La tragédie syrienne, notre guerre d’Espagne


syri

Dominique Moïsi / Chroniqueur – Conseiller du directeur de l’Ifri (Institut français des relations internationales) | Le 26/05 à 06:00 |

Divisions, peurs et, pour finir, impuissance : minées par leurs faiblesses, nos démocraties ne savent plus entraver les forfaits des dictateurs. C’est ainsi que l’on a laissé la Syrie s’enfoncer dans l’horreur. Il est urgent de se ressaisir.

On ne parle plus ou si peu de la Syrie. Ou si on le fait, c’est avec un mélange de tristesse résignée, d’embarras sinon de remords. Et oui, Bashar Al Assad a sans doute gagné. Mais que pouvions-nous faire ? Pris entre Charybde et Scylla, nous ne pouvions choisir. Le régime est certes monstrueux, mais ses principaux adversaires ne le sont pas moins. Et puis, si nous ne regrettons pas ouvertement le régime de Kadhafi en Lybie, pouvons-nous dire sans la moindre hésitation que le chaos d’aujourd’hui est un progrès par rapport au despotisme baroque d’hier ?

En Syrie, il est peut-être trop tôt pour affirmer de manière définitive la victoire du régime. Mais une chose est certaine. « Nous » avons perdu. Hubert Védrine, qui n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, un fanatique de l’interventionnisme à l’occidentale parle, « d’impuissance crucifiante », quand il fait référence à la crise syrienne. Une expression qu’un psychanalyste n’hésiterait pas à décortiquer. N’est-ce pas, en partie au moins, la préoccupation pour le sort des chrétiens d’Orient qui a servi de catalyseur sinon d’alibi pour justifier la non-intervention ?

Par leur hésitation et leur faiblesse, les sociétés démocratiques ont trahi des populations civiles abandonnées à leur sort, laissées sans défense entre la froide détermination d’un régime sanguinaire et la dérive extrémiste de fanatiques religieux.

Si Bashar Al Assad a gagné, ce n’est pas seulement parce que Barack Obama a reculé, réduisant à néant le sérieux et la crédibilité de toute notion de « ligne rouge ». C’est aussi et peut-être avant tout parce que les feux de l’actualité se sont déplacés ailleurs.

Au Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie, suivie comme son ombre par la Chine, bloque toute forme de résolution qui mettrait des limites au déchaînement de la violence contre les civils. Dans un entretien à la BBC en fin de semaine dernière, l’ambassadeur de France aux Nations unies, Gérard Araud, devait reconnaître l’impuissance totale de la communauté internationale. Son dernier espoir résidait dans la création de couloirs humanitaires pour pouvoir, non pas mettre fin, mais seulement alléger les souffrances d’une population qui a été laissée seule face à la catastrophe. Plus de 10 millions de Syriens ont fui leur pays et sont devenus des réfugiés, plus de 150.000 ont perdu la vie. Le Liban est au bord de l’implosion et risque d’être la prochaine victime collatérale de la tragédie syrienne. Sans une aide internationale massive, la Jordanie, qui a ouvert ses portes toutes grandes aux réfugiés, aurait peut-être elle aussi sombré dans la violence.

La tragédie syrienne restera la honte de nos sociétés démocratiques en ce début de XXIsiècle. Elle est notre guerre d’Espagne. La Russie et l’Iran ont pu tester la résolution et le courage des sociétés démocratiques avec leurs principes universalistes.

Plutôt que de nous en prendre à la Russie de Poutine, reconnaissons notre responsabilité et en particulier celle conjointe de l’Amérique de Bush tout comme celle d’Obama. La première a, par des aventures militaires contestables et non concluantes, dispersé ses forces et affaibli la volonté de ses citoyens. La seconde n’a pas su prendre en compte la nature et l’importance de l’enjeu. Par peur du risque, bien réel, elle a ouvert toute grande, les portes du doute. Un doute dans lequel s’est engouffré sans hésitation la Russie de Poutine. Le maître du Kremlin dans son soutien sans faille au régime syrien a su utiliser nos peurs, nos divisions, nos faiblesses. Il a su parfaitement intégrer dans son raisonnement stratégique le « tempérament zappeur » des sociétés démocratiques. « Loin des yeux, loin du coeur ». Il y a incontestablement dans nos sociétés ce que l’on appelait hier « un effet CNN » et qui couvre aujourd’hui tous les moyens modernes de communication. Pas d’images, pas d’émotion, pas d’histoire. En 1992, c’est la présence d’équipes de télévision américaines en Somalie, plutôt qu’au Soudan, qui a déterminé dans une très large mesure le lieu d’une intervention, qui s’est révélée aussi désastreuse et mal préparée qu’elle pouvait sembler nécessaire.

Aujourd’hui, l’Ukraine a fait oublier la Syrie. Le Mondial de Football, qui commence le 13 juin au Brésil, fera-t-il oublier l’Ukraine ? Le cynisme russe qui intègre très probablement cette donnée dans son « calendrier stratégique » n’a d’égal que la légèreté des sociétés démocratiques occidentales. Poutine a fait du sport une arme redoutable de propagande. Mobiliser les uns, profiter de la démobilisation des autres. Surfant sur le succès des Jeux Olympiques d’Hiver de Sotchi, il a mobilisé, sur une cause plus noble encore aux yeux des Russes, le nationalisme de la Grande Russie. La Crimée après les médailles. La passion pour la nouvelle religion séculaire du monde – le football – va bientôt s’emparer de la planète. Qu’importe si les chances sont minces pour la Russie d’aller très loin dans la compétition brésilienne, il suffit d’exploiter avec habileté les passions des autres ! La guerre en Géorgie, à l’été 2008, a coïncidé avec l’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin. La « réélection triomphale » de Bashar Al Assad en Syrie passera d’autant plus facilement que les yeux de la planète seront tournés vers le Brésil. Et pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups et avancer également dans la fragmentation de l’Ukraine ?

Repenser l’interventionnisme est un objectif nécessaire et légitime. Il y a eu beaucoup d’errements. On ne joue pas impunément avec la culture et les émotions des peuples. Mais repenser ne signifie pas rejeter toute idée même d’intervention. A long terme, le coût de l’indifférence peut être plus grand encore que celui de l’ingérence.

Dominique Moïsi

Dominique Moïsi, professeur au King’s College de Londres, est conseiller spécial à l’Ifri.

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/0203518892146-la-tragedie-syrienne-notre-guerre-d-espagne-673501.php?FkCkC3gBKGWYdhSr.99#xtor=CS1-31

Jean-Pierre Filiu – «Le danger d’un 11 Septembre européen est réel»


2 juin 2014, 00:16

 

Marc SEMO 2 juin 2014

 

Jean-Pierre Filiu, de Sciences-Po, pointe la montée en puissance des intégristes de l’EIIL en Syrie :

 

Très bon connaisseur de la Syrie, Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris (1) est considéré comme un des meilleurs spécialistes d’Al-Qaeda.

 

Que signifie cette implication d’un jihadiste revenu de Syrie ?

 

Je crains que cela ne soit qu’un début. Depuis des mois, je mets en garde contre l’émergence d’un «jihadistan», aux confins de l’Irak et de la Syrie, sous l’égide d’Abou Bakr al-Baghdadi et de son Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Ce jihadistan est beaucoup plus dangereux que ne l’était l’Afghanistan taliban de1996 à 2001, du fait de sa proximité avec l’Europe et de l’impossibilité de contrôler le flux des va-et-vient, notamment au travers de la Turquie. L’EILL ne combat plus le régime de Bachar al-Assad et peut donc se concentrer sur l’intégration des «volontaires» étrangers dans les groupes de combat. Ils servent souvent de chair à canon, mais ils sont aussi astreints à recruter des compatriotes et des amis via les réseaux sociaux, ce qui explique la progression exponentielle des départs vers la Syrie. Aujourd’hui, la radicalisation se fait moins par la fréquentation de sites jihadistes que par Facebook. Certains jihadistes sont aussi formés pour être opérationnels une fois de retour dans leur pays d’origine. D’où le risque croissant, dans un futur proche – on y est peut-être déjà -, d’autres attentats similaires en Europe.

 

Al-Badghadi est il le nouveau Ben Laden?

 

Il veut en effet s’imposer comme le chef du jihad mondial et, donc, supplanter le successeur de Ben Laden, Ayman al-Zawahiri, à qui il a toujours refusé de prêter allégeance. Les groupes de combattants ou les cheikhs qui se rallient à lui sont de plus en plus nombreux au Moyen-Orient et au delà. Pour consolider son éviction d’Al-Zawahiri, Al-Baghdadi doit organiser un attentat majeur dans un pays occidental, ce dont Al-Qaeda a été incapable depuis une décennie. Barack Obama a affirmé la semaine dernière devant les cadets de West Point qu’un 11 Septembre n’est plus possible aux Etats-Unis. Il a probablement raison, d’autant que les jihadistes américains en Syrie ne sont qu’une poignée. En revanche, le danger d’un 11 Septembre européen est toujours plus réel. Al-Bagdhadi veut prendre en otages les musulmans européens, à la faveur d’un climat politique toujours plus dégradé, comme l’a montré lors des européennes la poussée d’un vote populiste et xénophobe. Il mise sur un engrenage de haine, voire des représailles de type raciste, pour accroître la radicalisation d’une partie des jeunes musulmans. L’Europe ne peut pas espérer être tranquille avec un volcan comme la Syrie à ses portes.

 

La clé du problème est-elle en Syrie ?

 

Sans aucun doute. Les programmes de prévention, comme ceux que vient de lancer la France, tout comme les mesures de contrôle vis-à-vis de ceux qui reviennent, ne sont que des palliatifs. Il faut prendre le mal à la racine, car le nombre des volontaires partant combattre en Syrie continue d’augmenter et le pire est à venir. L’inaction de la communauté internationale en Syrie a créé la situation actuelle où les intérêts stratégiques d’Al-Baghdadi – dont les jihadistes ne combattent que leurs anciens alliés révolutionnaires – et ceux de Bachar al-Assad – dont les sbires ne combattent plus les jihadistes – s’alimentent réciproquement. Le «boucher de Damas» se pose comme le rempart contre Al-Qaeda, avec le soutien des Russes et un écho croissant dans les opinions occidentales. Si, après avoir abandonné tacitement les Syriens luttant contre le régime, les Occidentaux les abandonnent ouvertement, le choc en retour sera terrible. Cela ne peut qu’alimenter la rhétorique de ces groupes et leur dénonciation de l’hypocrisie des Occidentaux. Combattre le jihadisme en envoyant des drones contre Al-Bagdhadi ne sera pas non plus efficace. Seule la coalition anti-Bachar lutte efficacement contre l’EIIL. Et seul un succès de la révolution syrienne peut nous prémunir face à ce danger qui monte.

 

(1) Dernier livre paru : «Je vous écris d’Alep», Denoël, 158 pp., 13,50 €.

 

Recueillipar Marc Semo
http://www.liberation.fr/monde/2014/06/01/le-danger-d-un-11-septembre-europeen-est-reel_1031517

Pire que la Fête d’Indépendance



La Journee de Jerusalem

Il y a quelques semaines j’ecrivais dans ce blog sur la Fete d’Independance d’Israel, et combien difficile etait pour moi de voir des amis et des proches celebrer ce qui est avant tout la depossession des Palestiniens et l’expulsion de leur patrie. Mais il y a bien pire. Mercredi dernier (28 Mai) Israel celebrait la Journee de Jerusalem, qui marque la conquete, l’occupation et l’annexion de Jerusalem Est en Juin 1967. Cette fete est celebree depuis 1968, mais c’est depuis une dizaine d’annees qu’elle est devenue une veritable parade de masse nationalo-messianiste, avec des debordements qui ont un relent de pogrome. Si pendant la commemoration de la Fete d’Independance, j’essaie de ne pas quitter ma maison, le Jour de Jerusalem, je m’y barricade, tentant de proteger mes yeux et surtout mes oreilles des demonstrations populaires qui polluent ma ville. 

 


La Journee de Jerusalem, c’est la Fete d’Independance de la droite et des colons. Des le matin, la ville est envahie par des hordes de jeunes portant la grande Kippa tricotée des colons, un grand drapeau dans une main et, souvent, le M16 en bandoulière. Des jeunes, mais aussi des familles de colons avec leur ribambelle d’enfants et leurs regards illumines.

 


Le rebus de la societe israelienne ce concentre pendant une journee a Jeruasalem, dans une immense parade qui inclut un defile, a travers la Vieille Ville arabe, vers le Mur des Lamentations. Depuis plusieurs annees, la police demande aux commercants palestiniens de fermer leurs echoppes, pour leur bien, car, quand ils etaient ouverts, les jeunes colons saccageaient tout ce qui se trouvait sur leur chemin. Aujourd’hui ces voyous ideologiques se contentent de frapper sur les rideaux de fer avec leurs gourdins. Et de casser quelques voitures, voire de tabasser des passants palestiniens, obliges de sortir de chez eux.

 


En arriere fond, les discours des dirigeants politiques : les plus moderes (y compris la « gauche sioniste ») repetent que Jerusalem, capitale de l’Etat Juif, est unifiee pour l’eternite, les plus extremistes parlent de la « disparition » des mosquees afin de faire place nette a la construction du troisieme Temple de Jerusalem. Mais les discours, retransmis dans toute la ville par de puissantes sonos, sont en general couverts par les chants ultra-nationalistes – et souvent racistes – des colons qui resonnent pendant toute la journee a travers la ville.

 


Cette Journée de Jérusalem est un véritable cauchemar, non seulement pour la population palestinienne et ceux qui s’identifient à son combat, mais même pour la minorité « normale » des résidents de Jérusalem qui se sent envahie par cette racaille vociférante et violente. En fait, la Journee de Jerusalem est devenue la Fete d’Independance des nouveaux maitres du pays.


Serge Grossvak

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