« Une solution politique négociée est l’unique voie pour sauver la Syrie »
Haytham Manna, opposant syrien
Le 9 juin 2015

DOCUMENT
La guerre en Syrie n’en finit pas. Les batailles se succèdent, et les attentats, les bombardements, les exécutions. Les populations civiles continuent de subir les violences. Au moins 230.000 personnes ont été tuées depuis mars 2011, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). La moitié des Syriens ont dû fuir de chez eux : l’ONU estime en effet à plus de 4 millions le nombre de réfugiés hors des frontières et à 7,6 millions le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays, sur une population totale de 23 millions.
Pas facile, dans ces conditions, d’imaginer la fin de la guerre, de se projeter dans un scénario où les adversaires se retrouveront autour d’une même table. C’est pourtant ce que tente inlassablement Haytham Manna, un défenseur des droits de l’homme qui vit entre Paris et Genève après avoir dû fuir le régime de Hafez el-Assad. « La Syrie est composée de 23 millions d’habitants. Ceux qui sont directement impliqués dans le conflit armé sont moins d’un million. Malheureusement, 22 millions de personnes n’ont pas le droit de parler », expliquait-il dans une récente interview au Figaro.
> Lire le portrait de Haytham Manna, paru dans La Croix le 4 avril 2014
Ce fervent avocat de la laïcité a été l’un des principaux organisateurs d’un rassemblement de plus de cent soixante-dix personnalités politiques, associatives, sociales et militaires syriennes les 8 et 9 juin au Caire. La moitié des participants à ce congrès vivaient en exil, l’autre était venue de Syrie. La Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution, soutenue par la plupart des pays opposés au régime de Damas, avait boycotté cette rencontre mais plus d’une vingtaine de ses membres étaient venus à titre personnel.
L’objectif du congrès réuni au Caire avec le soutien de la Ligue arabe et du gouvernement égyptien : adopter une « Feuille de route pour une solution négociée en Syrie » ainsi qu’une « Charte nationale syrienne » résumant les principes fondamentaux d’un régime de transition. Une fois approuvés, ces deux documents ont été notamment transmis à Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon pour la crise syrienne, que Haytham Manna doit rencontrer le 11 juillet. Un jour, peut-être, ils seront officiellement sur la table des négociations.
> Lire l’article de Rémy Pigaglio paru le 10 juin 2015 dans La Croix : « Des opposants syriens prônent une solution politique »
En présentant dans le détail la Feuille de route, cet article vise à montrer que l’avenir n’appartient pas qu’aux islamistes et aux tenants du régime Assad. Les opposants laïques et démocrates peuvent proposer une troisième voie vers « un régime démocratique, pluraliste, générant la liberté, la dignité, la justice et l’égalité ».
« Le président actuel ne saurait avoir sa place, à l’avenir, en Syrie »
» Notre point de vue se fonde sur une analyse concluant à une double impossibilité », préviennent les signataires : « Impossibilité d’une solution militaire fondée sur une victoire de l’un ou de l’autre camp; impossibilité que perdure au delà de ce conflit le système de gouvernance actuel et son président, qui ne saurait avoir sa place, à l’avenir, en Syrie. Il en découle que la solution politique négociée est l’unique voie pour sauver la Syrie ».
« Une résolution du conseil de sécurité de l’ONU »
» Des négociations entre une délégation de l’opposition et le régime doivent se tenir sous l’égide de l’ONU et avec la caution des pays ayant une influence sur la situation en Syrie », poursuivent-ils. « Les deux délégations concluront un accord prévoyant un programme de mise en œuvre du «communiqué de Genève» (DOC), assorti d’un calendrier et de mécanismes clairs, ainsi que de garanties contraignantes pour s’assurer de sa bonne exécution. Ces garanties et obligations nécessiteront un plein engagement des États de la région, agissant sous couvert d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui fera office d’une couverture juridique à leur implication en même temps qu’elle dressera le cadre général en appui à la feuille de route ».
Muter vers un régime de démocratie parlementaire
« L’objectif des négociations directes est de muter vers un régime de démocratie parlementaire, pluraliste, pratiquant l’alternance », précisent les opposants. « Ses contours seront dessinés par un Pacte National Fondateur reposant sur le principe de la citoyenneté égale en droits et obligations à tous les Syriens, indépendamment de toute considération de sexe, de nationalité, de croyance ou de confession ».
« Criminaliser le confessionnalisme »
« L’État sera doté d’institutions pour tous les citoyen(ne)s et pour l’ensemble de ses éléments constitutifs », ajoutent-ils. « Cet État de Droit sera seul habilité légitimement à détenir les armes. Sa mission sera d’établir sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national, de le défendre et de défendre son peuple, de lui fournir des prestations, d’ancrer le principe de séparation des pouvoirs, d’aménager les droits et obligations, le principe du respect de la constitution, de criminaliser le confessionnalisme, de combattre le terrorisme dans toutes ses formes, quelle qu’en soit sa provenance ».
« La principale victime de ce conflit, le peuple syrien »
« Certes, il n’est pas possible d’engager le processus de négociations sans un minimum d’accord entre les parties aux négociations », reconnaissent les auteurs de la Feuille de route. « Il est même difficile de parvenir à un accord détaillé et d’en définir les mécanismes en l’absence d’un geste à destination de la principale victime de ce conflit, le peuple syrien. Il est nécessaire que les deux parties conviennent, dès le début des négociations, des mesures suivantes ».
« Geler les hostilités et déployer des observateurs »
« 1-L’annonce immédiate d’une cessation du conflit armé de la part de tous les protagonistes sur l’ensemble du territoire syrien, tout opposant à cette mesure comme se plaçant ipso facto hors de la légalité nationale et internationale », détaillent-ils. « Toutefois, les forces armées régulières et les groupements armés ayant opté pour une solution politique du conflit seront maintenus dans leur position afin de geler les hostilités, avec le droit d’autodéfense contre les groupes hostiles à cet accord. Elles se prépareront au retrait ou au redéploiement, selon un programme exécutif convenu entre les deux parties, sous supervision directe de l’ONU et d’un groupe d’observateurs, composé de pays non impliqués dans le conflit, qui se déploiera dans les zone syriennes ayant souscrit au gel des opérations militaires ».
« Exiger le départ de tous les combattants étrangers »
« 2-Engagement clair et collectif, tant des parties syriennes que des protagonistes régionaux et internationaux, de condamner la présence de tous les combattants non syriens », insistent les signataires. « Exiger de tous les étrangers opérant à titre individuel ou dans le cadre des groupements armés combattant, tant du côté du régime (comme Hizbollah et Failaq al Quds) que contre lui (Comme Da’ech et Jabhat al Nosra), de quitter le territoire syrien. Les pays impliqués aussi bien à l’échelle régional qu’international doivent s’engager à respecter cette obligation, de même que les conséquences pénales découlant de la violation de ce principe. Un groupe d’observateurs s’assurera du respect de cette disposition et de sa bonne application ».
« Faire parvenir partout les secours aux nécessiteux »
« 3-Engagement à autoriser les organisations internationales de secours à opérer à l’intérieur de la Syrie dans toutes les provinces et de les aider à faire parvenir les secours aux nécessiteux », ajoutent-ils. « 4-Engagement de créer un climat propice dans toutes les zones situées sous le contrôle d’une des parties aux négociations, de manière à permettre à tous les Syriens de retourner dans leurs foyers et leurs lieux de travail. Veiller à assurer un logement provisoire urgent, des structures d’enseignement et de gestion administrative, prélude nécessaire à un retour digne garant de la sécurité et des conditions de vie élémentaires ».
« Garantir le travail des journalistes »
« 5-Autoriser le retour de tous les nationaux syriens, les opposants résidant à l’extérieur pour diverses raisons, sans le moindre questionnement à leur égard tant du point de vue sécuritaire que juridique que politique, avec la garantie des libertés fondamentales : liberté d’expression, liberté d’organisation et liberté de rassemblement pacifique. 6-Garantir le travail des journalistes et des médias, des activistes de la société civile et des juristes ainsi que les opérateurs sur le plan des secours humanitaires dans toutes les provinces ».
« Libérer les prisonniers »
« 7-Entreprendre la libération des prisonniers, des personnes enlevées du fait des événements auprès des divers protagonistes. (…) 8-Abroger tous les jugements des tribunaux du terrorisme et des juridictions d’exception rendus à l’occasion des événements du 18 mars 2011 (…). 9-Traiter les dossiers de compensation aux victimes de l’arbitraire ».
« Réunir toutes les forces qui soutiennent une transition démocratique »
« Les deux parties conviennent de la constitution d’une structure du pouvoir transitoire et de la nomination de leurs membres et président dans un délai de 2 mois, sous garantie internationale », reprennent les signataires de l’accord du Caire. « 1- Le Conseil National Transitoire (CNT) : sa mission est d’assurer une fonction législative en même temps qu’une fonction de contrôle du gouvernement dans la période transitoire. Il est constitué des représentants de toutes les composantes, des alliances et des forces et partis politique qui soutiennent la transition démocratique, ainsi que des représentants de la société civile, de manière à être représentatif du peuple syrien de manière efficiente et juste. Le CNT adoptera le Pacte National pour la Syrie d’avenir et une constitution provisoire ».
« Être en conformité avec le «communiqué de Genève» »
« 2-Le Haut Conseil de la Magistrature. (…). 3-Gouvernement de la période transitoire. Il devra jouir des pleines compétences exécutives, tant sur le plan civil que militaire, habituellement détenues par le Président de la République et le Conseil des ministres sous la constitution en vigueur et cela en conformité avec le «communiqué de Genève» ».
« 4- Le Conseil Militaire Provisoire (CMP). Il sera constitué d’officiers de toutes les forces militaires ayant opté pour la solution politique et la transition démocratique. Il aura autorité sur toutes les formations militaires qui lui devront obéissance. (…) Il veillera à la fusion des factions militaires convaincues par la solution politique, de même qu’au maintien de le sécurité et de la stabilité, ainsi que le combat contre le terrorisme (…) ».
« Un programme de réconciliation nationale »
« 5- Le Haut Conseil pour l’Équité, la Justice et la Réconciliation. Il met au point un programme de réconciliation nationale en vue de la restauration de la paix civile. Il a en outre la charge de superviser les programmes de justice pour la période transitoire, de veiller à réhabiliter le tissu social syrien déchiqueté par les événements passés ».
« Détacher le parti Baas de tout l’appareil d’État »
« Le Conseil National Transitoire annoncera le gel des activités de la constitution actuelle et des instances qui en émanent, ainsi que la suppression de toutes les lois d’exception, les projets et décisions discriminatoires ainsi que le détachement du parti Baas de tout l’appareil d’État y compris de l’armée et des forces de sécurité », prévoient-ils. « La période transitoire se termine en deux ans et s’achève par l’organisation d’élections générales locales, législatives et présidentielles, selon la nouvelle constitution, et sous la supervision des organisations internationales et régionales concernées.
« Des puissances témoins et garantes de l’accord »
« En raison de la complexité du conflit syrien, les ingérences qu’elle a suscitées sur le plan régional et international, particulièrement la complexité résultant du conflit armé dans le pays, de la difficulté d’obtenir un arrêt des opérations militaires du fait de la volonté des combattants… », concluent-ils. « Il est nécessaire que tout accord entre les deux parties soient nécessairement garanti par les cinq membres du conseil du sécurité de l’ONU, de l’Union européenne, des pays arabes et des puissances régionales, de manière à ce que les États précités soient en même temps témoins et garants de la bonne exécution de cet accord ».
POUR ALLER PLUS LOIN
– L’interview de Haythem Manna paru dans le Figaro du 8 juin 2015 : « La Syrie est détruite, il est urgent d’arrêter l’hémorragie »;
– Le texte intégral de la « Feuille de route pour la solution politique négociée en Syrie » qui a été adoptée le 9 juin 2015 au Caire par le « Congrès de l’opposition syrienne pour une solution politique », ainsi quele communiqué final du Congrès;
– La « Déclaration du Caire », adoptée le 24 janvier 2015 par un précédent rassemblement composé en partie des mêmes représentants;
– Le communiqué final de la réunion du groupe d’action pour la Syrie, à Genève, le 30 juin 2012, dit « Communiqué de Genève » (Genève I);
– le dossier de La Croix posté le 6 juillet 2015 : « Alep, au cœur de la guerre en Syrie »;
– L’article posté le 17 mars 2014 sur le blog Paris Planète avec Haytham Manna : « Pourquoi la violence n’est pas une solution en Syrie »;
– L’article posté le 28 septembre 2014 sur le blog Paris Planète avec Anthony Cordesman : « En Syrie et en Irak, la guerre sera longue pour les États-Unis »;
– L’article posté le 4 septembre 2014 sur le blog Paris Planète avec Elias Muhanna : « L’Irak et la Syrie, deux pays, deux histoires millénaires »;
– L‘article : « Qui constitue l’opposition syrienne », paru le 26 avril 2013 sur le site Les clés du Moyen Orient;