L’altérité islamiste, une histoire autre ?


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Comprendre l’islam politique. Une trajectoire de recherche sur l’altérité islamiste, 1973-2016 paraît le 20 octobre 2016 aux éditions La Découverte. François Burgat se propose d’éclairer l’apparition, dans la période postcoloniale, d’un islam politique qui cristallise une très profonde défiance, en replaçant ses analyses et sa trajectoire de chercheur dans le parcours personnel qui les a nourries et l’environnement scientifique qui les a accueillies. Un parcours intellectuel qui commence en Algérie, où il est affecté par hasard comme « volontaire du service national actif », ainsi qu’il le raconte dans l’extrait ci-après.

Je ne recherchais rien de particulier en Algérie. Partir comme « coopérant », comme on disait alors, permettait avant tout d’éviter l’armée d’active, ce qu’une écrasante majorité de mes condisciples étudiants de l’époque s’employait à faire. Lors de la journée d’incorporation, quand un officier avait demandé à ceux intéressés par l’idée d’une « préparation militaire supérieure » de se manifester, il avait très mal pris le fait que pas un seul des trente sursitaires présents n’ait levé la main. C’était dans l’air du temps. J’ai d’ailleurs failli être réformé : une des mentions mystérieuses portées par le psychiatre sur le relevé de mon état médical évoquait une « tendance au rire incontrôlée ». Et en faisant décoder ce diagnostic, je n’avais de surcroît pas réussi à m’empêcher… de rire aux éclats. Face à l’échéance du service militaire obligatoire, au terme de quelques années passées à découvrir le monde en marge de mes études de droit, j’ai donc très banalement opté pour le sursis d’abord, puis, lorsque les délais d’incorporation furent épuisés, pour le « volontariat pour le service national actif » qui allait faire de moi, pour un an et demi, un « VSNA ». « À quel moment avez-vous ressenti un attrait particulier pour le monde arabe ? », m’a-t-on souvent demandé.« Quand avez-vous éprouvé une attirance pour l’islam ? », osent régulièrement certains. Partir en Algérie, en réalité, ne fut pas un choix, ni moral ni politique. Sur les formulaires du ministère, mes souhaits étaient très clairs : c’était en Argentine ou, à défaut, au Chili que je voulais partir. Et c’est en Algérie que, comme quelques milliers d’autres post-soixante-huitards, j’ai été affecté pour deux ans. C’est donc en Algérie que ma trajectoire intellectuelle a commencé à prendre forme. Par hasard d’abord, plus consciemment ensuite : au terme d’une année et demie deVSNA, je choisis de prolonger mon séjour pendant cinq années, notamment pour écrire ma thèse. L’Algérie des années 1970 allait m’offrir la première et la plus marquante opportunité pour construire de façon intellectuelle, organisée et consciente, et non plus seulement intuitive comme lors de mes premiers périples — une distance analytique avec les piliers et les certitudes de ma culture héritée.