Brûlures, amnésie : des armes chimiques utilisées en Syrie ?


Marie Kostrz | Journaliste Rue89

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En Syrie, depuis quelques semaines, les médecins opérant dans les hôpitaux de fortune soupçonnent l’armée régulière d’utiliser des armes chimiques contre la population.

Le médecin Mohamed Al Mahmed, dont l’engagement auprès des blessés de Bab Amro a été médiatisé, a enregistré début avril une vidéo passée assez inaperçue.

Au chevet d’un malade soigné clandestinement, il décrit les symptômes dont souffrent certains malades originaires de ce quartier assiégé puis attaqué par l’armée fidèle au régime :

« Ceci est l’un des cas que nous avons pu recenser chez les gens originaires de Bab Amro. Ils sont victimes de malaises, ont des réactions cutanées, des douleurs aux articulations et aux muscles, des pertes de mémoire ainsi qu’une perte des cheveux. »

Sur la vidéo mise en ligne le 4 avril sur YouTube, le jeune médecin ajoute :

« Nous avons constaté tous ces troubles à plusieurs reprises depuis quatre jours à Bab Amro, cela prouve que le régime utilise des armes chimiques contre les habitants. Ce cas présent est l’un des douze déjà recensés. Deux qui ont succombé à leurs blessures à l’hopital d’Al-Bor ! »

La caméra zoome sur la tête du malade, dépourvue à certains endroits de cheveux. Il attrape la tignasse de l’homme, les cheveux se détachent sans difficulté.

Mohamed Al Mahmed continue d’enregistrer son message :

« Nous faisons appel aux organisations humanitaires afin d’effectuer les analyses médicales qui nous permettraient de soigner les cas constatés. En effet, il n’y a pas de laboratoire sur place permettant d’établir des diagnostics. »

D’autres cas ont aussi été répertoriés à Al-Rastan, dans la banlieue de Homs, aux alentours du 10 avril.

« Des brûlures profondes et très intenses »

Mustapha Hijazi, membre de l’Union des organisations syriennes du secours médical (UOSSM), est en contact avec des médecins sur place. Il précise :

« On suspecte des brûlures qui ressemblent à celles qui apparaissent lorsqu’on est rentré en contact avec le phosphore blanc, utilisé dans les bombes israéliennes à Gaza durant l’opération Plomb durci, par exemple. Ce sont des brûlures profondes et très intenses. »

Lui-même médecin, Mustapha Hijazi appelle tout de même à la prudence :

« Il y a eu beaucoup de rumeurs et les personnes ne sont pas touchées par dizaines. Or, en général, les attaques à l’arme chimique ou aux produits toxiques touchent un grand nombre de personne à la fois. »

Des symptômes jamais observés avant

Ce qui est sûr, souligne-t-il, est que les docteurs disent découvrir des symptômes auxquels ils n’avaient pas été confrontés depuis le début de la révolution syrienne.

Ceux qui ont fait le choix de porter secours à la population dans les hôpitaux de fortune n’ont pas les moyens d’établir des diagnostics sérieux pour ces nouveaux cas :

« Il s’agit en général de médecins très jeunes, souvent internes, qui n’ont pas beaucoup d’expérience. Ils ne disposent pas non plus du matériel nécessaire pour savoir de quoi ces malades sont atteints. »

Début février, l’organisation Médecin sans frontières dénonçait le fait que le régime syrien prenne pour cible tout hôpital clandestin et les médecins qui y travaillent. Filmé de dos, l’un d’eux expliquait que « la sécurité est ce qui préoccupe le plus les médecins syriens » puisque « la possibilité d’être arrêté est grande ».

Deir Yassine le 9 avril 1948


Par Deir Yassin Remembered

 

A l’aube du 9 avril 1948, les commandos de l’Irgun (dirigé par Menachem Begin) et le Gang Stern ont attaqué Deir Yassine, un village d’environ 750 habitants palestiniens.
Le village était situé à l’extérieur de la zone assignée par les Nations Unies à l’Etat Juif;
En tout, 100 hommes, femmes, et enfants ont été systématiquement assassinés.

Le village était situé à l’extérieur de la zone assignée par les Nations Unies à l’Etat juif;

Il avait la réputation d’être paisible.

Mais il était situé sur une hauteur dans le couloir entre Tel Aviv et Jérusalem.

Il avait été prévu l’occupation de Deir Yassine dans le cadre du Plan Dalet et la principale Force de Défense Juive, la Haganah, a autorisé les forces terroristes irrégulières de l’Irgun et du Gang Stern d’en prendre le contrôle.

En tout, 100 hommes, femmes, et enfants ont été systématiquement assassinés.

53 orphelins ont été littéralement déposés le long du mur de la Vieille Ville, où ils ont été trouvés par Mlle Hind Husseini qui les a ramené à sa maison située derrière l’hôtel American Colony, qui devait devenir l’orphelinat Dar El-Tifl El-Arabi.

Une partie de la lutte pour l’autodétermination des Palestiniens a été de dire la vérité au sujet des Palestiniens en tant que victimes du Sionisme.

Pendant trop long leur histoire a été niée, et ce démenti a seulement servi à augmenter l’oppression et à déshumaniser de façon délibérée les Palestiniens enIsraël, à l’intérieur des Territoires Occupés, et à l’extérieur dans leur diaspora.

Des progrès ont été faits.

Les Occidentaux se rendent compte maintenant que les Palestiniens, en tant que peuple, existent.

Et ils commencent à savoir que pendant la création de l’état d’Israël, des milliers de Palestiniens ont été tués et plus de 700.000 ont été expulsés ou poussés par la peur à quitter leurs maisons et leurs terres sur lesquelles ils avaient vécu depuis des siècles.

Deir Yassin Remembered cherche à effectuer le même progrès au sujet des victimes du Massacre de Deir Yassine.

Déroulement des évènements

Début de l’attaque du commando 

A l’aube du 9 avril 1948, les commandos de l’Irgun, dirigé par Menachem Begin, et le Gang Stern ont attaqué Deir Yassine, un village d’environ 750 habitants palestiniens.

C’était quelques semaines avant la fin du Mandat Britannique.

Le village était situé à l’extérieur de la zone que les Nations Unies avaient recommandé pour faire partie du futur Etat Juif.

Deir Yassine avait la réputation d’être un village paisible.

Un journal Juif avait préconisé d’en expulser plusieurs militants Arabes

Mais il était situé sur une hauteur dans le couloir entre Tel Aviv et Jérusalem.

Un projet, le Plan Dalet, gardé secret jusque bien des années plus tard, demandait sa destruction et l’évacuation de ses habitants pour construire un petit terrain d’aviation qui desservirait les habitants juifs cernés de Jérusalem.

Plus de 100 morts

A midi, plus de 100 personnes, dont la moitié étaient des femmes et des enfants, avaient été systématiquement assassinés.

Quatre membres des commandos avaient été tués par la résistance Palestinienne équipée de vieux Mausers et de vieux mousquetons.

Vingt-cinq villageois masculins ont été chargés dans des camions, exhibés dans le quartier Zakhron Yosef à Jérusalem, et puis emmenés dans une carrière de pierres située le long de la route entre Givat Shaul et Deir Yassine et abattus.

Les habitants restants ont été conduits à dans Jérusalem-Est Arabe.

Manipulation de la presse

Ce soir-là, les Irgunistes et les Sternistes ont escorté une partie des correspondants étrangers jusqu’à une maison à Givat Shaul, une colonie juive voisine fondée en 1906.

En buvant le thé et des biscuits, ils ont amplifié les détails de l’opération et les ont justifiés, en disant que Deir Yassine était devenu un point de concentration pour les Arabes, les Syriens et les Irakiens, qui prévoyaient d’attaquer les banlieues ouest de Jérusalem.

Ils ont dit que 25 membres de la milice de la Haganah avaient renforcé l’attaque et qu’un Juif parlant Arabe avait averti les villageois depuis le haut-parleur d’un véhicule blindé.

Ceci a été dûment rapporté dans le New York Times le 10 avril.

Un décompte final de 254 corps a été rapporté par le New York Times le 13 avril, un jour après qu’ils aient été finalement enterrés.

Après cela, les dirigeants de la Haganah ont pris des distances vis à vis de leur participation à l’attaque et ont publié une déclaration dénonçant les dissidents de l’Irgun et du Gang Stern, tout comme ils l’avaient fait après l’attaque sur l’Hotel King David en juillet 1946.

Une étude de 1987 effectuée par le Centre de Recherche et de Documentation de la Société Palestinienne de l’Université de Birzeit a trouvé que « le nombre de tués ne dépassait pas 120 ».

Les dirigeants de la Haganah ont admis que le massacre « déshonorait la cause des combattants juifs et déshonorait les armes et le drapeau juifs. »

Ils ont été discrets sur le fait que leur milice avait renforcé l’attaque des terroristes, bien qu’ils n’aient pas participé à la barbarie et au pillage pendant les opérations consécutives de « nettoyage ».

Objectifs atteints

Ils ont également été discrets sur le fait que, selon les paroles de Begin, « Deir Yassine a été pris avec la connaissance de la Haganah et avec l’approbation de son commandant « comme partie de son » plan pour établir un terrain d’aviation. »

Ben Gurion a même envoyé des excuses au Roi Abdullah de la Trans-Jordanie. Mais cet acte terrifiant a bien servi le futur état d’Israël.

Selon Begin :
‘Les Arabes de tout le pays, induits à croire les récits s de la « boucherie de l’Irgun, » ont été saisis d’une panique sans limites et ont commencé à fuir pour sauver leurs vies.
Ce départ massif s’est bientôt développé en un sauve-qui-peut de panique et incontrôlable.
La signification politique et économique de ce développement peut difficilement être surestimée
. »

Conséquences

Sur les 144 maisons, 10 ont été dynamitées.

Le cimetière était plus tard rasé au bulldozer et, comme des centaines d’autres villages palestiniens suivront, Deir Yassine a été rayé de la carte.

En septembre, des immigrés juifs orthodoxes de Pologne, de Roumanie, et de Slovaquie ont y été installés en dépit des objections de Martin Buber, Cecil Roth et d’autres dirigeants juifs, qui pensaient que le site du massacre devrait être laissé inhabité.

Le centre du village a été renommé Givat Shaul Bet.

Lors de l’expansion de Jérusalem, la terre de Deir Yassine est devenue une partie de la ville et est maintenant connue tout simplement comme le secteur entre Givat Shaul et la colonie d’Har Nof sur les pentes ouest de la montagne.

Le massacre des Palestiniens de Deir Yassine est l’un des événements les plus significatifs dans l’histoire palestinienne et israélienne du 20ème siècle.

Ce n’est pas en raison de son importance ou de sa brutalité, mais parce que ce fut le début d’une véritable dépopulation calculée de plus de 400 villages et villes arabes et de l’expulsion de plus de 700.000 habitants palestiniens pour faire de la place aux survivants de l’Holocauste et des autres juifs venant du monde entier.
(liste des villages détruits)

A lire aussi, « Entretien avec Benny Morris » par Ari Shavit du 9 janvier 2004.

Voir le film sur Deir Yassin – durée 33 mn et 17 s

Source : http://www.deiryassin.org/

Traduction : MG pour ISM

Soixante ans après Deir Yassin*

Ronnie Kasrils, jeudi 10 avril 2008

Ronnie Kasrils est Ministre des Services Secrets d’Afrique du Sud

Comme gamin de 10 ans élevé à Johan­nesburg, j’ai célébré la nais­sance d’Israël, il y a 60 ans. J’ai accepté sans conteste les récits dra­ma­tiques des actions de soi-disant auto­dé­fense contre la vio­lence arabe pour pro­téger l’Etat juif.

Lorsque je me suis engagé dans notre lutte de libé­ration, je me suis rendu compte des simi­li­tudes avec la cause pales­ti­nienne dans la dépos­session de la terre et du droit de nais­sance par l’occupation colo­niale expan­sion­niste. J’en suis venu à réa­liser que le caractère racial et colonial des deux conflits com­portait des com­pa­raisons plus impor­tantes qu’avec toute autre lutte.

Lorsque Nelson Mandela déclarait que nous savons, en tant que Sud-Africains, « que notre liberté est incom­plète sans la liberté des Pales­ti­niens » (1), il ne parlait pas seulement à notre com­mu­nauté musulmane, dont on pouvait attendre qu’elle soit en empathie directe, mais à tous les Sud-Africains, pré­ci­sément à cause de notre expé­rience d’assujettissement racial et colonial, et parce que nous com­prenons bien la valeur de la soli­darité internationale.

Lorsque j’ai eu connais­sance de l’histoire des Pales­ti­niens, j’ai été secoué jusqu’au plus profond de l’âme, et plus par­ti­cu­liè­rement lorsque j’ai lu les témoi­gnages des témoins d’un mas­sacre de vil­la­geois pales­ti­niens qui a eu lieu un mois avant la décla­ration uni­la­térale d’indépendance d’Israël. C’était à Deir Yassin, un village tran­quille juste à l’extérieur de Jéru­salem, qui a eu la mal­chance de se trouver sur la route de Tel Aviv. Le 9 avril 1948, 254 hommes, femmes et enfants ont été mas­sacrés par les forces sio­nistes pour « pro­téger » la route.

Parce que ce fut un des rares épisodes qui ait reçu l’attention des médias en Occident, la direction sio­niste ne l’a pas nié, mais a cherché à le faire passer pour une folie des extré­mistes. En fait, l’atrocité faisait partie d’un plan plus large conçu par le Com­man­dement en Chef sio­niste, dirigé par Ben Gourion lui-même, qui pro­jetait le net­toyage eth­nique des Pales­ti­niens du ter­ri­toire man­da­taire bri­tan­nique et la saisie du plus de terre pos­sible pour l’Etat juif prévu.

Beaucoup de récits cor­robore l’orgie de mort à Deir Yassin, qui a été bien au-delà du mas­sacre de Sharp­ville en 1960 qui m’a poussé à rejoindre le Congrès National Africain (ANC) (2). Ma réaction fut : si Sharp­ville m’a hor­rifié, puis-je rester indif­férent aux souf­frances de Deir Yassin ?

Fahimi Zidan, un enfant pales­tinien qui a survécu en se cachant sous les corps de ses parents, se sou­vient : « Les Juifs nous ont ordonné… de nous aligner contre le mur… ils ont com­mencé à tirer… tous… ont été tués : mon père… ma mère… mon grand-père et ma grand-mère… mes oncles et mes tantes et cer­tains de leurs enfants… Halim Eid a vu un homme tirer une balle dans le cou de ma sœur… qui était… enceinte. Ensuite, il lui a ouvert le ventre avec un couteau de boucher… Dans une autre maison, Naaneh Khalil… a vu un homme prendre un… sabre et frapper mon voisin… » (3)

Une des atta­quants, un soldat juif choqué appelé Meir Pa’el, a rap­porté à son com­mandant de la Haganah :

« La bataille s’est ter­minée à midi… Tout était calme, mais le village ne s’était pas rendu. Les irré­gu­liers du Etzel (Irgun) et du Lehi (Stern)… ont com­mencé… les opé­ra­tions de net­toyage… Ils ont tiré avec toutes les armes qu’ils avaient, et ont jeté des explosifs dans les maisons. Ils ont tiré aussi dès qu’ils voyaient quelqu’un… les com­man­dants n’ont rien fait pour arrêter… le mas­sacre. Avec plu­sieurs habi­tants, j’ai supplié les com­man­dants qu’ils donnent des ordres… pour arrêter les tirs, mais sans succès… on a sorti quelques 25 hommes des maisons : on les a chargés sur un… camion et on a fait une « parade de la vic­toire » à travers… Jéru­salem (puis)… emmenés dans une car­rière… et tués… Les com­bat­tants… ont mis les femmes et les enfants qui étaient tou­jours en vie sur un camion et les ont emmenés à la Porte Man­delbaum » (4).

Un officier britannique, Richard Catling, a rapporté :

« Il ne fait pas de doutes que les atta­quants Juifs ont commis de nom­breuses atro­cités sexuelles. Beaucoup d’écolières ont été violées et ensuite assas­sinées… Beaucoup de nour­rissons ont aussi été mas­sacrés. J’ai aussi vu une vieille femme… qui avait été frappée à la tête à coup de crosse de fusil… » (5)

Jacques de Reynier, du Comité Inter­na­tional de la Croix Rouge, a ren­contré l’équipe de « net­toyage » à son arrivée dans le village :

« La bande… était très jeune… des hommes et des femmes, armés jusqu’aux dents… et ils avaient aussi des cou­teaux dans les mains, la plupart tou­jours tâchées de sang. Une belle jeune fille, au regard cri­minel, m’a montré les siennes dégou­li­nantes de sang. Elle les arborait comme un trophée. C’était l’équipe de « net­toyage », et il est évident qu’elle rem­plissait sa tâche très consciencieusement. »

Il a décrit ce qu’il a vu en entrant dans les maisons :

« … au milieu des meubles éventrés… j’ai trouvé quelques corps… le « net­toyage » avait été fait à la mitraillette… à la grenade à main… terminé au couteau… j’ai retourné les corps… j’ai trouvé… une petite fille… mutilée par une grenade à main… partout c’était la même vision hor­rible… ce gang était admi­ra­blement dis­ci­pliné et n’a agi que sur ordre. » (6)

L’atrocité de Deir Yassin est le reflet de ce qui s’est passé ailleurs. L’historien israélien Ilan Pappe a méti­cu­leu­sement décompté 31 mas­sacres, de décembre 1947à Janvier 1949. Ils attestent d’un règne sys­té­ma­tique de la terreur, conduit pour pousser les Pales­ti­niens à la fuite de leur terre de nais­sance. En consé­quence, presque toutes les villes pales­ti­niennes se sont rapi­dement dépeu­plées et 418 vil­lages ont été sys­té­ma­ti­quement détruits.

Comme l’a déclaré le premier Ministre de l’Agriculture d’Israël, Aharon Cizling, lors d’une réunion du gou­ver­nement le 17 novembre 1948 : « Je suis souvent en désaccord lorsque le terme de Nazi est appliqué aux Bri­tan­niques… même si les Bri­tan­niques ont commis des crimes nazis. Mais main­tenant, les Juifs aussi se sont conduits comme des Nazis et mon être tout entier en est secoué » (7).

En dépit de ces sen­ti­ments, Cizling a accepté que les crimes soient cachés, créant un pré­cédent durable. Qu’une telle bar­barie soit l’œuvre du peuple juif à peine trois années après l’Holocauste aurait été trop atroce à envi­sager, parce que cela aurait constitué un pro­blème majeur pour l’Etat d’Israël, élevé au rang de « lumière des nations » ; de là les ten­ta­tives d’enfouir la vérité der­rière un voile de secret et de dés­in­for­mation. Quelle meilleure manière de museler toute enquête que l’alibi global du droit d’Israël à l’autodéfense, fermant les yeux sur l’usage dis­pro­por­tionné de la force et les puni­tions col­lec­tives contre tout acte de résistance.

C’est jus­tement parce qu’on a permis à Israël de se dédouaner de tels crimes qu’il continue sur sa voie san­glante. Selon Ilan Pappe, « A quinze minutes en voiture de l’Université de Tel Aviv se trouve le village de Kfar Qassim où, le 29 octobre 1956, les troupes israé­liennes ont mas­sacré 49 vil­la­geois qui ren­traient chez eux après le travail dans leurs champs. Ensuite il y a eu Qibya dans les années 1950, Samoa dans les années 1960, les vil­lages de Galilée en 1976, Sabra et Shatila en 1982, Kfar Qana en 1999, Wadi Ara en 2000 et le Camp de Réfugiés de Jenine en 2002. Et en plus, il y a les nom­breux mas­sacres dont B’Tselem, l’organisation israé­lienne de défense des droits de l’homme, garde la trace. Les mas­sacres des Pales­ti­niens par Israël n’ont jamais pris fin. » (8)

Le mas­sacre de 1.500 civils libanais dans un bom­bar­dement israélien aveugle dans ce pays en 2006 ; les morts quo­ti­diennes dans les ter­ri­toires pales­ti­niens, les 120 à Gaza en une semaine – dont 63 le même jour – en mars 2008, dont un tiers étaient des enfants, font partie du même fil san­glant qui relie le passé honteux d’Israël avec celui d’aujourd’hui.

Israël va bientôt fêter le 60ème anni­ver­saire de sa création. Ce faisant, les Israé­liens et leurs sou­tiens sio­nistes feraient bien de se demander pourquoi, pour les Pales­ti­niens et les par­tisans de la liberté de par le monde, il n’y a pas de raison de se réjouir. Bien sûr, ce sera une période de deuil et de pro­tes­tation, le moment de se sou­venir des vic­times sans nombre qui gisent dans le sillage d’Israël, comme incarnées par les souf­frances infligées aux habi­tants de Deir Yassin, dont le site ori­ginel se trouve, ironie de l’histoire, à un jet de pierre de Yad Vashem, le mémorial de l’Holocauste.

Mais tant qu’Israël n’affrontera pas son passé, comme de si nom­breuses per­sonnes ont essayé de le faire en Afrique du Sud, il conti­nuera d’être vu avec répulsion et sus­picion. Les Israé­liens conti­nueront à consi­dérer que la vie arabe n’a aucune valeur et ils conti­nueront à vivre par l’épée et le mépris, fei­gnant la sur­prise lorsque les Pales­ti­niens répondent par la violence.

Tant qu’ils ne pren­dront pas en compte les innom­brables souf­frances qu’ils ont créées, il ne peut y avoir ni apai­sement ni solution. C’est créer la base pour chérir toute vie et pour les Pales­ti­niens et les Israé­liens de vivre en paix, avec justice.

Connaissant les racines du conflit, et pro­mettant notre soli­darité, nous, Afri­cains du Sud, pouvons aider à trouver une solution juste et la liberté à laquelle Nelson Mandela se référait. Je crois que c’est exac­tement ce que font des Sud-Africains comme Zapiro.

Notes de lecture :

[1] Nelson Mandela, Inter­na­tional Day of Soli­darity with the Pales­tinian People, Pre­toria, 4 December 1997.

[2] Simha Flapan, The Birth of Israel, Pan­theon, 1988 ; David Hirst, The Gun and the Olive Branch, Faber and Faber, 2003 ; Benny Morris, Birth of the Pales­tinian Refugee Problem Revi­sited, Cam­bridge Uni­versity Press, 2004) ; Ilan Pappe, The Ethnic Cleansing of Palestine, One­world Publi­ca­tions, 2006.

[3] David Hirst, The Gun and the Olive Branch, Faber and Farber, 2003, p. 249-50.

[4] Yediot Aha­ronot, April 1972. This letter only came to light with Pa’el’s consent in 1972. David Hirst ibid p. 251.

[5] David Hirst, ibid and Report of the Cri­minal Inves­ti­gation Division, Palestine Government, No. 179/110/17/GS, 13, 15, 16 April 1948. Cited in David Hirst, p. 250.

[6] David Hirst ibid and Jacques de Reynier, A Jèru­salem, un Drapeau flottait sur la Ligne de Feu, Edi­tions de la Bacon­nière, Neu­châtel, 150, p. 71-6 and Hirst ibid p. 252.

[7] Tom Segev, The First Israelis, Owl Books, 1998, p. 26.

[8] Ilan Pappe, The Ethnic Cleansing of Palestine, One­world Publi­ca­tions, 2006, p. 258.

Source : Electronic Intifada Traduction : MR pour ISM

Tentative d’arrestation d’un chef militaire israélien à Bruxelles


David CRONIN

Ce matin, j’ai tenté d’arrêter un stratège militaire israélien coupable de développer des armes destinées à tuer des Palestiniens.



Yitzhak Ben-Israel, ancien chercheur dans l’armée d’Israël et au Ministère de la défense se tenait devant la salle de réunion d’un hôtel de luxe bruxellois quand je suis arrivé. Je suis passé devant lui et me suis dirigé vers le bureau pour m’enregistrer afin d’assister à une conférence intitulée « Technologie et terrorisme » que ce personnage devait animer.

« Bonjour, dis-je à la femme derrière le bureau, mon nom est Cronin. »

– Cronin ?, dit un homme en costume sombre qui venait de s’approcher, vous êtes David ? (Je n’avais pas donné mon prénom).

– C’est juste, répondis-je. »

La femme et lui jetèrent un coup d’œil rapide sur la liste et m’affirmèrent que mon nom n’y figurait pas. Quand j’ai expliqué que j’avais envoyé un e-mail exprimant le souhait d’être présent à la conférence, ils m’ont répondu qu’il s’agissait d’un événement privé.

« Mais cela est financé par l’Union européenne. Et cela a été annoncé publiquement sur Internet, » insistai-je.

La conversation continua inutilement pendant un moment jusqu’à ce que l’homme me dise :

« Vous voulez la police ? La police est là. » (Je n’avais nullement demandé la police). Je me suis retourné et deux hommes venaient d’arriver.

« Faites-vous partie de la sécurité de l’hôtel ? », demandai-je.

– Non, nous sommes les services de renseignement belges, me répondit l’un des deux fonctionnaires.

– Cet homme, juste là, c’est Ben-Israel, lançai-je en le montrant du doigt, je suis venu pour lancer une arrestation citoyenne à l’encontre de cet homme. M. Ben-Israel, vous êtes accusé de crimes contre l’humanité. Je vous demande de vous rendre par vous-même aux deux officiers de police ici présents. »

Un des officiers me demanda de m’identifier. « Mon nom est David Cronin, je suis journaliste indépendant, dis-je, je crois sincèrement que M. Ben-Israel a développé des armes dont le but est de tuer des Palestiniens. »

J’ai essayé d’entrer dans les détails, mais les deux policiers était déjà en train de me faire descendre les escaliers. Dans le hall de l’hôtel, ils m’ont demandé mes papiers et ont noté mes coordonnées. Je leur ai demandé qu’ils enregistrent une déclaration de ma part où j’aurais pu expliquer pourquoi Ben-Israel devait être arrêté. Bien qu’ils aient accepté d’écouter mes arguments, ils ont refusé de prendre une déclaration formel et à la place ils voulaient me faire visiter le poste de police.

QUI EST BEN-ISRAEL ?

Général en retraite, Ben-Israel, est impliqué dans le développement des armes les plus horribles de l’arsenal israélien. Il y a des preuves flagrantes qu’il a fourni son expertise à une équipe israélienne qui a adapté les armes étasunienne DIME (Dense Inert Metal Explosive) pour une utilisation sur Gaza. En 2006, Ben-Israel a indiqué qu’il était au courant des test de DIME, une arme qui arrache les membres et cause de sévères brulures. Il fit l’éloge de cet arme dans une interview à la télévision italienne, déclarant : « une des idées est de permettre de frapper les cibles sans entraîner de dommages sur d’autres personnes. »

Des témoignages, rassemblés dans les hôpitaux de Gaza que Israël a attaqué fin 2008-début 2009, affirment la présence de métaux inhabituels dans les corps des victimes de bombardements. Ceci indique que le DIME a pu être utilisé durant cette assaut qui a duré trois semaines, l’opération plomb durci.

Ben-Israel a reçu trois récompenses en Israël pour avoir aidé à inventer des armes. En 1972, il a été honoré pour son rôle dans la réalisation du système de bombe de l’avion F-4E fourni à Israël par l’entreprise d’armement McDonnell Douglas. Quatre ans plus tard, il gagna un prix similaire pour sa contribution à l’élaboration d’une nouvelle technologie pour l’armée israélienne : le système C4 conçue pour permettre au commandement militaire de diriger plusieurs opération en même temps. Et en 2002, il remporta le Prix de la défense d’Israël pour un « projet introduisant un nouveau concept de conflit armé ».

LA JOUISSANCE D’ASSASSINER

Membre de la Knesset (parlement israélien) entre 2007 et 2009, il a été un fervent supporteur de l’Opération plomb durci. Dans un article d’opinion, paru en 2009 sur le site Ynet, il s’est réjoui de la manière dont Israël s’était passé des règles du combat armé qu’il avait l’habitude de jouer (selon lui) : « Avant, c’était comme si le côté faible (Hamas, Hezbollah) pouvait attaquer les citoyens de manière ininterrompue, pendant qu’Israël hésitait à utiliser sa puissance militaire substantiel (avion de chasse, tank et missiles guidés) par peur de blesser des civils. Mais l’opération récente a montré que même les mosquées utilisées par les groupes terroristes ne sont plus un obstacle pour Israël. »

Il est écœurant de voir que quelqu’un qui se réjouit de l’assassinat massif de civils puisse être un invité à une conférence sponsorisée par l’Union européenne.

Comme je l’ai écrit il y a quelques jours, un autre crime commis par Ben-Israël est qu’il siège au conseil d’administration de l’Université Ariel située dans une colonie en Cisjordanie. Les représentants européens savent que ces établissements violent la 4ème convention de Genève de 1949 qui interdit à une puissance occupante de transférer ses populations civiles dans des territoires qu’elle occupe.

Ben-Israel parut quelque peu perplexe quand je me suis confronté à lui aujourd’hui. Il n’a certainement jamais rencontré telle tentative auparavant qui le déclarait responsable de ses crimes. Hé bien, il faudrait qu’il s’habitue à ce genre d’action ! Lui ou d’autres membres de la politique d’Israël et de son élite militaire doivent s’attendre à faire face à la justice. Partout où qu’ils aillent.

David CRONIN

Traduit de l’anglais par Cédric Rutter

Source : Electronic Intifada

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Gaza : Les terribles photos de Kai Wiedenhöfer au Musée d’Art Moderne de Paris


Publié le 8-11-2010

Dures, très dures, les photos de Kai Wiedenhöfer exposées jusqu’au 5 décembre au Musée d’Art Moderne de Paris. Dures comme le « plomb durci » de l’opération visant les civils et les infrastructures de Gaza. On n’oublie pas les 1400 enfants, femmes et hommes tués. Mais qui parle des milliers d’autres, amputés, défigurés, dont la vie a été détruite à tout jamais ? Kai Wiedenhöfer. Nous rendrons hommage à son courage et à celui des responsables du musée qui ont accepté de montrer ces photos, en résistant aux nombreuses pressions contre cette exposition, en plein coeur de la capitale. 

Un garçon regarde son ancienne maison, Gaza City, décembre 2009 ©Kai Wiedenhöfer / Fondation d’entreprise Carmignac Gestion

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris du 5 novembre au 5 décembre : EXPO : GAZA 2010. Y aller absolument !

11 avenue du Président Wilson – Paris 16 tel : 01 53 67 40 00 – Entrée libre du mardi au dimanche de 10h à 18h (fermé le lundi et certains jours fériés) Métro : Alma-Marceau ou Iena / RER : ligne C, Pont de l’Alma

Depuis 1989, le photographe Kai Wiedenhöfer réalise un travail documentaire sur le conflit israélo-palestinien qui affecte le Moyen-Orient. Le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme lui a permis de poursuivre ses recherches, principalement consacrées à Gaza et aux conséquences de l’offensive israélienne connue sous le nom de « Plomb durci ».

« Ce prix m’a donné l’occasion unique de poursuivre un travail de longue haleine dans les territoires occupés et de retourner notamment à Gaza pour une enquête plus approfondie. Je regrettais de ne pas avoir pu photographier une partie du projet en janvier 2009 quand je me trouvais à Gaza. A l’époque, personne n’était prêt à payer même 1000 euros pour témoigner des dégâts causés par la guerre. Pour eux, la guerre était terminée. »

Réunissant 85 photographies en couleurs, l’exposition s’articule autour de deux thèmes majeurs les décombres et les portraits :
- 35 photographies de bâtiments détruits dont 10 panoramiques montrant les stigmates des bombardements.
- 50 portraits de Gazaouis blessés au cours de l’opération « Plomb durci ».

Jamila al-Habash, 16 ans, touchée par un missile tandis qu’elle jouait sur le toit de sa maison. Gaza City, février 2010 © Kai Wiedenhöfer / Fondation d’entreprise Carmignac Gestion

Avi Dichter, politicien et criminel de guerre israélien, renonce à se rendre en Espagne de crainte d’être arrêté


Publié le 26-10-2010

Avi Dichter, député du parti Kadima et ancien chef des services secrets israéliens (Shin Bet), a renoncé à assister à un sommet international sur la paix en Espagne, en apprenant que le gouvernement espagnol ne pouvait lui garantir une immunité le protégeant d’une arrestation ou d’une présentation devant la justice espagnole.

Dichter fait l’objet de poursuites judiciaires en Espagne et dans d’autres pays pour avoir ordonné l’assassinat du dirigeant du Hamas, Salah Shehade, alors qu’il était à la tête du Shin Bet, ainsi que pour son implication dans les massacres de l’ »opération Plomb durci » dans la bande de Gaza, en tant que « ministre de la sécurité publique ».

Dans une lettre au ministre des affaires étrangères espagnol, il indique qu’il est désormais persona non grata dans plusieurs pays, et menace l’Espagne en déclarant qu »’une arrestation d’Avi Dichter ne serait pas seulement dangereuse pour Avi Dichter mais aurait de dangereuses répercussions nationales ».

Plusieurs politiciens israéliens, dont Tzipi Livni, ont été contraints d’annuler des voyages dans plusieurs pays européens en raison de plaintes pour crimes de guerre déposées contre eux.

(Traduit par CAPJPO-EuroPalestine)

Source : http://www.jta.org/news/article/2010/10/26/2741446/dichter-cancels-spain-visit-over-arrest-fears

CAPJPO-EuroPalestine

Un espoir pour les gueules cassées d’Irak


anniebannie : il n’y a pas de pardon, pas d’expiation pour de tels crimes, pour ces vies brisées.

dimanche 18 juillet 2010, par Annick Cojean

Ici s’exprime toute la souffrance d’Irak. Ici, au cœur d’Amman, à quelque mille kilomètres de Bagdad, résonnent les pleurs et les prières, les cris et les cauchemars, les râles et les colères d’un peuple fracassé et saigné à vif. Ici, dans cet hôtel désuet d’un quartier populaire, bat le pouls d’un pays saccagé, devenu fou.

Les couloirs sont tranquilles. Le personnel attentif fait en sorte que les pensionnaires en provenance du chaos trouvent un maximum de quiétude et de sérénité entre deux soins vitaux prodigués à l’hôpital tout proche. Pourtant, c’est la guerre que l’on respire ici et que l’on touche du doigt. La guerre, ses stigmates, ses dégâts.

Chaque chambre cache une histoire horrible. Chaque visage, défiguré, raconte une vie brisée. Les blessés qui parviennent dans ce lieu sont parmi les plus graves qui existent. Ce ne sont pourtant que de simples civils. L’un a sauté sur une mine en allant à l’école. L’autre, jouant au foot sur une place de marché, fut victime d’un attentat-suicide. Un troisième, sortant de sa maison, s’est retrouvé au milieu d’un tir croisé entre Américains et Irakiens. Ils ont perdu des membres, leur corps est en miettes et leur chair brûlée. Pour chaque mort dans cette guerre sans nom, il faut compter au moins quatre à cinq blessés. Le vieil Amman Palace pourrait être renommé l’Auberge des gueules cassées d’Irak.

Abdullah n’avait que 6 ans, le 16 octobre 2006, lorsque sa vie a basculé. C’était un jour spécial, celui des funérailles de son grand-père assassiné la veille par un groupe militaire. Pour la première fois, le petit écolier avait été admis dans le groupe des hommes. Fier et droit, il se tenait près de son père, Dahoud, près de la tente abritant la dépouille du grand-père dans le quartier Shaab de Bagdad, lorsqu’une bombe explosa dans un marché, de l’autre côté de la rue.

Les cris, le sang, la pagaille attirèrent un afflux de sauveteurs et curieux. Dahoud, officier de police, avait trop l’expérience de ce type d’attentat pour ne pas savoir qu’une explosion est souvent suivie d’une seconde, à l’endroit où la foule s’est concentrée. D’un geste assuré, il pria Abdullah et ses proches de ne pas bouger.

C’est alors qu’est arrivée une voiture. A toute vitesse. Avant l’explosion, Dahoud put juste apercevoir le véhicule modifier sa trajectoire et foncer sur le groupe en deuil. Dix secondes plus tard, grièvement brûlé et blessé à une jambe, il sombrait dans le coma. Six membres de la famille furent tués, quinze autres blessés. Uniquement des hommes, les femmes étaient restées à la maison. On les transporta dans les hôpitaux alentours ; ils furent si dispersés qu’il fallut quelques jours pour recenser tout le monde. Et trouver Abdullah. Déchiqueté par la bombe, méconnaissable, il gisait sur un lit du vaste complexe médical où l’avait déposé un voisin.

A son réveil, Dahoud n’eut qu’un seul cri : « Abdullah ! Où est-il ? » La famille lui mentit. « Il va bien, un peu blessé, bien sûr, mais ça va. » Dahoud n’y a pas cru. « Conduisez-moi auprès de lui ! » Cela prit du temps, le père étant lui-même en très mauvais état. Mais il put se rendre au chevet de son fils. Et là… « Il n’avait plus de visage, dit-il d’une voix grave et posée, la barbe taillée de près et le regard profond. On voyait les os des pommettes, la mâchoire inférieure était broyée, les dents, le nez, un œil avaient disparu. Il lui manquait aussi un pied. Je n’ai pas pu rester. »

Il était clair qu’à l’intérieur du système médical irakien, Abdullah, qui ne pouvait ni parler ni s’alimenter, était foutu. Les sanctions internationales et l’embargo à l’encontre de Saddam Hussein avaient gravement détérioré la qualité des soins. Les années de guerre ont achevé d’anéantir le système de santé.

L’électricité est une denrée aléatoire et limitée dans les hôpitaux publics, de même que certains produits pourtant indispensables. Les conditions d’hygiène sont déplorables, aucune opération sophistiquée de plus de deux heures ne peut y être tentée. Les meilleurs spécialistes ont d’ailleurs déserté le pays entre 2004 et 2006, angoissés devant les vagues d’assassinats et de kidnappings touchant le corps médical, certains attentats se produisant à l’entrée même des hôpitaux.
« Des médecins généralistes lui ont prodigué les soins de première urgence, raconte Dahoud. Mais l’hôpital était gorgé de blessés, il en arrivait même chaque jour. Abdullah, en Irak, n’avait aucun avenir. »

Sa chance fut qu’un docteur jordanien de Médecins sans frontières (MSF) passe un jour dans l’établissement, s’intéresse au cas du petit garçon et informe ses parents d’un programme exceptionnel visant à acheminer en Jordanie les blessés les plus graves afin de leur prodiguer gratuitement les soins sophistiqués adéquats.

Un dossier fut rapidement établi et Abdullah est parti pour Amman, avec un oncle, Dahoud étant encore hospitalisé à Bagdad. Puis il a pris le relais, quémandant auprès de sa hiérarchie un congé sans solde de près d’un an, revenant quelques mois en Irak, puis repartant au gré des soins et opérations requis pour son fils. « Ces congés de plusieurs mois commencent à poser un sérieux problème professionnel, confesse-t-il. J’ai songé à démissionner. Mais comment me le permettre alors que seize personnes dépendent de mon salaire ? » Seize. Sa mère, sa femme, ses enfants, les enfants d’un frère mort dans l’attentat, ses sœurs dont les maris sont décédés le même jour, ainsi que leurs enfants…

Abdullah a dû subir de multiples opérations. Un chirurgien allemand, André Eckardt, est même venu spécialement à Amman pour amorcer la reconstitution de son visage et greffer sur ses pommettes un morceau de peau et de muscle prélevé sur son dos. On lui a refait une paupière et fourni un œil artificiel. Il faut aussi lui fabriquer un nez et peaufiner les lèvres, car les mouvements de sa bouche sont encore trop limités.

« Mais il revit ! Il ne porte plus de masque, s’est habitué à courir avec sa prothèse, s’est fait des copains presque aussi fracassés que lui et ne rêve plus que de retourner à l’école. Il a déjà perdu deux ans, alors qu’il veut désormais être médecin ! »
Le cas d’Abdullah est bien connu du personnel MSF en charge de ce programme démarré à l’automne 2006. Mais il est tant d’autres noms que pourraient citer médecins, chirurgiens, infirmiers, kinés ou psychologues. Tant d’autres histoires qui les ont bouleversés et auxquelles ils ont tenté de donner à tout prix un prolongement heureux. En quatre ans, 1 030 blessés ont été accueillis ainsi et soignés. Et des centaines de demandes sont en attente.

« Chaque patient qui arrive ici me lance un défi personnel, explique le docteur Ali Al-Ani, chirurgien orthopédique. Chaque cas est d’une complexité extrême, non seulement à cause de la gravité des blessures, mais aussi de leur ancienneté, de leur infection et de leur résistance aux médicaments. Cela nécessite parfois des opérations de douze heures, un suivi, des mois d’hospitalisation. » Tout ce qui s’avère impossible en Irak.

« Nos professeurs, à la fac de médecine, avaient déjà une belle expérience de la chirurgie de guerre. Mais ici, chaque cas pose des problèmes presque inédits. Je retourne vers mes livres, recherche de l’information, discute avec mes confrères, rapporte radios et photos à mon père, lui aussi médecin réfugié, pour quêter son avis. Ce que nous voyons est effroyable. Mais chaque amputation évitée est une victoire. Et nos patients arrivés en civière ou en fauteuil roulant repartent tous debout. »

Ce programme conçu par MSF est fascinant. Contrainte de quitter l’Irak au moment où le pays connaissait une vague d’attentats sans précédent et où les médecins étaient une cible favorite des gangs et groupes divers, l’organisation ne pouvait se résoudre à laisser la population sans soins. Ainsi est née l’idée de soigner hors frontières.

Pas simple, et forcément coûteux : de 12 000 à 15 000 dollars (9 500 à 12 000 euros) par patient. Car cela impliquait un dispositif rigoureux pour repérer les blessés, les acheminer en terre étrangère en veillant à leur visa et leur sécurité, les loger et les prendre entièrement en charge pour plusieurs mois… MSF n’avait encore jamais conçu pareil projet. Mais la Jordanie s’est révélée accueillante.

L’organisation y loue un étage de l’hôpital du Croissant-Rouge d’Amman, une cinquantaine de lits, deux blocs opératoires. Ainsi qu’un hôtel capable d’accueillir 150 personnes (une centaine de patients et leurs accompagnants) où ont été aménagées des salles de kiné et d’exercices, de rencontres et de soins. Le personnel (85 personnes) est essentiellement irakien et jordanien, au service d’une chirurgie orthopédique, maxillo-faciale et plastique reconstructrice.

« Personne ne peut avoir idée des souffrances du peuple irakien !, observe le docteur Zaineb Razzak, anesthésiste formée elle aussi en Irak. Combien sont-ils qui ne peuvent plus bouger, manger, se laver, ouvrir une porte ? On annonce des attentats qui font 30 ou 50 morts. Et puis on tourne la page. Mais combien de blessés, brûlés, mutilés, défigurés, enfermés et cachés à jamais au fond de leur logis ? Les explosions font des dégâts qu’on ne peut imaginer. Mais le monde s’en fout et le départ prochain des Américains ne fera qu’accroître l’indifférence. Quelle détresse, pourtant, en Irak ! Quelle misère ! Quelle folie !  »

Les médecins se battent. Heureux, hors d’Irak, de travailler pour les Irakiens. Satisfaits d’apporter aux plus miséreux ce qu’ils ne pourraient assurer en Irak. Etudiant avec intensité les dossiers – radios, photos, analyses – des candidats aux soins transmis via Internet par un réseau d’une dizaine de médecins opérant en Irak, chargés de visiter les hôpitaux et de repérer les patients éligibles au programme MSF. Soucieux, enfin, de perfectionner leur technique et d’offrir les meilleurs soins du monde : allongement des os, greffes, chirurgie micro-vasculaire… « Certains pays de l’Ouest ont certainement plus de connaissances théoriques. Mais c’est ici que nous avons le plus d’expérience ! », note le docteur Nasr Al-Omani, chirurgien plastique.

Kefah avait 23 ans et rêvait de devenir journaliste quand, en 2003, un tir de roquette américain a fracassé la porte de sa maison, propulsé sa maman dans un sillage de sang et lui a brûlé une partie du visage et du corps. « Désolé ! », a simplement dit un soldat américain revenu sur les lieux, un an plus tard. La jeune femme arrange le voile qui la cache en partie et esquisse un sourire en regardant son père, rongé, lui, de colère et de chagrin.

« Tout ça pour quoi ? Pour qui ? demande-t-il. Où est la démocratie promise par les Américains ? Ils nous ont massacrés, pillés, humiliés. Et voilà qu’ils partent en laissant une population dans une pétaudière ! Qui nous rendra justice ? Qui dira la vérité ? »

Kefah a longtemps traîné dans les hôpitaux irakiens. « C’était terrible. Les gangs avaient tout pris : médicaments, instruments, produits de stérilisation. Il n’y avait presque plus de pansements ! Mais même défigurée et à moitié paralysée, j’étais au paradis quand je me comparais à d’autres. J’ai vu tant d’amputations, tant de gens hurler et mourir à mes côtés. »
Quand un des agents MSF s’est intéressé à son dossier, Kefah a repris espoir. Et les cinq opérations subies depuis son arrivée à Amman ont déjà transformé la jeune femme qui s’est remise à écrire des poèmes sur sa machine à écrire, couvée des yeux par son père, et sous la photo de Saddam Hussein, le dictateur qu’ils ne cessent de vénérer.

Mahmoud Abdel Hadi a voulu mourir quand il s’est réveillé, trois jours après avoir sauté sur un explosif à Bagdad, avec un œil, une jambe et un bras en moins. Il avait 25 ans. « J’aurais pu m’y attendre, cela arrivait sans cesse, ces surprises à l’explosif. Il y en avait dans les générateurs, les boîtes aux lettres, les poubelles ; certains en glissaient même dans des cadavres. Al-Qaida ? Une milice ? Comment savoir ? Et d’ailleurs, peu importe ! A l’origine de ce merdier, ce sont les Américains. »

Il est resté deux ans sans traitement et sans soins, planqué dans l’obscurité de la maison. Il ne voulait pas de visite, dépendait de sa mère pour tout. Et puis il y a eu le voyage à Amman. Une lueur d’espoir. Dans deux jours, on lui fera une greffe d’os pour permettre une prothèse de la jambe. Et puis on s’attaquera à sa main, en partie inerte.  » Jour après jour, explique-t-il. C’est cela ma vie. Jour après jour.  »

Dans la chambre qu’il partage avec son père, Kussaï pourrait revenir des heures sur l’attentat-suicide qui lui a arraché le visage et fait perdre la vue, alors qu’il disputait un match de volley-ball. « J’étais fort, j’avais 20 ans, je me souviens du moindre détail. Y compris de la voix de ce médecin irakien annonçant à mon père qu’on ne pouvait plus rien faire pour moi et qu’il allait rédiger le certificat de décès. »

« Je n’avais même pas reconnu mon fils parmi tous les blessés, dit le père. C’est lui qui, entendant ma voix, a crié : “Ne me laisse pas mourir ici, Papa !”  » Comme ils se sont battus tous les deux ! Main dans la main. Et le récit de leurs péripéties prend un après-midi. Mais ils sont là, infiniment reconnaissants envers les médecins de MSF qui, peu à peu, reconstruisent le visage du jeune homme et l’ont mis en rapport avec une association de non-voyants qui a redonné de l’élan à Kussaï.
« J’ai de l’avenir dans l’informatique, dit-il. Il y a des programmes audio conçus pour les aveugles. » Le père se redresse. Il n’est rien qu’il n’aurait tenté pour son fils. Et sa mission n’est pas encore achevée. A la maison, à Mosel, les autres enfants se serrent les coudes autour de leur mère et de leurs cousins. « Ce n’est pas rien, vous savez, la solidarité et la force familiales. Les Américains nous ont apporté le désastre. Mais les Irakiens sont vaillants ! »

Il voudrait dire sa gratitude aux médecins de MSF. Pour leur travail, leur tact, leur engagement total aux côtés des blessés, quels que soient leur religion, identité, positionnement. « Notre pays de douleur est en train d’exploser. » Un silence. Un soupir. Et avec un regard en direction de son fils : « Ah ! Si seulement nous avions encore Saddam… »

Annick Cojean, Le Monde du 17 juillet 2010 relayé par Al Oufok

Les effets dévastateurs des armes américaines sur les habitants de Falloujah dépassent ceux d’Hiroshima


jeudi 15 juillet 2010 – par Nabil Ennasri

Dans l’histoire récente de l’occupation de l’Irak par l’armée américaine, la bataille de Falloujah restera certainement l’un des épisodes les plus noirs. Du 6 au 29 novembre 2004, des milliers de soldats américains réduiront en cendres cette localité située à 70 km à l’ouest de Bagdad dans laquelle des centaines de djihadistes et de résistants irakiens avaient trouvé refuge. Véritable bastion de l’insurrection sunnite, la ville avait été soumise à un déluge de feu pendant des semaines. Le bilan fut très lourd : à côté de la centaine de soldats américains ce sont près de 4 000 personnes qui tomberont du côté irakien dont plusieurs centaines de femmes et enfants.

Aujourd’hui, la chaîne Al Jazerra nous apprend que les retombées de cette offensive sont désastreuses au niveau de la santé publique : dans toute la région de Falloujah, le nombre de nourrissons nés avec des malformations ne cesse d’augmenter de façon alarmante et les cas de cancer et de maladies génétiques graves se multiplient.

L’émission Bila Houdoud (“Sans limites“), un des programmes phares de la chaîne qatarie, a en effet consacré son émission fin juin à ce drame. L’invité du jour était le Professeur Chris Busby, un des spécialistes britanniques les plus réputés en matière de maladies cancerigènes[1]. Son constat est sans appel : son enquête de deux mois menée auprès de 711 foyers de la région de Falloujah regroupant plus de 4 000 personnes l’amène à la conclusion suivante : les effets dévastateurs de l’utilisation démesurée d’armes de destruction massive, chimiques et radiologiques ont engendré des rétombées terribles sur la population locale.

Il faut dire que l’armée américaine ne s’était pas gênée. Pendant son offensive, les Marines avaient largement fait appel à toute la panoplie d’armes chimiques pourtant interdites par les conventions internationales : des centaines de tonnes de bombes au phosphore blanc (les mêmes que l’armée israélienne utilisera à Gaza quelques années plus tard), au napalm, à fragmentions et à l’uranium appauvri avaient été déversées sur la ville. De nombreux témoignages faisant état de corps humains trouvés « fondus » dans les rues attestaient déjà à l’époque de l’utilisation de ces armes prohibées. Comme souvent, le Pentagone avait d’abord nié avant de se rétracter devant les preuves accumulées par de nombreux journalistes.

Aujourd’hui c’est une équipe médicale occidentale qui confirme ces faits en y ajoutant l’information frappante selon laquelle des générations entières d’Irakiens sont désormais condamnées à vivre avec des maladies atroces. Selon le Professeur Busby, les conséquences de l’attaque de Falloujah sont proportionnellement plus dramatiques que celles causées par l’utilisation de l’arme atomique à Hiroshima et Nagasaki[2]…

Dans un pays aux infrastructures sanitaires sinistrées, on imagine le mal que peut causer ce genre de pathologies. Car l’Irak est exsangue : depuis le début de la guerre, des milliers d’universitaires, intellectuels, et médecins ont été exécutés et des dizaines de milliers d’autres ont fui le pays le vidant de ses principales forces vives. Véritable bombe à retardement, les maladies et malformations qui touchent un taux anormalement élevé de la population de Falloujah et de ses alentours obèreront pendant longtemps le développement d’une ville-martyr que l’armée américaine à voulu punir pour donner une leçon à tous ceux qui contesteront son occupation.

Plus largement, c’est tout l’Irak d’aujourd’hui qui souffre dans l’indifférence générale. Le pays qui figurait dans les années 70 comme l’un des espoirs du monde arabe et où les indicateurs de développement humain se rapprochaient de ceux des pays occidentaux, est aujourd’hui, après deux décennies de guerre, renvoyé au Moyen-âge.

Dans n’importe quel endroit du monde, la révélation de telles pratiques et de telles conséquences auraient soulevé un tollé et nombreux sont ceux qui les auraient qualifiés de crimes contre l’humanité. Mais il s’agit de l’Irak dont peu de monde semble désormais s’intéresser et quasiment aucun des grands médias occidentaux n’a relayé les conclusions du Professeur Busby. Les habitants de Falloujah sont désespérés de l’omerta mondiale sur leur drame et indignés par cette impunité collective octroyée à l’armée américaine. Comme pour l’agent orange qui causa des ravages pendant et après la guerre du Viet-Nam, l’US Army ne paiera pas.

Pourtant, à Falloujah comme ailleurs en Irak et dans le monde arabe, tout est malheureusement mis en place pour que les habitants, révoltés, n’expriment leur frustration et leur colère par le seul moyen mis à leur disposition et qui effraie tant l’Occident : la résistance légitime que d’autres appellent “terrorisme“.

Notes

[1] http://www.aljazeera.net/NR/exeres/B5F1C02B-C8D0-461F-B8DB-DAC8E81B6055.htm

[2] http://yubanet.com/world/Genetic-damage-and-health-in-Fallujah-Iraq-worse-than-Hiroshima.php

source

Les derniers jours de Lumumba, l’homme traqué


COLETTE BRAECKMAN avec V.K.

Farouche partisan de l’indépendance du Congo, Patrice Lumumba a probablement signé son arrêt de mort le jour-même où celle- ci a été effective. Son discours du 30 juin 1960 dans lequel il raconte les souffrances infligées par le colonisateur heurte les Belges.

En quelques semaines, les ennuis ne vont pas tarder à s’accumuler pour le nouveau Premier ministre : mutinerie de la force publique ; sécession du Katanga déclarée par Moïse Tshombe, leader anti- communiste ; création de l’Etat autonome du Kasaï par Albert Kalonji, ex-compagnon de lutte de Lumumba.

Le 5 septembre, le président Kasa-Vubu révoque Lumumba et le 14, le colonel Mobutu prend le pouvoir. Patrice Lumumba est abandonné de tous : alors que ses partisans se sont organisés et ont fui vers Stanleyville (Kisangani), il se réfugie dans sa résidence de Léopoldville où il demande la protection des Nations unies.

En réalité, il est cerné par un double cordon : les Commissaires généraux mis en place par Mobutu ont décidé son arrestation et des militaires congolais entourent la maison. A quelques mètres, des Casques bleus veulent prévenir l’élimination du Premier ministre et empêcher ses partisans de se réorganiser. Immobilisé, deux fois prisonnier, Lumumba n’a rien perdu de ses talents.

Ayant réussi à convaincre à sa cause les militaires qui l’entourent, il décide de rejoindre ses partisans à Stanleyville, et dans la nuit du 27 au 28 novembre 1960, recroquevillé dans le coffre d’une voiture, il réussit à tromper la vigilance de tous.

Au lieu de foncer en direction du Haut-Congo, de semer au plus vite les soldats qui le traquent et les hélicoptères que la CIA met à la disposition de Mobutu pour repérer son convoi, Lumumba, qui est resté un homme politique, un tribun, traîne en chemin. Il harangue les paysans qui le reconnaissent et l’ovationnent, il rencontre un colon belge et prend le temps de lui expliquer son combat, et, alors qu’il a franchi la rivière Sankuru à Lodja, il n’hésite pas à retraverser le fleuve pour attendre son épouse Pauline qui a pris du retard.

C’est l’erreur fatale : le 2 décembre, l’armée congolaise le rattrape, le ramène à Léopoldville d’où il est envoyé au camp militaire de Thysville (aujourd’hui Mbanza Ngungu), gardé par les militaires congolais. ALéopoldville, les commissaires généraux s’inquiètent de l’ascendant du détenu, qui pourrait bien inciter les soldats à se mutiner et convaincre l’ONU de le remettre en liberté.

A Bruxelles, le ministre d’Aspremont Lynden souhaiterait une solution plus définitive. A toutes fins utiles, la Banque centrale pour le Congo belge et le Rwanda Urundi a versé un crédit spécial de 500 millions de FB à l’intention des Commissaires généraux qui ne resteront pas longtemps des étudiants désargentés.

Depuis Bakwanga au Sud-Kasaï, Albert Kalonji, malgré la haine qu’il éprouve envers son ancien allié, refuse qu’on lui envoie l’encombrant « paquet ». C’est le 17 janvier que Patrice Lumumba, ses deux ministres Mpolo et Okito entament leur dernier voyage, en direction du Katanga.

Les pilotes belges du DC4 de la Sabena ferment la porte de communication avec la carlingue et se bouchent les oreilles pour ne pas entendre les cris des prisonniers. Lumumba et ses compagnons sont en mauvais état lorsqu’ils sont amenés dans la maison Brouwez où sont déjà les durs du régime katangais, rejoints par leur Premier ministre Tshombe.

Après avoir été frappés par ces Katangais – son sang éclabousse leurs costumes – Lumumba et ses compagnons sont emmenés à 50 km d’Elisabethville et exécutés dans un coin de brousse sans même le simulacre d’un procès. Le commissaire de police belge Verscheure, qui a assisté à l’exécution, note dans son carnet : « 21 h 43 : dood »… Plus tard, un policier belge, Gerard Soete, avouera avoir dissous les corps dans l’acide et conservé deux dents en guise de souvenir. ■

Le Soir du 23 juin 2010, pp. 2 &3

L’assassinat de Lumumba s’invite à la Fête


BRAECKMAN,COLETTE; BELGA; KIESEL,VERONIQUE; BORLOO,JEAN-PIERRE

Le Soir, mercredi 23 juin 2010

Il y avait du monde mardi matin dans les locaux de la Ligue des droits de l’homme. Beaucoup de médias africains venus prendre connaissance de la plainte qui sera déposée à Bruxelles, en octobre, contre douze Belges qui auraient été impliqués dans l’assassinat de Patrice Lumumba peu après l’indépendance du Congo.

Pourquoi maintenant ?

Une question revenait sans cesse : alors que les faits sont connus depuis des années et que la plainte ne sera déposée qu’à l’automne, pourquoi l’annoncer maintenant ? L’avocat Christophe Marchand explique : « Nous n’avons pas l’intention de poser des problèmes à la Maison royale qui doit se rendre au Congo. Mais nous ne voulions pas déposer la plainte une fois qu’ils seraient là-bas. Nous l’avons fait avant pour qu’ils le sachent avant de partir. »

Outre cet aspect « royal », un élément symbolique intervient également, reconnaît l’avocat. « On parle beaucoup de l’indépendance mais il y a encore beaucoup de choses à éclaircir sur cette époque. Et surtout, il ne faut pas oublier cette absence de justice autour de la mort de Lumumba. Cet événement constitue un nœud dans les relations belgo-congolaises, il pose question sur le colonialisme, sur la façon dont on digère, par la suite, un tel événement historique. Et, avant de faire la leçon ailleurs, au niveau national il convient aussi de balayer devant sa porte. »

Pourquoi

en Belgique ?

suite

Voir aussi : la justice enfin pour ces morts insubmersibles