Par Catherine Gouëset, publié le 14/06/2013 à 18:27, mis à jour à 21:39
Le gouvernement américain a accusé jeudi le régime syrien de Bachar el-Assad d’avoir utilisé des armes chimiques et promis d’apporter une aide militaire aux rebelles. Qu’est-ce qui a décidé l’administration Obama à hausser le ton après des mois d’atermoiements?

La Maison Blanche a finalement estimé jeudi qu’une « ligne rouge » avait été franchie en Syrie. Washington accuse le président Bachar al-Assad d’avoir utilisé des armes chimiques et envisage un « soutien militaire » aux rebelles. « Le président a affirmé que le recours à des armes chimiques changerait son équation, et c’est le cas », a expliqué Ben Rhodes, conseiller adjoint de sécurité nationale du président américain Barack Obama. Aucun détail n’a toutefois été donné sur la forme que pourrait prendre cette assistance militaire.
Alors qu’il tergiverse depuis des mois, contre une partie de son administration, face à la crise syrienne, qu’est-ce ce qui a pu faire changer d’avis le président Américain? Les fameuses « lignes rouges » ont été évoquées depuis le mois d’août 2012 par Barack Obama et le secrétaire à la défense Chuck Hagel avait déjà indiqué en avril dernier que des armes chimiques avaient été utilisées dans ce conflit. En outre, s’offusquer de la centaine de tués par armes chimiques peut sembler disproportionné alors qu’on a laissé s’enliser une crise qui a fait 1000 fois plus de victimes par les armes conventionnelles.
Les arguments de Bill Clinton
« La pression exercée par plusieurs capitales arabes, Paris et Londres, ont fini par peser. Et cette semaine, la prise de position de Bill Clinton a certainement beaucoup compté », estime le politologue Ziad Majed, spécialiste de la Syrie. L’ancien président américain s’est affiché aux côtés du sénateur John McCain qui prêche depuis longtemps pour un soutien plus ferme des Etats-Unis à l’opposition syrienne.
« Nous ne devrions pas surévaluer les leçons du passé. La Syrie n’est pas l’Irak ou l’Afghanistan. Personne ne nous demande d’y envoyer des soldats américains, a insisté Bill Clinton, rapporte le site Politico. Il a fait valoir que pendant que les Etats-Unis restaient en retrait, « les Russes, les Iraniens et le Hezbollah » étaient, eux, très engagés aux côtés du régime de Bachar el-Assad. « Nous devrions faire quelque chose pour rééquilibrer les forces » entre le régime et les rebelles, a-t-il plaidé.
L’ancien chef de l’Etat a également jugé que les décideurs américains ne devaient pas surinterpréter les sondages défavorables à l’implication des Etats-Unis dans les crises extérieures. Il aussi évoqué le précédent de la Bosnie et du Kosovo, du temps de son mandat, pour lesquels la décision d’intervention de l’Otan n’a pas entraîné l’envoi de troupes américaines au sol. Résultat, aucune perte américaine… Cette intervention avait en revanche stoppé l’avancée des milices serbes de Bosnie et contraint le président serbe Slobodan Milosevic à s’asseoir à la table des négociations.
La chute de Qousseir et l’entrée en force du Hezbollah dans la guerre
La chute de la ville stratégique de Qousseir, près de la frontière libanaise, début juin, après l’entrée en force de combattants du Hezbollah libanais aux côtés de l’armée de Bachar el-Assad a très certainement joué un rôle dans la réaction américaine. Des centaines de combattants de la milice chiite ont aussi été envoyés dans les environs d’Alep, laissant augurer une grande offensive contre la deuxième ville du pays. Des miliciens irakiens eux aussi parrainés par l’Iran se sont joints aux forces du régime à Damas.
Alors que les pays occidentaux s’interrogent depuis de nombreux mois sur l’opportunité ou pas d’assister militairement la rébellion, la Russie et l’Iran -parrain du Hezbollah- renforcent leur assistance tant militaire que financière au régime: Téhéran a ouvert deux lignes de crédit d’un montant total de quatre milliards de dollars à Damas et envisage d’en accorder une troisième, avait indiqué fin mai le gouverneur de la Banque centrale de Syrie. « Les deux pays ont procédé à d’importantes livraisons d’armes récemment », ajoute Ziad Majed.
En face, depuis le début de l’année, sous la pression occidentale qui craignaient que des armes ne tombent entre de mauvaises mains (les combattants djihadistes), les livraisons financées par les pays du Golfe à destination des rebelles se sont taries. « Les révolutionnaires ne reçoivent quasiment plus que des munitions alors qu’ils réclament des armes anti-char et anti-aériennes », précise Ziad Majed.
Pourtant, « l’Iran et le Hezbollah ne peuvent aller beaucoup plus avant dans leur engagement en Syrie, estime le politologue. Augmenter à un niveau supérieur leur engagement signifierait entrer dans une logique de guerre régionale ouverte, de très longue durée, qui prendrait de plus en plus une allure de confrontation sunnites-chiites », complète-t-il.
Dans le camp des parrains de l’opposition, « les Saoudiens seraient actuellement en train de prendre le dessus sur les Qataris », explique Ziad Majed. Riyad, inquiet du renforcement d’un axe chiite Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth, appuie le général Sélim Idriss, commandant du Conseil militaire suprême de l’Armée syrienne libre, qui a déserté l’armée syrienne il y a un an. « Si le général Idriss reçoit une aide matérielle concrète, il parviendra bien plus facilement à obtenir le soutien de différentes brigades, et cela pourrait très rapidement changer la donne sur le terrain ».
Quel avenir pour Genève II?
Le changement de langage de l’administration américaine ne remet pas forcément en question la conférence de Genève prévue pour le mois de juillet. « Elle peut en effet viser à inverser le rapport de force, ou du moins rétablir le rapport qui existait en octobre 2012, avant une éventuelle réunion. Les capitales occidentales ont compris que face à leurs hésitations, le régime syrien et ses alliés cherchaient à marquer des points sur le terrain pour arriver à des négociations en position de force », complète Ziad Majed.
Reste à savoir si l’annonce américaine sera suivie d’effet suffisamment rapidement pour mettre fin aux difficultés de l’armée syrienne libre et réellement inverser la tendance.
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