François Burgat


La France accélère le processus de désespérance qui a nourri les rangs de Daech !
« Au lieu de le résorber, la France est malheureusement en train d’accélérer (…) le processus de désespérance qui a gonflé les rangs de Daech . Elle participe à cette redoutable « montée aux extrêmes » de la crise au détriment d’une sortie « par le centre » qui exigeait l’association d’une large partie de l’opposition islamiste ».-

HB : Selon vous, quelles seront les conséquences des bombardements sur le terrain? Risques de dommages collatéraux ? Croyez-vous que ces bombardements contribueront effectivement à affaiblir l’EI d’un point de vue opérationnel? Ne risque-t-on pas de provoquer la fuite des populations dans les territoires sous contrôle de l’EI, jusqu’à présent relativement épargnées par les bombardements du régime ?

– FB : S’il serait présomptueux d’apprécier sous un angle strictement militaire l’impact potentiel de ces frappes françaises, je dirai toutefois que – compte tenu des moyens peu importants pouvant être mis en œuvre- elles ont en fait très peu de chance d’affecter significativement l’équilibre militaire ou les déplacements de population initiés par l’intervention américaine préexistante.Leur portée symbolique et donc politique peut en revanche être considérée comme bien plus importante. La décision de frapper Daesh tout en laissant Bachar poursuivre, à une toute autre échelle, son oeuvre de mort est infiniment regrettable : la France vient en quelque sorte d’expliciter son changement de camp. Elle s’affiche désormais clairement dans les rangs de la contre révolution arabe. D’un côté et d’abord, il y avait le régime de Bachar al-Assad, dont la répression inhumaine d’un mouvement populaire initialement pacifique est la véritable source des maux présents de la Syrie. De l’autre, Daesh, qui n’est point la cause mais la conséquence de ce verrouillage répressif et manipulateur du régime, que l’ingérence décisive de l’Iran et de la Russie a considérablement aggravé. Or, entre ces deux acteurs, la France a établi une hiérarchie de la nuisance très « idéologisée » et de ce fait très peu respectueuse des responsabilités respectives. C’est le vocabulaire (islamique) des acteurs qui a déterminé notre choix et non la responsabilité réelle de chacune des parties en cause . Après avoir longtemps refusé de s’engager sérieusement dans la lutte contre sa véritable cause, la France vient de confirmer son choix de combattre la conséquence de la crise syrienne. Paris est passé du soutien – surtout verbal et très vite suspicieux – à une opposition qui était peut être en partie islamiste, mais néanmoins « républicaine » (c’est à dire autre que jihadiste) à une connivence quasi explicite avec l’axe – dont le sectarisme, chiite ou anti-musulman celui là, est bien loin d’être absent, on l’oublie souvent – qui unit Damas, le Liban du Hizbollah- Téhéran et Moscou. Au lieu de le résorber, la France est malheureusement en train d’accélérer ainsi le processus de désespérance qui a gonflé les rangs de Daesh. Elle participe à cette redoutable « montée aux extrêmes » de la crise au détriment d’une sortie « par le centre » qui exigeait l’association d’une large partie de l’opposition islamiste. Cet alignement résonne bien sur très au dela du territoire syrien, jusque dans le tissu national français. Pour des raisons le plus souvent bassement électoralistes, nous sommes en train d’aggraver un peu plus encore le climat de suspicion et de désaveu qui empoisonne notre relation avec le monde musulman (sunnite), cette composante importante de notre environnement, international mais également intérieur, à laquelle notre destin est pourtant indissolublement lié. (FB pour HB)