Jean-paul Mahoux
11 novembre, 10:54 ·sur Facebook
Christophe, Christophe Deborsu,
On a vu ton émission « Sans boulot : tous fraudeurs ? », diffusée sur RTL le 7 novembre (400.000 spectateurs, 40 % d’audience, beau succès). Après avoir visionné ton «reportage », beaucoup de gens ont dit que tu étais un porte-parole du MR, que tu stigmatisais les pauvres gens avec des méthodes d’enquête douteuses voire honteuses. C’est exagéré. Avant d’être un libéral tendance Bouchez, canal Clarinval, tu es d’abord un catholique de la bourgeoisie namuroise. Plein de bons sentiments pour les gueux. Tu as même dit – et je suis sûr que c’est vrai – avoir éprouvé une « certaine tendresse » pour ces allocataires sociaux que tu as mis sous tes projecteurs aveuglants comme des lapins dans les phares d’une puissante GLE à 100.000 balles.
Une « certaine tendresse » mais pas plus. Charité ordonnée commençant toujours par soi-même, je crois plutôt que c’est ta classe sociale que tu aimes tendrement dans ce reportage, celle qui se croit issue de la méritocratie du travail. Car ton reportage est un autoportrait en creux.
Par exemple, quand tu conduis Laeticia, maman solo, mère de trois enfants, allocataire sociale. Elle est locataire d’un petit appartement dans la rue la plus pauvre de Belgique, à 12 minutes en bus du centre de Verviers. Tu l’emmènes à 30 minutes de là, en voiture, dans un si beau quartier résidentiel de villas quatre façades et jardins. La séquence est diaboliquement implicite : tu montres à cette dame que les honnêtes gens qui travaillent habitent de grandes maisons confortables comme celles qui parsèment ta chère citadelle de Namur. Et la pauvre dame si digne de spontanéité, de te dire qu’elle n’imaginait pas qu’un si beau quartier puisse exister. Mais si elle travaillait au lieu de frauder, elle y habiterait ! Ah Christophe, tu es si jésuite. Tu fais miroiter un rêve impayable à une innocente aux mains vides.
Tu sais pourtant que le coût de ce rêve bourgeois est totalement hors de portée pour une personne sans le moindre centime de capital hérité. Au 1e trimestre 2024, le prix médian d’une maison atteignait 372.000 €. Sur 30 ans à du 3.8% sans apport propre, ça fait 628.560 € à payer. Soit 30 ans de revenu d’intégration pour Laeticia, à 1746 € par mois, 30 ans sans rien manger, sans se vêtir, sans se chauffer, sans aller à l’école, sans bouger, sans vivre ! Impossible. Et tu le sais. Tu sais aussi que ces belles villas sont largement héritées et non payées par le travail comme le prétendent les Pharisiens. En Belgique, la part de l’héritage dans le capital a doublé en 50 ans, arrivant à 65%. Et les 10 % des ménages les plus riches détiennent plus de la moitié du patrimoine belge.. Si deux belges sur trois sont propriétaires de leur logement (ou plutôt le remboursent à une banque), les 20% les plus riches ont un patrimoine de plus d’un million. Certes, c’est injuste mais c’est la volonté divine et ce ne sont pas des fraudeurs !
Ah si … Un « peu » quand même. Je ne vais pas te parler des 37 milliards de fraude fiscale et d’optimalisation aux Bahamas des riches, soit 18 fois plus que le coût du chômage de longue durée. Je vais te parler de ce que coûte à la collectivité le « belgian way à life » que tu as fait miroiter à Laeticia. Cet étalement urbain de villas cossues a un coût colossal. Les riches qui s’étalent et étalent leur richesse, menacent même l’équilibre environnemental, social et économique de toute l’Europe. C’est ce qu’écrit la spécialiste Anne-Françoise Marique, ingénieure architecte-urbaniste de l’ULg. Car ces quartiers péri-urbains comme la citadelle de Namur ou ce beau quartier éloigné de Verviers, avec leur faible densité d’habitations (5 logements par hectare) sans activité économique, impliquent trois catastrophes :
– Un taux de motorisation record (2 à 3 voitures par foyer) engorgeant les axes routiers, émettant quotidiennement une masse de gaz à effets de serre, de dioxyde d’azote et de particules fines notamment dans les quartiers pauvres des villes traversés par de véritables autoroutes urbaines. Le coût environnemental (réchauffement climatique) et de santé publique (maladies pulmonaires), est considérable.
– Une consommation accrue de terres qui va à l’encontre du développement durable de nos territoires. La consommation de terres agricoles et forestières indispensables à la survie alimentaire et climatique des générations qui viennent est reparti à la hausse avec un rythme de 11,6 km²/an, essentiellement causé par le résidentiel bourgeois. Un modèle écologiquement insoutenable qui a transformé un tiers du territoire belge en mégapole de bitume sans vie.
– Des infrastructures coûteuses payées par la collectivité pour amener l’électricité, le gaz, l’eau, évacuer les eaux usées, construire des routes, des antennes GPS, évacuer les ordures ménagères, payer des transports en commun souvent quasi vides. Qui paie cela aux bourgeois ? La collectivité.
Le mode de vie des pauvres coûte donc infiniment moins cher à la société (même avec leur abonnement gratuit aux transports en commun que tu as l’air de trouver si scandaleux). Car les allocataires sociaux qui tu as stigmatisé, vivent dans des centres urbains, dans du logement vertical, concentrant les foyers sans voiture. Ils sont des citoyens écologiquement modèles comparés aux habitants des riches zones périurbaines qui certes, mangent de la pâte à tartiner bio. Car je suis sur que tu vas me dire que les pauvres gens tuent la planète en mangeant du nutella en promotion. Tu viens des Jésuites d’Erpent.
Ne me dis pas non plus que les impôts des riches paient leur « pollution way of life » C’est faux. Prenons le Revenu Cadastral, base de perception du Précompte Immobilier, calculé par le cadastre en fonction de l’année de référence 1975. Tu avais dix ans, Christophe. Le RC n’a jamais été actualisé : il est aveuglément indexé. Le précompte est donc un impôt opaque éludé par les riches et payé par les pauvres. Les habitants des quartiers résidentiels dont la valeur des maisons au m² est considérable, paient nettement moins de précompte que des familles modestes habitants des immeubles. Pour une maison trois chambres, on paie un précompte équivalent à Ixelles et à Molenbeek alors que la valeur des biens ixellois est 30% plus élevée. Même comparaison entre Namur et Charleroi dont le précompte est équivalent quand les maisons namuroises sont 60% plus chères. Même constat pour les appartements 2 chambres au précompte quasiment équivalent à Charleroi, Bruxelles et Namur quand les prix sont de vente sont 100.000 à 200.000 euros plus chers.
Alors Christophe, ça fait quoi d’être ainsi mis sous la loupe ? Les habitants des villas de la Citadelle de Namur, du Brabant wallon ou d’Uccle Fort Jaco, tous fraudeurs par rapport aux habitants des barres HLM ? Oui. involontaires certes mais profiteurs du système sans le moindre doute. Et puisque tu sembles passionné par Verviers, sache que c’est la province de Liège qui possède un Revenu Cadastral médian le plus élevé par rapport aux valeurs vénales des biens immobiliers. Tant qu’à faire, je te conseille un nouveau sujet dérangeant : les liens entre les revenus locatifs des riches et le confort minimal des pauvres. Un aspect totalement ignoré de ton reportage. Tu sais pourtant depuis Saint Augustin que le bien et le mal s’entendent comme larrons en foire.
On va en rester là. On est fatigués tu sais de toujours devoir passer derrière vos rhétoriques simplistes qui nous donnent la nausée. Je n’ai vraiment rien contre toi Christophe. Tes parents étaient d’excellents enseignants et c’est dommage que tu aies renoncé à renseigner les gens sur la vérité des choses. Tu n’as pas bien géré la partie intellectuelle de ton héritage. Dans ton reportage, tu as opté pour la distinction. On ne parle pas de bonnes manières (j’ai d’ailleurs des doutes sur la politesse autoproclamée des gens des beaux quartiers). Non, on parle ici de la distinction définie par Pierre Bourdieu, cette nécessité absolue que tu éprouves de distinguer les gens riches des pauvres gens, de séparer le bon grain (les habitants des beaux quartiers) de l’ivraie (les gens des HLM sociaux). C’est la culture Loréal : « pourquoi suis-je un nanti ? » « Parce que je le vaux bien ». A quoi répond la culture de la faute : « pourquoi suis-je pauvre ?» « parce que je suis une mauvaise personne ». Voilà le message que tu as fait passer mais je te rassure: le mensonge n’est pas un péché capital.
En revanche, la colère est un des sept péchés les plus graves. Et on est vraiment en colère contre toi et contre tout ce mensonge que les Engagés catholiques et les MR libéraux répandent sur nos têtes en jetant des innocents en pâture à la vindicte des nantis et des fraudeurs.

Illustration : Émile Claus. Le pique-nique (v. 1887)
Huile sur toile, 129 × 198 cm, collection du Palais royal, Bruxelles.