Tunisie : Béchir Labidi «En 2008, nous avons fait la révolution sans le savoir»


Enseignant et syndicaliste à Redeyef, dans le bassin minier de Gafsa, une des régions défavorisées de Tunisie, Béchir Labidi, 61 ans, a été un des acteurs majeurs de la crise sociale de 2008 qui est souvent considérée le mouvement précurseur de la révolution de décembre 2010-janvier 2011 qui vit le dictateur Ben Ali s’enfuir en Arabie Saoudite.«Je dis parfois qu’on a fait la révolution sans le savoir», assène-t-il avec un petit sourire. Entretien à Gafsa.

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Comment les événements ont-ils démarré?
Le mouvement social de protestation a commencé le 5 janvier 2008, après la publication d’un concours de recrutement faussé à la Compagnie des phosphates de Gafsa. Il y a eu des arrestations dont la mienne entre le 7 et le 9 avril, mais nous avons été libérés rapidement car les femmes se sont mobilisées et ne quittaient plus les places et les rues! On a été accueilli en héros. Après, des négociations ont eu lieu mais sans résultats avec le représentant envoyé par Ben Ali. Les grèves ont continué, les manifestations aussi. A Redeyef, Metlaoui, Moulares, des confrontations avec la police se multipliaient. C’était la première fois que ce régime devait faire face à un tel mouvement. Un jeune a été tué en mai. Au sein du régime, la tendance favorable à la manière forte, menée par le ministre de l’Intérieur Rafik Haj Kassem, un dur, l’a emporté. Ils ont accentué la répression et les arrestations. Mon fils Mondhafer et moi fûmes arrêtés le 1er juillet. Tout le monde a été torturé. Nous, pendant une semaine, cela a été très pénible surtout pour mon fils. C’était une équipe de Tunis qui procédait, aidée par des agents de Gafsa. En février 2009, des centaines de condamnations ont été prononcées, de 2 à 10 ans ; moi j’ai pris huit ans en appel. En octobre, nous avons été graciés.

Que s’est-il passé pour vous entre ce moment et la révolution de 2011?
Nous avons été évidemment surveillés de près mais en raison de la sympathie que nous manifestaient les militants syndicalistes des sections de l’UGTT (le grand syndicat national historique, NDLR), nous avons réussi à aller témoigner dans différentes sections régionales, à Kairouan, Jendouba, Sfax, etc. Proche du régime, le secrétaire général de l’UGTT, Abdessalam Jrad, n’a rien pu faire contre nous, contre la base. Et nous jouissions de l’appui d’organisations de la société civile comme la Ligue des droits de l’homme, les Femmes démocrates, le Comité de soutien aux prisonniers du bassin minier, etc.

Et ces événements qui ont abouti à la chute du régime en 2011, comment les avez-vous vécus?
Les militants de gauche, la société civile, tout le monde prenaient conscience que si on avait été plus soutenu en 2008 la révolution aurait déjà pu éclater à ce moment-là. 2011, finalement, fut la copie révisée de 2008, car on n’a pas laissé seuls les gens de Sidi Bouzid, les premiers à bouger; les syndicalistes se sont mobilisés et quand les policiers s’en sont pris aux jeunes on les a hébergés dans les locaux de l’UGTT. Même Jrad a dû négocier la dispersion. La mobilisation a fait tache d’huile et, ce fameux 14 janvier 2011, jour de la fuite de Ben Ali, on était trop fier du but enfin atteint! C’était l’apothéose d’une lutte de 30 ans pour la liberté.

Quel regard portez-vous sur les quatre années qui se sont écoulées depuis lors?
Les principaux acteurs de la révolution, la gauche et les jeunes, ont été rapidement marginalisés, dès les élections d’octobre 2011; les islamistes (le parti Ennahda, NDLR) étaient bien mieux organisés et plus riches que nous. On n’avait pas fait la révolution pour ce résultat! Mais les démocrates s’étaient divisés entre plusieurs partis. Avant cela, j’avais fait partie du Comité national pour la réalisation des objectifs de la révolution avec 150 autres membres. Durant les années 80 et 90, j’ai été membre de partis de la gauche radicale, j’ai notamment fondé avec des amis le PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie). J’ai concouru comme candidat indépendant en 2011, j’ai obtenu 2.700 voix, neuvième score de la circonscription qui n’élisait que sept députés. En 2014, je n’étais pas candidat.

Justement, lors de ce dernier scrutin, un parti créé en 2012, Nidaa Tounes, est parvenu à dépasser Ennahda. On dit parfois que c’est le retour du parti de Ben Ali…
Non. Les échecs économiques et les erreurs en politique étrangère d’Ennahda et du président Moncef Marzouki, entre 2012 et 2014, ont provoqué la victoire de Nidaa Tounes, une force disparate composée de gens qui ont en commun leur hostilité aux islamistes. C’est un mélange de gens de gauche, de syndicalistes, de gens de droite, d’ex-RCD (le parti quasi unique de Ben Ali). Ennahda a réussi à se glisser dans la coalition gouvernementale qui vient de se former car c’est un renard en politique: il a compris que le vent ne soufflait par de son côté, qu’il était encerclé, et il veut en même temps rester présent, en position d’attente. Voilà pourquoi il est entré dans ce gouvernement dominé par Nidaa.

Pour qui avez-vous voté aux présidentielles l’an dernier?
J’ai d’abord soutenu Hamma Hammami (le candidat de la gauche radicale, leader du PCOT, NDLR), je l’ai même accompagné en campagne. Au second tour, entre Moncef Marzouki et Beji Caïd Essebsi, je n’ai pas pu voter. Personne dans ma famille n’a voté car nous estimions qu’aucun de ces deux noms ne méritait d’occuper le poste de président de la république. Essebsi, qui a gagné, a été longtemps ministre sous le dictature de Bourguiba, il est très vieux (88 ans, NDLR) et donc d’autres dirigeront le pays en réalité. Quant à la vraie gauche, elle court à l’échec car elle reste enfermée sur elle-même. Il faut créer un nouveau front démocratique, large, ouverts à tous les partis et instances démocratiques de la gauche.

Vous ne craignez pas que les échecs économiques ne fassent le lit des nostalgiques du RCD?
Non car les Tunisiens ont dépassé la dictature. Les problèmes socio-économiques sont lourds. Il faudra du temps, le sens du travail et un sens du développement du pays qui impliquent une révolution culturelle. Mais les acquis de la révolution, le pluralisme, la liberté de presse et d’expression, plus personne ne nous les enlèvera. Les «ex-RCDistes» doivent s’intégrer, qu’ils le veuillent ou non, à ce processus en marche.

Propos recueillis par Baudouin Loos à Gafsa le 16 février 2015.

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La théorie fumeuse du « moindre mal » et la singulière équipée d’un quatuor d’amateurs


La théorie fumeuse du « moindre mal » et la singulière équipée d’un quatuor d’amateurs | 

Souria Houria

Communiqué

Deux députés et deux sénateurs français se sont rendus à Damas mercredi 25 février. La délégation menée par Gérard Bapt (PS), comptait un député UMP, un sénateur UMP et un sénateur UDI. Ceux-ci ont été reçus par Bachar Al Assad. Cette visite a fait polémique. Le gouvernement a renié cette initiative et a dénoncé la main tendue par ces élus à un dictateur avec lequel la France a rompu les relations diplomatiques pour le massacre perpétré contre son peuple, le déclarant pour cette raison infréquentable. Plusieurs hommes politiques français se sont aussi désolidarisés de cette initiative.

Gérard Bapt et Jacques Myard de l’UMP, qui faisait partie de cette délégation, ont souvent manifesté une relative compréhension pour le dirigeant syrien et ont repris très rapidement à leur compte la théorie du régime qualifiant d’islamistes les manifestants pacifiques de 2011, alors que ceux-ci se battaient pour leurs droits démocratiques, la fin de la corruption et de la dictature.

Cette visite a été très largement médiatisée en Syrie pour l’opportunité qu’elle offrait au dictateur, dont il faut rappeler qu’il a utilisé ses armes lourdes, l’aviation et même l’arme chimique contre son peuple. Cette visite est non seulement illégitime d’un point de vue politique, ces élus n’étant aucunement mandatés, ni par le gouvernement, ni par l’Assemblée Nationale ou le Sénat. Elle est aussi trompeuse. Elle a constitué un marché de dupes.

Ces élus qui, à Damas ne représentaient qu’eux-mêmes, voudraient nous faire croire que reprendre les relations avec Bachar Al Assad est nécessaire pour mieux combattre « l’Etat Islamique ». C’est ainsi qu’ils justifient leur visite.

Pure tromperie !

Tout d’abord, il n’est plus contestable que le dirigeant syrien a tout fait pour justement favoriser cette organisation afin de discréditer le mouvement de contestation contre son régime : il libère des djihadistes de ses prisons en 2011 ; ses bombardements ont longtemps épargné l’état-major de l’organisation djihadiste à Raqqa, alors qu’il assommait de bombes d’autres zones tenues par la rébellion et qu’il continue de le faire ; ses soldats ne se confrontent jamais sur le sol aux djihadistes et les rares fois où ils l’ont fait, cela s’est soldé par un échec militaire.

En quoi alors, peut-il être utile ?

Même du point de vue du renseignement, les brigades combattantes rebelles seraient bien plus utiles, elles qui sont en contact au sol avec « l’Etat Islamique » puisque les zones qu’elles contrôlent jouxtent celle de l’organisation djihadiste. Et surtout, Daech n’est pas pour Assad une cible prioritaire. La cible prioritaire, pour lui, c’est la rébellion contre laquelle il déploie tout son arsenal militaire et sécuritaire, s’acharnant sur les populations qui ont le malheur de vivre dans les zones échappant à son contrôle. Elles reçoivent quotidiennement des barils de poudre venus du ciel et souffrent incomparablement plus des exactions du régime que des djihadistes. Et cela, ces députés ne peuvent l’ignorer.

Non, Assad n’est pas le bon partenaire. C’est un partenaire non fiable, menteur, dissimulateur, qui mène ses interlocuteurs par le bout du nez et c’est ce qu’il a fait avec ces quatre parlementaires français. Qu’a rapporté de Damas la lamentable équipée de ce quatuor d’amateurs ? Un peu de gloriole pour un dictateur aux mains tachées du sang de ses concitoyens et rien d’autre. Ils ont donné à Bachar Al Assad et n’ont rien reçu en échange. Ils ont de plus desservi les intérêts de la France en sapant sa position.

Étaient-ils si inconscients de cette manipulation ou est-ce leur trouble admiration pour les régimes forts qui les a attirés sur le chemin de Damas ? Veulent-ils nous faire croire qu’Assad est un moindre mal ? En tout état de cause, il faut se prémunir contre cette nouvelle théorie du « moindre mal » qui fait apparaître « le boucher de Damas » comme un partenaire fréquentable face à un « Etat Islamique » qui nous abreuve d’images violentes afin de nous faire perdre tout jugement.

Mais il doit rester assez de bon sens aux hommes politiques français pour ne pas considérer que le dirigeant syrien qui se joue sans cesse de la communauté internationale puisse être d’une quelconque aide pour la lutte contre Daech. A moins que l’on accepte l’idée du pompier pyromane.

Non, Assad n’est pas le bon partenaire.

Il est la source du problème.

Il ne peut représenter la solution.

Dimanche 1 mars 2015

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Souria Houria Contact presse
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