Silence des littérateurs flamands


Kris Kaerts sur Facebook*

AVERTISSEMENT : En ce qui concerne les auteurs cités ci-dessous, je ne porte absolument aucun jugement sur la qualité de leur travail. La plupart d’entre eux sont des professionnels. Je n’ai jamais rien lu de certains d’entre eux.

Mais il me faut quand même dire quelque chose à propos de nos écrivains professionnels.

À l’heure où j’écris ces lignes, nous avons dépassé les 450 jours de nettoyage ethnique à Gaza. Nous savons ce qui s’y passe. Ou nous pourrions le savoir, bien qu’Israël interdise à tous les journalistes d’accéder à la bande de Gaza et diffuse de préférence ses propres communications. Les rares reporters admis sont « escortés ». Des « Embedded journalists », comme on dit si joliment en anglais. J’ai une admiration absolue pour les journalistes palestiniens sur le terrain et ceux qui combattent le colonisateur avec leurs smartphones. Ils documentent l’extermination de leur propre peuple dans les conditions les plus brutales et, malheureusement, ils perdent aussi la vie dans des proportions hallucinantes.

Cette guerre défie toute imagination et en même temps, fait tomber pas mal de masques. Ce n’est pas parce qu’un accord a été conclu avant-hier entre Israël et le Hamas sur exactement le même texte qui existait déjà il y a huit mois que nous pouvons penser que l’affaire est réglée. Elle se reproduira tant que l’injustice fondamentale faite aux Palestiniens, vieille de 100 ans, ne sera pas réglée.

À l’heure où j’écris ces lignes, alors que les organisations humanitaires se demandent comment elles vont pouvoir venir en aide au peuple palestinien, l’IDF continue de bombarder et de tuer des dizaines de personnes par jour. Quel autre pays au monde en serait capable ? N’oublions pas non plus que l’agence d’aide la plus importante et la plus dévouée – l’UNRWA – a été déclarée hors-la-loi par le parlement israélien.

La question qui s’impose à moi et qui me fait piquer une autre colère – car je devine déjà   la réponse, est la suivante : comment se fait-il que nos auteurs professionnels et surtout ceux que je rencontre presque tous les jours sur FB pour se promouvoir ou promouvoir leur propre travail – comment se fait-il que ces messieurs (c’est ce qu’ils sont généralement de toute façon) n’osent pas poster une seule phrase, pas même le début d’une opinion, ou exprimer leurs sentiments sur le conflit le plus dégoûtant, le propagateur de dissension le plus puant de ces cent dernières années qui se répand comme un cancer menaçant le monde entier ? Comment cela est-il possible ?

Si les écrivains ne peuvent pas écrire sur ce sujet, nous devons oser les mettre dans le collimateur, quels que soient leurs mérites littéraires ou artistiques. Par nécessité, je me limite ici au domaine littéraire néerlandophone.

Je commencerai par Herman Brusselmans. L’affaire Brusselmans aurait dû, à elle seule, inciter l’ensemble de la corporation des écrivains à se lever comme un seul homme ou une seule femme pour défendre leur frère écrivain. Ne serait-ce que dans leur propre intérêt, car après Brusselmans, ce pourrait être leur tour. Car dans la pratique, pas un seul auteur néerlandophone n’a été capable de s’exprimer publiquement pour aider à faire pression sur nos politiciens et rejoindre une société civile pourtant très active. N’ont-ils pas étudié dans les universités où tant d’actions ont été menées ?

Brusselmans a été injustement pris à partie et tout le monde le sait. Personnellement, je n’en suis pas fan. Je déteste son style, ses poses éculées, ses apparitions télévisées léthargiques, ses sujets futiles et sa misogynie. Mais je sais une chose : il n’est pas antisémite. Il aurait fallu l’indiquer. L’expliquer. Le réfuter.

Brusselmans, dans toute sa misérable clownerie, ne peut être assimilé aux carnavaliers d’Alost qui, il y a quelques années, ont cru devoir se moquer des Juifs en les représentant avec des nez crochus.

La guilde des écrivains aurait dû le protéger en tant que petit frère attardé souffrant un peu du syndrome de la Tourette. Quelque chose comme ça. Elle aurait dû agir comme le gardien de son frère. Rien de tout cela.

Je n’ai entendu qu’un silence assourdissant. À une exception près : Arnon Grunberg, qui s’est exprimé comme « un bon garçon de Tel-Aviv », comme l’aurait dit Gideon Levy. Grunberg, j’apprécie son travail et c’est un professionnel. Mais depuis l’affaire Brusselmans, nous savons que c’est un sioniste pur sang. Je ne peux qu’apprécier et regretter les éclaircissements qu’il nous a fournis.

Stefan Hertmans est un auteur flamand à succès qui m’a définitivement dégouté dès les premières semaines où l’enfer s’est déchaîné à Gaza. Je le vois encore assis dans le Zevende Dag le jour de l’Armistice en 2023, en train de parler de la paix. Mais parler de la question palestinienne ? Non, l’auteur du best-seller très traduit « Guerre et térébenthine» n’a pas pu le faire. Pour lui, la situation est « trop complexe ».

Entre-temps, le globe a tourné plus de 450 fois autour de son axe et Hertmans se retrouve avec un nouveau best-seller, un certain nombre de traductions et quelques lauriers. Par exemple, il a récemment annoncé sur FB qu’il avait été invité à rejoindre la Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung (Académie allemande pour la langue et la littérature).

« Cela rend humble de voir son nom parmi des grands comme Jean Améry, Hannah Arendt, Hans Georg Gadamer, Elias Canetti, Jürgen Habermas, Thomas Mann, Rüdiger Safranski, W.G. Sebald ou Adam Zagajewski, et tant d’autres grands auteurs ».

Je doute fort de cette humilité. Hertmans est un paon. Je me questionne également sur toutes les actions nécessaires en coulisses pour obtenir une telle « invitation ». Son annonce sur FB a été immédiatement reprise par VRTnws et c’est probablement ce que l’auteur recherchait, malgré son humilité feinte.

L’Allemagne a une réserve de lecteurs dix fois plus importante. Les Pays-Bas, mais surtout le monde anglo-saxon, ne sont évidemment pas des biotopes où l’on aimerait être signalé comme critique d’Israël. Cela pourrait vous causer quelques ennuis, comme ce qui est arrivé à ce pauvre Brusselmans sur la base d’un seul article. Mais alors en bien pire. C’est pour cela et pour rien d’autre, que Hertmans se tait de façon pitoyable sur ce sujet et continue sa pêche quotidienne aux compliments sur ce média. Et malheureusement, il n’est pas seul.

Récemment, une sorte de « duel littéraire » entre les écrivains Rob Van Essen et Ilja Leonard Pfeijffer a attiré mon attention.

Van Essen avait osé attaquer le monumental Ilja Leonard Pfeijffer dans un « sermon littéraire » (qui s’est déroulé dans une église de Nimègue). Je ne sais pas comment cela s’est passé, car je n’ai pu lire le récit de cet iconoclasme que dans la réponse de Pfeijffer lui-même. Du haut de la chaire de Nimègue, Van Essen aurait affirmé que la littérature était morte. Il prétendait en être la preuve, puisqu’il avait assisté aux funérailles. Et ces funérailles n’étaient ni plus ni moins que la présentation du roman de Pfeijffer « Alcibiades » à Anvers, une ville qui peut se vanter de ses iconoclasmes. Dans « Alcibiade », l’histoire ancienne montre comment la démocratie peut s’effondrer. Oh actualité !

Ce que Van Essen a affirmé dans son sermon reviendrait en fait à dire que si un écrivain veut parler de l’actualité, de la société et de la politique, il doit écrire un essai, mais pas un roman, s’il vous plaît.

“Il me reproche que mon roman historique soit d’actualité, social et politique. Il trouve cela inexcusable », écrit M. Pfeijffer dans sa réfutation.

S’agit-il d’une discussion nouvelle? Je crains que non. S’agit-il d’une discussion passionnante ? Je ne le crois pas non plus. Peut-être que ces deux messieurs – certains les soupçonnent – s’étaient mis d’accord entre eux pour croiser le fer, une fois de plus à la manière antique. Pour autant que je sache, le public s’est de toute façon tiré.

Certes, Pfeijffer a eu raison de remettre Van Essen à sa place. Mais lui aussi joue la carte de la sécurité en situant le problème quelque part dans un passé lointain. Une astuce familière dont tant de frères de l’art se sont servi dans des périodes périlleuses.

C’est l’heure pour un proverbe.

Que diriez-vous de « Qui dort avec le chien attrape ses puces » ?

Comme nous le savons, la sensationnelle écrivaine Lize Spit forme un couple avec Rob Van Essen. Je ne dis pas cela par sensationnalisme. Van Essen figure avec régularité dans sa chronique hebdomadaire dans De Morgen. Spit est également très active sur FB. Il y a quelques semaines, par exemple, elle a réussi à filmer une concentration de huit rats dans son quartier bruxellois. Ce reportage a également été diffusé sur VRTnws. Comme on le sait, des rats bruns se trouvent presque tous les jours dans le studio de télévision. Je soupçonne donc que cette fois-ci, c’est le nombre qui a attiré l’attention. Huit rats ! Mais ne sont-ils pas déjà nombreux au conseil d’administration de la VRT, cette chaîne autrefois « de gauche » ? Je soupçonne que la prochaine nouvelle concernant le couple d’écrivains pourrait bien être un déménagement hors de la maudite Bruxelles.

Lize Spit rejoint également les rangs des écrivains qui n’ont pas d’opinion sur Israël. Peut-on dire qu’il s’agit d’une manœuvre calculée ? Une collaboration passive sur les traces de l’humble Hertmans ? Son œuvre est traduite avec empressement – et à juste titre – dans des pays qui, en fin de compte, s’abstiennent ou votent contre les résolutions de l’ONU sur les violations du droit humanitaire et du droit de la guerre par Israël. Des résolutions qui sont massivement soutenues par le reste du monde et qui font d’Israël un État paria.

Il est de notoriété publique que David Van Reybrouck entreprend depuis un certain temps un long voyage(en bateau) vers l’Afrique. Plus d’une fois, Van Reybrouck s’est engagé pour le climat, pour le G1000, contre l’extrême droite, … pourquoi pas finalement ? Pourtant, je ne crois pas me souvenir qu’il ait écrit sur les péchés d’Israël au cours des 450 derniers jours. Encore une fois : pourquoi (pas) ?

J’ai pensé à lui récemment en lisant un long article de Martin Sijes sur le site d’information de la BNNVARA. Excusez-moi, qui est Martin Sijes ? C’est, selon l’internet, un sociologue de 73 ans qui a travaillé dans les services de santé mentale et de toxicomanie. Il alterne ses séjours entre les Pays-Bas et l’Israël. Apparemment, cela lui permet également d’être autorisé à rédiger de longs articles sur le site d’information du VARA. Il s’agit d’articles d’opinion visant à corriger les malentendus entourant le génocide à Gaza. Il ne s’agit pas du tout de massacre, selon l’auteur. L’article a été écrit au printemps 2024. La Cour Internationale de Justice de La Haye vient de rendre un arrêt : l’État d’Israël doit prendre des mesures provisoires pour empêcher un génocide à Gaza. Ce qui n’a manifestement pas été fait. Cfr. d’autres condamnations et un mandat d’arrêt international contre Netanyahou.

Sijes joue la carte habituelle de la propagande. Selon lui, l’IDF fait tout son possible pour agir correctement. Ce genre d’interprétation est ce qu’on appelle en Israël du « hasbara ». Dans son article, il établit également un parallèle avec le comportement des Pays-Bas à l’époque coloniale, notant qu’à l’époque de l’indépendance de l’Indonésie, les Pays-Bas ont probablement fait beaucoup plus de victimes civiles qu’Israël à Gaza grâce à la « stratégie de précision » de l’IDF. Une comparaison pour foncer droit dans le mur, bien sûr. Ce qui m’a frappé, c’est que ce faisant, il ne tarit pas d’éloges sur Van Reybrouck. Il y consacre un aparté dans son article que je cite ici.

 “{Les critiques néerlandais de l’action israélienne feraient bien de se rappeler comment les Pays-Bas eux-mêmes ont agi pendant la guerre contre une armée de guérilla en Indonésie. Dans son livre phénoménal « REVOLUSI. Indonesia and the Creation of the Modern World » (De Bezige Bij 2022, pp 470, 471), David van Reybrouck indique qu’en 1947 et 1949, les “actions de la police” ont fait respectivement 19 000 et 59 000 morts. Il ajoute qu’il est tout à fait possible que la majorité des personnes tuées aient été des civils et que davantage de personnes soient mortes de crimes de guerre que d’opérations de combat régulières. L’estimation maximale du nombre de morts dans l’ensemble du conflit est de 200 000} ».

Cet argument doit être bien sûr complètement invalidé. Les méfaits coloniaux des Pays-Bas sont tout à fait répréhensibles. Mais il s’agit d’une comparaison déplacée. Il suffit de comparer la superficie de l’Indonésie à celle de Gaza. Comparez le nombre de bombes larguées sur Gaza, qui dépasse de loin la somme des tonnes d’explosifs larguées sur Dresde, Berlin, Pearl Harbour et Hiroshima. Et il y a tant d’autres comparaisons.

En fait, le seul point positif de cette mise en parallèle est que l’auteur reconnaît – involontairement mais logiquement – qu’Israël se trouve bel et bien dans le camp colonial. Un État colonial d’apartheid avec la mentalité raciste qui l’accompagne. Bien entendu, Sijes ne tient pas compte de ces éléments. Il se sent bien en Israël.

Mais pourquoi ce long éloge de Van Reybrouck dans ce document ? Et pourquoi Van Reybrouck lui-même n’y a-t-il jamais réagi ? Cet article a certainement dû être porté à son attention.

J’ai pensé alors à la popularité de REVOLUSI aux Pays-Bas et au fait qu’il est devenu populaire grâce aux Pays-Bas. Ces mêmes Pays-Bas qui ont contribué à créer l’image d’un pogrom juif à la suite du match de football du Maccabi et des émeutes qui s’en sont suivies.

Il se pourrait donc bien que l’auteur ait également décidé de garder un silence pudique dans cette affaire et de prendre quelques mois de repos. Après tout, il se passe bien d’autres choses dans ce monde que Gaza, n’est-ce pas ? Nous parlerons de Gaza plus tard. Quand ? Pour faire intervenir Shakespeare un instant : « Quand le tumulte sera terminé. Quand la bataille est perdue et gagnée ».

Il est intéressant de s’intéresser à la littérature. Étudier ce que les écrivains écrivent. Il est également intéressant d’étudier ce sur quoi ils n’écrivent PAS et de se demander pourquoi. REVOLUSI est un livre très apprécié et abondamment traduit. L’auteur israélien Yuval Harari recommande sa lecture dans la traduction anglaise : « Un exploit stupéfiant de recherche et de narration. L’histoire dans toute sa splendeur ». Oseriez-vous contredire un homme de son calibre ?

Permettez-moi d’en citer encore un pour en terminer. Autant mon respect est grand pour des livres comme « Wildevrouw » et « WIL » de Jeroen Olyslaegers, autant mon respect est petit pour les chroniques de cet homme et ses posts coquets sur FB. J’ai le sentiment désagréable qu’elles masquent des « Confessions d’un masque » à la Yukio Mishima… Tout comme Lize Spit à tort et à travers nous tartine avec son héros en pantoufles RvE, le fossoyeur théâtral 2.0 de la littérature engagée, Olyslaegers fait sa propre publicité et celle de la Nymphe quotidiennement sur FB et dans ses chroniques (également dans l’ex-journal de qualité De Morgen). Et pour son emploi artificiel de la deuxième personne. Il aime se faire traiter de satyre, semble se battre avec des démons, médite sur eux, aime jeter des fleurs à ses collègues artistes, qui reviennent bien sûr se poser, comme une couronne flower-power sur sa tête, s’extasie d’une fascination proche de la folie ésotérique sur l’art religieux, mais aussi sur le tarot et toutes sortes de bizarreries plus ou moins chamanique. Chaque jour, il découvre un nouveau détail sous un vieil éclat de peinture d’un tableau de maître ancien, sur lequel il médite d’abord, verse quelques verres d’alcool sur le distillat de cerveau qui dégouline, exécute une courte danse d’accouplement avec la Nymphe et toutes sortes d’autres petits rituels. Il en résulte des articles de contemplation concentrée assez épuisants, qui se terminent invariablement par l’exclamation « JAMES ! »

Cependant, contrairement à « la Nymphe » qui est récemment devenue un personnage très public grâce à son mari, James reste un personnage pâle et exsangue qui me fait parfois penser au narrateur décadent de « A Rebours » de J-K Huysmans. Peut-être James est-il le nom du masque de satyre que le vrai Olyslaegers doit garder sous contrôle alors que des portions de Gaza s’insinuent dans son monde par le biais de crevasses et de fissures. Je ne peux pas imaginer que Jeroen Olyslaegers n’ait pas d’idées, de caprices ou même de vomissements littéraires sur Gaza. La raison pour laquelle il reste silencieux réside probablement dans l’angoisse du writersblo©k déjà mentionnée plus haut. Et probablement aussi au fait que son fils adoptif fait son service militaire dans l’armée israélienne. Je n’ai pas eu besoin de faire du journalisme d’investigation de bas étage pour cela. La Nymphe elle-même l’a dit en larmes à la Radio Nationale Flamande dans le confessionnal de Friedl Lesage.

Par rapport à tout cela, ayons quand même un regard de compassion et d’empathie

Pour la plupart des artistes, en être un est une lutte de plusieurs décennies pour avoir la reconnaissance. C’est bien connu. Nombreux sont ceux qui n’ont pas pu en profiter de leur vivant. Un jour, quelqu’un s’est coupé une oreille pour ça. Les drogues et les armes à feu ont fait leur œuvre. La folie, le spleen et la dépression ont envahi de nombreux lits de mort prématurée. Les dieux de l’art ont exigé de nombreux sacrifices et fait de nombreux martyrs. Parmi ceux qui jouissent de la reconnaissance de leur vivant, il y en a peut-être un paquet qui sera rapidement oublié à titre posthume. C’est ce que je pense. Dans cette lutte pour la survie, il faut donc développer son courage et son savoir (sur)vivre. Être prêt à faire des compromis. Facebookfähig. Ne pas provoquer inutilement et assumer– dixit un directeur artistique récemment déchu – de « laisser libre cours à la pute qui est en vous ». Sinon, vous risquez de vous retrouver sur une liste d’attente interminable dans cette vallée de larmes, n’est-ce pas ? Tout le monde ne peut pas être Roger Waters. C’est dommage. Tout le monde n’a pas la volonté de Ramsey Nasr ou de Fatena Al Ghorra. Qui, bien sûr, sont parties prenantes. Mais les collègues ne peuvent-ils pas les soutenir eux aussi ? Pouvons-nous vraiment être en dehors ou au-dessus de ce conflit ? Ne sommes-nous donc pas aussi partie prenante ? Désespérant.

Chaque écrivain(e) néerlandophone doit avant tout penser à la Flandre et surtout aux Pays-Bas, avant que le rêve de traductions ne devienne réalité. C’est la réalité. C’est là que les livres doivent être vendus en premier lieu. Je sais que Tom Lanoye a été courageux en appelant au boycott de la participation d’Israël au concours Eurovision de la chanson. Il n’est pas allé beaucoup plus loin. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?

Tout le monde sait qu’il n’est pas simple de vendre des livres et que tout boycott personnel ou toute expression de critique est une agression contre la constitution d’un trésor de guerre. Contre l’opportunité des traductions internationales. Par ailleurs, on voit bien comment se manifeste le lobby pro-israélien. C’est aussi simple que cela. Par amour du pognon l’auteur ferme sa gueule. Peut-être cela inclut-il des menaces subtiles et moins subtiles ? Ne soyons pas naïfs.

Ceux qui savent si bien manier les mots, dont l’arme puissante est la plume, ont détourné le regard pendant plus d’un an, attirant notre attention sur un rat dans une gare, un arbre particulier dans un jardin ou une œuvre d’art intemporelle et canonisée. Il faut le faire.

Comment l’artiste se débarrasse-t-il de son art ? C’est une affirmation que j’ai apprise il y a longtemps sur une scène. Elle sortait de la bouche de Freek De Jonge. Pas vraiment un artiste qui a mal tourné. Et encore une fois, ce n’est pas un artiste qui s’est bougé le cul pour Gaza au cours de l’année passée. Le programme de cabaret « Bloed aan de Paal » qui, à l’époque, appelait au boycott de la Coupe du monde dans une Argentine où la junte militaire se surpassait, n’est plus que l’ombre d’un lointain passé. Quoi qu’il en soit, Freek est vieux et dépassé. Il est également marié à la fille d’un survivant de l’Holocauste et fils de pasteur un jour, fils de pasteur toujours.

Comment l’artiste se débarrasse-t-il de son art ?

C’était l’auto-examen moralisateur trop entendu de Freek sur scène à propos de la position de l’artiste dépendant des subventions et des ventes de billets.

Le dramaturge flamand-tunisien Chokri Ben Chikah, que j’ai beaucoup apprécié, a commencé avant que le Hamas ne frappe le 7 octobre 2023, à travailler sur son nouveau projet théâtral « Les Perses ». Je ne sais pas si ce titre et cette inspiration étaient fixés dès le départ. Ce que l’on sait, c’est qu’il voulait faire une pièce sur Israël/Palestine. Au cours du processus de création, l’enfer s’est déchaîné et, bien sûr, tout a changé.

Ben Chikah se regarde dans un miroir dans la représentation de la pièce « Les Perses » d’Eschyle, qui était lui-même un vétéran de la guerre (du côté grec) au cours de laquelle les Grecs ont conquis et humilié les Perses. La notion d’empathie a été le leitmotiv de la création de ce spectacle. Le spectacle a été réalisé avec des acteurs/danseurs/musiciens/équipes palestiniens et israéliens. Bien entendu, le nouveau « développement » a été une aubaine pour le metteur en scène. Cela a tout rendu plus signifiant. Mais en cours de route, d’autres questions sont entrées en jeu : la possibilité de programmation (= rentabilité) de ce spectacle !

Dans un article intéressant du dramaturge Erwin Jans pour le Theaterkrant (dont j’ai tiré l’info ci-dessus), certaines informations sont fournies sur les chemins empruntés par le spectacle au cours du processus de création. Pour désamorcer les problèmes, le choix a été fait de situer « Les Perses » non pas dans le passé, mais dans le futur ! Ceux qui savent lire entre les lignes sentent également que Jans a écrit son article comme une apologie du metteur en scène et comme coup de pouce pour qu’il soit commercialisable. Chokri Ben Chikah, l’homme de théâtre qui a étudié l’histoire et obtenu un doctorat en arts, a fait de sa recherche de la vérité sa marque de fabrique. Dans ce spectacle, il s’interroge également sur lui-même. Compte tenu des longs bras du camp pro-israélien, je m’attends à ce que les représentations qui auront lieu à la fin du mois à Amsterdam et le 12 mars à Rotterdam fassent sensation. J’en serais d’ailleurs ravi. Peut-être que « Les Perses » vont aussi briser le syndrome de la page blanche ? L’art peut (aussi) avoir ce pouvoir.

*Traduction revue par l’auteur

En retraçant 75 ans de photographie de guerre israélienne, une anthropologue explique comment les images qui présentent la violence disproportionnée comme une preuve de victoire se sont intensifiées lors de la guerre contre Gaza qui a éclaté en 2023.


Par SOPHIA GOODFRIEND

Original anglais

20 MARS 2024

DÉBUT JANVIER, un compte TikTok affilié au parti ultra-orthodoxe israélien Shas a publié une vidéo qu’un soldat israélien a filmée à Gaza. Quelque part dans le nord de la bande de Gaza, le soldat se tient à l’intérieur de la chambre d’une maison palestinienne. Il vient de finir de s’envelopper dans les tefillin – des bracelets avec de petites boîtes en cuir contenant des rouleaux de la Torah que les hommes juifs orthodoxes portent habituellement pendant les prières du matin.

Sur une bande sonore composée de rythmes de danse, le soldat souriant s’exclame en hébreu : « Je n’arrive pas à croire que je suis en train de dire cela. Je mets des teffilin dans une maison de Gaza. Une maison à Gaza ! »

La séquence de 22 secondes offre aux téléspectateurs une brève visite d’une maison laissée à la hâte. Des sacs à main sont entassés dans un placard, des vêtements jonchent le sol et l’arme du soldat repose sur un lit à moitié fait.

« Regardez cette pièce, regardez la pièce qu’ils ont ici. Un palais. Regardons un peu à l’extérieur. »

En se penchant par la fenêtre, le soldat fait un panoramique sur un paysage urbain en ruine : des façades d’immeubles tailladées par le mortier, des fenêtres brisées par les bombes et des pâtés de maisons entiers démolis par les bulldozers. Il tourne la caméra vers lui, lève le pouce et sourit.

A group of people in green camo uniforms and helmets hold large guns and pose in front of a burning building surrounded by other destroyed buildings and debris.

Le post TikTok symbolise un genre familier de médias de guerre israéliens, popularisé en octobre 2023, au début de la guerre entre Israël et le Hamas, et qui fait aujourd’hui le tour de la presse internationale. Depuis des mois, des soldats posent pour l’appareil photo dans des salons vidés ou au sommet de complexes d’appartements réduits à l’état de ruines. Ennuyés par la guerre qui s’éternise, certains mettent à jour leur profil Tinder avec des photos d’action. Sur TikTok et Instagram, ils montrent des camarades fumant le narguilé, mangeant du houmous et priant dans des maisons palestiniennes vides[1]. [1]

Des preuves de crimes de guerre circulent parallèlement aux aspects les plus banals du métier de soldat. Dans certaines scènes, les soldats jouent au backgammon en sirotant du thé dans de la vaisselle pillée. Dans d’autres, ils drapent les captifs dans des drapeaux israéliens, les forçant à chanter « Am Yisrael Chai » – « le peuple d’Israël vit ».

En tant qu’anthropologue ayant passé du temps dans les archives militaires israéliennes, j’ai trouvé nombre de ces scènes familières. Au cours des 75 dernières années d’effusion de sang, la photographie a longtemps servi à banaliser les atrocités de la guerre.

Ce genre n’est guère propre à Israël. Mais aujourd’hui, l’abondance des smartphones sur le champ de bataille, la facilité des médias sociaux et le militantisme sans concession de la majorité israélienne ont rendu ces photographies de guerre plus visibles que jamais.

TROPHÉES DE GUERRE

La récente tendance photographique a débuté peu après que les militants du Hamas ont franchi la barrière frontalière entre Israël et la bande de Gaza et massacré environ 1 200 Israéliens et travailleurs migrants le 7 octobre 2023. Alors que les troupes des Forces de défense israéliennes (FDI) affluaient à Gaza dans les semaines qui ont suivi, beaucoup se sont présentés comme les vainqueurs d’une guerre de représailles. L’opération, qui a duré des mois, a tué à ce jour plus de 30 000 Palestiniens, en majorité des femmes et des enfants, et n’a pas encore permis de ramener les derniers otages israéliens à la maison.

Les médias sociaux israéliens continuent de diffuser des montages de maisons vides, de villes détruites et de Palestiniens maltraités, voire mutilés, par les forces israéliennes. Selon les déclarations des FDI aux médias internationaux, ce comportement « n’est pas conforme aux ordres de l’armée » et « ne correspond pas à la morale et aux valeurs attendues des soldats des FDI ». Mais on ne sait pas si des sanctions ou des mesures préventives ont été prises.

En revanche, les médias sociaux palestiniens témoignent du coût humain effarant de la guerre : des dizaines de milliers de civils tués et des millions de personnes déplacées dans des camps de fortune où elles souffrent de la faim, de la déshydratation et de maladies.

Les images des soldats remontent à la guerre israélo-arabe de 1948 et à l’expulsion d’au moins 750 000 Palestiniens de leur terre natale – le début de ce que les Palestiniens appellent la Nakba ou « la catastrophe » en cours et ce que les Israéliens se souviennent comme la guerre d’indépendance. Des images du champ de bataille ont ensuite été diffusées par des soldats israéliens, des photographes militaires et des journalistes intégrés à l’armée pour témoigner d’une victoire éclatante.

Les images les plus emblématiques figurent dans l’article « Déclarer l’État d’Israël, déclarer un État de guerre », publié en 2011 par la critique Ariella Azoulay dans la revue académique Critical Inquiry. Des soldats écoutant des disques sur un gramophone pris dans une maison palestinienne du village de Salame. Les ruines de la vieille ville de Haïfa, 220 bâtiments réduits à l’état de ruines pour s’assurer que les personnes déplacées ne reviendraient pas. Un peloton érigeant un drapeau israélien à Umm Rashrash, aujourd’hui Eilat.

Certains combattants ont ramené des tirages de ces photos chez eux, les exposant dans leur salon comme des trophées. Ces scènes racontent les atrocités de 1948, selon Azoulay, « comme une série d’événements non problématiques, quasi-naturels et justifiés comme des effets secondaires du projet d’édification de l’État ».

L’anthropologue Rebecca Stein note dans l’International Journal of Middle East Studies que des images similaires ont circulé immédiatement après la guerre des six jours de 1967, lorsque les troupes israéliennes ont occupé la Cisjordanie, annexant Jérusalem-Est et la bande de Gaza, entre autres régions. Dans les territoires occupés, la presse israélienne a rapporté que les soldats « se promenaient avec un fusil dans une main et un appareil photo dans l’autre ».

A black-and-white photograph shows a group of people walking in a line past collapsed brick buildings and piles of rubble.
A black-and-white photograph features a group of people, with several holding up large guns, smiling and posing in front of a large, domed building.

Une fois de plus, les photos présentent toutes les destructions comme des preuves de la victoire. Les troupes sourient devant la mosquée Al-Aqsa et prient au Mur occidental. Les soldats israéliens ont traversé les villes palestiniennes de Jénine et de Naplouse dans des jeeps de l’armée, admirant les vues « exotiques » et les destructions. Mises en scène après que le sang a été nettoyé et les corps emportés, ces images, écrit Stein, « ont servi à stabiliser et à banaliser » les opérations militaires qu’elles représentaient.

Les soldats déployés au cœur de la bande de Gaza depuis octobre dernier mettent à jour ces archives historiques. Ils ont peut-être grandi en feuilletant des photos emblématiques d’anciens soldats souriant devant des villages détruits, brandissant des Uzis devant le Mur occidental et pillant des maisons évacuées.

Ils ont reproduit ces scènes en entrant dans Gaza, juxtaposant leur violence à des scènes de piété religieuse, de fierté nationale ou simplement de jeu. Des images de troupes jouant sur la plage ou pillant des résidences privées tournent en boucle sur TikTok, tandis que des tireurs d’élite sur Instagram brandissent des mitrailleuses devant des menorahs.

Au cours des cinq derniers mois, de telles images ont inondé mon fil d’actualité sur les médias sociaux. Bien que mon défilement ne constitue pas une étude systémique, une chose est tout à fait claire : les mêmes vieux trophées de guerre sont capturés et diffusés par le biais des nouveaux médias.

DES LARMES AUX ÉMOJIS DE FLAMME

Même si elles représentaient les Israéliens comme des vainqueurs, les anciennes photographies de guerre dans les médias israéliens étaient souvent accompagnées de lamentations. Les dirigeants politiques israéliens ont exploité les remords pour contrer les allégations, nombreuses, selon lesquelles la violence était beaucoup trop brutale.

An image from a cellphone shows a photo of four men holding guns and wearing green army fatigues and boots inside a kitchen with food items atop tables.

Ces refrains se sont sédimentés dans une forme narrative – des tirs et des pleurs – qui a façonné la manière dont des générations d’écrivains et de cinéastes israéliens ont représenté les batailles marquantes des 50 dernières années. Le drame de guerre animé Valse avec Bachir (2008), la série Netflix Fauda (2015-2023), et d’autres encore – ce type de récit dépeint la violence des opérations militaires décisives comme des atrocités regrettables qui étaient néanmoins vitales pour la survie nationale d’Israël.

Comme le note Gil Hochberg, professeur d’hébreu et de littérature comparée, s’attarder sur les blessures subies par les soldats israéliens a éclipsé les impératifs politiques de déplacement, d’expansion et de colonisation qui ont motivé le militarisme israélien.

Mais aujourd’hui, le ton a changé. Les soldats israéliens ne tirent plus pour pleurer.

Ils tirent et dansent, tirent et grillent, tirent et prient, ou tout simplement tirent et mutilent. Les soldats postent sur TikTok des images de la ligne de front remplies de rires, de chants de célébration, de prières et de messages d’inspiration. D’éminents politiciens et des milliers d’utilisateurs réguliers répondent par des points d’exclamation et des émojis de flamme dans de vastes manifestations de soutien.

Ces messages contrastent sinistrement avec la destruction en arrière-plan. Mais dans une guerre de représailles, c’est la destruction qui compte.

MARCHE VERS LA DROITE

Ce changement de genre correspond à la marche constante d’Israël vers l’extrême droite au cours des dernières décennies. L’occupation, autrefois considérée comme une flexion temporaire de la puissance militaire, a été adoptée comme un statu quo permanent. L’idéologie suprématiste juive, auparavant considérée comme marginale, est aujourd’hui au cœur de l’actualité politique. Les engagements nominaux en faveur de la démocratie libérale cèdent la place à une adhésion sans réserve à l’autoritarisme, reflétant la tendance de la droite mondiale à dire tout haut ce qu’elle ne dit pas.

« Nous avons amené toute l’armée contre vous et nous jurons qu’il n’y aura pas de pardon », disent les paroles de la nouvelle chanson israélienne à succès, « Charbu Darbu ». Jouée en arrière-plan de nombreuses vidéos provenant des lignes de front, elle est devenue l’hymne officiel des 400 000 réservistes appelés à la guerre, en particulier la réplique « Chaque chien a son jour ».

De nombreux responsables gouvernementaux et leurs partisans affirment haut et fort les objectifs expansionnistes de cette guerre. Moins d’une semaine après l’entrée des troupes dans la bande de Gaza, des ministres de droite ont élaboré des plans de colonisation juive dans la bande de Gaza. D’autres ont participé à des conférences sur la réinstallation auxquelles ont assisté des milliers de personnes. Alors que les bombardements aériens israéliens incessants ont tué plus de 31 000 Palestiniens en cinq mois, des militants enhardis bloquent les routes pour empêcher l’aide humanitaire d’entrer dans la bande de Gaza assiégée.

UNE VOIE VOUÉE À L’ÉCHEC

Certains médias internationaux affirment que la plupart des Israéliens ne sont pas au courant des souffrances de Gaza en raison de la fatigue de l’empathie, d’un préjugé de confirmation ou de la censure militaire rigoureuse de la presse locale. D’autres rapportent que les flux d’informations déterminés par des algorithmes ont empêché de nombreux Israéliens de voir des images de la souffrance palestinienne.

Mais dire que « si seulement les Israéliens pouvaient voir ce qui se passe à Gaza, ils exigeraient la fin des violences », c’est ignorer la réalité politique et la majorité. Cette guerre est sans doute l’une des plus documentées de l’histoire. Les comptes rendus de la catastrophe humanitaire et de la mort massive à Gaza saturent la presse étrangère et les fils d’actualité des médias sociaux du monde entier.

La vérité dérangeante est que des décennies de guerre et de déshumanisation – tacitement soutenues par les États-Unis et les autres alliés fidèles d’Israël – ont largement fermé une partie à la souffrance de l’autre.

En 2002, au plus fort de la deuxième Intifada – une période sanglante de cinq ans marquée par des attentats suicides dans les villes israéliennes et des raids militaires sur les communautés palestiniennes – la critique Susan Sontag a fait remarquer que « [pour] ceux qui, dans une situation donnée, ne voient pas d’autre solution que la lutte armée, la violence peut exalter celui qui en est l’objet et en faire un martyr ou un héros ».

Comme l’attestent 75 ans de photographies, c’est depuis longtemps le cas en Israël. Mais ce sentiment est peut-être plus populaire que jamais : Selon une enquête réalisée par le groupe de réflexion Israel Democracy Institute, basé à Jérusalem, en décembre 2023, 75 % des Israéliens juifs étaient opposés à la demande des États-Unis qu’Israël réduise les bombardements intensifs des zones densément peuplées de la bande de Gaza. Seuls 1,8 % d’entre eux considèrent que l’usage de la force par Israël est disproportionné.

Several people wearing green uniforms, helmets, and boots carry guns and smile while walking on a paved road.

La contestation de la stratégie militaire d’Israël reste marginale, mais elle s’étend. Début mars, 12 organisations de défense des droits de l’homme en Israël ont signé une lettre ouverte accusant le gouvernement de ne pas faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza, comme l’a ordonné la Cour internationale de justice. Des milliers de personnes ont participé à des manifestations pour exiger une prise d’otages et la démission du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Même les manifestations appelant à un cessez-le-feu se multiplient.

En fin de compte, la guerre pourrait causer la perte de l’actuel gouvernement israélien. Les informations en provenance de la ligne de front donnent lieu à des poursuites pénales, à des sanctions à l’encontre de l’establishment politique israélien et à des manifestations sans précédent contre les crimes de guerre israéliens à l’étranger. Une guerre sans fin pour Israël peut entraîner une catastrophe économique, un statut de paria sur la scène internationale et une insécurité galopante, obligeant de plus en plus d’Israéliens à réaliser qu’il n’y a pas de solution militaire à des décennies d’occupation inextricable.

Mais dans l’immédiat, les scènes de Gaza montrent des camps de réfugiés remplis de millions de personnes qui ne peuvent pas rentrer chez elles et des enfants palestiniens affamés jusqu’à l’os, tandis que les troupes israéliennes tirent et dansent avec joie. Ces images ne laissent entrevoir nulle part un avenir politique viable pour qui que ce soit dans la région.

A person with curly hair pulled back and a cream blazer looks at the camera.

Sophia Goodfriend

traduit par Deepl

Netanyahou en Israël : Un Oliver Cromwell pour notre époque



HUGH J. CURRAN
01/20/2024

 » Quand le pillage [et la dépossession] devient un mode de vie pour un groupe d’hommes dans une société, ils se créent au fil du temps un système juridique qui l’autorise et une morale qui le glorifie.  » – Frédéric Bastiat

Ilan Pappe, historien israélien, écrit dans « Les Palestiniens oubliés » que « le sionisme est né de deux impulsions : la première était de trouver un refuge sûr pour les Juifs ; la seconde était de réinventer le judaïsme en tant que mouvement national, inspiré par les mouvements nationaux de 1848 en Europe ; mais l’impulsion nationale et humaniste a été subsumée par une impulsion colonialiste avec le besoin d’un espace juif pur ; et en 1948, le seul moyen d’y parvenir était le nettoyage ethnique d’un million de Palestiniens. En conséquence, 500 villages palestiniens ont été dépeuplés par la force et une « dépossession permanente de la population indigène de Palestine » a eu lieu.

La commission Peel de 1937 a admis que la déclaration Balfour de 1917 avait donné aux Britanniques un mandat qui ne pouvait pas être mis en œuvre. Le mandat a créé un antagonisme entre les Arabes et les Juifs. La commission Peel recommande un partage, mais les deux groupes s’y opposent. Le Congrès sioniste mondial de 1937, par exemple, exigeait une plus grande part des terres dans le cadre d’un partage. En 1947, les Britanniques ont réalisé qu’après les pertes subies pendant la Seconde Guerre mondiale et les coûts liés au maintien d’une force militaire importante en Palestine, ils ne pouvaient plus maintenir leur mandat de l’ONU.

Les coûts de la dépossession sont divers, les indigènes étant traumatisés lorsqu’ils perdent leurs terres ancestrales, tandis qu’à d’autres moments, il y a un coût moral qui laisse des niveaux de colère, de rage et d’angoisse chez ceux qui sont intimidés et déplacés ; mais il laisse également un résidu de culpabilité chez l’occupant afin de justifier l’appropriation des terres indigènes.

Bien que plusieurs siècles les séparent, ce qui se passe en Palestine ressemble à ce qui s’est passé en Irlande au 17ème siècle. Oliver Cromwell, le leader puritain, a envahi l’Irlande, apparemment en représailles contre la Coalition catholique d’Irlande en 1649. En guise de mesure punitive, il a massacré les habitants de Wexford et de Drogheda. Sa politique de la terre brûlée consistait notamment à brûler les récoltes et à incendier les fermes.

Selon l’historien du XIXe siècle William Lecky, les lettres de Cromwell contiennent des commentaires sur le massacre de Drogheda, au cours duquel il a personnellement ordonné que tous les habitants soient tués. Par exemple, lors de l’office du dimanche à l’église Saint-Pierre, 1 000 fidèles ont été « passés au fil de l’épée ». Cromwell lui-même a écrit : « tous leurs frères ont été frappés à la tête, à l’exception de deux d’entre eux qui ont été faits prisonniers et tués ». Il poursuit : « Une grande chose a été faite, non par la puissance ou le pouvoir, mais par l’Esprit de Dieu… il est bon que Dieu seul ait toute la gloire » (Lecky, « A History of Ireland »). Dans une autre ville (Tredagh), un historien d’Oxford, Anthony Wood, qui accompagnait Cromwell, a raconté que 3 000 personnes avaient été tuées, y compris des femmes et des enfants cachés dans des « voûtes sous l’église » ; [tous] ont été « passés au fil de l’épée ». Lecky souligne que ces actes cruels, qui furent nombreux, « ont laissé derrière eux des souvenirs qui sont les obstacles les plus fatals à la réconciliation des nations ». En Irlande, Lecky note que les actes de Cromwell continuent « d’ensorceler l’esprit irlandais… en entretenant la haine de l’Angleterre… »

Bien que les effets de la guerre de Cromwell se soient poursuivis après 1652, Sir William Petty a calculé qu’au cours des 11 années suivantes, « sur une population irlandaise de 1 460 000 habitants, le nombre de personnes décédées « du fait de la guerre, de la peste et de la famine » a été estimé à 616 000 (dont 504 000 Irlandais) ».

Cromwell et sa « New Model Army » ont laissé un pays traumatisé, forçant des dizaines de milliers de personnes à se déplacer vers des régions économiquement défavorisées de l’ouest de l’Irlande ou à être transportées vers les Antilles. La phrase « Allez en enfer ou à Connaught » lui a été attribuée, illustrant son manque total d’empathie pour les vaincus. Le contraste avec les médias anglais de l’époque est bien différent : en octobre 1652, un journal londonien, The Faithful Scout, rapporte que « la nouvelle tant attendue du calme irlandais nous est enfin parvenue avec un heureux coup de vent ». Dans la section « Enforcing Transplantation-1654-1659 », l’auteur note que : « Au printemps 1655, le gouvernement irlandais était enfin prêt à tenter d’appliquer pleinement sa politique de transplantation.

L’Acte de colonisation de 1652 a officialisé le changement de propriété foncière, les catholiques étant exclus du Parlement irlandais, interdits de vivre dans les villes et de se marier avec des protestants. En outre, « quelque cinquante mille Irlandais, y compris des prisonniers de guerre, ont été vendus comme serviteurs sous contrat dans le cadre du régime anglais du Commonwealth ». La pratique du catholicisme a été interdite et des primes ont été offertes pour la capture de prêtres, qui ont été exécutés lorsqu’ils ont été trouvés.

William Petty, économiste et philosophe qui a servi avec Cromwell, estime que 54 000 Irlandais ont quitté le pays pour servir dans des armées étrangères.

Cromwell retourne en Angleterre après sa conquête de l’Irlande, qui est saluée comme une grande victoire. Peu après, il envahit l’Écosse et réussit à contraindre cette nation à une union parlementaire avec l’Angleterre. Bien que Cromwell ait vécu huit ans de plus, il est mort de la malaria et de calculs rénaux. Bien qu’il ait été enterré en grande pompe dans l’abbaye de Westminster, il a été désincarcéré après la restauration de Charles II et pendu à Tyburn. Bien que la plupart des puritains continuent à le tenir en haute estime, les royalistes le vilipendent pour son exécution du roi.

Cromwell : Siège de Drogheda. D’après une gravure de Barlow, 1649, publiée en 1750.

Par une coïncidence intéressante, à l’époque des déprédations de Cromwell, l’influent prédicateur Increase Mather est venu de la colonie de la baie du Massachusetts pour obtenir un diplôme supérieur en théologie au Trinity College de Dublin. Il reçut le soutien de Cromwell par le biais d’un bienfait à Magherafelt. Craignant des répercussions après le retour de Charles II sur le trône, il retourna dans la colonie de la Baie et devint en 1681 président du Harvard College.

Dix ans avant le voyage de Mather en Irlande, un événement tristement célèbre s’est produit : jusqu’à 700 Pequots ont été massacrés et des centaines d’autres ont été vendus comme esclaves dans les Antilles. Cet événement est considéré comme le premier génocide à avoir eu lieu en Nouvelle-Angleterre. La justification puritaine du meurtre d’hommes, de femmes et d’enfants a été ironiquement exprimée par le dirigeant puritain John Underhill, qui a déclaré que « l’Écriture déclare parfois que les femmes et les enfants doivent périr avec leurs parents… Nous avons été suffisamment éclairés par la Parole de Dieu pour nos procédures ».

Même après toutes les années qui se sont écoulées depuis sa mort, l’esprit destructeur de Cromwell suscite toujours la colère. Son héritage, dû à sa folie meurtrière d’un an et à son expropriation de centaines de milliers d’hectares de terres irlandaises indigènes, est le fait qu’il a créé une série de précédents qui ont contraint la majorité des Irlandais à la servitude et ont placé la propriété de la terre entre les mains des Anglais.

Les puritains de Nouvelle-Angleterre ont suivi des précédents similaires en matière d’expropriation des terres indigènes. Ils ont été aidés par la maladie et la famine parmi les quelque cinq cents tribus autochtones qui, comme les Pequots, étaient marginalisées si elles n’acceptaient pas des traités qui, malheureusement, étaient rarement respectés. L’attitude de l’époque consistait à déshumaniser pour justifier la dépossession.

En Israël, il existe un équivalent de Cromwell, Benjamin Netanyahu, dont les méthodes génocidaires s’inscriraient parfaitement dans la lignée de Cromwell en Irlande ou du traitement des Pequots par les puritains. Netanyahou et les membres extrémistes de la Knesset ont activement encouragé la destruction de Gaza, la patrie de deux millions de Palestiniens. Il est encouragé par les politiques américaines qui continuent à approvisionner son armée avec une multitude de bombes de 2000 livres. Netanyahou a un besoin impérieux de projeter des attributs démoniaques sur le Hamas, la force de défense de Gaza, qu’il compare aux Amalécites, un ennemi de l’ancien Israël. Dans ce cas, les Israélites ont reçu « l’ordre de détruire les Amalécites en tuant les hommes, les femmes, les enfants et ceux qui les allaitent », en référence aux Palestiniens de Gaza.

Peut-être verrons-nous Netanyahou être confronté à des circonstances similaires à celles de Cromwell, en étant toléré pendant une situation d’urgence nationale, mais rejeté une fois l’ordre rétabli. Laissera-t-il un héritage de colère et d’animosité lorsque l’énormité de ses crimes sera révélée au grand jour ? Il se peut que, comme dans le cas de Cromwell, le public jette sa mémoire dans l’oubli et que ses « partisans de complaisance » se résignent à rester sur les banquettes arrière de la Knesset.

Le président Biden a entretenu des relations étroites avec l’Irlande par l’intermédiaire de ses parents, et en particulier de sa mère. Mais il semble qu’il ne comprenne pas très bien l’histoire de l’Irlande et qu’il ne soit pas capable de voir que ses expériences les plus traumatisantes sont reproduites par une brutalité de type cromwellien à Gaza. S’il s’était un peu renseigné sur l’invasion de l’Irlande au milieu du XVIIe siècle, il aurait pu se rendre compte que cette histoire horrible se répète à l’échelle mondiale avec la complicité de l’Amérique… Peut-être découvrira-t-il, très probablement trop tard, qu’il a participé à une grande tragédie contre une population qui ne dispose d’aucun moyen de défense durable contre les bombes qui pleuvent sur les villes et villages de Gaza.

Traduction d’un article publié ici

Gidéon Lévy :  « L’effroyable vérité sur les actions d’Israël dans la bande de Gaza »


Gideon Levy – Ha’aretz – 5 février 2015

D’avoir obtenu la démission de la tête de la Commission d’enquête des Nations-Unies ne changera rien quant au résultat de son enquête sur les crimes de guerre possibles commis dans Gaza – à moins que son remplaçant ne soit ou un raciste, ou un menteur.

Quel énorme succès diplomatique : Israël a réussi à obtenir que le professeur de droit canadien, William Shabas, démissionne de son poste de chef de la commission d’enquête des Nations-Unies sur les crimes de guerre éventuels à Gaza.

Grâce à une surveillance obstinée, les divisions Renseignements et Propagande d’Israël ont révélé que Schabas avait reçu une fois 1300 dollars d’honoraires de l’OLP. Conclusion : il a vendu son âme au diable. Le juge en croque. CQFD.

Il faut un sacré culot et une sacrée arrogance pour fouiller à nouveau dans le passé de ceux qui critiquent Israël pour tenter d’assassiner leur réputation, comme dans le cas de Richard Goldstone, simplement parce qu’ils ont osé critiquer l’État. Pour ce qui concerne Israël, le sort de quiconque critique le pays est scellé. C’est un antisémite, un anti-israélien, c’est quelqu’un d’avide ou d’animé par des motifs cachés.

Aux yeux d’Israël, il n’est pas possible que des personnes consciencieuses puissent être réellement et sincèrement choquées par ses actes, même si elles n’ont pas touché 1300 $ de l’OLP. Quand il est question d’Israël, aucun homme de loi épris de justice, ni quiconque de simplement convenable ne peut être horrifié par ce qu’il a fait dans la bande de Gaza l’été dernier. S’ils ont été choqués, c’est que ce sont des antisémites, ou parce qu’ils ont touché de l’argent de l’OLP. Il n’y a pas d’autre possibilité.

Mais la vérité est tout le contraire. Ce sont ceux qui n’ont pas été choqués qui méritent d’être condamnés, qui ont leur réputation assassinée, et leur passé minutieusement examiné. Soit ils vivent dans la cécité, le déni et la répression, soit leurs normes morales sont fondamentalement dénaturées et viciées.

Il était impossible de ne pas être horrifié par ce que les Forces de défense d’Israël ont fait dans Gaza l’été dernier – sauf si vous êtes un propagandiste, un menteur ou un raciste. En tout cas, il est impossible de soutenir Israël au vu de ce qu’il a fait aux Palestiniens. Impossible aussi d’être expert en droit international et d’être solidaire de ce qu’Israël est en train de faire. Le péché de Schabas est qu’il ne l’est pas. Il doit en être fier.

Seule, une commission d’enquête de la Ligue anti-diffamation, du gouvernement micronésien ou du parti Habayit Hayehudi (Foyer juif) n’aurait pas fustigé le saccage par les FDI de la bande de Gaza, saccage qui a été plus brutal et plus sauvage que tous les saccages précédents. Un rapport de B’Tselem publié la semaine dernière (« Drapeau noir : les conséquences juridiques et morales de l’agression contre les immeubles d’habitation dans la bande de Gaza, été 2014 ») raconte ce qui a été si rapidement oublié : les crimes de guerre.

B’Tselem a enquêté sur 70 cas de bombardements d’immeubles d’habitation, dans lesquels 606 personnes ont été tuées dans leur domicile ou tout près, plus de 70 % de ces morts sont des enfants, des femmes et des personnes âgées. Cela donne le vertige. L’armée la plus morale dans son spectacle pourtant le plus immoral, avec ses missiles qui visaient les terrasses des immeubles, et tous ses « avertissements ».

Le sang des victimes implore à grands cris. Mais pas en Israël. Ici, la propagande et les médias ont fait leur job. Dans la campagne électorale, il n’est fait aucune mention du plus important évènement du mandat du gouvernement sortant. Même l’opposition n’ose pas en parler. Le camp sioniste sait qu’il aurait fait la même chose (« dans la guerre contre le terrorisme, il n’y a plus de coalition, plus d’opposition », a déclaré Isaac Herzog la semaine dernière).

Même du sort de ces 20 000 personnes qui se trouvent toujours sans abri, six mois environ après les bombardements, dans l’hiver de Gaza, nul ne s’en préoccupe ici. Ce sont des Palestiniens. En outre, ils ont tiré des roquettes Qassam et ils se sont cachés dans des immeubles habités et le seul qui est à blâmer, c’est le Hamas. Quant aux immeubles qui ont été bombardés, c’était des avant-postes du Hamas et des salles de commandement, et tous ceux qui ont été tués étaient des terroristes, ou des enfants de terroristes.

Très prochainement, le rapport d’enquête, sans Schabas, sera publié. Il ne sera pas « équilibré », comme la propagande israélienne l’exige, parce que la situation est loin de l’être. Les 5 citoyens et les 67 soldats israéliens qui ont été tués y seront probablement mentionnés, comme les milliers de roquettes tirées sur les Israéliens. Mais même avec la nouvelle commission, avec un chef « équilibré », le rapport mentionnera qu’au cours de l’été 2014, Israël a commis des atrocités au-delà de toute proportion dans la bande de Gaza. Il n’y a aucune autre façon de décrire cela.

Source: Haaretz : http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.640830

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

http://www.agencemediapalestine.fr/blog/2015/02/08/leffroyable-verite-sur-les-actions-disrael-dans-la-bande-de-gaza/

Meurtres à Betunia, Cisjordanie occupée


Baudouin Loos

La vidéo qui accuse l’armée d’Israël de meurtres de sang-froid

Le document filmé, qui fait le buzz dans les réseaux sociaux, montre comment deux adolescents palestiniens non armés ont été froidement abattus à distance par un ou des soldats de l’armée israélienne le 15 mai dernier.

La scène se passe à Betunia, près de Ramallah, en territoire palestinien occupé. Devant la prison de l’armée israélienne appelée « Ofer ». Nous sommes le 15 mai, jour de la commémoration annuelle de la « nakba » (catastrophe) depuis 1948, la journée considérée comme celle du souvenir de la dépossession par les Palestiniens, marquée par des manifestations multiples.

Une manifestation se déroule en face de la prison en solidarité avec 125 prisonniers détenus sans charges qui observent une grève de la faim depuis 22 jours. Deux cents personnes environ, des jeunes souvent masquées. Des pierres sont jetées, à la main ou à l’aide de frondes, vers le bâtiment fortifié. Des caméras de surveillance d’un magasin palestinien situé en face de la prison filment l’événement. Selon un montage de ces images diffusé par l’ONG Defence for Children International Palestine (DCI-Palestine), on peut voir comment Mohamed Abou Thahar, 15 ans et Nadim Nuwara, 17 ans, sont abattus – l’un d’une balle dans le dos – alors qu’ils marchaient à leur aise sans menacer quiconque.

L’affaire, la semaine dernière, n’avait pas fait les grands titres en Israël. Elle avait en revanche choqué les Palestiniens. La diffusion de cette vidéo bouleverse la donne. Car l’armée israélienne qui a indiqué n’avoir recouru qu’à des balles de caoutchouc (« rubber bullets ») va devoir s’expliquer. Selon Salim Saliba, le médecin qui dirige les urgences à l’hôpital de Ramallah, qui a examiné les deux victimes, celles-ci ont succombé à des balles réelles.

Les règles internes de l’armée israélienne stipulent que le recours aux munitions de guerre est uniquement réservé aux « circonstances de vrai danger mortel » (pour les soldats). DCI-Palestine fait remarquer que cette règle est fréquemment ignorée, et cite des rapports, le sien , celui datant de 2013 de Betselem , une célèbre organisation israélienne qui comptabilise les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés, et celui d’Amnesty International de février 2014. Selon le décompte de DCI-Palestine, quelque 1.400 mineurs d’âge ont été tués par l’armée d’occupation ou des colons israéliens depuis l’an 2000.
« Biaisée »

La version de l’armée israélienne répercutée par le journal Haaretz dit ceci : « Jeudi dernier, des troubles violents et illégaux ont eu lieu à Betunia. La vidéo en question a été éditée de manière biaisée et ne reflète pas la violence des troubles. Une enquête initiale indique que les forces opérant dans la zone concernée n’ont pas utilisé de balles réelles. Néanmoins, le procureur militaire a ordonné une enquête interne limitée ».

L’armée israélienne se mettra-t-elle en devoir d’enquêter en profondeur sur les deux tirs létaux du 15 mai à Betunia ? On peut le penser. Certes, en Israël, l’armée appelée « Tsahal » (l’acronyme hébreu d’Armée de défense nationale) jouit d’un immense prestige et beaucoup aiment à lui prêter la qualité d’« armée la plus morale du monde », cela au grand dam des milliers de ses victimes palestiniennes. Mais, cette fois, le retentissement mondial de la vidéo sur les réseaux sociaux n’a pas échappé aux médias israéliens, qui s’en sont emparés.

BAUDOUIN LOOS

Mardi 20 mai 2014

la video

[youtube http://youtu.be/CaibEqx2m_k?]

Exécution des prisonniers : une pratique sioniste ancrée depuis 1948


jeudi 19 septembre 2013, par Fadwa Nassar

L’éxécution du prisonnier Islam Toubassi, jeune Palestinien de 22 ans, arrêté par les forces de l’occupation, soulève à nouveau la pratique courante de l’occupation, depuis 1948, envers les prisonniers palestiniens et arabes. Islam Toubassi a été arrêté à l’aube du mardi 18 septembre, dans le camp de Jénine, lors d’un nouveau raid mené contre le camp de Jénine, par plus de 100 soldats de l’occupation. Islam Toubassi fut réveillé par les soldats, selon le témoignage de son frère Ibrahim, qui ont tiré sur lui, le blessant à la jambe. Il est arrêté et emmené par les soldats de l’occupation. Quelques heures plus tard, son corps est livré à la famille. Il a été froidement exécuté par l’occupant, la blessure à la jambe n’ayant pu certainement pas entraîner la mort.

Des dizaines de prisonniers ont été, depuis l’Intifada al-Aqsa, exécutés par l’occupant sioniste, de cette manière, c’est-à-dire après leur arrestation, au cours de leur transport dans les blindés de l’armée d’occupation, ou dans les postes d’arrestation. En tout cas, avant leur transfert en prison et avant leur « jugement ». Souvent blessés, ils sont tout simplement achevés. L’occupant ne s’encombre pas des Palestiniens : il les exécute. C’est la pratique des « droits de l’homme » du colonisateur raciste, que le monde « libre » occidental continue à soutenir, en refusant de le dénoncer, en poursuivant ses alliances militaires, économiques et culturelles avec lui, et en lui assurant une couverture politique et diplomatique. La communauté internationale, ONU et pays impérialistes, CICR et associations des droits de l’homme, sont aussi responsables que les criminels qui ont achevé le martyr Islam Toubassi. Nous n’avons aucune illusion là-dessus, même si un responsable de l’Autorité Palestinienne a appelé à porter cette affaire devant les tribunaux internationaux, pour juger le nouveau crime perpétré par l’Etat sioniste. Un simple appel pour se dédouaner, pour empêcher la révolte.

Appeler à traduire l’Etat colonial en justice, pour ce nouveau crime, relève du ridicule, quand on sait que l’exécution des prisonniers a toujours été une pratique de cet Etat, depuis 1948. C’est ce que vient de dévoiler, noir sur blanc, un nouveau livre paru sur les prisonniers palestiniens, entre 1948 et 1953, à partir de témoignages de ces Palestiniens encore vivants, qui vivent aujourd’hui dans les territoires occupés en 1948, sur lesquels fut installée la colonie israélienne. La lecture des témoignages qui se recoupent souvent, ne laisse aucun doute, puisque la plupart des faits racontés sont corroborés par les archives de l’Etat colonial, d’une part, et celles du CICR, de l’autre.

Des camps de concentration
Le livre publié récemment par l’Institut des Etudes Palestiniennes, écrit par l’historien Mustafa Qubbaha et le journaliste écrivain Wadi’ Awawdeh, comble une étape importante de l’histoire des prisonniers palestiniens et des prisons et camps de concentration sionistes, dans la Palestine occupée, qu’ils viennent tout juste de proclamer « Etat d’Israël ». Sitôt l’Etat proclamé, les rafles commencent, partout et sans motifs. La plupart des hommes considérés comme pouvant porter des armes furent emmenés, de force ou par la ruse, et incarcérés. De 1948 à 1953, entre 8000 et 120000 détenus palestiniens furent placés dans des camps, quelques-uns provisoires, d’autres permanents, comme le camp d’Ijlil, le plus vaste, où ont été détenus près de 4000 Palestiniens, en majorité des civils. Dans ce camp situé au nord de Yafa, fut froidement exécuté Salim Yafaoui, membre du comité national ayant organisé la défense de la ville de Yafa, en 1948. Le résistant fut exécuté par un gardien du camp, par une balle tirée dans le dos. Son corps fut exposé pendant plusieurs jours, « pour servir de leçon », avant d’être remis au CICR. Le second camp fut celui de Atlit, installé en juillet 1948. Plusieurs détenus palestiniens furent exécutés, sans la moindre justification, dont Hassan, du village de Zarkouna, dans la région de Yafa. Il s’était proposé pour aller cueillir des fruits que les gardiens souhaitaient avoir. A peine s’est-il déplacé qu’il fut froidement assassiné, dans le dos, encore une fois.

Dans trois autres camps de concentration, les prisonniers étaient forcés de travailler. C’était le cas pour les camps de Sarafand (camp militaire britannique transformé en prison), camp Tel Levinsky et le camp d’Um Khaled.

La forteresse historique de Akka fut transformée en prison par les Britanniques, qui y exécutèrent les premiers prisonniers martyrs, Fouad Hijazi, Ata Zeer et Mohammad Jamjoum, le 17 juin 1930, suite à la première révolte d’al-Bouraq, contre la présence sioniste aux environs de la mosquée al-Aqsa. Lorsque les sionistes s’emparent du pays, ils maintiennent la prison dans la forteresse et exécutent 19 prisonniers, au moins, selon leurs compagnons, après avoir été sommairement jugés par un tribunal militaire.

Le témoignage de Jumaa Ghanem de Tiret al-Karmel, qui fut détenu dans la prison de Akka, est sans équivoque : « Un tribunal d’exception fut installé, dans le poste de police. Ils nous prenaient un à un, nous entendions un peu plus tard trois coups de feu, nous ne savions pas ce qui se passait. Mais cependant, personne ne revenait. Nous avions pensé qu’ils voulaient juste nous terroriser. Mon tour est arrivé. Deux soldats m’emmènent vers la place de la prison. J’y retrouvais tous ceux qui ont été emmenés avant moi. Leurs corps inanimés étaient plongés dans le sang. Je me suis retrouvé devant le juge, entouré de trois officiers et de deux traducteurs… »

La barbarie de l’occupant sioniste ne date pas d’ajourd’hui, comme peuvent le prouver tous les massacres commis entre 1947 et 1948, pour semer la terreur et obliger les survivants à quitter leur pays. Mais ceux qui sont restés, eux, ont dû subir l’humiliation et la terreur quotidienne, ils ont dû assister à la destruction brutale de leur pays, de leurs villes et de leurs villages. Ils furent pourchassés, emprisonnés, encerclés, puis soumis à un régime militaire. Et c’est aussi dans ces camps de concentration que l’occupant a installés, qu’ils ont réalisé la véritable nature de ces envahisseurs venus d’ailleurs.

Fadwa Nassar
18 septembre 2013

source

Israël et la « guerre humanitaire »


posté à 19h13, par Eyal Weizman (traduit par Rémy Toulouse)

« La ruine est un symbole important en ce qu’elle permet l’exposition publique de l’occupation et de la domination : elle témoigne de la présence du pouvoir colonial, y compris quand le colonisateur lui-même est invisible. »

Cette traduction d’un article d’Eyal Weizman a été publiée dans le numéro 12 de la version papier d’Article11

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L’article qui suit a été publié sur le site de la London Review of Books le 24 novembre 2012, trois jours après la fin officielle de l’opération « Pilier de Défense » – attaque de l’armée israélienne sur la bande de Gaza qui a fait environ 160 victimes. Du 14 au 21 novembre 2012, une pluie de missiles s’était abattue sur un territoire déjà dévasté par de précédentes agressions et un blocus draconien. Ruines sur ruines, sang sur sang.

Nous avons choisi de traduire et publier ce texte inédit (en français) d’Eyal Weizman parce qu’il dresse un tableau dépassant largement la simple réaction « à chaud ». En analysant les nouveaux visages de la stratégie israélienne et en dressant le parallèle avec l’opération « Plomb Durci » de décembre 2008 et janvier 2009 (plus de 1 300 morts), Weizman met à nu la nouvelle obsession des responsables israéliens : intégrer la logique du droit humanitaire à une stratégie militaire d’agression. Ou comment faire régner la terreur tout en se parant d’un masque de « légalité ».

Eyal Weizman est peu connu en France. Hors le brillant À travers les murs (dont Article11 parlait ici), traduit aux éditions La Fabrique en 2008 et consacré à « l’architecture de la nouvelle guerre urbaine »1, l’œuvre de ce théoricien israélien de l’architecture et de l’urbanisme y reste en grande partie inédite2. C’est un tort, tant ses analyses des différentes composantes (architecturale, législative, militaire, etc.) de l’occupation israélienne éclairent la guerre en cours.

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Gaza sous les raids aériens de novembre 2012 © Rafael Ben-Ari / Sipa

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Au cours des huit jours de bombardements aériens sur Gaza par les drones, F-16 et hélicoptères Apache israéliens, plus de 1 350 bâtiments ont été touchés. Il y avait parmi eux des dépôts militaires, considérés comme des cibles légitimes par le droit humanitaire international. Mais les postes de police, les locaux de télévision, les centres de soin, les ministères, les tunnels et les ponts qui ont également été visés sont protégés par le droit au titre d’infrastructures civiles. Pour justifier leur destruction, Israël a prétendu qu’ « ils appartenaient à une organisation terroriste  ». Un argument qui, si on l’accepte, fait de tous les immeubles publics et infrastructures physiques de la bande de Gaza des cibles légitimes ; c’est pourquoi cette justification est rejetée par tous les avocats internationaux en dehors d’Israël.

La volonté d’Israël de se doter à tout prix d’une ligne de défense juridique, même fragile, est une réponse au rapport Goldstone, qui affirmait (avant que Goldstone lui-même ne se rétracte) qu’Israël et le Hamas avaient commis des crimes de guerre au cours du conflit de l’hiver 2008-2009, et qu’Israël était peut-être même coupable de « crimes contre l’humanité ». En pleine tempête médiatique déclenchée par ce rapport, Benjamin Netanyahu avait pris la parole dans un institut de sécurité pour mettre les choses au clair : les organisations soutenant les principes des droits de l’homme et du droit international étaient, selon lui, la troisième menace stratégique (après l’Iran et le Hezbollah) pesant sur la sécurité d’Israël… Quand les think tanks israéliens, et certains de leurs équivalents occidentaux, font aujourd’hui état de cette « troisième menace stratégique  » qu’est le recours au droit contre les armées étatiques, ils évoquent une « guerre législative » ; soit l’usage du droit international comme une arme par un acteur non étatique, visant à pallier sa faiblesse sur le terrain purement militaire.

Conscient qu’il pouvait être contre-productif de s’exposer davantage à l’action juridique internationale, Netanyahu a fait passer une consigne lors de l’opération « Pilier de Défense » : l’armée devait s’imposer une certaine retenue, afin d’éviter le niveau de destruction atteint en 2008-2009. En outre, les experts israéliens en droit humanitaire international ont été plus étroitement associés que jamais à la préparation des attaques, et l’armée n’a cessé de proclamer son engagement à minimiser les dégâts infligés aux populations civiles. Résultat : le nombre de victimes est bien moins élevé que pour l’opération « Plomb Durci » – qui a causé dix fois plus de morts chez les Palestiniens –, même si ce chiffre s’est accru alors que l’opération militaire touchait à sa fin. La liste des cibles se réduisant, la force aérienne a largué ses bombes sur des quartiers plus densément peuplés, avec un risque plus important de dégâts collatéraux. Mais Israël ne se contente pas d’affirmer que ses raids aériens sont conformes au droit international. L’État hébreu a aussi commencé à expérimenter de nouveaux types de bombardements. C’est ce qu’ont découvert les défenseurs des droits de l’homme qui ont mené, après l’attaque de 2008-2009, une enquête utilisant des techniques issues du nouveau champ de la « juri-architecture3 ». Cela leur a permis de mettre à jour les traces d’une nouvelle stratégie israélienne : des cratères de petite taille causés par des impacts sur ce qui avait autrefois été les toits d’immeubles détruits. L’armée israélienne a fait savoir qu’elle avait à nouveau utilisé cette tactique – appelée « frappe sur le toit  » – au cours de l’opération « Pilier de Défense ». La manœuvre consiste à tirer des missiles et des bombes « préventives » de faible intensité sur des maisons à détruire, avec l’idée que leur impact sera assez important pour que, pris de panique, les habitants fuient leurs maisons avant qu’elles ne soient entièrement démolies.

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Illustration de Baptiste Alchourroun

Israël se targue désormais de systématiquement prévenir les habitants civils des bombardements imminents. La nouvelle procédure est une adaptation de la méthode « frappe sur le toit » : elle consiste à appeler les habitants pour les informer – via un message enregistré ou récité par un opérateur arabophone de l’armée de l’Air – que leur immeuble sera détruit dans les minutes à venir. Des lignes téléphoniques qui avaient été suspendues depuis des mois pour cause de factures impayées ont même été soudainement réactivées pour diffuser ces mises en garde. Selon l’armée israélienne, au cours des dernières vingt-quatre heures de l’opération « Pilier de Défense », des milliers de résidents gazaouïs ont ainsi été avertis par téléphone des frappes à venir. (Israël a accès au réseau de communication de Gaza, parce que le réseau téléphonique et l’infrastructure Internet de la Bande sont acheminés par des serveurs israéliens ; un avantage précieux pour récolter des renseignements et pour diffuser de la propagande.)

Bien entendu, de nombreux habitants de Gaza n’ont ni ligne terrestre ni téléphone portable. Mais lorsque c’est le cas, a expliqué un porte-parole de l’armée israélienne, les experts juridiques recommandent d’utiliser des tracts encourageant les gens à quitter leurs domiciles avant qu’ils ne soient détruits. Et les bombes préventives sont juste une autre manière d’envoyer un avertissement. En 2009, un avocat de l’armée israélienne pouvait tranquillement déclarer : « Les gens qui restent dans une maison malgré les avertissements ne doivent pas être comptabilisés comme des victimes civiles. […] D’un point de vue strictement juridique, je n’ai pas à les prendre en considération. »

Bien sûr, prévenir peut permettre de sauver des vies. Mais la stratégie vise aussi à changer la désignation légale de quiconque est amené à être tué. Selon cette interprétation du droit, si un avertissement a été émis et qu’il n’a pas été suivi, la victime n’est plus un « non-combattant » mais un « bouclier humain » volontaire. Dans ce cas et dans d’autres, les lois de la guerre interdisent certaines choses mais en permettent d’autres. Cela devrait donner à réfléchir à tous ceux qui ont protesté contre l’attaque israélienne au seul nom du droit.

Nous en saurons plus sur la manière dont l’opération « Pilier de Défense » a été menée lorsque, dans les semaines à venir, il sera possible de commencer à lire les décombres. Une partie de ce que nous savons sur l’attaque de 2008-2009 vient ainsi d’archives, rassemblées dans «  le Livre de la Destruction » par le ministère des Travaux et de l’Habitat public, dirigé par le Hamas. Ces archives contiennent des milliers d’entrées, chacune documentant un immeuble partiellement ou entièrement détruit ; tout y est enregistré, des murs fissurés mais tenant encore debout jusqu’aux tas de ruines. Ce ministère mettra certainement en place le même type d’archives après la série de bombardements de novembre 2012. Et la liste dressée sera sans doute étroitement parallèle à celle contenue dans un document de l’armée israélienne, « le Livre des Cibles de Gaza », un épais dossier bleu que le chef d’état-major sortant, Gabi Ashkenazi, qui supervisa l’opération « Plomb Durci », a confié à son successeur lors d’une cérémonie télévisée diffusée début 2011 : «  Je tiens à transmettre quelque chose que je transporte avec moi en permanence », a-t-il déclaré.

Maintenant que les bombardements sont terminés, des indices vont être collectés (et des allégations formulées et contestées) en parlant aux survivants et aux témoins, et en utilisant des données géo-spatiales, des images-satellites d’immeubles détruits et des informations obtenues lors d’investigations sur place. Mais l’enquête se révélera difficile : à Gaza, les ruines s’empilent sur les ruines, et il n’est pas facile de les distinguer les unes des autres. Les guerres de 1947-1949, les incursions militaires des années 1950, la guerre de 1956, celle de 1967, la contre-insurrection de 1972 dans les camps de réfugiés, la première Intifada de 1987-1991, les vagues de destruction lors de la seconde Intifada des années 2000 et les deux attaques de 2008-2009 et 2012 ont toutes ajouté de nouvelles couches de gravats sur celles accumulées antérieurement.

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Gaza, novembre 2012 © AHMUD HAMS / AFP

La ruine est un symbole important en ce qu’elle permet l’exposition publique de l’occupation et de la domination : elle témoigne de la présence du pouvoir colonial, y compris quand le colonisateur lui-même est invisible. Avant de se retirer de la bande de Gaza en 2005, Israël a affirmé son contrôle sur l’enclave au moyen de ses colonies. (En 1980, Ariel Sharon, alors ministre en charge des Colonies, a déclaré qu’il voulait que « tout Arabe discerne chaque nuit, à moins de cinq cents mètres de chez lui, les lumières juives ».) Après que l’armée s’est redéployée autour de Gaza et qu’elle a rasé les colonies, inaugurant une nouvelle phase du colonialisme, les immeubles détruits – tels des monuments, non réparés, non réparables – sont devenus l’affirmation visuelle la plus importante de la domination israélienne.

Mais le véritable pouvoir d’Israël sur Gaza est invisible. Il tient dans la capacité de sa force aérienne à maintenir sur la Bande une menace permanente de « frappe et de surveillance » (les drones peuvent rester dans les airs vingt-quatre heures sur vingt-quatre) ; c’est cette capacité qui a rendu le retrait de l’armée possible. Si on tient compte de l’emprise qu’Israël exerce sur le sous-sol gazaouï – laquelle lui permet de voler la majeure partie de l’eau venant des aquifères côtiers – et sur les ondes radio, par exemple en ayant recours à la technologie de brouillage électromagnétique, tout ce qui reste aux habitants de Gaza est la fine bande de terre prise en sandwich entre les zones contrôlées par les Israéliens. Pas la peine de se demander pourquoi ils cherchent à occuper l’espace au-dessous et au-dessus d’eux avec des tunnels et des roquettes.

Eyal Weizman, novembre 2012 – Texte traduit de l’anglais par Rémy Toulouse

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Le texte publié dans la version papier était accompagné d’une illustration de Baptiste Alchourroun :

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1

JPEG - 80.6 ko2 Hollow Land : Israel’s Architecture of Occupation (2007) et The Least of All Possible Evils : Humanitarian Violence from Arendt to Gaza (2011) n’ont pas été traduits en français.

3 Le terme fait référence à une méthode analytique visant à reconstituer les scènes de violence à partir de leur inscription dans les constructions et les environnements spatiaux.

source


Julien Salingue : Sur l’offensive en cours à Gaza


Propos recueillis par Gaël Cogné et publiés le 16 novembre 2012 sur le site FranceTVinfo

Francetv info : Quelles sont les raisons pour lesquelles Israël a lancé une offensive contre la bande de Gaza ?

Julien Salingue : Il y a deux considérations. Une qui relève de la politique intérieure, l’autre de politique extérieure. D’abord, ça devient de plus en plus une tradition en Israël : les campagnes électorales s’accompagnent d’une attaque. La dernière opération contre Gaza en 2008-2009 (« Plomb durci »), c’était aussi pendant une campagne. Le gouvernement de Benyamin Netanyahu est tenté d’être dans une confrontation militaire pour radicaliser la société israélienne. Ils savaient très bien que le Hamas ne manquerait pas de riposter. Ils comptent convaincre un certain nombre d’électeurs que la meilleure option demeure les plus radicaux, eux-mêmes.

Ensuite, on est à deux semaines d’un probable vote aux Nations unies sur le statut de la délégation palestienne pour son admission comme État nom membre. Israël n’en veut pas mais est minoritaire à l’ONU sur cette position. En lançant une confrontation militaire avec Gaza, il soude derrière lui une partie des hésitants tentés de ne pas vouloir se prononcer, pour ne pas donner l’impression de soutenir les Palestiniens contre Israël. Les réactions d’une partie de l’Union européenne montrent que cela fonctionne. Très nuancées, elles renvoient dos à dos le Hamas et Israël.

L’assassinat du chef militaire du Hamas, Ahmad Jaabari, porte-t-il un coup dur au mouvement ?

Au Hamas, Jaabari était un chef militaire, mais il jouait aussi un rôle politique central dans la bande de Gaza. Il était en charge depuis quelques années du maintien de l’ordre. Son rôle était d’assurer, si nécessaire, le calme aux frontières, aux points de contact avec Israël. Ce n’est pas un hasard si c’est lui qui, on l’a appris dans le quotidien israélien Haaretz, était en train d’élaborer une proposition de trêve avec Israël sous supervision égyptienne. On est loin de l’image qu’on a voulu nous présenter, celle d’un chef de groupes qui tirent des roquettes sur Israël. Finalement, ceux qui au Hamas défendent depuis plusieurs années le principe d’une solution politique et de négociations sont affaiblis.

Le Hamas va-t-il exploiter cette intervention pour renforcer son emprise sur Gaza ?

Il y a quelques mois, le Hamas a créé une force de trois cents hommes chargée de dissuader les autres groupes de tirer des roquettes sur Israël. Alors que le blocus, les bombardements et les incursions se poursuivaient, cette mesure n’était pas populaire. Une partie de la base du Hamas jugeait qu’il n’était pas assez ferme. En visant directement l’appareil militaire du Hamas, Israël donne l’impression à la population que le parti est loin d’avoir fait des compromis. En ce sens-là, ça peut servir le Hamas.

Après, cela peut aussi avoir un effet sur la scène politique intérieure palestinienne. Le Hamas sort renforcé vis-à-vis de l’autorité palestinienne de Ramallah. Depuis quelques jours, cette dernière peine à communiquer. En réalité, Mahmoud Abbas se retrouve un peu piégé. S’il condamne trop vivement l’intervention israélienne, s’il apporte trop ouvertement son soutien à la population de Gaza, il va apparaître comme soutenant le Hamas [son opposant politique]. Mais s’il ne le fait pas, il donne le sentiment qu’il privilégie les intérêts d’appareil à la population.

Du coup, les groupes jihadistes salafistes qui ont fait leur apparition ces dernières années s’en trouvent-ils affaiblis ?

Il est difficile de mesurer leur réalité. Mais ils se sont construits en expliquant que le Hamas était en train de devenir l’équivalent de l’Autorité palestinienne, qu’il n’allait pas assez loin. Par conséquent, dans la phase actuelle, ils perdent de leur aura car le Hamas s’est remis à participer de manière très visible au combat. En revanche, si le Hamas va vers la négociation d’une trêve ou d’un cessez-le-feu et que dans les semaines ou les mois à venir la situation de Gaza ne s’améliore pas, les groupes plus radicaux empocheront la mise.

Pendant longtemps, le régime d’Hosni Moubarak en Egypte s’est montré assez neutre vis-à-vis d’Israël. L’arrivée au pouvoir de l’islamiste des Frères musulmans (organisation proche du Hamas) Mohamed Morsi change-t-elle la donne ?

Ce qui s’est passé depuis deux jours montre assez nettement que les choses ont changé. On a eu les déclarations assez vives de Mohamed Morsi, le rappel de l’ambassadeur d’Egypte en Israël, l’ouverture de la frontière à Rafah pour permettre aux blessés palestiniens de sortir, la visite du Premier ministre égyptien aujourd’hui. Israël ne peut plus compter sur le régime égyptien pour faire taire toute contestation de la politique israélienne en Egypte et pour contribuer à l’isolement des Palestiniens. Pour l’instant, cela ne joue pas beaucoup sur la politique israélienne, mais cela peut, à moyen terme, peser.

Pensez-vous que l’opération va encore durer longtemps ? Y aura-t-il une opération terrestre ?

Difficile à dire. Avec le contexte électoral israélien, le gouvernement ne peut pas donner l’impression d’avancer à moitié. Est-ce que ça veut dire qu’il va entrer partiellement, totalement dans la bande de Gaza, qu’il va accroître la pression militaire ? Ce qui est sûr, c’est que ça ne va pas s’arrêter aujourd’hui. Ce qui va jouer, c’est en partie l’attitude du Hamas et les effets des tirs de roquettes. S’il y a d’autres morts côté israélien, ou d’autres roquettes qui tombent à côté de lieux symboliques, cela peut convaincre l’armée israélienne de pénétrer dans la bande de Gaza et de taper plus fort.

Venez protester !!!! Indécente propagande militariste israélienne à Anvers dimanche prochain


Une pétition adressée à Yves Leterme et Monica De Cowninck peut être signée en cliquant ici

Soyons présents !
Venez protester avec nous
dimanche 18 novembre à 13 h.,
contre ce concert de propagande l’orchestre
de l’armée israélienne à la
Maison de la Province d’Anvers
Koningin Elisabethlaan 22, 2018 Anvers
Tram 2 et 6 à partir de la gare Centrale d’Anvers
(arrêt : Provinciehuis)

 

Indécente opération de
propagande militariste
israélienne à Anvers
dimanche prochain

Le 13 novembre 2012

Rue de la Station 58/2 – 6140 Fontaine-l’Evêque

 

De nombreuses organisations appellent à manifester contre la représentation de l’orchestre de l’armée israélienne, avec le soutien de l’ancien premier ministre
Yves Leterme et de la
Ministre Monica De Coninck
,
ce dimanche 18 novembre à Anvers
.

 
La Plate-forme Charleroi-Palestine s’associe à cet appel.

Inacceptable ! B’nai B’rith Antwerpen et Christenen voor Israël (Chrétiens pour Israël) invitent l’Orchestre de l’armée israélienne à Anvers ce dimanche 8 novembre.
Et l’ex-premier Yves Leterme et la ministre Monica De Coninck y prendront la parole.

« L’armée israélienne a mené samedi et dimanche des offensives aériennes et terrestres dans la bande de Gaza faisant 7 morts palestiniens, dont 3 enfants, et 52 blessés, dont 6 femmes et 12 enfants » écrit l’Association belgo-palestinienne (ABP).

« Au-delà des événements du weekend, cela fait deux semaines qu’Israël a repris des frappes régulières contre la bande de Gaza. Le risque augmente que l’on assiste à une attaque d’envergure, semblable à l’Opération Plomb durci de l’hiver 2008-2009 qui s’était soldé par un bilan de 1400 morts et plus de 5000 blessés du côté palestinien, et cela en moins d’un mois. L’attaque israélienne avait été menée à un mois des élections législatives en Israël. Cette année, les attaques s’intensifient aussi à deux mois des élections israéliennes, prévues en janvier 2013….
Alors que l’armée israélienne reprend sa politique de représailles massives, en déni total du droit international, Monica De Coninck, Ministre fédérale de l’Emploi et Yves Leterme, assisteront dimanche prochain à un concert donné à Anvers par l’armée israélienne. L’Association Belgo-palestinienne s’oppose vivement à ce qu’un représentant du gouvernement fédéral cautionne un tel événement par sa présence et appelle tous les démocrates à manifester en ce sens. Il est impensable que , dans la situation actuelle, alors qu’Israël une fois de plus bafoue le droit international et humanitaire en s’attaquant à des civils, notre gouvernement se voie représenté à une manifestation qui met à l’honneur l’armée israélienne.
»

Un jeune Palestinien blessé lors du bombardement du 10 novembre
« L’armée israélienne a mené une guerre d’agression contre la bande de Gaza lors de l’hiver 2008-2009 pendant laquelle plus d’un millier de Palestiniens ont perdu la vie et plusieurs milliers ont été blessés. Le blocus illégal de cette armée contre la population de la bande de Gaza dure depuis des années. Aussi bien en Cisjordanie, qu’à Jérusalem Est et dans la bande de Gaza (territoires occupés illégalement depuis 1967), l’armée israélienne se rend quotidiennement coupable d’exactions et de violations des droits de l’homme… » rappelle l’asbl Intal
« Pour toutes ces raisons, nous exigeons de la Belgique un embargo militaire contre Israël. Ce qui se produit ce 18 novembre, c’est l’exact opposé. L’ancien Premier Ministre Yves Leterme (CD&V) ainsi que la Ministre fédérale de l’emploi Monica de Coninck (Sp.a) seront présents dimanche prochain à ce concert, apportant de facto leur soutien à l’occupation israélienne ainsi qu’à son armée. Nous dénonçons le fait que des moyens publics, tels que la Maison de la Province d’Anvers, puissent être utilisés par la propagande en faveur de la colonisation et de la répression israélienne. »

Yves Leterme et Monica De Coninck à un concert de Tsahal


Une après-midi anversoise fait beaucoup parler d’elle dans les milieux propalestiniens. Ceux-ci ont en effet eu l’attention attirée par l’affiche d’une invitation lancée par deux organisations, Christenen voor Israel (les chrétiens pour Israël) et le B’nai B’rith Antwerpen (filiale anversoise d’une organisation juive qui se dit active dans

la défense des droits de l’homme et la défense de l’Etat d’Israël). Le concert sera donné dimanche par l’orchestre de « Tsahal », l’acronyme hébreu qui désigne l’armée israélienne. Orateur : Yves Leterme, ex-Premier ministre parti à Paris à l’OCDE. La ministre fédérale de l’Emploi, la SPa Monica De Coninck, devrait également assister à cet événement musical.
Plusieurs organisations propalestiniennes s’étranglent d’indignation à propos de ces parrainages. Ainsi, l’Association belgo-palestinienne a émis un communiqué pour dire son opposition, notamment, « à ce qu’un représentant du gouvernement fédéral cautionne un tel événement par sa présence (…). Il est impensable que, dans la situation actuelle, alors qu’Israël une fois de plus bafoue le droit international et humanitaire en s’attaquant à des civils, notre gouvernement se voie représenté à une manifestation qui met à l’honneur l’armée israélienne ».
De son côté, la députée Ecolo Zoé Genot a interpellé Mme De Coninck.
L’armée d’Israël, qui se décrit comme « la plus morale du monde », est aux yeux du droit international une armée d’occupation. Et son activité répressive a souvent tué des civils innocents, comme en attestent les rapports des ONG compétentes en droits humains. BAUDOUIN LOOS »LE SOIR » DU MERCREDI 14 NOVEMBRE 2012

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