
Un Palestinien inspecte la maison où une jeune mariée palestinienne a été tuée lors d’une frappe aérienne israélienne, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, samedi.
Crédit : Hatem Khaled / REUTERS
Gideon Levy
7 mai 2025, 23h34 (heure d’Israël)
L’acidocétose diabétique est une complication potentiellement mortelle du diabète, dans laquelle un manque d’insuline et un excès d’hormones de stress entraînent une production accrue de corps cétoniques et une acidification du sang. M. est presque à court d’insuline. Depuis sa maison incendiée à Beit Lahia, dans le nord de Gaza, où il est récemment retourné, il dit au téléphone qu’il lui reste deux gouttes. Plus tard, il parle de « 2 centimètres » ; il voulait peut-être dire deux unités. Quoi qu’il en soit, il n’a presque plus rien. Jusqu’à récemment, il se procurait son insuline à la pharmacie de l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, mais depuis qu’Israël a stoppé l’entrée de l’aide humanitaire, il n’y a plus d’insuline.
Il essaie de se montrer rassurant : il n’a pas besoin d’insuline pour le moment car il n’y a pas de pain. Il ne prend de l’insuline que lorsqu’il mange du pain, et il n’y en a pas. Il garde sa dernière dose au cas où lui et sa famille trouveraient un peu de pain. Mercredi, son fils est parti chercher du pop-corn pour calmer son estomac. Il a cherché pendant des heures, en vain. « Je lui avais dit qu’il ne trouverait rien », dit le père.
Starving Gaza again doesn’t serve Israel’s interest
Israel will pay a heavy price if it continues its campaign of death in Gaza
Israel must stop starving Gaza
« J’ai faim, j’ai vraiment faim », m’a-t-il dit mercredi. C’était la première fois depuis le début de la guerre qu’il prononçait cette phrase avec une telle intensité. Il avait toujours essayé d’édulcorer la réalité, de minimiser ses souffrances pour ne pas susciter la pitié et préserver sa dignité. Jusqu’à hier. Mercredi, il a admis qu’il avait faim. Vraiment faim.
Mardi fut une journée particulièrement difficile : Israël a bombardé sans relâche le nord de la bande. Les enfants voulaient partir, mais M. leur a demandé : « Où irait-on ? » Ils sont tous restés dans ce qu’il restait de leur maison, sous les obus tonnants, espérant le meilleur. Ils avaient décidé que si les bombardements ne cessaient pas avant 17h, ils partiraient. Heureusement, les tirs se sont calmés avant, et mercredi les canons se sont tus. M. affirme qu’il n’y a ni otages ni membres du Hamas à Beit Lahia, seulement des tas de gravats, alors pourquoi continuer à bombarder ?
M. est revenu dans les ruines de sa maison après de longs mois passés dans un campement de tentes dans la zone « humanitaire » de Muwasi, près de Khan Younès, non loin de l’ancienne colonie israélienne de Neveh Dekalim, évacuée en 2005. Il a 63 ans, est diabétique et a subi un AVC. Le trajet depuis le campement jusqu’à sa maison incendiée a coûté 1 200 shekels (environ 334 $). Quatre familles ont partagé les frais, tassées à l’arrière d’un fourgon, sur des matelas et des couvertures – tout ce qu’elles possédaient.
Quand ils sont arrivés à ce qui était autrefois leur maison, il ne restait que la carcasse, couverte de suie. Même les portes avaient disparu. Ils ont nettoyé, posé des matelas et se sont installés parmi les ruines. Aujourd’hui, ils craignent devoir fuir à nouveau pour sauver leur vie – sans savoir où aller. Mercredi marquait le 19ᵉ mois de guerre. Israël veut la relancer de plus belle : quelle réjouissante nouvelle…
Mes conversations avec M. sont frustrantes. Mon incapacité à l’aider, mon impuissance, me rendent fou. Pendant des années, nous avons parcouru Gaza ensemble ; il nous guidait et nous protégeait. Mercredi, il était assis devant ce qui restait de la Mercedes sept places dans laquelle nous avons tant roulé, parfois à l’essence, quand il y en avait, parfois à l’huile de friture recyclée des stands de falafels, quand le carburant manquait.
La Mercedes jaune doit avoir environ 3 millions de kilomètres au compteur. Aujourd’hui, elle est elle aussi une carcasse calcinée. M. la pleure plus que sa maison. Il y a passé plus de temps que chez lui. Parfois, il la caresse, m’a-t-il confié mercredi, la gorge serrée, en ouvrant le coffre noirci pour se remémorer des souvenirs, en soulevant le capot pour contempler le moteur brûlé. Quelques jours avant le début de la guerre, il avait acheté quatre pneus neufs. Il n’a jamais pu rouler avec. Maintenant, le taxi n’est plus qu’un squelette – tout comme son propriétaire affamé.
Mardi, il a mangé quelques lentilles. Mercredi, rien du tout. Quand il parvient à obtenir de la farine ou du pain, il s’injecte les dernières gouttes d’insuline qu’il lui reste.