Quand Dieu a détourné son visage de Gaza


De Gaza.  » ////////////////////////////////////// Les habitants de la bande de Gaza ont l’habitude, lorsque l’un d’entre eux demande à l’autre : « Penses-tu qu’il y a encore de l’espoir ? « Penses-tu qu’il y a encore de l’espoir ? » La réponse est une sorte de foi coincée dans l’espoir, ou d’espoir coincé dans la foi : « L’espoir est dans le visage de Dieu », mais je me suis retrouvé aujourd’hui, lorsque quelqu’un m’a posé la même question alors que je marchais à pas pressés.

Mais je me suis retrouvé aujourd’hui, quand quelqu’un m’a posé la même question alors que je marchais à la hâte, j’ai répondu automatiquement, sans réfléchir : « Dieu semble avoir décidé de détourner son visage de nous ».

Et j’ai continué à marcher, abasourdi par ce qui était sorti de ma bouche. Non pas parce que j’avais l’impression d’avoir commis un péché, car les mots que nous prononçons dans les moments d’effondrement ne se mesurent pas à l’échelle du péché.

Ce que j’avais dit était, au fond, une métaphore. Mais ce qui m’a inquiété, c’est que j’ai réalisé tardivement que le simple fait de croire qu’il existe un véritable espoir au milieu de cette dévastation, au milieu de cette oppression, est devenu pour moi une sorte de charlatanisme.

Je ne crois plus ceux qui disent que nous allons bien ou que nous « tenons bon ». Ni même ceux qui disent que Dieu est avec nous. Je ne méconnais pas, je ne nie pas, mais je suis épuisé. Ce qui est sorti de ma bouche n’était que l’écho de ce que j’avais dans le cœur : Nous n’allons pas bien. Rien ici ne laisse présager que demain sera meilleur. Désolé, je ne suis plus cet optimiste. Yasser Abu Wazneh, Bande de Gaza »

Yasser Abu Wazna

7 août, 21:24 ·

Quand Allah a rasé son visage à Gaza

Copié chez Marianne Blume sur FB

Le paradoxe de la philosophie israélienne de la « victoire totale »


Mis à jour 1 juillet 2025

Aujourd’hui, avec la poursuite de la « victoire totale », Israël est passé de l’endiguement à la destruction du tissu politique et social existant de Gaza – et, si possible, comme certains responsables l’ont déclaré ouvertement, en allant en même temps vers l’oblitération de la viabilité du territoire.

Le paradoxe de la philosophie israélienne de la « victoire totale ». Photographie de MEE montrant les importants dégâts provoqués en Israël par les frappes de représailles iraniennes après qu'Israël a attaqué Téhéran et d'autres villes, tuant ainsi des dizaines d'Iraniens. (Photo de MEE publiée le 14 juin 2025)

Photographie de MEE montrant les importants dégâts provoqués en Israël par les frappes de représailles iraniennes après qu’Israël a attaqué Téhéran et d’autres villes, tuant ainsi des dizaines d’Iraniens. (Photo de MEE publiée le 14 juin 2025)

Rima Najjar, 28 juin 2025

Puisque ni Israël ni les EU n’ont de vision politique finale comportant une voie vers l’autodétermination ou les droits palestiniens, la libération de la Palestine dépend dès lors du point de rupture d’Israël sous la contrainte prolongée exercée par l’Iran, ses alliés (le Hezbollah, le Hamas, les Houthis) et la résistance palestinienne.

La résilience d’Israël peut être formidable, mais elle n’est pas infinie. Le coût de la poursuite d’une stratégie maximaliste qui ne propose aucun horizon politique – pas de plan pour les droits palestiniens, pas de vision de coexistence, pas d’autre objectif final que la domination militaire – dépassera bientôt le courage politique requis de la part d’Israël pour faire quelque chose de vraiment transformationnel.

Reconnaître les aspirations nationales palestiniennes, s’engager dans la diplomatie et accepter que la sécurité ne puisse être bâtie sur l’oblitération n’est pas un simple impératif moral, pour Israël – ce pourrait être d’ici peu une nécessité stratégique.

La guerre a déjà déclenché un retour de flamme régional avec l’Iran (incluant des échanges de missiles et l’implication des EU), une escalade avec le Hezbollah dans le nord et une résistance armée accrue en Cisjordanie ainsi que des attaques de la part du Yémen. Les ennemis d’Israël n’ont pas été brisés au-delà de toute possibilité de guérison et il semble que ce ne sera jamais le cas. Comme l’a dit un analyste :

« Israël n’a pas de véritable théorie de la victoire et l’Iran n’a pas été vaincu – seulement blessé et rendu furieux. »

Pas plus que ne l’ont été le Hamas, le Hezbollah et les Houthis.

Israël présume que seule la destruction complète ou la reddition sans condition d’un ennemi (étatique ou non étatique) pourra garantir sa sécurité à long terme. C’est un pari très risqué, parce qu’il échange une domination militaire à court terme contre une incertitude stratégique et une instabilité à long terme et, quoi qu’il en soit, il est irréalisable.

En poursuivant cette stratégie, Israël peut gagner des batailles, mais il perdra certainement la paix, s’aliénera ses alliés et déclenchera une guerre plus étendue. Un succès militaire sans résolution politique ne peut qu’engendrer un nouveau cycle de guerre.

L’Histoire nous montre que les victoires militaires absolues sur des forces insurgées ou mandataires sont extrêmement rares, même pour des superpuissances, parce que des combattants non étatiques n’ont pas besoin de « gagner » conventionnellement ; il leur faut simplement survivre et surpasser leur adversaire.

Voici quelques exemples :

La guerre du Vietnam (1955–1975) | EU (+ alliés) | Viet Cong et N. Vietnam | Retrait américain, victoire communiste | Guérilleros mêlés à la population, perte du soutien public pour les EU.

La guerre soviéto-afghane (1979–1989) | URSS | Moudjahidines | Retrait soviétique, plus tard reprise par les Talibans | Les insurgés bénéficiaient du soutien étranger (EU, Pakistan) et avaient l’avantage du terrain.

Les EU en Irak (2003–2011) | EU | Al-Qaeda/milices chiites | L’insurrection s’est maintenue, l’EI est apparu plus tard | L’occupation a alimenté la résistance ; pas de solution politique stable.

Israël-Hezbollah (2006) | Israël | Hezbollah | Impasse, le Hezbollah a gagné en force | Le Hezbollah s’est implanté parmi sa population qui le soutenait et s’est reconstruit avec l’aide de l’Iran.

Quant aux guerres entre États, elles peuvent se terminer par une « victoire totale », mais seulement à certaines conditions, comme l’occupation et le changement de régime (par exemple, la Seconde Guerre mondiale) ou l’effondrement total de l’ennemi (c’est-à-dire, pas de commanditaire externe).

Les fois où Israël s’est approché le plus près de la « victoire totale », ç’a été en 1967, quand il a gagné du territoire de façon décisive, et lors de sa guerre contre le Liban, en 1982. Dans ces deux scénarios, la résistance palestinienne s’est regroupée et l’expulsion de l’OLP du Liban a été le catalyseur qui a mené à la montée du Hezbollah. L’Iran n’est pas l’Irak de 2003 ; il bénéficie du soutien de la Russie et de la Chine, il nourrit des ambitions nucléaires et il est allié à plusieurs mouvements de résistance, ce qui rend impossible un changement de régime.

Israël ne peut engranger une « victoire totale » contre le Hamas à Gaza, sauf s’il réoccupe Gaza indéfiniment et, même dans ce cas, l’idéologie de la libération qui est celle du Hamas resterait enracinée, comme elle l’est depuis des décennies (la Nakba est une blessure perpétuelle, pour les Palestiniens). Une victoire militaire pour Israël ne pourrait se dégager qu’au prix d’une instabilité à long terme, d’une radicalisation et d’une condamnation internationale.

Ainsi donc, du fait qu’Israël n’a manifestement aucune finalité politique en vue pour la région, quid dans ce cas des États-Unis ?

Les accords d’Abraham de Trump ont politiquement mis de côté la question palestinienne, qui était le cœur du problème. Les accords normalisaient les relations entre Israël et plusieurs États arabes (EAU, Bahreïn, Maroc et Soudan) sans exiger de progrès sur la voie de la création d’un État palestinien. C’était une rupture avec le consensus de longue date de la Ligue arabe selon lequel la normalisation devait succéder à une résolution du conflit israélo-palestinien.

À l’origine, l’administration Trump présentait les accords comme faisant partie d’un plan plus large « De la paix à la prospérité », promettant des milliards en investissement dans les infrastructures et le développement palestiniens, mais la majeure partie de ces fonds ne se sont jamais matérialisés. Les Palestiniens ont rejeté le plan en tant que corruption économique sans droits politiques. Et, bien sûr, depuis, à Gaza, Israël a oblitéré les moindres gains économiques, avec la ruine des infrastructures et les restrictions draconiennes de l’aide.

Le plan de Trump pour Gaza implique la mise à l’écart du Hamas, l’installation d’une administration multinationale arabe et l’encouragement de l’émigration volontaire – le déplacement sous un autre nom. Il n’y a pas de feuille de route claire pour l’autodétermination palestinienne. Trump a proposé un vague soutien à la chose en tant qu’« aspiration à long terme », mais uniquement si l’Autorité palestinienne se prêtait à des réformes radicales, autrement dit, si elle acceptait des « colonies » juives qui avaient déjà dévoré la majeure partie du territoire de la Cisjordanie et si elle rejetait la volonté politique des Palestiniens.

En donnant la priorité à la normalisation avec les États arabes et en mettant de côté les revendications palestiniennes, la stratégie de Trump peut réduire les tensions entre États – mais elle a enraciné le conflit central. Comme le disait un analyste : « Vous ne pouvez bâtir la paix sur base d’une exclusion. » L’approche de Trump cimente le statu quo via lequel on gère les Palestiniens, mais sans les responsabiliser.

Et c’est là le cœur du paradoxe — et la tragédie.

Dans sa « gestion » du conflit jusqu’au 7 octobre, Israël maintenait en place un certain statu quo : il jugulait le Hamas (ou croyait le faire), il limitait la souveraineté palestinienne et évitait les négociations portant sur le statut final. Cette approche était coûteuse, mais prévisible.

Aujourd’hui, avec la poursuite de la « victoire totale », Israël est passé de l’endiguement à la destruction du tissu politique et social existant de Gaza – et, si possible, comme certains responsables l’ont déclaré ouvertement, en allant en même temps vers l’oblitération de la viabilité du territoire.

Cette escalade accroît considérablement les enjeux :

• Le coût humanitaire est ahurissant : les infrastructures de Gaza sont en ruine, la famine s’est généralisée et plus de 80 % de la population a été déplacée à plusieurs reprises. La destruction n’est pas accidentelle, elle est systémique.

• Le coût politique grimpe : la position mondiale d’Israël se détériore. Même ses alliés remettent en question sa stratégie à long terme. La CPI enquête sur ses crimes de guerre potentiels. Les EU sont sous pression afin de recalibrer leur soutien.

• Le coût stratégique s’aggrave : En détruisant non seulement le Hamas mais aussi les conditions de vie et de gouvernance des Palestiniens, Israël crée un vide qui entretient une radicalisation plus profonde, mais certainement pas la paix.

La position internationale d’Israël s’érode : les résolutions de l’ONU ont condamné ses actions, les procédures juridiques contre les responsables israéliens s’accélèrent partout dans le monde et même les alliés traditionnels d’Israël remettent en question la proportionnalité et la légalité de la campagne israélienne.

La guerre d’Israël contre la Palestine, le Liban et l’Iran est désormais la plus longue de son histoire, avec des pertes quotidiennes en vies humaines et un déplacement très répandu à l’intérieur même d’Israël. Plus elle s’éternise, plus elle met à rude épreuve le moral de la population, la préparation et l’enthousiasme de l’armée et la résilience économique.

Quand l’injustice se produit en temps réel, les discours abstraits sur les cadres et les feuilles de route peuvent sembler creux, comme une trahison de l’urgence qui se déroule sous nos yeux. Être témoin d’un génocide n’est pas seulement une expérience émotionnellement bouleversante, c’est moralement désorientant. Cela peut faire en sorte que toute discussion sur la stratégie à long terme semblera éloignée de la tragédie de la vérité viscérale sur le terrain. Mais, en donnant un sens aux événements, il est impératif, non seulement d’articuler l’indicible, mais aussi de chercher quelque lumière, même diffuse, à l’extrémité des tunnels de Gaza.

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Rima Najjar

Rima Najjar est une Palestinienne dont la branche paternelle de la famille provient du village dépeuplé de force de Lifta, dans la périphérie occidentale de Jérusalem et dont la branche maternelle de la famille est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et une professeure retraitée de littérature anglaise, à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée.

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Publié le 28 juin 2025 sur le blog de Rima Hassan
Traduction : Jean-Marie Flémal,  Charleroi pour la Palestine

Lisez également cet article de Rima Najjar : La Palestine et l’Iran peuvent être durement touchés et continuer d’aller de l’avant.

!!Génocide à Gaza: J 638!! Gaza étouffe sous la mort… où enterrer nos martyrs? Témoignage bouleversant


MCPalestine (Mouvement citoyen Palestine)

5 juillet 2025

Dans la bande de Gaza, même la terre ne suffit plus pour ceux qui l’ont quittée. Il n’y a pas de scène plus cruelle que celle d’un être humain privé de son dernier droit: être enterré dignement dans le sol de sa patrie. Avec la poursuite de l’agression israélienne brutale et l’augmentation quotidienne du nombre de morts, la souffrance a dépassé les limites du supportable. Gaza est devenue un champ de mort à ciel ouvert, sans tombes, sans terre, sans respect pour les défunts.

Les funérailles sont devenues une fuite face à une roquette ou une balle. L’adieu est une caresse hâtive sur le front d’un mort avant qu’il ne soit enveloppé dans un linceul et soustrait aux regards. Les scènes sont choquantes, elles arrachent l’humanité à l’homme et profanent la dignité du vivant comme du mort. C’est un moment charnière pour la conscience humaine, quand les tombes deviennent un luxe inaccessible et que l’enterrement devient un vœu difficile à exaucer. Est-il concevable que les cimetières deviennent une revendication urgente dans la liste de souffrances d’un peuple assiégé?

Une terre qui n’accueille plus ni ses vivants… ni ses morts

Les massacres se succèdent quotidiennement. Le cri des endeuillés à peine apaisé est étouffé par un nouveau bombardement. Mais la tragédie ne se limite plus aux morts et à la destruction. Elle a dépassé les limites de l’imaginable: où enterrer nos martyrs?

Imaginez une famille entière anéantie, sans que leurs proches ne trouvent un lieu pour leur dire adieu ou placer une pierre sur leur tombe pour les distinguer. La terre, jadis pleine de vie, est désormais saturée de cadavres. Les villes autrefois peuplées sont désormais envahies par la mort: des corps gisent à l’air libre, parfois les uns sur les autres.

Les mosquées ne peuvent plus contenir le nombre de funérailles. Les imams récitent des prières collectives pour des dizaines, voire des centaines de noms sans fin. Le spectacle ressemble à un cauchemar qui se répète chaque jour.

Avec l’occupation de plus de 75% de la superficie de Gaza par les forces israéliennes, la souffrance a atteint un niveau sans précédent. Des milliers de familles sont piégées dans de petites poches au sud de la bande, dans des zones surpeuplées ou agricoles inadaptées à l’habitation, et encore moins à l’enterrement.

L’armée israélienne empêche les Palestiniens d’accéder à leurs anciens cimetières et cible quiconque tente de retourner dans les zones dont ils ont été expulsés. La terre qui abritait leurs ancêtres et leurs bien-aimés est aujourd’hui sous occupation, interdite aux vivants comme aux morts. Le Palestinien ne possède même plus un coin de sa propre terre pour qu’y reposent ses martyrs. La mort est devenue un rituel incomplet: sans adieu, sans sépulture, sans dignité.

C’est le sommet de la tragédie: être privé de sa patrie vivant, et même après la mort, être empêché de toucher son sol une dernière fois.

Des scènes déchirantes… des dépouilles au bord des routes

Les morgues des hôpitaux ne peuvent plus contenir de nouveaux corps. À l’hôpital Nasser, dans la ville de Khan Younès, l’administration a officiellement annoncé qu’il ne restait plus de tombes pour enterrer les morts, ajoutant un nouveau choc au fardeau quotidien des Gazaouis.

Il n’y a plus de lieu pour préserver les corps des martyrs. Ils sont entassés les uns sur les autres, déposés dans les couloirs des hôpitaux, dans des camions fermés ou même sous les arbres.

Les corps sont stockés dans des congélateurs à poisson ou dans des camions frigorifiques destinés au transport de légumes. Il n’y a plus de respect pour la mort, plus de voix qui s’élève au-dessus de celle de l’oppression.

Les familles pleurent en silence, craignant que les corps ne se décomposent avant d’être enterrés ou qu’elles soient contraintes de les abandonner sur le bord de la route faute de solution.

La mort n’est plus un moment ponctuel, elle est devenue constante, ininterrompue. Toute Gaza semble s’être transformée en un vaste cimetière.

Des enterrements collectifs… sans dignité, sans adieu

Dans une scène poignante, les familles sont contraintes de procéder à des enterrements collectifs pour leurs enfants. Il n’y a ni cérémonies, ni temps pour les adieux, ni tombes individuelles portant les noms des martyrs. Ils placent des corps purs dans une seule fosse qu’ils recouvrent précipitamment de terre, par peur des bombardements. Même dans la mort, le Palestinien n’a pas droit à une reconnaissance digne de son sacrifice.

Il n’y a plus de condoléances, plus de tombes avec des noms, juste des fosses silencieuses sans marques ou de longues tranchées remblayées de pierres. Les martyrs sont enterrés à la hâte, enveloppés dans des sacs en plastique, jetés dans la terre sans rites ni adieux.

Même les prières sont murmurées, étouffées par la peur des frappes. La perte est devenue quotidienne, les larmes se sont taries, et nul ne sait où reposent exactement ses proches. Quelle fosse de cette terre cache leurs corps?

Une injustice qui dépasse la vie… et poursuit l’être humain jusqu’à sa mort

Ce qui se passe à Gaza n’est pas seulement une agression militaire. C’est une violation totale de toutes les valeurs humaines. Être privé d’enterrement est un crime, une preuve de la cruauté extrême infligée aux civils du territoire.

Où est la communauté internationale face à cette tragédie? Où est la conscience humaine face à un peuple qui ne trouve même pas où enterrer ses morts?

Cette faillite morale ne peut être justifiée par aucun prétexte. Le droit international garantit la dignité de l’homme vivant et mort, et criminalise toute atteinte au caractère sacré des défunts. Mais à Gaza, tout est permis: tuer, bombarder, affamer, et même interdire l’enterrement.

Les Palestiniens n’ont plus aucun allié dans ce monde indifférent. Leurs appels à l’aide ne trouvent plus d’oreilles attentives ni de cœurs réceptifs. La tragédie est au-delà des mots, et le silence est un crime ajouté à ceux de l’occupation.

Gaza souffre aujourd’hui non seulement des bombardements, de la faim et du siège, mais aussi de l’entassement des morts, du manque de terre, et de l’angoisse des cœurs qui ne savent plus comment dire adieu à leurs enfants.

C’est une réalité qui dépasse l’imagination, résumant la catastrophe dans tous ses détails: un peuple vivant au cœur de la mort, des morts sans sépultures ni dignité.

Ce n’est pas une crise temporaire, mais un nouveau chapitre d’un génocide silencieux, où le vivant devient témoin d’un cadavre non enterré, une mère gardienne d’un enfant tué sans tombe. À chaque nouveau martyr, la question douloureuse revient: «Où enterrerons-nous ceux que nous aimons?» La terre s’est rétrécie, et la mort n’est plus une fin, mais une succession d’humiliations et de privations.

Gaza appelle aujourd’hui… Y a-t-il quelqu’un pour répondre? Y a-t-il encore une conscience qui bat? Une justice qui viendra… même tardivement?

Abu Amir –

03.07.25

Source: ISM

copié d’ici

DISTRIBUTION D’AIDE OU CHAMP DE TIR ?


Un récit de Gaza, par Tareq Abulkheir — Trad. DeepL via Marianne Blume sur FB

et cet article : https://www.huffingtonpost.fr/international/video/a-gaza-ces-images-de-palestiniens-affames-se-ruant-vers-un-centre-humanitaire-font-scandale_250598.htm

J’ai commencé mon chemin le jour d’Arafat, Waqfat 05-06-2025, pour atteindre le centre d’aide humanitaire dans la région de Rafah. Nous avons commencé à marcher à pied depuis le quartier d’Azhar, où je vis dans l’ouest de Gaza, après la prière du coucher du soleil le jour mentionné, en espérant trouver n’importe quel moyen de transport qui nous emmènerait vers le sud de Gaza via la rue Al-Rashid, que ce soit une motocyclette à trois roues (tuktuk)… Malheureusement, nous n’avons trouvé aucun moyen de transport, quel qu’il soit. Notre pénible voyage s’est donc prolongé à pied depuis l’ouest de la ville de Gaza jusqu’au quartier Fish Fresh, à l’extrême sud-ouest de Khan Younis, qui est le point de départ vers le centre d’aide américain GHF.

Nous sommes arrivés après une longue marche qui a duré de 19h30 (le soir d’Arafat) jusqu’à 2h30 du matin le premier jour de l’Aïd al-Adha. Dès notre arrivée, un nouveau chapitre de souffrance a commencé après le supplice d’une marche de 8 heures sur plus de 35 kilomètres. Il a fallu marcher avec beaucoup de précautions pour atteindre une mosquée dans la zone appelée Mosquée Muawiya et s’y installer jusqu’à l’ouverture du poste de contrôle pour entrer dans le centre d’aide.

Lorsque nous sommes arrivés, nous avons tenté d’entrer. Nous nous sommes approchés du point de contrôle israélien, en espérant qu’il serait ouvert pour obtenir de la nourriture. Mais un haut-parleur israélien annonçait que le centre d’aide était fermé, qu’il n’y aurait pas de distribution, et qu’il fallait rentrer chez nous. Ceux qui avaient une expérience antérieure nous ont expliqué qu’il s’agissait d’une tactique israélienne visant à décourager la foule, à la réduire et à semer la frustration.

Nous sommes donc retournés près de la mosquée Muawiya et avons attendu, jusqu’à décider de réessayer de marcher vers le point de contrôle. Nous étions plus de cinq mille personnes. Lorsque nous sommes arrivés de nouveau, le haut-parleur israélien nous a encore une fois ordonné de faire demi-tour. Puis les insultes ont commencé, suivies d’un ultimatum : ils allaient tirer dans les trois minutes si nous ne quittions pas les lieux. Mais avant même la fin de leur menace, les tirs ont commencé — directs, violents, sans aucune pitié.

Je me suis retourné et j’ai vu des dizaines de blessés. Les cris des victimes résonnaient, demandant de l’aide, mais personne ne pouvait bouger tant les tirs étaient nourris. Lorsqu’ils se sont calmés un peu, les jeunes ont pu évacuer certains blessés vers le grand centre de la Croix-Rouge internationale, tout proche. Mais certains blessés sont morts.

Nous sommes revenus, l’âme brisée, la tête baissée, portés par la tristesse, la peur et la douleur. Certains de ceux qui étaient avec nous avaient disparu ou avaient été blessés. Ce jour de l’Aïd était devenu un Aïd noir, où notre faim nous avait poussés à chercher de la nourriture dans les mains de notre ennemi. De la nourriture enveloppée d’humiliation, alors que jadis nous étions dignes. Pendant que les Arabes festoyaient, peu d’entre eux prêtaient attention à notre souffrance.

Nous avons essayé de dormir à même le sol, face à la mer triste de Rafah, en attendant que le centre ouvre. À sept heures moins le quart du matin, les tirs ont repris — directs, intenses, à moins d’un mètre du sol. Il ne restait qu’à se coucher face contre terre ou se recroqueviller en position fœtale. Vous voyez défiler votre vie, vous pensez à vos proches affamés qui vous attendent. Vous vous souvenez de leurs rires à table, devenus larmes. Vous êtes plus affamé qu’eux, mais vous ne pouvez rien leur dire.

Les tirs ont duré une heure et quart, de 6h45 à 8h. Une pluie de balles, des bruits d’avions — la terreur de tous les côtés. Puis, le silence. Les “experts” ont dit : maintenant, il faut courir. Courir pour atteindre l’aide. Deux kilomètres plus loin, les corps des jeunes gisent au sol. Leurs sacs en plastique leur couvrent le visage.

Les blessés se traînent, certains rampent s’ils le peuvent. Malgré le bruit de milliers de sandales, on entend leurs gémissements. Votre conscience se déchire, votre humanité s’envole. Vous courez comme une bête pour atteindre un peu de nourriture. Impossible de s’arrêter : vous seriez piétiné, abattu, ou évincé.

Il faut courir, sac blanc à la main, en signe de reddition — pour montrer que vous êtes civil. Vous arrivez au poste de contrôle israélien, tournez à gauche, courez encore un kilomètre, puis à droite pour courir un troisième kilomètre jusqu’au poste de contrôle américain. Là, comme dans un film hollywoodien : soldats bardés d’armes, lunettes noires, gilets pare-balles, fusils pointés sur nos poitrines nues.

Ils reculent lentement en nous visant, comme on lâche des taureaux dans un rodéo. Mais nous ne sommes pas des bêtes. Nous sommes des humains que l’on tente de déshumaniser, de transformer en squelettes affamés, ramassant des miettes de la main de ceux qui nous tuent.

Derrière la colline, l’aide est là. Il faut courir, attraper une boîte de nourriture. Pas d’organisation, pas de justice — la loi de la jungle. Une fois la boîte en main, il faut la vider dans le sac et fuir aussitôt. Ceux qui n’ont rien trouvé vous attaqueront. Il faut être armé d’un couteau, marcher en groupe, s’entraider. Une jungle.

Ils nous ont dépouillés de notre humanité. Nous sommes devenus des monstres sans âme.

Et quand vous quittez enfin ce lieu de mort, vous ouvrez votre sac pour découvrir ce que vous avez risqué votre vie à aller chercher. Voici ce que j’ai reçu :

  • 2 kg de lentilles
  • ½ kg de pois chiches
  • 2 kg de farine
  • 4 kg de pâtes
  • 1 kg de tahini
  • 1 litre d’huile de friture (Serge)
  • 2 kg de sel
  • Plusieurs boîtes de conserves : pois, haricots, foul…

Et là, si vous avez encore un peu d’humanité, vous pleurez. L’oppression vous déchire. Vous saignez intérieurement. Est-ce pour si peu que je me jette dans la gueule de la mort ? Que je marche des dizaines de kilomètres, que je rampe, que je cours, que je vois des jeunes étendus sans pouvoir en sauver un seul ?

Nous sommes devenus terriblement mauvais. Pour si peu, des gens sont morts. Des jeunes, des pères qui ont laissé leurs enfants affamés pour revenir dans des linceuls. Et leurs enfants sont toujours affamés.

Un nouveau jour d’Aïd noir. Un Aïd de nom seulement. À Gaza, cela ne ressemble plus à un Aïd.

Depuis le début de la guerre, Gaza a connu quatre fêtes. Toutes noires. Mais celle-ci est la plus noire. La plus sombre.

Ne nous abandonne pas, Seigneur.

Nous sommes Arabes, musulmans — et impuissants. Il n’y a que Toi.

Chris Hedges : Au bord des ténèbres


Video en anglais YouTube ici

Texte de l’intervention :[…]

Mon ancien bureau à Gaza est un tas de décombres. Les rues environnantes, où j’allais prendre un café, commander un maftool ou un manakish, me faire couper les cheveux, sont aplaties. Des amis et des collègues sont morts ou, le plus souvent, ont disparu, la dernière fois que j’ai entendu parler d’eux remontant à des semaines ou à des mois, sans doute enterrés quelque part sous les dalles de béton brisées. Les morts ne sont pas comptabilisés. Des dizaines, voire des centaines de milliers.

Gaza est un terrain vague de 50 millions de tonnes de décombres et de débris. Les rats et les chiens fouillent les ruines et les mares fétides d’eaux usées brutes. La puanteur putride et la contamination des cadavres en décomposition s’élèvent sous les montagnes de béton brisé. Il n’y a pas d’eau potable. Peu de nourriture. Les services médicaux font cruellement défaut et il n’y a pratiquement pas d’abris habitables. Les Palestiniens risquent d’être tués par des munitions non explosées, laissées derrière eux après plus de 15 mois de frappes aériennes, de barrages d’artillerie, de tirs de missiles et d’explosions d’obus de chars, ainsi que par toute une série de substances toxiques, notamment des mares d’eaux usées brutes et de l’amiante.

L’hépatite A, causée par la consommation d’eau contaminée, est endémique, tout comme les affections respiratoires, la gale, la malnutrition, la famine et les nausées et vomissements généralisés causés par l’ingestion d’aliments rances. Les personnes vulnérables, notamment les nourrissons et les personnes âgées, ainsi que les malades, sont condamnés à mort. Quelque 1,9 million de personnes ont été déplacées, soit 90 % de la population. Elles vivent dans des tentes de fortune, campées au milieu de dalles de béton ou en plein air. Nombre d’entre elles ont été contraintes de déménager plus d’une douzaine de fois. Neuf maisons sur dix ont été détruites ou endommagées. Des immeubles d’habitation, des écoles, des hôpitaux, des boulangeries, des mosquées, des universités – Israël a fait exploser l’université Israa dans la ville de Gaza lors d’une démolition contrôlée -, des cimetières, des magasins et des bureaux ont été anéantis. Le taux de chômage est de 80 % et le produit intérieur brut a été réduit de près de 85 %, selon un rapport publié en octobre 2024 par l’Organisation internationale du travail.

L’interdiction par Israël de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient – qui estime qu’il faudra 15 ans pour débarrasser Gaza des décombres laissés sur place – et le blocage des camions d’aide à Gaza garantissent que les Palestiniens de Gaza n’auront jamais accès aux fournitures humanitaires de base, à une alimentation et à des services adéquats.

Le Programme des Nations unies pour le développement estime que la reconstruction de Gaza coûtera entre 40 et 50 milliards de dollars et prendra, si les fonds sont disponibles, jusqu’en 2040. Il s’agirait du plus grand effort de reconstruction d’après-guerre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Israël, approvisionné en milliards de dollars d’armes par les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, a créé cet enfer. Il a l’intention de le maintenir. Gaza restera assiégée. Les infrastructures de Gaza ne seront pas restaurées. Ses services de base, y compris les stations d’épuration, l’électricité et les égouts, ne seront pas réparés. Les routes, les ponts et les fermes détruits ne seront pas reconstruits. Les Palestiniens désespérés seront contraints de choisir entre vivre comme des troglodytes, campés au milieu de morceaux de béton déchiquetés, mourir en masse de maladies, de famine, de bombes et de balles, ou l’exil permanent. Ce sont les seules options offertes par Israël.

Israël est convaincu, probablement à juste titre, que la vie dans la bande côtière finira par devenir tellement onéreuse et difficile, en particulier si Israël trouve des excuses pour violer le cessez-le-feu et reprendre les attaques armées contre la population palestinienne, qu’un exode massif sera inévitable. Israël a refusé, même avec le cessez-le-feu en place, d’autoriser la presse étrangère à entrer dans Gaza, une interdiction destinée à atténuer la couverture des horribles souffrances et des morts massives.

La deuxième phase du génocide israélien et de l’expansion du « Grand Israël » – qui comprend la saisie de nouveaux territoires syriens sur les hauteurs du Golan (ainsi que des appels à l’expansion vers Damas), au Sud-Liban, à Gaza et en Cisjordanie occupée, où quelque 40 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux – est en train de se mettre en place. Des organisations israéliennes, dont l’organisation d’extrême droite Nachala, ont organisé des conférences pour préparer la colonisation juive de Gaza une fois que les Palestiniens auront subi un nettoyage ethnique. Des colonies exclusivement juives ont existé à Gaza pendant 38 ans, jusqu’à leur démantèlement en 2005.

Washington et ses alliés en Europe ne font rien pour arrêter le génocide retransmis en direct. Ils ne feront rien pour arrêter le dépérissement des Palestiniens de Gaza par la faim, la maladie et les bombes et leur dépeuplement final. Ils sont partenaires de ce génocide. Ils le resteront jusqu’à ce que le génocide atteigne sa sinistre conclusion.

Mais le génocide à Gaza n’est qu’un début. Le monde s’effondre sous les assauts de la crise climatique, qui déclenche des migrations massives, des États en déliquescence et des incendies de forêt, des ouragans, des tempêtes, des inondations et des sécheresses catastrophiques. À mesure que la stabilité mondiale s’effiloche, la violence industrielle, qui décime les Palestiniens, deviendra omniprésente. Ces agressions seront commises, comme à Gaza, au nom du progrès, de la civilisation occidentale et de nos prétendues « vertus », afin d’écraser les aspirations de ceux qui ont été déshumanisés et considérés comme des animaux humains, principalement les pauvres de couleur.

L’anéantissement de Gaza par Israël marque la mort d’un ordre mondial guidé par des lois et des règles internationalement reconnues, un ordre souvent violé par les États-Unis dans leurs guerres impériales au Viêt Nam, en Irak et en Afghanistan, mais qui était au moins reconnu comme une vision utopique. Les États-Unis et leurs alliés occidentaux ne se contentent pas de fournir l’armement nécessaire au génocide, ils font également obstruction à la demande de la plupart des nations d’adhérer au droit humanitaire.

Le message envoyé est clair : nous avons tout. Si vous essayez de nous l’enlever, nous vous tuerons.

Les drones militarisés, les hélicoptères de combat, les murs et les barrières, les postes de contrôle, les bobines de fil de fer, les tours de guet, les centres de détention, les déportations, la brutalité et la torture, le refus de délivrer des visas d’entrée, l’existence d’apartheid qui accompagne le fait d’être sans papiers, la perte des droits individuels et la surveillance électronique sont aussi familiers aux migrants désespérés le long de la frontière mexicaine ou qui tentent d’entrer en Europe qu’ils le sont aux Palestiniens.

Israël, qui, comme le note Ronen Bergman dans son livre « Rise and Kill First », a « assassiné plus de personnes que n’importe quel autre pays du monde occidental », utilise l’Holocauste nazi pour sanctifier son statut de victime héréditaire et justifier son État colonial, son apartheid, ses campagnes de massacres et sa version sioniste du Lebensraum.

Primo Levi, qui a survécu à Auschwitz, a vu dans la Shoah, pour cette raison, « une source inépuisable de mal » qui « est perpétré comme une haine chez les survivants, et jaillit de mille manières, contre la volonté même de tous, comme une soif de vengeance, comme un effondrement moral, comme une négation, comme une lassitude, comme une résignation ».

Le génocide et l’extermination de masse ne sont pas l’apanage de l’Allemagne fasciste. Adolf Hitler, comme l’écrit Aimé Césaire dans « Discours sur le colonialisme », n’est apparu exceptionnellement cruel que parce qu’il a présidé à « l’humiliation de l’homme blanc ». Mais les nazis, écrit-il, n’ont fait qu’appliquer « des procédés colonialistes jusque-là exclusivement réservés aux Arabes d’Algérie, aux coolies de l’Inde et aux Noirs d’Afrique ».

Le massacre des Herero et des Namaqua par les Allemands, le génocide arménien, la famine du Bengale en 1943 – le Premier ministre britannique de l’époque, Winston Churchill, a négligé la mort de trois millions d’Hindous au cours de cette famine en les qualifiant de « peuple bestial avec une religion bestiale » – ainsi que le largage de bombes nucléaires sur les cibles civiles d’Hiroshima et de Nagasaki, illustrent quelque chose de fondamental à propos de la « civilisation occidentale ».

Les philosophes moraux qui constituent le canon occidental – Emmanuel Kant, Voltaire, David Hume, John Stuart Mill et John Locke – comme le souligne Nicole R. Fleetwood, ont exclu de leur calcul moral les peuples asservis et exploités, les peuples indigènes, les peuples colonisés, les femmes de toutes races et les criminels. À leurs yeux, seule la blancheur européenne conférait la modernité, la vertu morale, le jugement et la liberté. Cette définition raciste de la personne a joué un rôle central dans la justification du colonialisme, de l’esclavage, du génocide des Amérindiens, de nos projets impériaux et de notre fétichisme de la suprématie blanche. Aussi, lorsque vous entendez dire que le canon occidental est un impératif, demandez-vous : pour qui ?

« En Amérique », a dit le poète Langston Hughes, »les Noirs n’ont pas besoin qu’on leur dise ce qu’est le fascisme en action. Nous le savons. Ses théories de suprématie nordique et de suppression économique sont depuis longtemps des réalités pour nous ».

Lorsqu’ils ont élaboré les lois de Nuremberg, les nazis les ont calquées sur nos lois de ségrégation et de discrimination de l’ère Jim Crow. Notre refus d’accorder la citoyenneté aux Amérindiens et aux Philippins, bien qu’ils vivent aux États-Unis et dans les territoires américains, a été copié pour retirer la citoyenneté aux Juifs. Nos lois contre le métissage, qui criminalisent les mariages interraciaux, ont servi d’impulsion pour interdire les mariages entre Juifs allemands et Aryens. La jurisprudence américaine, qui détermine l’appartenance à une race, a classé dans la catégorie des Noirs toute personne ayant un pour cent d’ascendance noire, ce que l’on appelle la « règle de la goutte d’eau ». Les nazis, faisant ironiquement preuve de plus de souplesse, considéraient comme juive toute personne ayant au moins trois grands-parents juifs.

Le fascisme était très populaire aux États-Unis dans les années 1920 et 1930. Le Ku Klux Klan, à l’image des mouvements fascistes qui balayaient l’Europe, a connu un grand renouveau dans les années 1920. Les nazis ont été adoptés par les eugénistes américains, qui ont fait l’éloge de l’objectif nazi de pureté raciale et ont diffusé la propagande nazie. Charles Lindberg, qui a accepté une médaille à croix gammée du parti nazi en 1938, ainsi que les Defenders of the Christian Faith de l’évangéliste Gerald B. Winrod, les Silver Shirts de William Dudley Pelley (les initiales SS étaient intentionnelles) et les Khaki Shirts, des vétérans, ne sont que quelques-unes de nos organisations ouvertement fascistes.

L’idée que l’Amérique est un défenseur de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme surprendrait énormément ceux que Frantz Fanon appelait « les misérables de la terre » et qui ont vu leurs gouvernements démocratiquement élus subvertis et renversés par les États-Unis au Panama (1941), en Syrie (1949), en Iran (1953), au Guatemala (1954), au Congo (1960), au Brésil (1964), au Chili (1973), au Honduras (2009) et en Égypte (2013). Et cette liste n’inclut pas une foule d’autres gouvernements qui, bien que despotiques, comme ce fut le cas au Sud-Vietnam, en Indonésie ou en Irak, ont été considérés comme contraires aux intérêts américains et détruits, infligeant dans chaque cas la mort et l’avilissement à des millions de personnes.

L’empire est l’expression extérieure de la suprématie blanche.

Mais l’antisémitisme seul n’a pas conduit à la Shoah. Il fallait le potentiel génocidaire inné de l’État bureaucratique moderne.

Les millions de victimes des projets impériaux racistes dans des pays tels que le Mexique, la Chine, l’Inde, le Congo et le Viêt Nam, pour cette raison, sont sourds aux affirmations fatales des Juifs qui prétendent que leur situation de victime est unique. Il en va de même pour les Noirs, les Noirs marrons et les Amérindiens. Ils ont également subi des holocaustes, mais ces holocaustes restent minimisés ou non reconnus par leurs auteurs occidentaux.

Israël incarne l’État ethnonationaliste que l’extrême droite américaine et européenne rêve de créer pour elle-même, un État qui rejette le pluralisme politique et culturel, ainsi que les normes juridiques, diplomatiques et éthiques. Israël est admiré par ces proto-fascistes, y compris les nationalistes chrétiens, parce qu’il a tourné le dos au droit humanitaire pour utiliser la force meurtrière sans discernement afin de « nettoyer » sa société de ceux qui sont condamnés comme contaminants humains. Israël n’est pas un cas isolé, mais exprime nos pulsions les plus sombres, celles qui sont mises sous tension par l’administration Trump.

J’ai couvert la naissance du fascisme juif en Israël. J’ai fait un reportage sur l’extrémiste Meir Kahane, qui n’avait pas le droit de se présenter aux élections et dont le parti Kach a été interdit en 1994 et déclaré organisation terroriste par Israël et les États-Unis. J’ai assisté à des rassemblements politiques organisés par Benjamin Netanyahou, qui recevait des fonds somptueux de la part d’Américains de droite, lorsqu’il s’est présenté contre Yitzhak Rabin, qui négociait un accord de paix avec les Palestiniens. Les partisans de Netanyahou ont scandé « Mort à Rabin ». Ils brûlent une effigie de Rabin vêtu d’un uniforme nazi. Netanyahou a défilé devant un simulacre d’enterrement de Rabin.

Le Premier ministre Rabin a été assassiné le 4 novembre 1995 par un fanatique juif. La veuve de Rabin, Lehea, a accusé Netanyahou et ses partisans d’être responsables du meurtre de son mari.

M. Netanyahou, qui est devenu premier ministre pour la première fois en 1996, a passé sa carrière politique à encourager les extrémistes juifs, notamment Avigdor Lieberman, Gideon Sa’ar, Naftali Bennett et Ayelet Shaked. Son père, Benzion, qui a travaillé comme assistant du pionnier sioniste Vladimir Jabotinsky, que Benito Mussolini qualifiait de « bon fasciste », était l’un des dirigeants du parti Herut, qui appelait l’État juif à s’emparer de toutes les terres de la Palestine historique. De nombreux membres du parti Herut ont mené des attaques terroristes pendant la guerre de 1948 qui a donné naissance à l’État d’Israël. Albert Einstein, Hannah Arendt, Sidney Hook et d’autres intellectuels juifs ont décrit le parti Herut dans une déclaration publiée dans le New York Times comme un « parti politique étroitement apparenté dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et son attrait social aux partis nazis et fascistes ».

Il y a toujours eu une souche de fascisme juif au sein du projet sioniste, reflétant la souche de fascisme dans la société américaine. Malheureusement, pour nous, Israéliens et Palestiniens, ces tendances fascistes sont en pleine ascension.

« La gauche n’est plus capable de surmonter l’ultra-nationalisme toxique qui a évolué ici », a averti en 2018 Zeev Sternhell, survivant de l’Holocauste et principale autorité israélienne en matière de fascisme, “le type de fascisme dont la souche européenne a presque anéanti la majorité du peuple juif”. Sternhell a ajouté : « [N]ous voyons non seulement un fascisme israélien croissant, mais aussi un racisme proche du nazisme à ses débuts. »

La décision d’anéantir Gaza est depuis longtemps le rêve des sionistes d’extrême droite, héritiers du mouvement de Kahane. L’identité juive et le nationalisme juif sont les versions sionistes du sang et du sol nazis. La suprématie juive est sanctifiée par Dieu, tout comme le massacre des Palestiniens, que Netanyahou compare aux Amalécites de la Bible, massacrés par les Israélites. Les colons euro-américains des colonies américaines ont utilisé le même passage biblique pour justifier le génocide des Amérindiens. Les ennemis – généralement des musulmans – voués à l’extinction sont des sous-hommes qui incarnent le mal. La violence et la menace de violence sont les seules formes de communication que comprennent ceux qui ne font pas partie du cercle magique du nationalisme juif. Ceux qui ne font pas partie de ce cercle magique, y compris les citoyens israéliens, doivent être purgés.

La rédemption messianique aura lieu une fois les Palestiniens expulsés. Les extrémistes juifs appellent à la démolition de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint pour les musulmans, construite sur les ruines du second temple juif, détruit en 70 de notre ère par l’armée romaine. La mosquée doit être remplacée par un « troisième » temple juif, ce qui mettrait le monde musulman en ébullition. La Cisjordanie, que les fanatiques appellent « Judée et Samarie », sera formellement annexée par Israël. Israël, gouverné par les lois religieuses imposées par les partis ultra-orthodoxes Shas et United Torah Judaism, deviendra une version juive de l’Iran.

Plus de 65 lois discriminent directement ou indirectement les citoyens palestiniens d’Israël et ceux qui vivent dans les territoires occupés. La campagne d’assassinats aveugles de Palestiniens en Cisjordanie, souvent perpétrés par des milices juives malhonnêtes dotées de 10 000 armes automatiques, ainsi que les démolitions de maisons et d’écoles et la saisie des terres palestiniennes restantes, sont en train d’exploser.

Dans le même temps, Israël se retourne contre les « traîtres juifs » qui refusent d’adhérer à la vision démente des fascistes juifs au pouvoir et qui dénoncent l’horrible violence de l’État. Les ennemis familiers du fascisme – journalistes, défenseurs des droits de l’homme, intellectuels, artistes, féministes, libéraux, gauche, homosexuels et pacifistes – sont pris pour cible. Le pouvoir judiciaire, selon les plans présentés par Netanyahou, sera neutralisé. Le débat public s’étiole. La société civile et l’État de droit cesseront d’exister. Les personnes qualifiées de « déloyales » seront expulsées.

Les fanatiques au pouvoir en Israël auraient pu échanger les otages détenus par le Hamas contre les milliers d’otages palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, raison pour laquelle les otages israéliens ont été saisis. Et il est prouvé que dans les combats chaotiques qui ont eu lieu une fois que les militants du Hamas sont entrés en Israël, l’armée israélienne a décidé de cibler non seulement les combattants du Hamas, mais aussi les prisonniers israéliens avec eux, tuant peut-être des centaines de leurs propres soldats et civils.

Selon James Baldwin, Israël et ses alliés occidentaux se dirigent vers la « terrible probabilité » que les nations dominantes « luttant pour s’accrocher à ce qu’elles ont volé à leurs captifs, et incapables de se regarder dans leur miroir, précipiteront le monde dans un chaos qui, s’il ne met pas fin à la vie sur cette planète, provoquera une guerre raciale telle que le monde n’en a jamais connue ».

Je connais les tueurs. Je les ai rencontrés dans les denses canopées de la guerre au Salvador et au Nicaragua. C’est là que j’ai entendu pour la première fois le craquement unique et aigu de la balle d’un sniper. Distinct. Sinistre. Un son qui sème la terreur. Les unités de l’armée avec lesquelles j’ai voyagé, furieuses de la précision meurtrière des tireurs d’élite rebelles, installaient de lourdes mitrailleuses de calibre 50 et pulvérisaient le feuillage au-dessus de leur tête jusqu’à ce qu’un corps, une pulpe sanguinolente et mutilée, tombe au sol.

Je les ai vus à l’œuvre à Bassorah, en Irak, et bien sûr à Gaza, où un après-midi d’automne, à la jonction de Netzarim, un tireur d’élite israélien a abattu un jeune homme à quelques mètres de moi. Nous avons porté son corps boiteux jusqu’à la route.

J’ai vécu avec eux à Sarajevo pendant la guerre. Ils n’étaient qu’à quelques centaines de mètres, perchés dans des tours qui dominaient la ville. J’ai assisté à leur carnage quotidien. Au crépuscule, j’ai vu un sniper serbe tirer une balle dans l’obscurité sur un vieil homme et sa femme penchés sur leur minuscule potager. Le sniper a raté sa cible. Elle a couru, à pas comptés, pour se mettre à l’abri. Il ne l’a pas fait. Le tireur d’élite a tiré à nouveau. Je reconnais que la lumière faiblissait. Il était difficile de voir. Puis, la troisième fois, le sniper l’a tué. C’est l’un de ces souvenirs de guerre que je revois encore et encore dans ma tête et dont je n’aime pas parler. Je l’ai regardé de l’arrière de l’Holiday Inn, mais maintenant je l’ai vu, ou ses ombres, des centaines de fois.

Ces tueurs m’ont pris pour cible, moi aussi. Ils ont frappé des collègues et des amis. J’étais dans leur ligne de mire, voyageant du nord de l’Albanie au Kosovo avec 600 combattants de l’Armée de libération du Kosovo, chaque insurgé portant un AK-47 supplémentaire à remettre à un camarade. Trois coups de feu. Ce craquement net, trop familier. Le tireur d’élite devait être loin. Ou peut-être que le sniper était un mauvais tireur, même si les balles étaient proches. Je me suis précipité pour me mettre à l’abri derrière un rocher. Mes deux gardes du corps se sont penchés sur moi, haletants, les pochettes vertes attachées à leurs poitrines remplies de grenades.

Je sais comment parlent les tueurs. L’humour noir. Ils disent des enfants palestiniens qu’ils sont des « terroristes de la taille d’une pinte ». Ils sont fiers de leurs compétences. Cela leur donne du cachet. Ils bercent leur arme comme si elle était le prolongement de leur corps. Ils admirent son ignoble beauté. C’est ce qu’ils sont. Leur identité. Des tueurs.

Dans la culture hypermasculine d’Israël et de notre propre fascisme émergent, les tueurs, loués comme des exemples de patriotisme, sont respectés, récompensés, promus. Ils sont insensibles à la souffrance qu’ils infligent. Peut-être y prennent-ils plaisir. Peut-être pensent-ils qu’ils se protègent, qu’ils protègent leur identité, leurs camarades, leur nation. Peut-être croient-ils que le meurtre est un mal nécessaire, un moyen de s’assurer que les Palestiniens meurent avant qu’ils ne puissent frapper. Peut-être ont-ils abandonné leur moralité à l’obéissance aveugle de l’armée, se sont-ils fondus dans la machinerie industrielle de la mort. Peut-être ont-ils peur de mourir. Peut-être veulent-ils se prouver à eux-mêmes et aux autres qu’ils sont durs, qu’ils peuvent tuer. Peut-être que leur esprit est tellement déformé qu’ils croient que tuer est une bonne chose.

Comme tous les tueurs, ils sont enivrés par le pouvoir divin de révoquer la charte de vie d’une autre personne sur cette terre. Ils se délectent de l’intimité de la chose. Ils voient dans les moindres détails à travers le télescope, le nez et la bouche de leurs victimes. Le triangle de la mort. Ils retiennent leur souffle. Ils appuient lentement, doucement sur la gâchette. Et puis le souffle rose. La moelle épinière sectionnée. C’est fini.

Ils sont engourdis et ont froid. Mais cela ne dure pas. J’ai couvert la guerre pendant longtemps. Je connais, même s’ils l’ignorent, le prochain chapitre de leur vie. Je sais ce qui se passe lorsqu’ils quittent l’étreinte de l’armée, lorsqu’ils ne sont plus un rouage dans ces usines de la mort. Je connais l’enfer dans lequel ils entrent.

Cela commence comme ça. Toutes les compétences qu’ils ont acquises en tant que tueur à l’extérieur sont inutiles. Peut-être qu’ils y retournent. Peut-être qu’ils deviennent des tueurs à gages. Mais cela ne fait que retarder l’inévitable. Ils peuvent fuir, pendant un certain temps, mais ils ne peuvent pas fuir éternellement. Il y aura des comptes à rendre. Et c’est de ce bilan dont je vais vous parler.

Ils devront faire un choix. Vivre le reste de leur vie, rabougris, engourdis, coupés d’eux-mêmes, coupés de ceux qui les entourent. Descendre dans un brouillard psychopathique, pris au piège des mensonges absurdes et interdépendants qui justifient les meurtres de masse. Il y a des tueurs qui, des années plus tard, se disent fiers de leur œuvre, qui ne regrettent rien. Mais je n’ai pas pénétré dans leurs cauchemars. Si c’est la voie qu’ils empruntent, ils ne vivront plus jamais vraiment.

Bien sûr, ils ne parlent pas de ce qu’ils ont fait à leur entourage, et certainement pas à leur famille. Ils sont fêtés comme des héros. Mais ils savent, même s’ils ne le disent pas, que c’est un mensonge. En général, l’engourdissement disparaît. Ils se regardent dans la glace et, s’il leur reste une once de conscience, leur reflet vous dérange. Ils refoulent leur amertume. Ils s’enfuient dans le terrier des opioïdes et, comme mon oncle, qui a combattu dans le Pacifique Sud pendant la Seconde Guerre mondiale, de l’alcool. Leurs relations intimes, parce qu’ils ne peuvent pas ressentir, parce qu’ils enfouissent leur haine de soi, se désintègrent. Cette fuite fonctionne. Pendant un certain temps. Mais ensuite, ils sombrent dans une telle obscurité que les stimulants utilisés pour atténuer la douleur commencent à les détruire. Et c’est peut-être ainsi qu’ils meurent. J’en ai connu beaucoup qui sont morts ainsi. Et j’ai connu ceux qui y ont mis fin rapidement. Une balle dans la tête.

J’ai des traumatismes de guerre. Mais le pire traumatisme, je ne l’ai pas. Le pire traumatisme de la guerre n’est pas ce que vous avez vu. Ce n’est pas ce que vous avez vécu. Le pire traumatisme, c’est ce que vous avez fait. Il y a des noms pour cela. Blessure morale. Stress traumatique induit par l’agresseur. Mais cela semble bien tiède au regard des braises brûlantes de la rage, des terreurs nocturnes, du désespoir. Les personnes qui les entourent savent que quelque chose ne va vraiment pas. Ils craignent ces ténèbres. Mais ils ne laissent pas les autres entrer dans leur labyrinthe de douleur.

Et puis, un jour, ils tendent la main vers l’amour. L’amour est le contraire de la guerre. La guerre, c’est la mort. La guerre, c’est la mort. Il s’agit de transformer d’autres êtres humains en objets, peut-être en objets sexuels, mais je le dis aussi littéralement, car la guerre transforme les gens en cadavres. Les cadavres sont les produits finis de la guerre, ce qui sort de sa chaîne de montage. Ils veulent donc l’amour, mais la mort a conclu un marché faustien. Voici ce qu’il en est. C’est l’enfer de ne pas pouvoir aimer. Ils portent cette mort en eux pour le reste de leur vie. Elle ronge leur âme. Oui. Nous avons des âmes. Ils ont vendu la leur. Le prix à payer est très, très élevé. Cela signifie que ce qu’ils veulent, ce dont ils ont le plus désespérément besoin dans la vie, ils ne peuvent pas l’obtenir.

Ils passent des jours à vouloir pleurer sans savoir pourquoi. Ils sont rongés par la culpabilité. Ils croient qu’à cause de ce qu’ils ont fait, la vie d’un fils, d’une fille ou d’une personne qu’ils aiment est en danger. C’est le châtiment divin. Ils se disent que c’est absurde, mais ils y croient quand même. Ils commencent à faire de petites offrandes de bonté aux autres, comme si ces offrandes allaient apaiser un dieu vengeur, comme si ces offrandes allaient sauver quelqu’un qu’ils aiment du mal, de la mort. Mais rien n’efface la tache du meurtre.

Ils sont submergés par le chagrin. De regrets. De honte. Le chagrin. Désespoir. d’aliénation. Ils sont confrontés à une crise existentielle. Ils savent que toutes les valeurs qu’on leur a enseignées à l’école, au culte, à la maison, ne sont pas celles qu’ils ont défendues. Ils se détestent. Ils ne le disent pas à haute voix.

Tirer sur des personnes désarmées n’est pas de la bravoure. Ce n’est pas du courage. Ce n’est même pas la guerre. C’est un crime. C’est un meurtre. Et Israël gère un centre de tir à ciel ouvert à Gaza et en Cisjordanie, comme nous l’avons fait en Irak et en Afghanistan. Impunité totale. Le meurtre comme sport.

Il est épuisant d’essayer de repousser ces démons. Peut-être y parviendront-ils. Ils redeviendront des êtres humains. Mais cela signifiera une vie de contrition. Il faudra rendre les crimes publics. Ils devront implorer le pardon. Il faudra se pardonner à soi-même. C’est très difficile. Il faudra orienter tous les aspects de leur vie de manière à nourrir la vie plutôt que de l’éteindre. C’est le seul espoir de salut. S’ils ne l’acceptent pas, ils sont damnés.

Nous devons voir clair dans le chauvinisme vide de ceux qui utilisent les mots abstraits de gloire, d’honneur et de patriotisme pour masquer les cris des blessés, les tueries insensées, les profits de guerre et le chagrin qui frappe les poitrines. Nous devons faire la lumière sur les mensonges que les vainqueurs ne reconnaissent souvent pas, sur les mensonges dissimulés dans de majestueux monuments aux morts et dans des récits de guerre mythiques, remplis d’histoires de courage et de camaraderie. Nous devons faire la lumière sur les mensonges qui imprègnent les mémoires épais et suffisants d’hommes d’État amoraux qui font la guerre mais ne la connaissent pas. La guerre est une nécrophilie. La guerre est un état de péché presque pur avec ses objectifs de haine et de destruction. La guerre favorise l’aliénation, conduit inévitablement au nihilisme et constitue un détournement du caractère sacré et de la préservation de la vie. Tous les autres récits sur la guerre sont trop facilement la proie de l’attrait et de la séduction de la violence, ainsi que de l’attrait du pouvoir divin qui accompagne l’autorisation de tuer en toute impunité.

La vérité sur la guerre est révélée, mais généralement trop tard. Les faiseurs de guerre nous assurent que ces histoires n’ont aucun rapport avec la glorieuse entreprise violente que la nation est sur le point d’inaugurer. Et nous préférons ne pas regarder, car nous nous délectons du mythe de la guerre et de son sens de l’autonomie.

Nous devons trouver le courage de nommer notre obscurité et de nous repentir. Cet aveuglement volontaire et cette amnésie historique, ce refus de rendre des comptes à l’État de droit, cette croyance que nous avons le droit d’utiliser la violence industrielle pour imposer notre volonté marquent, je le crains, le début, et non la fin, des campagnes de massacres de masse menées par le Nord global contre les légions de plus en plus nombreuses de pauvres et de personnes vulnérables dans le monde. C’est la malédiction de Caïn. Et c’est une malédiction que nous devons éliminer avant que le génocide de Gaza ne devienne non pas une anomalie mais la norme.

Traduction : deepl

Bruxelles ressemble à une zone de guerre.


Bruxelles ressemble à une zone de guerre. Gaza est une zone de guerre.

Quand j’ai vu les images à Anderlecht, je me suis dit : « Ce n’est pas possible ! » Des kalachnikovs en pleine rue à Bruxelles ? Les auteurs ont tiré des coups de feu avant de s’enfuir dans le métro. Quand j’ai entendu la jeune porte-parole de la police à la radio dire : « Une chasse à l’homme est en cours, mais les auteurs sont introuvables », je me suis demandé : « Ils ne l’avaient pas vu venir ? »

Maintenant, je suis curieux de voir ce qui va suivre, tu vois.
Par pure coïncidence, dans la déclaration du gouvernement d’il y a quelques jours, il est précisé que l’État veut investir davantage dans encore plus de caméras, la reconnaissance faciale et l’IA pour traquer les criminels. Et voilà que cela arrive hier. Deux jours de suite, en plus.
Alors, moi, j’ai des automatismes qui se déclenchent. La police n’a aucune idée de qui sont ces jeunes et n’arrive pas à les attraper. Où étaient-ils ? Derrière leurs radars ? Et la sûreté de l’État, elle fait quoi au juste ? Elle traque les fake news ?

Les amendes de circulation et les sanctions administratives arrivent sans problème dans ta boîte aux lettres, mais les vrais criminels, eux, s’échappent toujours comme par miracle ? Allez, soyons sérieux. Ça arrive un peu trop souvent ces dernières années.

Évidemment, cela tombe bien pour le nouveau gouvernement. Plus aucun parlementaire n’osera poser de questions critiques sur toutes ces caméras, les logiciels de reconnaissance faciale et l’IA, ou encore sur la violation de la vie privée des citoyens. Et la population, effrayée, entendra à la télé que tout cela est pour notre sécurité. Pur B.S., si tu veux mon avis.

Une comparaison ? Trump annonce tranquillement que la bande de Gaza a le potentiel de devenir la nouvelle « Riviera du Moyen-Orient ». Par pure coïncidence, encore une fois, le 7 octobre 2023, le Hamas a eu un « laissez-passer » pour traverser et franchir le mur le plus sécurisé du monde afin de commettre un attentat terroriste. Je n’ai pas tous les détails, et ce qui s’est passé est horrible, mais ça arrange bien Israël et les États-Unis de d’abord raser Gaza, puis de préparer des plans pour son avenir, non ? Détail croustillant : cet avenir se fera sans Palestiniens.

Si tu te demandes où est la comparaison, eh bien, les deux scénarios se ressemblent. Problème – Réaction – Solution. Crée un problème, le peuple réclame une réaction, le gouvernement arrive avec la solution.
Rien n’est jamais ce qu’il semble être dans ce monde. Il y a toujours un niveau plus profond derrière tout ce qu’on te montre et tout ce que tu entends.

Mon message : wait and see. Je pense que Bruxelles va vite devenir un test grandeur nature pour plus de caméras, d’IA et de reconnaissance faciale.
Et le reste de la Flandre suivra rapidement.
Quant aux chaises longues pour Gaza ? Elles sont probablement déjà prêtes aussi.

Source : Quelqu’un sur FB en néerlandais

Silence des littérateurs flamands


Kris Kaerts sur Facebook*

AVERTISSEMENT : En ce qui concerne les auteurs cités ci-dessous, je ne porte absolument aucun jugement sur la qualité de leur travail. La plupart d’entre eux sont des professionnels. Je n’ai jamais rien lu de certains d’entre eux.

Mais il me faut quand même dire quelque chose à propos de nos écrivains professionnels.

À l’heure où j’écris ces lignes, nous avons dépassé les 450 jours de nettoyage ethnique à Gaza. Nous savons ce qui s’y passe. Ou nous pourrions le savoir, bien qu’Israël interdise à tous les journalistes d’accéder à la bande de Gaza et diffuse de préférence ses propres communications. Les rares reporters admis sont « escortés ». Des « Embedded journalists », comme on dit si joliment en anglais. J’ai une admiration absolue pour les journalistes palestiniens sur le terrain et ceux qui combattent le colonisateur avec leurs smartphones. Ils documentent l’extermination de leur propre peuple dans les conditions les plus brutales et, malheureusement, ils perdent aussi la vie dans des proportions hallucinantes.

Cette guerre défie toute imagination et en même temps, fait tomber pas mal de masques. Ce n’est pas parce qu’un accord a été conclu avant-hier entre Israël et le Hamas sur exactement le même texte qui existait déjà il y a huit mois que nous pouvons penser que l’affaire est réglée. Elle se reproduira tant que l’injustice fondamentale faite aux Palestiniens, vieille de 100 ans, ne sera pas réglée.

À l’heure où j’écris ces lignes, alors que les organisations humanitaires se demandent comment elles vont pouvoir venir en aide au peuple palestinien, l’IDF continue de bombarder et de tuer des dizaines de personnes par jour. Quel autre pays au monde en serait capable ? N’oublions pas non plus que l’agence d’aide la plus importante et la plus dévouée – l’UNRWA – a été déclarée hors-la-loi par le parlement israélien.

La question qui s’impose à moi et qui me fait piquer une autre colère – car je devine déjà   la réponse, est la suivante : comment se fait-il que nos auteurs professionnels et surtout ceux que je rencontre presque tous les jours sur FB pour se promouvoir ou promouvoir leur propre travail – comment se fait-il que ces messieurs (c’est ce qu’ils sont généralement de toute façon) n’osent pas poster une seule phrase, pas même le début d’une opinion, ou exprimer leurs sentiments sur le conflit le plus dégoûtant, le propagateur de dissension le plus puant de ces cent dernières années qui se répand comme un cancer menaçant le monde entier ? Comment cela est-il possible ?

Si les écrivains ne peuvent pas écrire sur ce sujet, nous devons oser les mettre dans le collimateur, quels que soient leurs mérites littéraires ou artistiques. Par nécessité, je me limite ici au domaine littéraire néerlandophone.

Je commencerai par Herman Brusselmans. L’affaire Brusselmans aurait dû, à elle seule, inciter l’ensemble de la corporation des écrivains à se lever comme un seul homme ou une seule femme pour défendre leur frère écrivain. Ne serait-ce que dans leur propre intérêt, car après Brusselmans, ce pourrait être leur tour. Car dans la pratique, pas un seul auteur néerlandophone n’a été capable de s’exprimer publiquement pour aider à faire pression sur nos politiciens et rejoindre une société civile pourtant très active. N’ont-ils pas étudié dans les universités où tant d’actions ont été menées ?

Brusselmans a été injustement pris à partie et tout le monde le sait. Personnellement, je n’en suis pas fan. Je déteste son style, ses poses éculées, ses apparitions télévisées léthargiques, ses sujets futiles et sa misogynie. Mais je sais une chose : il n’est pas antisémite. Il aurait fallu l’indiquer. L’expliquer. Le réfuter.

Brusselmans, dans toute sa misérable clownerie, ne peut être assimilé aux carnavaliers d’Alost qui, il y a quelques années, ont cru devoir se moquer des Juifs en les représentant avec des nez crochus.

La guilde des écrivains aurait dû le protéger en tant que petit frère attardé souffrant un peu du syndrome de la Tourette. Quelque chose comme ça. Elle aurait dû agir comme le gardien de son frère. Rien de tout cela.

Je n’ai entendu qu’un silence assourdissant. À une exception près : Arnon Grunberg, qui s’est exprimé comme « un bon garçon de Tel-Aviv », comme l’aurait dit Gideon Levy. Grunberg, j’apprécie son travail et c’est un professionnel. Mais depuis l’affaire Brusselmans, nous savons que c’est un sioniste pur sang. Je ne peux qu’apprécier et regretter les éclaircissements qu’il nous a fournis.

Stefan Hertmans est un auteur flamand à succès qui m’a définitivement dégouté dès les premières semaines où l’enfer s’est déchaîné à Gaza. Je le vois encore assis dans le Zevende Dag le jour de l’Armistice en 2023, en train de parler de la paix. Mais parler de la question palestinienne ? Non, l’auteur du best-seller très traduit « Guerre et térébenthine» n’a pas pu le faire. Pour lui, la situation est « trop complexe ».

Entre-temps, le globe a tourné plus de 450 fois autour de son axe et Hertmans se retrouve avec un nouveau best-seller, un certain nombre de traductions et quelques lauriers. Par exemple, il a récemment annoncé sur FB qu’il avait été invité à rejoindre la Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung (Académie allemande pour la langue et la littérature).

« Cela rend humble de voir son nom parmi des grands comme Jean Améry, Hannah Arendt, Hans Georg Gadamer, Elias Canetti, Jürgen Habermas, Thomas Mann, Rüdiger Safranski, W.G. Sebald ou Adam Zagajewski, et tant d’autres grands auteurs ».

Je doute fort de cette humilité. Hertmans est un paon. Je me questionne également sur toutes les actions nécessaires en coulisses pour obtenir une telle « invitation ». Son annonce sur FB a été immédiatement reprise par VRTnws et c’est probablement ce que l’auteur recherchait, malgré son humilité feinte.

L’Allemagne a une réserve de lecteurs dix fois plus importante. Les Pays-Bas, mais surtout le monde anglo-saxon, ne sont évidemment pas des biotopes où l’on aimerait être signalé comme critique d’Israël. Cela pourrait vous causer quelques ennuis, comme ce qui est arrivé à ce pauvre Brusselmans sur la base d’un seul article. Mais alors en bien pire. C’est pour cela et pour rien d’autre, que Hertmans se tait de façon pitoyable sur ce sujet et continue sa pêche quotidienne aux compliments sur ce média. Et malheureusement, il n’est pas seul.

Récemment, une sorte de « duel littéraire » entre les écrivains Rob Van Essen et Ilja Leonard Pfeijffer a attiré mon attention.

Van Essen avait osé attaquer le monumental Ilja Leonard Pfeijffer dans un « sermon littéraire » (qui s’est déroulé dans une église de Nimègue). Je ne sais pas comment cela s’est passé, car je n’ai pu lire le récit de cet iconoclasme que dans la réponse de Pfeijffer lui-même. Du haut de la chaire de Nimègue, Van Essen aurait affirmé que la littérature était morte. Il prétendait en être la preuve, puisqu’il avait assisté aux funérailles. Et ces funérailles n’étaient ni plus ni moins que la présentation du roman de Pfeijffer « Alcibiades » à Anvers, une ville qui peut se vanter de ses iconoclasmes. Dans « Alcibiade », l’histoire ancienne montre comment la démocratie peut s’effondrer. Oh actualité !

Ce que Van Essen a affirmé dans son sermon reviendrait en fait à dire que si un écrivain veut parler de l’actualité, de la société et de la politique, il doit écrire un essai, mais pas un roman, s’il vous plaît.

“Il me reproche que mon roman historique soit d’actualité, social et politique. Il trouve cela inexcusable », écrit M. Pfeijffer dans sa réfutation.

S’agit-il d’une discussion nouvelle? Je crains que non. S’agit-il d’une discussion passionnante ? Je ne le crois pas non plus. Peut-être que ces deux messieurs – certains les soupçonnent – s’étaient mis d’accord entre eux pour croiser le fer, une fois de plus à la manière antique. Pour autant que je sache, le public s’est de toute façon tiré.

Certes, Pfeijffer a eu raison de remettre Van Essen à sa place. Mais lui aussi joue la carte de la sécurité en situant le problème quelque part dans un passé lointain. Une astuce familière dont tant de frères de l’art se sont servi dans des périodes périlleuses.

C’est l’heure pour un proverbe.

Que diriez-vous de « Qui dort avec le chien attrape ses puces » ?

Comme nous le savons, la sensationnelle écrivaine Lize Spit forme un couple avec Rob Van Essen. Je ne dis pas cela par sensationnalisme. Van Essen figure avec régularité dans sa chronique hebdomadaire dans De Morgen. Spit est également très active sur FB. Il y a quelques semaines, par exemple, elle a réussi à filmer une concentration de huit rats dans son quartier bruxellois. Ce reportage a également été diffusé sur VRTnws. Comme on le sait, des rats bruns se trouvent presque tous les jours dans le studio de télévision. Je soupçonne donc que cette fois-ci, c’est le nombre qui a attiré l’attention. Huit rats ! Mais ne sont-ils pas déjà nombreux au conseil d’administration de la VRT, cette chaîne autrefois « de gauche » ? Je soupçonne que la prochaine nouvelle concernant le couple d’écrivains pourrait bien être un déménagement hors de la maudite Bruxelles.

Lize Spit rejoint également les rangs des écrivains qui n’ont pas d’opinion sur Israël. Peut-on dire qu’il s’agit d’une manœuvre calculée ? Une collaboration passive sur les traces de l’humble Hertmans ? Son œuvre est traduite avec empressement – et à juste titre – dans des pays qui, en fin de compte, s’abstiennent ou votent contre les résolutions de l’ONU sur les violations du droit humanitaire et du droit de la guerre par Israël. Des résolutions qui sont massivement soutenues par le reste du monde et qui font d’Israël un État paria.

Il est de notoriété publique que David Van Reybrouck entreprend depuis un certain temps un long voyage(en bateau) vers l’Afrique. Plus d’une fois, Van Reybrouck s’est engagé pour le climat, pour le G1000, contre l’extrême droite, … pourquoi pas finalement ? Pourtant, je ne crois pas me souvenir qu’il ait écrit sur les péchés d’Israël au cours des 450 derniers jours. Encore une fois : pourquoi (pas) ?

J’ai pensé à lui récemment en lisant un long article de Martin Sijes sur le site d’information de la BNNVARA. Excusez-moi, qui est Martin Sijes ? C’est, selon l’internet, un sociologue de 73 ans qui a travaillé dans les services de santé mentale et de toxicomanie. Il alterne ses séjours entre les Pays-Bas et l’Israël. Apparemment, cela lui permet également d’être autorisé à rédiger de longs articles sur le site d’information du VARA. Il s’agit d’articles d’opinion visant à corriger les malentendus entourant le génocide à Gaza. Il ne s’agit pas du tout de massacre, selon l’auteur. L’article a été écrit au printemps 2024. La Cour Internationale de Justice de La Haye vient de rendre un arrêt : l’État d’Israël doit prendre des mesures provisoires pour empêcher un génocide à Gaza. Ce qui n’a manifestement pas été fait. Cfr. d’autres condamnations et un mandat d’arrêt international contre Netanyahou.

Sijes joue la carte habituelle de la propagande. Selon lui, l’IDF fait tout son possible pour agir correctement. Ce genre d’interprétation est ce qu’on appelle en Israël du « hasbara ». Dans son article, il établit également un parallèle avec le comportement des Pays-Bas à l’époque coloniale, notant qu’à l’époque de l’indépendance de l’Indonésie, les Pays-Bas ont probablement fait beaucoup plus de victimes civiles qu’Israël à Gaza grâce à la « stratégie de précision » de l’IDF. Une comparaison pour foncer droit dans le mur, bien sûr. Ce qui m’a frappé, c’est que ce faisant, il ne tarit pas d’éloges sur Van Reybrouck. Il y consacre un aparté dans son article que je cite ici.

 “{Les critiques néerlandais de l’action israélienne feraient bien de se rappeler comment les Pays-Bas eux-mêmes ont agi pendant la guerre contre une armée de guérilla en Indonésie. Dans son livre phénoménal « REVOLUSI. Indonesia and the Creation of the Modern World » (De Bezige Bij 2022, pp 470, 471), David van Reybrouck indique qu’en 1947 et 1949, les “actions de la police” ont fait respectivement 19 000 et 59 000 morts. Il ajoute qu’il est tout à fait possible que la majorité des personnes tuées aient été des civils et que davantage de personnes soient mortes de crimes de guerre que d’opérations de combat régulières. L’estimation maximale du nombre de morts dans l’ensemble du conflit est de 200 000} ».

Cet argument doit être bien sûr complètement invalidé. Les méfaits coloniaux des Pays-Bas sont tout à fait répréhensibles. Mais il s’agit d’une comparaison déplacée. Il suffit de comparer la superficie de l’Indonésie à celle de Gaza. Comparez le nombre de bombes larguées sur Gaza, qui dépasse de loin la somme des tonnes d’explosifs larguées sur Dresde, Berlin, Pearl Harbour et Hiroshima. Et il y a tant d’autres comparaisons.

En fait, le seul point positif de cette mise en parallèle est que l’auteur reconnaît – involontairement mais logiquement – qu’Israël se trouve bel et bien dans le camp colonial. Un État colonial d’apartheid avec la mentalité raciste qui l’accompagne. Bien entendu, Sijes ne tient pas compte de ces éléments. Il se sent bien en Israël.

Mais pourquoi ce long éloge de Van Reybrouck dans ce document ? Et pourquoi Van Reybrouck lui-même n’y a-t-il jamais réagi ? Cet article a certainement dû être porté à son attention.

J’ai pensé alors à la popularité de REVOLUSI aux Pays-Bas et au fait qu’il est devenu populaire grâce aux Pays-Bas. Ces mêmes Pays-Bas qui ont contribué à créer l’image d’un pogrom juif à la suite du match de football du Maccabi et des émeutes qui s’en sont suivies.

Il se pourrait donc bien que l’auteur ait également décidé de garder un silence pudique dans cette affaire et de prendre quelques mois de repos. Après tout, il se passe bien d’autres choses dans ce monde que Gaza, n’est-ce pas ? Nous parlerons de Gaza plus tard. Quand ? Pour faire intervenir Shakespeare un instant : « Quand le tumulte sera terminé. Quand la bataille est perdue et gagnée ».

Il est intéressant de s’intéresser à la littérature. Étudier ce que les écrivains écrivent. Il est également intéressant d’étudier ce sur quoi ils n’écrivent PAS et de se demander pourquoi. REVOLUSI est un livre très apprécié et abondamment traduit. L’auteur israélien Yuval Harari recommande sa lecture dans la traduction anglaise : « Un exploit stupéfiant de recherche et de narration. L’histoire dans toute sa splendeur ». Oseriez-vous contredire un homme de son calibre ?

Permettez-moi d’en citer encore un pour en terminer. Autant mon respect est grand pour des livres comme « Wildevrouw » et « WIL » de Jeroen Olyslaegers, autant mon respect est petit pour les chroniques de cet homme et ses posts coquets sur FB. J’ai le sentiment désagréable qu’elles masquent des « Confessions d’un masque » à la Yukio Mishima… Tout comme Lize Spit à tort et à travers nous tartine avec son héros en pantoufles RvE, le fossoyeur théâtral 2.0 de la littérature engagée, Olyslaegers fait sa propre publicité et celle de la Nymphe quotidiennement sur FB et dans ses chroniques (également dans l’ex-journal de qualité De Morgen). Et pour son emploi artificiel de la deuxième personne. Il aime se faire traiter de satyre, semble se battre avec des démons, médite sur eux, aime jeter des fleurs à ses collègues artistes, qui reviennent bien sûr se poser, comme une couronne flower-power sur sa tête, s’extasie d’une fascination proche de la folie ésotérique sur l’art religieux, mais aussi sur le tarot et toutes sortes de bizarreries plus ou moins chamanique. Chaque jour, il découvre un nouveau détail sous un vieil éclat de peinture d’un tableau de maître ancien, sur lequel il médite d’abord, verse quelques verres d’alcool sur le distillat de cerveau qui dégouline, exécute une courte danse d’accouplement avec la Nymphe et toutes sortes d’autres petits rituels. Il en résulte des articles de contemplation concentrée assez épuisants, qui se terminent invariablement par l’exclamation « JAMES ! »

Cependant, contrairement à « la Nymphe » qui est récemment devenue un personnage très public grâce à son mari, James reste un personnage pâle et exsangue qui me fait parfois penser au narrateur décadent de « A Rebours » de J-K Huysmans. Peut-être James est-il le nom du masque de satyre que le vrai Olyslaegers doit garder sous contrôle alors que des portions de Gaza s’insinuent dans son monde par le biais de crevasses et de fissures. Je ne peux pas imaginer que Jeroen Olyslaegers n’ait pas d’idées, de caprices ou même de vomissements littéraires sur Gaza. La raison pour laquelle il reste silencieux réside probablement dans l’angoisse du writersblo©k déjà mentionnée plus haut. Et probablement aussi au fait que son fils adoptif fait son service militaire dans l’armée israélienne. Je n’ai pas eu besoin de faire du journalisme d’investigation de bas étage pour cela. La Nymphe elle-même l’a dit en larmes à la Radio Nationale Flamande dans le confessionnal de Friedl Lesage.

Par rapport à tout cela, ayons quand même un regard de compassion et d’empathie

Pour la plupart des artistes, en être un est une lutte de plusieurs décennies pour avoir la reconnaissance. C’est bien connu. Nombreux sont ceux qui n’ont pas pu en profiter de leur vivant. Un jour, quelqu’un s’est coupé une oreille pour ça. Les drogues et les armes à feu ont fait leur œuvre. La folie, le spleen et la dépression ont envahi de nombreux lits de mort prématurée. Les dieux de l’art ont exigé de nombreux sacrifices et fait de nombreux martyrs. Parmi ceux qui jouissent de la reconnaissance de leur vivant, il y en a peut-être un paquet qui sera rapidement oublié à titre posthume. C’est ce que je pense. Dans cette lutte pour la survie, il faut donc développer son courage et son savoir (sur)vivre. Être prêt à faire des compromis. Facebookfähig. Ne pas provoquer inutilement et assumer– dixit un directeur artistique récemment déchu – de « laisser libre cours à la pute qui est en vous ». Sinon, vous risquez de vous retrouver sur une liste d’attente interminable dans cette vallée de larmes, n’est-ce pas ? Tout le monde ne peut pas être Roger Waters. C’est dommage. Tout le monde n’a pas la volonté de Ramsey Nasr ou de Fatena Al Ghorra. Qui, bien sûr, sont parties prenantes. Mais les collègues ne peuvent-ils pas les soutenir eux aussi ? Pouvons-nous vraiment être en dehors ou au-dessus de ce conflit ? Ne sommes-nous donc pas aussi partie prenante ? Désespérant.

Chaque écrivain(e) néerlandophone doit avant tout penser à la Flandre et surtout aux Pays-Bas, avant que le rêve de traductions ne devienne réalité. C’est la réalité. C’est là que les livres doivent être vendus en premier lieu. Je sais que Tom Lanoye a été courageux en appelant au boycott de la participation d’Israël au concours Eurovision de la chanson. Il n’est pas allé beaucoup plus loin. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?

Tout le monde sait qu’il n’est pas simple de vendre des livres et que tout boycott personnel ou toute expression de critique est une agression contre la constitution d’un trésor de guerre. Contre l’opportunité des traductions internationales. Par ailleurs, on voit bien comment se manifeste le lobby pro-israélien. C’est aussi simple que cela. Par amour du pognon l’auteur ferme sa gueule. Peut-être cela inclut-il des menaces subtiles et moins subtiles ? Ne soyons pas naïfs.

Ceux qui savent si bien manier les mots, dont l’arme puissante est la plume, ont détourné le regard pendant plus d’un an, attirant notre attention sur un rat dans une gare, un arbre particulier dans un jardin ou une œuvre d’art intemporelle et canonisée. Il faut le faire.

Comment l’artiste se débarrasse-t-il de son art ? C’est une affirmation que j’ai apprise il y a longtemps sur une scène. Elle sortait de la bouche de Freek De Jonge. Pas vraiment un artiste qui a mal tourné. Et encore une fois, ce n’est pas un artiste qui s’est bougé le cul pour Gaza au cours de l’année passée. Le programme de cabaret « Bloed aan de Paal » qui, à l’époque, appelait au boycott de la Coupe du monde dans une Argentine où la junte militaire se surpassait, n’est plus que l’ombre d’un lointain passé. Quoi qu’il en soit, Freek est vieux et dépassé. Il est également marié à la fille d’un survivant de l’Holocauste et fils de pasteur un jour, fils de pasteur toujours.

Comment l’artiste se débarrasse-t-il de son art ?

C’était l’auto-examen moralisateur trop entendu de Freek sur scène à propos de la position de l’artiste dépendant des subventions et des ventes de billets.

Le dramaturge flamand-tunisien Chokri Ben Chikah, que j’ai beaucoup apprécié, a commencé avant que le Hamas ne frappe le 7 octobre 2023, à travailler sur son nouveau projet théâtral « Les Perses ». Je ne sais pas si ce titre et cette inspiration étaient fixés dès le départ. Ce que l’on sait, c’est qu’il voulait faire une pièce sur Israël/Palestine. Au cours du processus de création, l’enfer s’est déchaîné et, bien sûr, tout a changé.

Ben Chikah se regarde dans un miroir dans la représentation de la pièce « Les Perses » d’Eschyle, qui était lui-même un vétéran de la guerre (du côté grec) au cours de laquelle les Grecs ont conquis et humilié les Perses. La notion d’empathie a été le leitmotiv de la création de ce spectacle. Le spectacle a été réalisé avec des acteurs/danseurs/musiciens/équipes palestiniens et israéliens. Bien entendu, le nouveau « développement » a été une aubaine pour le metteur en scène. Cela a tout rendu plus signifiant. Mais en cours de route, d’autres questions sont entrées en jeu : la possibilité de programmation (= rentabilité) de ce spectacle !

Dans un article intéressant du dramaturge Erwin Jans pour le Theaterkrant (dont j’ai tiré l’info ci-dessus), certaines informations sont fournies sur les chemins empruntés par le spectacle au cours du processus de création. Pour désamorcer les problèmes, le choix a été fait de situer « Les Perses » non pas dans le passé, mais dans le futur ! Ceux qui savent lire entre les lignes sentent également que Jans a écrit son article comme une apologie du metteur en scène et comme coup de pouce pour qu’il soit commercialisable. Chokri Ben Chikah, l’homme de théâtre qui a étudié l’histoire et obtenu un doctorat en arts, a fait de sa recherche de la vérité sa marque de fabrique. Dans ce spectacle, il s’interroge également sur lui-même. Compte tenu des longs bras du camp pro-israélien, je m’attends à ce que les représentations qui auront lieu à la fin du mois à Amsterdam et le 12 mars à Rotterdam fassent sensation. J’en serais d’ailleurs ravi. Peut-être que « Les Perses » vont aussi briser le syndrome de la page blanche ? L’art peut (aussi) avoir ce pouvoir.

*Traduction revue par l’auteur

En Terre Sainte, in memoriam



Michael Moore

26 décembre, 2024

Il y a tant d’émotions aujourd’hui — amour, famille, communauté, gentillesse, etc. J’espère que vous allez tous bien et que vous êtes bien où vous êtes. Mes meilleurs vœux pour l’année qui s’annonce.

Je ne voulais pas non plus laisser cette journée s’achever sans me rappeler ce qui s’est passé l’année dernière à Noël. Nahida Khalil Anton, une Palestinienne catholique de 70 ans, mère de sept enfants et grand-mère de vingt petits-enfants, ainsi que sa fille de 50 ans, Samar Kamal Anton, ont été exécutées par l’armée israélienne alors qu’elles assistaient à la messe à l’église catholique de la Sainte Famille dans la ville de Gaza. Nahida s’était levée pour aller aux toilettes, situées de l’autre côté de la cour sur le terrain de l’église. Un sniper israélien posté sur un bâtiment voisin l’a suivie à travers son viseur haute puissance alors qu’elle se rendait aux toilettes et a tiré trois balles dans son corps, dont une qui a traversé son abdomen alors qu’elle s’effondrait au sol.

La fille de Nahida, Samar, qui travaillait comme cuisinière pour les sœurs au couvent de Mère Teresa attenant à l’église, a couru vers le corps sans vie de sa mère et a commencé à le traîner pour le mettre en sécurité. Alors qu’elle faisait cela, le sniper a pointé son viseur sur elle, visant directement sa tête avec son puissant fusil d’assaut militaire et l’a assassinée sur-le-champ en lui explosant la tête. Un char israélien dans la rue a tiré trois gros obus sur l’église et le couvent, détruisant une grande partie des bâtiments, et a ensuite tiré et blessé au moins sept autres catholiques, dont le frère de Samar, Edward, qui travaille pour Médecins Sans Frontières. « Ils ont été abattus de sang-froid à l’intérieur des locaux de la paroisse », ont rapporté des témoins, y compris des prêtres, des religieuses et des paroissiens.

Le pape François a condamné les meurtres perpétrés par les forces israéliennes comme un « acte de terrorisme ». Bien sûr, toute l’agression contre la population civile de Gaza n’a été qu’une succession d’actes de terrorisme — nettoyage ethnique, génocide, famine de masse forcée, destruction de presque tous les hôpitaux, écoles et immeubles d’habitation. Tuer des catholiques ? Bien sûr ! À votre avis, qui est le régime qui gouverne — avec le consentement de la population — l’État d’Israël ?

Un an plus tard, je pense qu’il ne faut pas les oublier. Nous devons leur offrir, à leur mémoire et à leurs âmes, notre promesse que non seulement elles ne seront pas oubliées, mais que nous ne renoncerons pas à notre lutte pour leur liberté et celle de leurs familles. Prononcez leurs noms. Placez cette photo d’elles dans un endroit spécial. Et ne faites aucune erreur sur ce que vous et moi finançons. C’est pour notre compte.
Nahida Khalil Anton
Samar Kamal Anton

Je sais que c’est une journée où nous préférerions nous concentrer sur des choses plus joyeuses.

Ou peut-être que le but de ce jour est précisément cela : la paix sur Terre, la bonne volonté envers ceux qui sont opprimés et vivent sous occupation.

Merci à vous tous pour ce que vous faites pour rendre ce monde meilleur.

— Michael Moore

P.S. Il y a un an jour pour jour, le 25 décembre 2023, Netanyahu s’est rendu à Gaza pour féliciter ses troupes de l’armée israélienne d’avoir tué 250 personnes en 24 heures — y compris lors d’attaques sur des camps de réfugiés — déclarant : « Nous ne nous arrêtons pas. »”

Bethléem, Cisjordanie occupée : la crèche de Noël de l’Église luthérienne où ils ont placé la petite statue de l’Enfant Jésus enveloppée dans un keffieh, enterrée parmi de véritables débris provenant de Gaza, Noël 2023.

Une dernière demande à ceux qui soutiennent Netanyahu : le nombre d’innocents assassinés à Gaza et en Cisjordanie approche désormais les 50 000 — dont l’immense, immense majorité sont des bébés, des enfants, des femmes et des personnes âgées. Pouvez-vous, s’il vous plaît, simplement me donner un chiffre pour savoir à quel moment votre soif de vengeance/sang sera étanchée ? Parmi les 1 200 tués par les combattants du Hamas le 7 octobre 2023, combien de civils palestiniens doivent encore être exécutés ? Je sais qu’il doit y avoir un chiffre. 100 000 de plus suffiraient-ils ? Un million ? Donnez-nous juste un chiffre pour que nous sachions quand cela pourra se terminer.

Et combien d’habitants pouvons-nous, nous les Américains, aller tuer ce soir au Guatemala pour venger la mort de cette femme dans le métro de New York la semaine dernière, morte après qu’un migrant guatémaltèque l’a immolée par le feu ? Ne serait-il pas juste que nous larguions une bombe atomique sur le Guatemala pour tous les exterminer ? Je veux du sang ! Je veux du sang de Guatémaltèques qui dégouline de ma bouche ! Justice ! Vengeance ! Encore plus de meurtres ! Oui !!!! Oh, comme cela fait du bien pendant les fêtes !

Photo : Marcus Yam / LA Times

Source

Traduction ChatGPT

Marc Bloch et les enfants de Gaza


En cette période festive dans le reste du monde, à Gaza, chaque jour et chaque nuit, sous des bombardements qui continuent de faire des dizaines de victimes, la terreur obscurcit le visage des enfants palestiniens vivant au milieu des ruines de leur environnement dévasté. Par son indifférence à leur sort tragique et par son déni du droit international, la France, qui honore l’auteur de L’étrange défaite, en trahit les valeurs et les engagements.

Didier Fassin (avatar)

Didier Fassin

Anthropologue et médecin, professeur au Collège de France et à l’Institute for Advanced Study de Princeton.Imprimer

« Il est un de ces tableaux auquel je sens bien que je ne m’habituerai jamais : celui de la terreur sur des visages d’enfants fuyant la chute des bombes, dans un village survolé. Cette vision-là, je prie le ciel de ne jamais me la remettre sous les yeux, dans la réalité, et le moins souvent possible dans mes rêves. Il est atroce que les guerres puissent ne pas épargner l’enfance, non seulement parce qu’elle est l’avenir mais surtout parce que sa tendre faiblesse et son irresponsabilité adressent à notre protection un si confiant appel. »

Ces phrases sont de Marc Bloch dans L’étrange défaite, son essai célébré sur la déroute de l’armée française en 1940. 

Difficile, en lisant ces lignes, de ne pas penser aux enfants de Gaza eux aussi sous les bombes, à ceci près qu’ils n’ont nulle part où fuir, puisque les zones où l’armée israélienne demande à leurs parents de se rassembler sont elles aussi bombardées. Ils sont écrasés sous les décombres des écoles où ils s’abritent, brûlés vifs dans les campements où ils se réfugient, tués dans les hôpitaux où ils sont soignés. Avant de mourir, ils ont connu la terreur dont l’historien prie le ciel qu’il n’ait jamais plus à en revoir les traces sur les visages des enfants. 

Les autres, qui ont, jusqu’à présent, survécu, ont également connue cette terreur, et de manière presque permanente pendant les longs mois de bombardements bien plus intenses que ceux dont avaient l’expérience les petits villageois français. Parmi eux, beaucoup garderont les stigmates physiques de leurs blessures, des amputations sans anesthésie et des privations alimentaires, et la plupart conserveront la trace psychique de cette violence, un traumatisme sans fin, accompagné d’angoissantes reviviscences, de pensées intrusives, de cauchemars répétés, de peurs incontrôlables dans certaines situations et de comportements d’évitement de tout ce qui peut les provoquer, de dépression, d’anxiété et d’impulsivité, tous éléments qui bouleverseront longtemps leur quotidien. Une enquête récente de l’association War Child auprès de 500 familles révèle que 96% des enfants pensent que leur mort est proche et que 49% d’entre eux la souhaitent, proportion qui atteint 72% parmi les garçons. Rendre Gaza invivable a été une formule souvent utilisée dans les sphères politique et militaire israéliennes. Pour ce qui est des enfants palestiniens, c’est bien plus que cela : rendre leur vie même invivable.

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© Photo illustration Justine Vernier / Mediapart via AFP

Du 7 octobre 2023 au 10 décembre 2024, selon les données officielles des Nations unies d’après le ministère de la Santé de Gaza, 13 319 enfants palestiniens sont morts dans ce territoire. Encore ces chiffres sont-ils fortement sous-estimés, et pas seulement du fait de l’existence de milliers de corps ensevelis sous les décombres. Les enquêtes réalisées par l’Institut Watson de l’université Brown après les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont montré que le nombre réel estimé de décès était environ cinq fois supérieur au nombre enregistré au moment du conflit, en raison des morts indirectes dues à la dégradation des conditions de vie, d’hygiène et de soins qui représentent environ le quadruple des morts directes. 

Extrapoler ce ratio aux enfants de Gaza est toutefois insuffisant, car les réalités y sont bien plus mortifères que dans ces autres conflits, en raison de la famine provoquée par le blocus de l’aide humanitaire, des maladies non traitées à cause de la destruction systématique des structures sanitaires et des infections provoquées par l’interruption des programmes de vaccination et la contamination de l’eau potable due à la dévastation des égouts, tous éléments auxquels les plus jeunes sont très vulnérables. À la fin du mois d’octobre 2023, l’Unicef déclarait que Gaza était devenu un cimetière pour des milliers d’enfants et Save the Children affirmait qu’y étaient morts en trois semaines plus qu’en un an dans la totalité des conflits de chacune des années récentes. Depuis, le nombre officiel des jeunes victimes palestiniennes a quadruplé et, sur la base des enquêtes citées, il faudrait le multiplier au moins par vingt.

Mais la terreur dans les yeux des enfants, qu’ils soient morts sous les bombes ou qu’ils aient survécu aux attaques, le public occidental ne l’aura pas vue – ni d’ailleurs entendue être rapportée. Les grands médias audiovisuels lui ont épargné l’épreuve émotionnelle du spectacle de cette souffrance. Ils ont invoqué l’interdiction effectivement faite aux journalistes étrangers de se rendre à Gaza, en ignorant cependant les centaines d’autres qui produisaient au péril de leur vie – 137 ont été tués, plus que dans aucune autre guerre contemporaine – des images et des récits quotidiennement repris par d’autres médias. En fait, comme le suggèrent certains dans les rédactions, les raisons de cet évitement sont plutôt à rechercher dans la volonté de ne pas s’exposer à l’accusation d’antisémitisme en montrant une cruauté que pourtant les soldats n’hésitent pas à exalter dans leurs nombreuses vidéos. Peut-être aussi dévoiler la terreur provoquée par les assassinats de masse, dont une enquête israélienne révélait qu’elle était un effet recherché par les chefs militaires, risquerait de faire entrer cette politique dans le cadre de la définition que la loi française donne du terrorisme. Quoi qu’il en soit, au fil des mois, le sort des habitants de Gaza, déjà peu présent dans les médias, en a presque disparu.

Au moment où le président de la République annonce la prochaine entrée de Marc Bloch au Panthéon, on aurait pu attendre des autorités françaises un peu de l’empathie et du courage de celui auquel elles entendent rendre hommage. Car il n’aurait certainement pas gardé le silence devant ce massacre des innocents. Confronté aux centaines de milliers d’enfants palestiniens tués, mutilés, affamés, traumatisés, privés d’école et de maison, pleurant la mort de leurs parents ou de leurs frères et sœurs, il ne serait certainement pas resté insensible et aurait dit, cette fois encore, le caractère « atroce » de la guerre qui en était responsable. 

Tel n’est cependant pas le choix fait par la diplomatie française. Tandis que les Nations unies ont placé Israël sur sa « liste de la honte » des pays qui ne respectent pas les droits des enfants lors des conflits et que le Premier ministre israélien, qui a par deux fois invoqué l’ennemi biblique Amalek dont les enfants doivent être détruits, fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité, le gouvernement français, déjà discrédité par les maladresses et les palinodies du Président depuis le 7 octobre, refuse d’appliquer la décision de la haute juridiction, arguant d’une immunité jamais invoquée lors de précédents et jugée fallacieuse par la Fédération internationale des droits humains. Et ceci au moment où le parlement israélien vient de voter une loi pour interdire l’accès des Territoires palestiniens à l’unrwa, l’agence des Nations unies en charge des secours et du développement pour ces populations, privant ainsi des centaines de milliers de filles et de garçons de l’assistance humanitaire et des programmes éducatifs dont ils ont un besoin urgent.

En cette période festive dans le reste du monde, à Gaza, chaque jour et chaque nuit, sous des bombardements qui continuent de faire des dizaines de victimes, la terreur obscurcit le visage des enfants palestiniens vivant au milieu des ruines de leur environnement dévasté. Par son indifférence à leur sort tragique et par son déni du droit international, la France, qui honore justement l’auteur de L’étrange défaite, en trahit les valeurs et les engagements.

Didier Fassin est anthropologue et médecin, professeur au Collège de France et à l’Institute for Advanced Study de Princeton. Il est l’auteur du livre Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza (La Découverte).Recommandé (142)Recommandé (142)

SOURCE

Israël a transformé la bande de Gaza en couloir de la mort


Depuis plus d’un an, l’armée israélienne mène dans la bande de Gaza une lutte sans merci contre le Hamas qui ressemble à une guerre contre les civils. Le misérable territoire a subi des destructions immenses et les morts s’enchaînent au gré des bombardements quotidiens sans que le monde ne réagisse. 

La population de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza n’a d’autre choix que de fuir l’opération militaire israélienne actuelle.

– AFP.Par Baudouin Loos

Journaliste au pôle International

Publié le 13/11/2024 à 18:51 Temps de lecture: 3 min

Bande de Gaza, novembre 2024. Les journalistes étrangers y sont toujours interdits par l’occupant israélien, mais les informations sortent du petit territoire. Tous les jours. Grâce aux journalistes gazaouis, pourtant décimés (plus de 130 tués en un an), grâce aux vidéos envoyées par la population, grâce aux agences de l’ONU ou grâce aux quelques ONG présentes sur le terrain. Et ces informations se révèlent effarantes. À la tête du Norwegian Refugee Council, Jan Egeland, ancien ministre et ex-diplomate, a pu se rendre sur place, et tweetait le 6 novembre : « J’ai vu une destruction défiant l’imaginable, de Rafah jusqu’à Gaza-ville. La destruction d’une société entière de plus de 2 millions de personnes, dans un territoire restreint, densément peuplé. Il ne s’agit en aucun cas de légitime défense. »

On peut accumuler indéfiniment les témoignages. Comme celui de Philippa Greer, cheffe du département juridique de l’Unrwa à Gaza, commentant des images terribles qu’elle envoyait sur X ce 9 novembre : « Aujourd’hui, en entrant dans la ville de Gaza. Les ruines de la vie. Un âne gisant mort attaché à une charrette avec les biens de quelqu’un. Des groupes de personnes traversant vers le sud, avec trop de choses vu la longueur du voyage, à marcher sous le soleil. Un homme portant un drapeau blanc devant sa famille. Des femmes sur le point de s’effondrer, traînant des sacs sur le sol, marchant à reculons, s’arrêtant et fermant les yeux. Un homme par terre en sous-vêtements, avec des soldats près du poste de contrôle. Une femme traversant probablement avec lui, désemparée, désespérée. »

Les chiens errants mangent des cadavres

Le journal israélien Haaretz a interrogé Georgios Petropoulos, chef du bureau de Gaza de l’Ocha (coordination des affaires humanitaires à l’ONU). Ses propos sont plus que dérangeants. Extrait : « Petropoulos affirme que l’odeur des cadavres en décomposition imprègne toute la bande de Gaza. Elle émane des décombres, sous lesquels des personnes ont été enterrées, et des chiens courent avec des restes humains dans la gueule. “Les chiens sauvages sont partout. Lorsque vous voyez une meute de chiens, il y a de fortes chances qu’ils se tiennent autour d’un cadavre. Un de mes collègues a poursuivi un chien qui tenait dans sa gueule le pied d’un enfant mort. Parfois, lorsque nous passons devant des postes de contrôle militaires, nous ramassons les corps des personnes qui y ont été abattues et nous les remettons à la Croix-Rouge”. »

Le Grec a accumulé les expériences traumatisantes. « Il y a six mois, M. Petropoulos a assisté à une frappe contre un haut responsable du Hamas à Khan Yunès. “Cela ressemblait à Nagasaki”, se souvient-il. “Ils ont compté les corps et 70 personnes se sont évaporées. Lorsqu’ils ont bombardé Mawasi le 10 septembre, je suis tombé de mon lit et les dix ou vingt personnes qui se trouvaient dans des tentes avant l’attaque ont disparu. J’étais aussi à l’hôpital après le bombardement, et cela ressemblait à un abattoir. Il y avait du sang partout”. »

Sur le réseau X le 7 novembre, Jonathan Witthall, chef ad interim de l’Ocha pour les territoires occupés, fait ce constat lugubre : « Tous les habitants de Gaza ont l’impression d’être dans le couloir de la mort. S’ils ne sont pas tués par des bombes ou des balles, ils suffoquent lentement par manque de moyens de survie. La seule différence est la vitesse à laquelle on meurt. Le monde a échoué à Gaza. »

« Notre travail consiste à aplatir Gaza »

Le gouvernement israélien souligne qu’il ne fait que se défendre, qu’il combat et veut annihiler le Hamas à Gaza, l’organisation palestinienne islamiste qui avait commis les atroces attaques terroristes en Israël le 7 octobre 2023. Mais l’ampleur des pertes civiles (évaluées à plus de 43.000 et sans doute bien plus encore) et des destructions dans la bande de Gaza donne à penser que d’autres desseins se cachent derrière les buts officiels.

En atteste entre autres le comportement de l’armée israélienne à Gaza. Car, en dépit des affirmations de l’armée qui dit traquer les éventuels excès des soldats, ces derniers envoient toujours fièrement – et cela depuis un an – des vidéos de leurs « exploits » à Gaza. Le site dropsitenews.com a collecté les histoires diffusées sur Instagram et les messages quotidiens partagés par les soldats d’une unité, le bataillon de génie de combat israélien 749. Cet extrait en dit long : « notre travail consiste à aplatir Gaza », lit-on dans la légende d’une vidéo publiée par un soldat de la compagnie D9 en septembre. « Dans la vidéo, l’unité est en train de raser plusieurs maisons du quartier de Zaitoun (à Gaza). Le commentaire de la compagnie sur le billet dit : “Personne ne nous arrêtera.” »

La volonté d’oblitération de la bande de Gaza exprimée par nombre de soldats ne semble pas aller à l’encontre des ordres donnés. Dès début janvier, l’historien français Vincent Lemire faisait ce constat dans Le Monde : « Ce n’est plus une guerre pour “éradiquer” le Hamas, c’est une dévastation volontaire, systématique et délibérée, pour extirper les civils de la bande de Gaza, par la mort ou par l’exode, par la famine ou par l’épidémie. » Tout se passe comme si l’armée israélienne s’était acharnée à lui donner raison.

Les plus enthousiastes pour cette solution radicale en Israël vont plus loin. Ce que constatait récemment pour le dénoncer l’ancien ministre et ex-membre du cabinet de guerre Gadi Eizenkot à la chaîne 12 israélienne : « Une partie centrale de la coalition [gouvernementale] travaille à la réalisation des objectifs cachés, à savoir l’arrivée d’un gouvernement militaire dans la bande de Gaza et le retour des colonies à Gaza. »

« Nettoyage ethnique » dans le Nord

Le gouvernement a en tout cas décidé qu’un nettoyage ethnique – l’expression est sur bien des lèvres et figure d’ailleurs dans le dernier rapport de l’ONG américaine Human Rights Watch consacré aux déplacements forcés qui concernent 90 % de la population du territoire de Gaza – serait mené dans le Nord, où les agglomérations Jabalia, Beit Hanoun et Beit Lahia sont soumises à un traitement de choc pour en chasser toute la population qui y réside encore.

Les trois derniers hôpitaux qui fonctionnaient encore tant bien que mal dans le Nord ont subi des assauts en règle. L’agence de presse américaine Associated Press (AP) a récemment publié une enquête à ce propos. « Certains patients craignent maintenant les hôpitaux, refusant d’y aller ou partant avant que le traitement ne soit terminé », conclut l’article. «“Ce sont des lieux de mort”, a déclaré Ahmed al-Qamar, un économiste de 35 ans du camp de réfugiés de Jabalia, au sujet de sa peur d’emmener ses enfants à l’hôpital. » L’AP évoque « une guerre dans laquelle les hôpitaux ont été ciblés avec une intensité et une transparence rarement vues dans les conflits modernes ».

L’enquête contredit les assertions israéliennes selon lesquelles les hôpitaux servent de bases opérationnelles au Hamas, fondées sur « peu ou pas de preuves ». Il relaie aussi des témoignages glaçants, comme à propos de l’hôpital El-Awda : « Les survivants et les administrateurs de l’hôpital racontent qu’au moins quatre fois, des drones israéliens ou des snipers ont tué ou grièvement blessé des Palestiniens essayant d’entrer. Deux femmes sur le point d’accoucher ont été abattues et sont mortes en saignant dans la rue, selon le personnel. Salha, l’administrateur, a vu des tirs tuer sa cousine, Souma, et son fils de 6 ans alors qu’elle amenait le garçon pour traiter ses blessures. »

Haaretz : « Une tache morale pour le pays »

Malgré une approbation assez générale des actions de leur armée à Gaza au sein de la population israélienne, des voix s’élèvent contre ce consensus. Ainsi en est-il du journal Haaretz, dans son éditorial du 6 novembre : « La guerre est menée sans considération pour le droit international. C’est comme s’il n’y avait pas de civils à Gaza, pas d’enfants et pas de conséquences pour nos actions. Le désir de se venger de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 s’est transformé en une guerre brutale et débridée constituant une violation flagrante des lois de la guerre et, pire encore, qui sera retenue comme une tache morale pour le pays. »

Le mot génocide est encore quasi tabou en Israël. Pas à Gaza ni à l’ONU. En tout cas pour Francesca Albanese, rapporteure spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés, par exemple dans son constat le 5 novembre : « Israël détruit les Palestiniens de Gaza de bien des manières. La plus complexe et la plus cruelle est de créer des conditions de vie intenables et inhumaines. Il ne faut pas appeler cela une “guerre”. C’est un génocide. Les motifs n’ont aucune importance. L’intention (c’est-à-dire la détermination) de détruire est évidente et sans équivoque. La complicité d’autres Etats est tout aussi évidente. »

En effet, face à l’accumulation des crimes de guerre et contre l’humanité, les Etats-Unis et les Européens restent comme tétanisés, incapables de dire les choses. A une rarissime exception près, unique par sa franchise et qui ne sera sans doute pas répétée, celle d’Emmanuel Macron, qui évoquait l’action d’Israël au Liban, mais a fortiori aussi dans la bande de Gaza puisqu’elle y est encore plus dramatique : « On parle beaucoup, ces derniers jours, de guerre, de civilisation ou de civilisation qu’il faut défendre », a dit le président français le 24 octobre, avant d’ajouter : « Je ne suis pas sûr qu’on défende une civilisation en semant soi-même la barbarie. »

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