Quand la RTBF perd toute décence journalistique 2 – La suite


Suite à la publication de cet article la semaine dernière, les réactions suscitées m’ont poussé à revenir sur le sujet dans un second article et explorer la suite des événements.

La publication de mon article a connu une diffusion que je n’avais absolument pas anticipée. Cela a permis que celui-ci trouve son chemin jusqu’à la rédaction de La Première. Des connaissances au sein de celle-ci m’ont rapporté qu’il y avait clairement eu un malaise suite aux critiques à leur endroit. Le reste des reportages faits durant le voyage en Syrie devait maintenant comprendre plus de « précautions »  dans leur formulation.

Nouveau reportage, la désinformation continue

Mais le 8 septembre, rebelote, Matin Première nous sert à nouveau un reportage issu du même voyage, reportage ne comprenant aucune précaution journalistique une nouvelle fois.

Jean-Paul Marthoz, Professeur de journalisme et membre du CPJ (Comittee to Protect Journalists) que j’interrogeais sur la question du journalisme embedded en Syrie m’a répondu ceci : « Ce type de voyage est par définition un piège. Le premier critère est d’indiquer qui a invité et les conditions de l’invitation. Le deuxième est de savoir qu’un régime cherche d’abord à montrer qu’il est acceptable et donc visitable. Et qu’aucune mise en scène ne devrait être tolérée. Enfin, tous les constats doivent être relativisés, c’est-à-dire mis dans un contexte. Les Syriens ont peur de parler et se référer à leur opinion n’a aucun sens.  Je pense que sur ce conflit, la rigueur doit être absolue car il se prête à toutes les peurs et à tous les clichés. »

Aucun des trois critères minimaux à mettre en place selon-lui ne sont d’après moi respectés dans ce nouveau reportage. Des témoignages sont livrés bruts, souvent de manière difficilement compréhensible, même pour un expert de la Syrie. Le premier témoignage par exemple, comprend cette allégation « les voisins les ont vu décapiter un bébé ». Premier élément intéressant, tous les témoignages parlent en « ils » sans jamais citer personne. Donc on ne sait pas qui est « ils » mais on nous dit qu’ils ont « décapité un bébé » soit le genre d’histoires dont les sites d’hoax raffolent. Pour le moment, la seule image que l’on a d’un enfant décapité en Syrie est celle évoquée dans le point 2 de cet article du Monde. Cela a eu lieu à l’occasion d’un bombardement du régime.
Que les témoignages soient dans l’émotif et parfois loin du réel, cela peut se comprendre. Charge aux journalistes de replacer dans le contexte et d’établir les faits. Là encore c’est raté. Lors d’une rare précision sur un témoignage, Françoise Wallemacq explique que la personne interrogée vient d’Idlib récemment « tombée aux mains de Daesh ». On a une nouvelle fois du mal à comprendre comment la RTBF peut envoyer sur un terrain aussi complexe que la Syrie quelqu’un qui semble avoir si peu connaissance de celui-ci. Idlib n’est pas tombée aux mains de Daesh, mais a été reprise par une coalition appelée « l’armée de la conquête » dont Daesh est absent et qu’il combat vigoureusement. Si cette coalition est loin de rassembler majoritairement des modérés, elle est malgré tout relativement plurielle. Lors de la prise d’Idlib, des exactions ont bien été commises mais cela est resté très marginal. Par contre, dès le lendemain de la perte de la ville, l’aviation de Bachar Al-Assad a commencé le largage de barils de TNT sur Idlib. En tout depuis lors, les bombardements du régime ont tué 2382 civils (chiffre à la fin août). On voit bien ici la différence d’échelle entre les horreurs des uns et des autres. Un rapport complet sur la situation à Idlib est disponible ici, il est édité par une association qui documente les atteintes aux droits humains dans le conflit syrien.Capture du 2015-09-11 14:38:16

Conclusion : aucune prise en compte des critiques dans les reportages suivants

Le résultat, il fallait s’y attendre : la RTBF servant la propagande assadienne sur un plateau, les grands adeptes de celle-ci commencent à diffuser les reportages de notre chaîne publique. Qui sont-ils? Les représentants de tout ce que le web compte de sites web conspirationnistes reprennent les podcasts de la rtbf et les diffusent: arretsurinfo, le comité Valmy, l’axe de la résistance, et d’autres encore (ici et ici par exemple).

Cela me pousse à interpeller à nouveau la chaîne publique, qui me répond alors ceci dans un post facebook:

Cette semaine, la RTBF a diffusé plusieurs reportages réalisés par nos envoyés spéciaux en Syrie. Il nous semble utile de préciser Dans quelles conditions notre équipe est-elle partie en Syrie ? Un préalable : partir en reportage en Syrie est devenu pratiquement impossible pour les journalistes. Les zones tenues par les rebelles ou l’Etat islamique sont devenues des zones de « non-droit », où tout étranger prend le risque d’être tué ou pris en otage. Ces zones sont de facto inaccessibles depuis plus d’un an. Le seul endroit où les journalistes peuvent travailler en jouissant d’un minimum de sécurité sont donc les zones contrôlées par le gouvernement. Damas délivre difficilement des visas aux journalistes occidentaux. Cela fait deux ans que la RTBF en a fait la demande. Après mûre réflexion sur les conditions de sécurité de notre équipe, nous sommes partis à l’invitation de la communauté arménienne de Syrie. c’est une minorité chrétienne qui redoute une nouvelle émigration, 100 ans après le génocide qui a chassé les Arméniens de Turquie, qui les a poussés à se réfugier notamment en Syrie. Durant son séjour en Syrie, notre équipe a pu se rendre a Damas, Lattaquié et Kessab, a la frontière turque. 3 zones sous contrôle de l’armée syrienne. Elle était accompagnée d’un employé du ministère de l’Information, chargé de faciliter le passage des checks points , et de veiller à ce que l’on ne prenne aucune photo d’objectif militaire. Comme dans tout pays en guerre, chaque déplacement doit faire l’objet d’une autorisation préalable. Ce qui n’a pas empêché l’équipe de modifier son programme quand elle le souhaitait, soit pour réaliser des interviews , soit par mesure de sécurité. Le seul contact avec des officiels a été une rencontre avec le gouverneur de Lattaquié. Ce genre de visite de « courtoisie » n’a rien d’inhabituel lors de reportages à l’étranger. Le but de nos journalistes était de rendre compte du vécu de la population. Certaines rencontres avec des familles ont été organisées au préalable, d’autres ont été fortuites, au hasard des rencontres dans certains quartiers. Notre équipe a été témoin de bombardements sur des quartiers de Damas occupés par l’opposition syrienne, comme Douma ou Adra, sans pouvoir rendre compte de la situation sur place, toujours pour des raisons de sécurité. Côté gouvernemental, certains quartiers de Damas ont aussi été la cible de dizaines de roquettes, et deux véhicules piégés ont explosé à Lattaquié durant notre reportage.

Francoise Wallemacq Direction journaliste Journal parlé

Il est intéressant de voir que la RTBF décrit les conditions de ses reportages (un des trois critères émis par Jean-Paul Marthoz): à savoir qu’ils étaient accompagnés en permanence d’un membre du ministère de l’information et n’étaient pas libres de leurs mouvements. Mais ce descriptif ne m’est adressé qu’à moi seul. Pourquoi n’accompagne-t-il pas d’office tous les fragments de reportage? Ce n’est pas à moi qu’il faut expliquer cela (je le savais déjà) mais bien au grand public. [edit: depuis la fin de la rédaction de ce billet, un article de la RTBF sur leur périple en Syriementionne le texte ci-dessus. Cela ne change pas pour autant la donne]
Ensuite, vu les conditions décrites, il devient vraiment surréaliste de diffuser après des « témoignages ». Connaissez-vous un tout petit peu la Syrie? Vous croyez que quiconque va tenir autre chose qu’un discours pro-régime dans ces conditions? Je me permets ici de reprendre les mots du journaliste Pascal Fenaux qui dans unrécent article pour la Revue Nouvelle affirmait ceci à cet égard: « si la situation n’était à ce point insoutenable et si les rapports relatifs aux exactions de masse commises par le régime n’étaient à ce point terrifiants, cette dernière précision aurait de quoi provoquer un fou rire nerveux. Mais il n’y a pas de quoi rire. »

Second élément, la RTBF semble justifier le bien fondé de son invitation en jouant sur la carte arménienne. Or comme déjà expliqué dans mon article précédent quand un représentant d’une communauté invite des journalistes en Syrie, c’est toujours  sous demande du régime. Feindre de l’ignorer ne grandit pas la RTBF. Le président du Comité de défense de la cause arménienne de Belgique, Peter Petrossian, qui a accompagné la « délégation belge », n’a jamais montré une analyse très critique du conflit syrien. Si je respecte et soutiens sans réserve son combat pour la reconnaissance du génocide arménien, je ne peux en dire de même de son traitement de la crise syrienne. Si la RTBF avait vérifié préalablement son « accompagnateur », elle aurait vu que les sources que M. Petrossian consulte et diffuse sur le conflit syrien s’appellent Michel Collon, Pierre Piccinin ou Bahar Kimyongür. Soit ce que l’on peut qualifier de sources belges les moins fiables sur le sujet.
Enfin ce qui est frappant dans ce texte, c’est que la RTBF ne fait à aucun moment un aveu, même partiel, d’erreur. Cela l’aurait sorti grandie. Comme je le disais dans mon article précédent, je ne pense pas qu’il y ait eu intention de mal faire à aucun moment. Mais lorsque l’on est mis face à ses erreurs, les reconnaître excuse déjà beaucoup.
Au contraire, chaque jour amène son nouveau fragment de reportage et demain (samedi 12 septembre), une émission entière devrait être consacrée au voyage en Syrie de Françoise Wallemacq. Autant dire qu’au vu de ce qui a été fait précédemment, le pire est à craindre.

Camp de Röszke 09092015


[youtube https://youtu.be/bRbmFYYbcyw?]

Une vidéo filmée clandestinement à l’intérieur du plus grand camp de migrants en Hongrie, à la frontière de la Serbie, montre les conditions « inhumaines » dans lesquelles la nourriture est distribuée.

Cette vidéo, filmée en secret par une bénévole australienne qui s’est rendue mercredi au camp de Roszke, montre quelque 150 migrants rassemblés dans un enclos à l’intérieur d’une grande salle et se bousculant pour tenter d’attraper des sacs de sandwiches que leurs lancent des policiers hongrois portant des casques et des masques hygiéniques.

Des femmes et des enfants sont dans cette foule mouvante et chaotique, tentant d’attraper le pain volant dans les airs, tandis que ceux qui sont au fond escaladent la barrière de l’enclos pour tenter d’attirer l’attention de ceux qui distribuent la nourriture.

« C’était comme de nourrir des animaux enfermés dans un enclos, comme un Guantanamo en Europe« , a déclaré Alexander Spritzendorfer, dont la femme Michaela a filmé la séquence, diffusée sur YouTube jeudi soir.

Le couple, avec d’autres bénévoles, était venu apporter de la nourriture, des vêtements et des médicaments.

Mardi, l’agence de l’ONU pour les réfugiés avait critiqué les conditions très dures au camp de Roszke, alors que la Hongrie se débat pour tenter de faire face à l’afflux record de migrants qui traversent ses frontières pour tenter d’atteindre l’Europe occidentale.

Le gouvernement de droite avait fini fin août de construire une barrière de barbelés le long de sa frontière de 175 km avec la Serbie, mais celle-ci ne semble pas être un obstacle à l’arrivée des migrants.

Une nouvelle barrière, de quatre mètres de haut, est en construction et devrait être achevée fin octobre ou début novembre.

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Caricature : Plantu aussi a migré…


Daniel Schneidermann | Fondateur d’@rrêt sur images

D’abord, le bon sourire du père de cette famille de migrants, sous le crayon de Plantu. Un père replet, manifestement quinquagénaire, très différent des jeunes hommes efflanqués que nous montrent les photos, et les images télévisées.

Enturbanné, aussi, comme les mollahs de Charlie Hebdo, alors que les mêmes images télévisées (mais peut-être sont-elles mensongères) ne nous montrent aucun enturbanné.

Le personnage sourit. Ce n’est ni un mollah ni un djihadiste, c’est un « bon » enturbanné. A moins que ce sourire ne vise à tromper la vigilance du douanier ?

Et la larme de sa femme, forcément voilée (mais pas trop) ? Sincère, ou bien trompeuse elle aussi, pour émouvoir le même personnage à tampon (et les caméras) ?

Le dessin de Plantu à la une du Monde, le 10 septembre 2015

Le regard se pose ensuite sur l’ouvrier français (casquette, salopette, mine patibulaire) qui vient de prendre au collet un malingre personnage à lunettes, agrippé à un épais code du travail (universitaire ? fonctionnaire ? Aucun signe distinctif, sinon les lunettes, signe de faiblesse physique face à la force brutale du prolétaire).

Le jeu du Medef, du FN, ou des deux ?

On imagine que l’ouvrier va lui faire passer un mauvais quart d’heure, à ce rat de bibliothèque. Puis on réalise que là non plus, la caricature de Plantu ne correspond pas à la réalité, telle que la narrent les médias du jour : dans cette narration-là, ce sont les ouvriers, les salariés, qui sont protégés par l’épais et archaïque code du travail, qu’il s’agit de moderniser, de dépoussiérer.

En toute logique, si ses deux mains n’étaient pas occupées à malmener le binoclard, c’est l’ouvrier, qui devrait s’agripper au code. Mais qu’un ouvrier, incarnation de la force brutale, puisse être attaché à des textes protecteurs, n’entre pas dans l’univers mental du dessinateur.

Bref, ce dessin, paru à la une du Monde de ce jeudi, et tweeté par Attac qui se demande s’il fait davantage le jeu du Medef, du FN, ou des deux, n’est pas seulement une caricature cumulant deux poncifs réacs (le migrant enturbanné, l’ouvrier brutal).

Il ne dit pas le monde tel qu’il est

Il décrit un univers « plantuesque » entièrement imaginaire, où les migrants s’apprêtent à prendre la place des ouvriers français, tous deux étant par ailleurs mieux nourris que les fonctionnaires français.

Il ne dit pas le monde tel qu’il est. Il ne dit même pas Le Monde qui, ce jeudi, envoie trente reporters rapporter images et récits de la crise des migrants, qui viseront à capturer partout des éclats de réel, à l’opposé des caricatures.

Il ne dit rien d’autre qu’une trajectoire individuelle. Il dit, pour ceux qui suivent depuis toujours son travail, et l’ont longtemps aimé, la longue migration intérieure d’un dessinateur, qui à ses débuts, naïf qu’il était, et sans doute affamé lui-même, n’avait pas encore compris que « le Sud » est peuplé d’enturbannés replets, et sournois.

Sur le Nord et le Sud (Plantu)

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