Saskia De Coster : « Si manifester contre le génocide à Gaza ne sert à rien, il ne reste plus que la désobéissance civile »
Nos hommes politiques étouffent Gaza, écrit Saskia De Coster. Comment les secouer ? Il est temps de briser les règles du jeu.
Saskia De Coster Schrijfster.

27 juin 2025 23:59

Manifestation devant le parlement de l’UEI à Bruxelles, le 21 mai. © Getty
OpinieOorlog in Gaza
« Pouvons-nous nous reposer un instant ? », écrit le poète palestinien Abu Toha, avant de poursuivre : « Peut-être mourir / pendant quelques mois ou quelques années / et nous réveiller lorsque le poème sera terminé. » Ou lorsque la guerre sera terminée. Nous, Européens, pouvons nous reposer. Détourner le regard. Ou crier dans l’espoir que quelque chose bouge. C’est ce que nous avons fait il y a deux dimanches avec 110 000 citoyens à Bruxelles. Nous avons manifesté contre la violence génocidaire perpétrée par Israël. Mais combien de lignes rouges peut-on tracer, combien de foulards peut-on vendre, combien d’algorithmes peut-on faire planter ? Que pouvons-nous encore faire ?
Tout est politique, sauf la politique elle-même. Celle-ci menace de plus en plus de devenir une institution vide de sens. Nous avons une présidente non élue de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui soutient fermement l’État d’Israël. Sans mandat, au nom de l’Europe, en notre nom. Plus de la moitié des 13 milliards d’euros d’exportations israéliennes issues du commerce des armes ont été payés par et pour des pays européens. Pour et par nous.
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Après une semaine de discussions sur les sanctions en Europe, la chef de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, entame un dialogue avec Israël. Un voile sur la dure réalité : l’Europe laisse Gaza suffoquer. L’Espagne et la Slovénie, elles, prennent position. La classe politique belge reste tiède, même si cela ne reflète pas le sentiment qui anime les citoyens : plus de 73 % des Belges, soit une large majorité, sont non seulement indignés par les violences excessives, mais souhaitent également un cessez-le-feu immédiat.
Entre-temps, Israël a prouvé sa suprématie militaire au Moyen-Orient. Pourtant, Mia Doornaert (DS, 26 juin) donne une tournure perverse à la situation en mettant l’accent sur la destruction de l’État d’Israël, pour ensuite le présenter comme un bouc émissaire, une victime innocente. Les protestations qui s’élèvent dans le monde entier ne portent pas sur le prétendu droit de légitime défense d’Israël, mais sur le respect du droit humanitaire. Nous ne devons pas oublier la perspective historique, mais nous ne devons pas non plus l’utiliser pour défendre l’humanité et la moralité fondamentales.
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C’est à nous
Civil disobedience est le titre du livre écrit par Henri Thoreau en 1866. En tant que simple citoyen – il n’était pas encore célèbre à l’époque –, il a refusé de payer ses impôts à un régime qui autorisait l’esclavage et menait une guerre contre le Mexique. Il a été arrêté et emprisonné. C’était sa manière d’exercer une influence directe, sans violence et sans intérêt personnel. De la désobéissance civile.
C’est à nous de jouer. Nous avons voté et choisi des personnes pour nous représenter. Ce gouvernement ne respecte pas les règles d’une démocratie représentative. Et nous manifestons docilement et écrivons notre indignation à la craie sur nos trottoirs.
C’est à nous d’enfreindre les règles du jeu. Nous avons crié haut et fort, mais les décideurs politiques inertes ne nous ont pas entendus. Nous avons besoin d’actions. Cela peut se faire de nombreuses façons. Agir en n’agissant pas. En ne suivant plus le mouvement. Une réponse véritablement proportionnelle et démocratique consiste à priver l’État de sa principale source de revenus : nous pouvons refuser de payer nos impôts. Si tout le monde le faisait, nous aurions atteint notre but. Le gouvernement modifierait immédiatement sa politique. Dans un tel cas, ce sont surtout les gros portefeuilles qui font la différence, mais même la gauche ne parvient pas à faire adopter l’impôt sur la fortune.
50 000 cadavres temporaires
Il existe d’autres moyens plus directs de nous représenter. Même si seules les 110 000 personnes qui ont manifesté participent, nous obtiendrons à coup sûr un changement. Via l’aéroport de Zaventem, la Belgique, pays de transit, exporte des armes et assure d’autres transports militaires. Occuper la route d’accès à l’aéroport avec une chaîne humaine rend cela impossible. Le secteur bancaire et tant d’autres entreprises soutiennent également la guerre d’Israël contre Gaza. Occuper des agences bancaires comme celle de BNP Paribas à Bruxelles perturbe la tranquillité et l’inertie qui règnent ici. Si la moitié des manifestants s’allongent sur la Grand-Place de Bruxelles lors d’un « die-in », formant plus de cinquante mille cadavres temporaires, le tourisme ne pourra plus y échapper.
Au moment où j’écris ces lignes, Israël ferme à nouveau des centres d’aide qui étaient déjà devenus des centres d’extermination. Bruxelles abrite également le siège de la Commission européenne, le bâtiment Berlaymont. Un sit-in à cet endroit empêche que les affaires continuent comme si de rien n’était. En même temps, inonder les fonctionnaires européens de protestations numériques devrait provoquer une réaction.
Naïf ? Utopique ? Sur mon écran, un enfant en bas âge, qui a perdu ses parents d’un seul coup, regarde en état de choc les ruines de sa chambre. Nous pouvons choisir de nous réveiller lorsque tout sera terminé et que Netanyahu se tiendra devant la Cour pénale internationale. Ou nous pouvons choisir de faire passer notre conscience avant une politique défaillante. Time’s up.
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Source : De Standaard
Traduction : Deepl