoi de plus surprenant, sachant qu’ils sont considérés – et traités- par le régime comme des ennemis, c’est-à-dire comme “des terroristes”, selon cette logique que l’on croyait n’être que celle des groupes radicaux qui veut que l’aide apportée à un blessé ennemi fasse de vous un ennemi semblable.

    Certains Alépins en veulent particulièrement aux médecins de leur ville. Ils se demandent où sont passés les 7000 médecins ou presque qui sont enregistrés, alors que la population a besoin plus que jamais de leurs compétences. Certaines spécialités sont tout simplement absentes. Certains médecins non formés à la chirurgie générale sont contraints de s’essayer aux actes chirurgicaux. Un jeune infirmier anesthésiste a même pratiqué seul une … césarienne. Le tout dans des conditions bien sûr déplorables. Un patient lache, avec un sourire désabusé : “Nos médecins ne sont pas (de vrais) médecins et nos militaires (de l’ASL) ne sont pas (de vrais) militaires. Et pourtant, tous comptes faits, on se débrouille pas si mal…!”

    Si l’on ne meurt pas sur le coup d’une déflagration, c’est le manque de prise en charge ou le manque de moyens qui se révèle souvent fatal. En entrant dans l’un des hôpitaux, on est assailli par les cris de douleurs d’hommes, de femmes et d’enfants, parfois étendus à même le sol, qui attendent d’être pris en charge. Certains pourtant n’auront pas le droit au statut de patient. Leur corps inerte sera déposé devant l’hôpital, pour que les familles viennent le chercher et l’enterrer.

    L’immense majorité des blessés sont des civils. C’est déjà, en soi, inadmissible. Mais ce qui choque profondément les médecins et les infirmiers, ce sont ces enfants qui arrivent avec une balle de sniper logée quelque part dans le corps, trop souvent à la tête ou à la poitrine. Le responsable d’un des hôpitaux nous montre les photos de dizaines et de dizaines d’enfants morts d’une balle de sniper. L’un d’eux a été tué alors que son père et sa mère lui tenaient tous deux la main.C’est bien l’enfant que le sniper visait. Devant de telles horreurs, certains veulent croire que les auteurs ne sont pas des miliciens alaouites proches du régime mais des extrémistes chiites importés d’Iran.

« Mon père a été enterré vivant, je l’attends »


Sandra NOUJEIM | 13/05/2013
L’émotion individuelle s’effectue d’abord à travers la synergie de groupe.  Photo Noura Saad
L’émotion individuelle s’effectue d’abord à travers la synergie de groupe.  Photo Noura Saad

Réfugiés syriens Les enfants syriens dévoilent leurs souffrances grâce à l’art-thérapie.

L’art-thérapie appliquée aux enfants de réfugiés syriens à Wadi Khaled et à Taanayel les incite à exprimer « leur vulnérabilité et leurs difficultés », afin de faire face à « la psychopathologie de la vie quotidienne », comme le décrit Wissam Koteit, psychologue clinicien et art-thérapeute spécialisé dans les arts de la scène. À travers l’association Himaya, dont il a été responsable de la coordination des ateliers pour enfants, il a proposé un programme d’art-thérapie pour les enfants syriens et des sessions de sensibilisation aux abus, destinées à leurs parents (voir par ailleurs). Aya Mhanna, psychologue clinicienne, spécialisée dans l’écriture créative, et Mira Saad, art-thérapeute spécialisée en arts graphiques, rapportent leurs expériences avec les enfants syriens, dont elles ont pu à peine palper les souffrances.
Aya Mhanna explique comment elle a tenté de faire revivre l’espoir, en deux heures de temps, au sein d’un groupe de vingt enfants de la guerre. Sa méthode est celle du « conte thérapeutique ». Ce jour-là, dans le centre d’arcenciel, à Taanayel, elle avait choisi comme thème de travail « le sac de l’injustice », où les enfants devaient représenter tout ce qui les répugne pour s’en débarrasser. Mais l’activité a pris un tournant autre que ce qui était prévu. En effet, au tout début de la séance, les participants (des enfants de 10 à 12 ans) devaient se présenter et révéler au groupe ce qu’ils aiment devenir, mais aussi ce qu’ils n’aiment pas. Son tour venu, un garçon « mignon à croquer », selon Aya Mhanna, et que l’on nommera Hani, a confié sa volonté « d’être instruit et de devenir enseignant ». À la question de savoir ce qu’il n’aime pas, il s’est tu, avant de s’effondrer en larmes. Le groupe s’est immédiatement solidarisé avec lui, le couvant du regard « sans mot dire », l’effleurant parfois du bout des doigts, pour l’apaiser, « s’approchant de lui pour l’enlacer ».

Le voyant incapable de s’exprimer, et consciente du double enjeu « de laisser faire l’expression de l’émotion, sans toutefois bloquer tout le groupe », Aya lui a demandé de lui révéler plus tard ce qui le tracassait. « C’est alors qu’il m’a regardée, avant de me lancer, avec un sourire : Je déteste l’injustice. » Le silence de solidarité autour de l’enfant et la déchirure de l’injustice qu’il avait à peine trahie ont incité la psychologue à travailler le thème de l’espoir, mais d’une manière indirecte, en faisant ressortir d’abord « l’expression de l’injustice » chez chaque enfant. Elle leur raconte une histoire, qu’ils devront compléter : « Deux enfants, un garçon et une fille, vivent avec leur père et leur mère dans une belle maison entourée d’animaux (les animaux sont récurrents dans l’imaginaire des enfants, surtout les animaux inoffensifs, comme les moutons, selon les observations de Aya). Un jour, le garçon, sorti pour une promenade, a réalisé qu’un poussin s’est enfui. Il décide de le suivre, mais se perd. Sa sœur décide alors de suivre son frère, mais se perd elle aussi. Complétez l’histoire. » Alors que la plupart des enfants recourent à l’écriture (la psychologue relève chez eux une excellente maîtrise de la langue arabe), certains préfèrent recourir au dessin ou s’exprimer oralement, même s’ils maîtrisent l’écriture. Dans la suite qu’ils ont donnée à l’histoire, jamais le poussin n’est retrouvé. « Il disparaît définitivement, piétiné, écrasé, tombé dans un trou ou perdu à jamais », constate Aya. Mais dans la plupart des suites imaginées, « la sœur finit par retrouver le frère ». Bel agencement de péripéties, qui s’achèvent sur une note d’espoir.

« Kidnappés par les chabbiha »
Sauf que le processus n’est pas si simple, et certains de ceux ayant vécu des traumatismes extrêmes, comme Hani, peinent à s’imaginer un dénouement, quel qu’il soit. Comme si le fil de leurs souvenirs tourbillonnait dans une infinie noirceur. Hani imagine en effet que « la sœur essaie de suivre le garçon qui se fait kidnapper par des chabbiha du régime. Aucune mention n’est faite du poussin à aucun stade ». « La sœur est kidnappée à son tour, avant d’être menottée et séquestrée avec son frère dans un endroit clos enfoui sous la terre. »
Aya Mhanna explique qu’à ce stade, il est primordial de faire sortir l’enfant de ce trou, au sens figuré, où il se trouve enfoncé. « Il faut lui trouver une issue d’espoir, au risque de rater le but thérapeutique de l’exercice », souligne-t-elle. Elle décide d’intervenir cette fois, à titre exceptionnel, dans le cours de l’histoire, en ébauchant une forme de dénouement sous forme de question. « Qui veut aider ce garçon ? » lui a-t-elle demandé. Comme guidé par une fine raie, Hani poursuit l’énoncé de son histoire devant ses camarades attentifs : « Le frère parvient à se délier et libère sa sœur. Ils profitent de la sieste des chabbiha pour prendre la fuite. » Les enfants applaudissent alors et Aya est rassurée.

 

« Je n’ai pas fini, lance Hani. Alors que le frère et la sœur fuyaient, l’un des chabbiha se réveille et les poursuit en tirant dans leur direction. Ils poursuivent leur course, jusqu’à ce qu’un vieil homme les recueille, les place dans un abri où il leur ramène de la nourriture et passe les voir de temps à autre. »
Les parents n’ont plus de place dans l’histoire de Hani, qui s’achève ainsi. Son récit est celui de son histoire à lui en Syrie. Les détails inimaginables qu’il a vécus, que l’on s’abstient de relater afin de le protéger, rejaillissent du récit, comme les souffles d’un inconscient surchargé. « Il est très important d’amener l’enfant à transcender le blocage déclenché par le traumatisme, de l’empêcher d’arrêter son histoire à un stade traumatique des événements », insiste encore Aya Mhanna. Là où s’est arrêté le récit de Hani a paru satisfaisant. L’exercice du groupe pouvait alors se poursuivre.

L’espoir après l’injustice
Inspirée des récits de tous les enfants, la thérapeute a dessiné sur le tableau un cercle, en leur posant des questions sur les leçons tirées des histoires racontées. « Vos histoires montrent que même si vous avez tout perdu, dans l’effort que vous avez mis pour essayer de trouver quelque chose, vous avez pu vous retrouver… » conclut-elle, en leur expliquant que ce « quelque chose qui nous reste, qui nous incite à avancer… eh bien c’est l’espoir ». Elle efface alors le mot « injustice » inscrit à l’intérieur du cercle et le remplace par « espoir ». Les enfants s’approchent successivement du tableau, où ils estompent avec le torchon un bout du cercle dessiné. « Le sac de l’injustice disparaît et laisse place à l’espoir. » À la demande de la thérapeute, les enfants se dressent alors sur leurs chaises et crient pour « expulser l’injustice » de leur être, en alternant l’expiration avec une profonde « inspiration de l’air », du bien-être.
Mais la thérapeute trouve auprès de certains des états d’esprit que l’on ne peut guérir en deux heures. Des attentes que rien ne semble près à combler. Elle relate par exemple l’histoire de Maha (prénom d’emprunt) qui avait pris part à l’un des ateliers de médiation thérapeutique organisé pour un groupe d’enfants syriens âgés de 6-7 ans. Priés, comme pour le groupe précédent, de se présenter et de révéler ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas, la plupart ont dit aimer les animaux sans défense – retour à la symbolique du poussin –, et détester nommément le régime du président Bachar el-Assad. Priés d’évoquer ce qu’ils détestent dans leur intimité, loin de la politique, ils ont alors mis l’accent sur l’abandon de leur maison, exprimant d’une manière à peine voilée l’angoisse de ne pouvoir y retourner. Initiant alors sa méthode du conte thérapeutique, elle leur propose le sujet d’un « dialogue entre un cheval qui pleure fort et un lapin qui l’aborde pour l’inciter à lui confier les raison de sa tristesse. Le cheval se montre réticent, mais finit par céder. Quelle histoire le cheval va-t-il raconter ? »

(Pour mémoire : Donner naissance… un parcours de combattante pour les réfugiées syriennes)

Récupération, détournements, inventions : avec quoi se battent les rebelles syriens


Depuis le début de la confrontation armée, on fait ce qu’on peut avec les moyens du bord. On réutilise les armes du régime contre ses propres troupes. À chaque fois qu’on est bombardé par les airs avec des bombes à fragmentation [bombe aérienne qui peut exploser avant d’atteindre sa cible ou à l’impact et qui libère des milliers d’éclats ou de petites bombes], on va à la collecte des bombes non explosées pour en extraire la poudre après les déflagrations. Puis on les utilise pour fabriquer des engins explosifs, mais aussi pour les cartouches, les obus, les roquettes, etc.
Dans ce processus, on est aidés par des officiers déserteurs et par les combattants étrangers venus nous rejoindre.
Une bonne partie de notre armement provient de l’armée syrienne. Au début, on a acheté beaucoup d’armes et de munitions aux officiers qui cherchaient à se faire un peu d’argent. Mais cette pratique nous a coûté cher, certains nous ont vendu des cartouches qui explosaient dans les magasins de nos fusils dans une logique de sabotage ou même des roquettes anti-chars… sans charge explosive.
« Beaucoup d’ingénieurs et d’étudiants se battent dans les rangs des rebelles et nous font profiter de leurs connaissances scientifiques »
Aujourd’hui, beaucoup d’ingénieurs et d’étudiants se battent dans les rangs des rebelles et nous font profiter de leurs connaissances scientifiques. D’ailleurs ce sont eux qui nous aident en matière de balistique. Ils utilisent notamment des outils comme Google Earth pour cibler des lieux précis.
Avec l’aide de ces ingénieurs et de quelques forgerons expérimentés, on a développé une petite industrie artisanale pour la fabrication de roquettes, de mortiers et de munitions. D’ailleurs, c’est le cas de plusieurs villes syriennes.
C’est dans le Nord que les combattants sont les plus expérimentés car ce sont eux qui ont commencé à travailler les armes récupérées. Aujourd’hui, des hommes de toutes les villes vont dans cette région [Idleb] ou même en Turquie pour acquérir cette expertise. Nous allons aussi en Turquie pour acheter des composantes indispensables comme les douilles et les amorces pour les cartouches de différents calibres.
Notre manque de moyens nous oblige à profiter de toutes les occasions qui se présentent. Quand nos combattants s’attaquent à un transport de troupe blindé et le mettent hors d’usage, on essaye de récupérer ce qu’on peut. On récupère souvent le canon, la mitrailleuse et les munitions. Si la tourelle est indemne, on la récupère aussi pour la fixer sur un camion ou sur un 4×4, car elle constitue une protection pour notre tireur.

Tourelle d’un transport de troupes BMP1 avec canon de 73mm à âme lisse et mitrailleuse PKT de 7,62 mm de fabrication soviétique montée sur un poids lourd. Deir-Ezzor, 6 novembre 2012. Il est possible de mettre 40 obus dans la réserve du canon. Les transports de troupes BMP1 ont un faible blindage, donc sont faciles à endommager et donc à récupérer.

À Homs, nous avons même réussi a créer une mitrailleuse téléguidée. Nous l’avions récupérée sur un char T72 puis montée sur des roues avec un système de guidage à distance. Cinq personnes ont travaillé sur ce projet, elles ont utilisé un vieux vélo et un petit moteur électrique pour monter le mécanisme. En ce qui concerne la caméra, c’est une simple webcam, d’ailleurs on utilise les webcams sur toutes les lignes de démarcation pour surveiller les rues et les immeubles.

Ces techniques demeurent rudimentaires et l’efficacité de ces armes reste relative. Même si les rebelles syriens marquent des succès militaires, la puissance de feu de l’armée syrienne régulière reste inégalée.
 

Mitrailleuse PKT de 7,62 mm téléguidée du groupe djihadiste Foursan al-Souna

Abou Souleiman