La jeunesse palestinienne à couteaux tirés avec Israël


Michel Warschawski

Publié le 15 octobre 2015

Comment en est-on arrivé à ce que des dizaines de Palestiniennes et dePalestiniens se mettent à attaquer des Israéliens juifs à l’arme blanche ? Ceux que Benyamin Nétanyahou appelle « terroristes » sont pour la plupart nés après les accords d’Oslo, ont grandi avec l’échec désormais avéré du « processus de paix », dans la frustration, la peur et l’humiliation permanentes, sans perspective d’avenir. Las des idéologies, de la diplomatie et des slogans inopérants, ils sont passés à la reconquête d’une dignité bafouée. Quel qu’en soit le prix.

« #freepalestine » Rabya Mohammed Fraij, Deviantart, 2014

«  Est-ce une troisième intifada  ?  » se demandent commentateurs et politiciens en Israël. Une question dont la pertinence me semble douteuse et à laquelle il est de toute façon beaucoup trop tôt pour répondre. Il est plus intéressant de comprendre comment nous en sommes arrivés à ce que des dizaines dePalestiniennes et de Palestiniens, des jeunes pour la plupart, en sont venus à attaquer le premier Israélien venu avec un couteau, un cutter ou un tournevis hâtivement ramassés sur la table de la maison familiale. Car il s’agit bel et bien d’initiatives individuelles et spontanées, derrière lesquelles ne se trouvent aucune consigne en provenance d’une quelconque organisation.

Benyamin Nétanyahou ment comme un arracheur de dents quand il affirme que c’est Mahmoud Abbas qui inspire ces jeunes, et il sait mieux que personne les efforts de ce dernier et de sa police pour tenter d’enrayer le processus en cours. Mais «  Monsieur Sécurité  » a besoin d’un bouc émissaire pour cacher son échec flagrant, lui qui avait centré toute sa campagne électorale sur son «  expertise  » démontrée dans le maintien du calme dans les territoires occupés. Un message qui avait été reçu cinq sur cinq par l’électorat.

Les médias, dans leur majorité, reprennent le discours récurrent deNétanyahou sur le terrorisme, et depuis quelques jours on ne cesse d’utiliser les mots chers au premier ministre : «  actes terroristes  », «  un terroriste âgé de 13 ans  » [sic], «  nous utiliserons tous les moyens pour arrêter le terrorisme  ». L’opinion publique israélienne suit, sans broncher.

Qui sont ces «  terroristes  » et qu’est-ce qui a provoqué cette longue série d’attaques au couteau sur des Israéliens, en civil ou en uniforme  ? Ce sont des jeunes, voire des très jeunes, nés après les accords d’Oslo et qui agissent individuellement (ou à deux au maximum), hors du cadre des organisations nationales, Hamas compris. Et pourquoi maintenant  ? On assiste, semble-t-il, à la conjoncture de deux éléments qui ne sont pas liés l’un à l’autre, mais résultent tous deux de la politique de Benyamin Nétanyahou.

D’abord, l’échec reconnu par tous de ce qu’on a trop longtemps appelé «  le processus de paix  ». Les Palestiniens, y compris la jeunesse, ont laissé pendant des années Mahmoud Abbas gérer la stratégie de libération à travers la diplomatie, c’est-à-dire en utilisant la communauté internationale comme levier qui parviendrait à obliger l’État d’Israël à mettre fin à l’occupation coloniale. Même le Hamas avait fait le choix de ne pas entraver les tentatives du président de l’Autorité palestinienne, tout en insistant sur le fait que ledit processus négocié était voué à l’échec, et que ses compromis ne seraient récompensés par aucune contrepartie. Mais après près de dix ans pendant lesquels Abbas a fait les antichambres de toutes les chancelleries et accepté d’avaler d’innombrables couleuvres, on en est toujours à la case zéro. Pire,Israël a su profiter du temps qui passe pour élargir substantiellement la colonisation de la Cisjordanie et parachever la séparation de Jérusalem-Est de son arrière-pays palestinien.

Au bout de dix ans, le crédit d’Abou Mazen s’est complètement épuisé, en particulier auprès de la jeunesse, qui ne voit aucune avancée — si ce n’est celle des colonies. L’épuisement du crédit du président palestinien s’est accéléré avec la série de provocations du gouvernement Nétanyahou après sa réélection, en particulier les parades de députés et de ministres sur l’esplanade des Mosquées, le Haram el-Sharif. On ne peut en effet sous-estimer l’impact sur les jeunesPalestiniens des images où l’on voit des groupes de juifs prier (ou faire semblant de prier) sur ce lieu saint pour un milliard et demi de musulmans. Pire, aux provocations de politiciens en quête de popularité s’ajoute l’intervention violente de la police sur l’esplanade contre des jeunes musulmans venus protéger leur mosquée, et la profanation d’Al-Aqsa par des policiers qui souillent les tapis de prière avec leurs gros souliers.

Benyamin Nétanyahou a ainsi osé remettre en question le statu quo négocié en 1967 par Moshe Dayan et le roi Hussein de Jordanie sur la gestion de l’esplanade, y compris les horaires et les lieux spécifiques ou les non musulmans peuvent pénétrer sur l’esplanade. Le chef du gouvernement israélien aurait mieux fait d’écouter les mises en garde du roi Abdallah de Jordanie sur les risques d’explosion que provoquerait un changement du statu quo à Al-Aqsa.Mais le petit politicien et la peur de ce que diraient ses concurrents s’il interdisait la présence de juifs sur le site du Temple d’Israël ont vaincu l’homme politique et la crainte d’une explosion régionale généralisée.

Al-Aqsa est un symbole sacré pour tous les Palestiniens, athées et chrétiens compris. Avec les provocations sur l’Esplanade des Mosquées, l’arrogance israélienne a heurté la dignité de tous les jeunes Palestiniens. La série d’attaques de passants israéliens au couteau ou au tournevis est la réponse d’une nouvelle génération palestinienne à l’arrogance israélienne et aux provocations de la droite au pouvoir, sur un arrière-fond d’échec reconnu de la stratégie négociée de Mahmoud Abbas et de l’Autorité palestinienne. Le fait qu’en donnant l’ordre de tirer sur les «  terroristes  » pour les «  neutraliser  »Nétanyahou ait transformé ces attaques à l’arme blanche en attentats-suicides ne semble pas avoir eu d’effet dissuasif. Bien au contraire, chaque attaque en stimule d’autres.

J’ai rencontré il y a deux jours un groupe de jeunes Palestiniens de Bethléem, et Safa, une étudiante chrétienne si l’on en croit le crucifix qu’elle portait, me disait son admiration pour ses compatriotes qui attaquent des Israéliens au couteau. «  Jusqu’à présent, c’est nous qui avions peur, mais maintenant c’est au tour des Israéliens : regarde comme il n’y a personne dans leur tramway, et même les rues de Tel Aviv sont complètement vides le soir.  » Et d’ajouter :«  Si j’avais plus de courage, je ferais la même chose…  »

L’Autorité palestinienne et Mahmoud Abbas ne signifient pas grand chose pour Safa et ses amis, et si le nom de Yasser Arafat les émeut encore, ils ne savent pas ce qu’est l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Bien dans l’esprit de leur temps, pour ces jeunes, les sigles, les slogans et les idéologies ont laissé la place au ressenti. Dans ce ressenti, il y a une place d’honneur pour une reconquête de la dignité perdue.

Par ses déclarations bellicistes et arrogantes, Benyamin Nétanyahou ne renforce pas seulement la détermination que l’on sent de plus en plus au sein de cette jeunesse palestinienne que l’on disait dépolitisée et démobilisée; il fait deMahmoud Abbas un politicien non relevant et rend quasiment impossible toute tentative de sa part de désamorcer la bombe qui risque non seulement de démultiplier les victimes — israéliennes et palestiniennes — mais aussi de provoquer la désintégration de l’Autorité palestinienne. C’est bel et bien la politique du pire. Mais n’est-ce pas exactement ce que recherche le chef du gouvernement israélien  ?


 

Publié le 15 octobre 2015 sur Orient XXI

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Michel Warschawski est un journaliste et militant de gauche israélien, il est cofondateur et président de l’Alternative Information Center (AIC). Dernier ouvrage paru (avec Dominique Vidal) : Un autre Israël est possible, les éditions de l’Atelier, 2012.

http://www.pourlapalestine.be/la-jeunesse-palestinienne-a-couteaux-tires-avec-israel/

 

Même Gandhi pourrait comprendre la violence des Palestiniens  


Gideon Levy • Haaretz • 8 octobre 2015 •

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Camouflés derrière une brume de l’argumentaire de l’auto-défense, de la propagande médiatique, de l’incitation, du lavage de cerveau et de l’a victimisation de ces derniers jours, la seule question qui s’impose est celle -ci : Qui a raison?

Il ne reste plus aucun argument justifiable dans l’arsenal d’Israël, recevable par une personne normale. Même Mahatma Gandhi aurait compris les raisons de cette explosion de violence palestinienne. Même ceux qui redoutent la violence, qui la considèrent comme immorale et inutile, ne n’y peuvent rien : ils comprennent très bien pourquoi ça explose périodiquement. La question serait même : pourquoi ça n’arrive pas plus souvent.

De la question :  » qui a commencé » à la question « qui est à blâmer », la réponse est évidente : Israël, et seulement Israël. Ça ne veut pas dire que les Palestiniens sont irréprochables, mais il faut blâmer avant tout Israël. Tant qu’Israël ne prend pas conscience de cette responsabilité qui est la sienne, le pays n’a aucun fondement pour exiger la moindre chose des Palestiniens. Tout le reste est propagande de bas étage.

Hanan Ashrawi, ancienne militante et représentante du peuple palestinien a écrit récemment : les Palestiniens sont le seul peuple sur terre à qui on demande de garantir la sécurité de l’occupant, alors que l’état d’Israël est le seul pays à exiger d’être protégé des victimes qu’il cause . Alors, que répondre ?

Ainsi que le président palestinien Mahmoud Abbas l’a demandé dans une interview à Haaretz, « Comment voulez-vous que la rue palestinienne réagisse après la mort de l’adolescent Mohammed Abu Khdeir brûlé vif, après l’incendie provoqué  par les colons de la maison de Dawabsheh  sous les yeux des soldats israéliens qui n’ont pas bougé ?  » Et comment répondre ?

Aux 100 ans de la dépossession de l’état de la Palestine, ainsi qu’aux 50 ans d’oppression, il faut ajouter les années les plus récentes, si imprégnées de l’arrogance israélienne que ça nous explose une fois de plus à la figure.

Ce sont les années pendant lesquelles Israël pensait qu’il pouvait faire n’importe quoi et n’en payer aucun prix. On pensait que le ministre de la défense pouvait se vanter de connaître l’identité des meurtriers de Dawabsheh et ne pas les arrêter, et que les Palestiniens se retiendraient. On pensait aussi qu’il pouvait y avoir, presque chaque semaine un garçon ou un adolescent  tués par des soldats, et que les Palestiniens resteraient calmes.

On pensait que dirigeants militaires et politiques pouvaient soutenir les crimes sans que personne ne soit poursuivi. On pensait que les maisons pourraient être détruites, les bergers expulsés, que les Palestiniens accepteraient tout humblement. On pensait que ces colons-voyous pourraient endommager, brûler et agir comme si les biens palestiniens étaient les leurs et que les Palestiniens s’inclineraient.

On pensait que les soldats israéliens pouvaient débouler dans les foyers palestiniens toutes les nuits et semer la terreur, humilier et arrêter des gens. Que l’on pouvait arrêter des centaines de Palestiniens sans procès. Que le service de sécurité du Shin Bet pourrait reprendre la torture de « suspects » avec des méthodes quasi sataniques.

On pensait que les grévistes de la faim et les prisonniers libérés pourraient être de nouveau arrêtés, souvent sans aucune raison. Qu’Israël pourrait détruire Gaza une fois tous les deux à trois ans et que Gaza abandonnerait et que la Cisjordanie resterait calme. Que l’opinion publique israélienne acclamerait tout cela et demander toujours plus de sang palestinien, avec une soif difficile à comprendre. Et que les Palestiniens pardonneraient.

Cela pourrait durer encore pendant de nombreuses années. Pourquoi? Parce qu’Israël est plus forte que jamais et l’Occident indifférent à cette sauvagerie. Les Palestiniens, de leur côté, sont fragilisés divisés, isolés et souffrent comme ils n’ont pas souffert depuis la Nakba.
Donc, ça pourrait durer longtemps tant qu’Israël le pourra et le voudra. Personne ne va essayer de l’arrêter sauf l’opinion publique internationale, qu’Israël rejette en l’accusant d’antisémitisme ou de haine du Juif.

Et en plus, rien n’a été dit sur l’occupation elle-même et l’incapacité à y mettre fin. Nous sommes fatigués. Rien n’a été dit au sujet de l’injustice de 1948, qui aurait dû s’arrêter là mais qui a repris avec encore plus de vigueur en 1967 et continue sans aucune issue en vue. Nous n’avons pas parlé du droit international, de la justice et de la morale humaine, qui ne peut accepter cela en aucune façon.

Que des jeunes gens tuent les colons, jettent des cocktails Molotov sur des soldats ou lancent des pierres sur les Israéliens, cela n’est que l’arrière-plan. Il faut énormément de stupidité, d’ignorance, de nationalisme et d’arrogance – en plus de tout ce qui précède – pour ignorer la situation telle qu’elle se pose.

 

http://stopwar.org.uk/index.php/news/even-gandhi-would-understand-the-reasons-for-this-outburst-of-palestinian-violence

http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.679268 traduction CL  pour le CSPRN
(comité Solidarité Palestine Région Nazairienne)

Lettre ouverte à un ex-ami


L’historien israélien Shlomo Sand répond à la tribune de Pierre-André Taguieff publiée dans Le Monde, à propos de l’antisémitisme en France.  « De mon point de vue, la principale caractéristique de la judéophobie parmi les groupes marginaux de banlieues est l’identification dangereusement erronée entre : sionisme, Israël et juifs. Or, c’est précisément ce que font, sans relâche et sans distinction, les dirigeants d’Israël, le CRIF…. et toi. »

 

Je viens de lire ton article publié dans Le Monde, en date du 23 septembre: Pierre-André Taguieff, « L’intelligentsia française sous-estime l’antisémitisme », et, une fois de plus, je suis stupéfait ! Lorsque nous nous sommes connus, dans les années 80 au siècle dernier, j’avais la plus grande estime pour tes travaux investiguant les fondements du racisme théorique, dans la France de la deuxième partie du 19 ème siècle.

 

J’avais beaucoup apprécié tes apports dans l’analyse et la déconstruction de la judéophobie qui a, effectivement, joué un rôle de tout premier ordre, dans la constitution d’une partie des identités de l’Hexagone, et ce jusque vers le milieu du 20ème siècle. Toutefois, depuis quelques années, à la lecture de tes publications, j’ai de plus en plus de mal à comprendre la logique qui t’anime : affirmer que la judéophobie demeure hégémonique en Occident, considérer l’islamophobie comme un phénomène plutôt marginal, dont les intellectuels exagèrent l’importance, et se faire, en en même temps, le défenseur inconditionnel du sionisme et d’Israël me laisse très perplexe !

 

En vérité, tu as notablement baissé dans mon estime lorsque tu as soutenu, avec enthousiasme, la guerre de George Bush contre l’Irak, et lorsque tu as exprimé une sympathie manifeste pour  « La rage et l’orgueil  », le livre islamophobe d’Oriana Fallaci (dans lequel, il est écrit, notamment, que les musulmans « se multiplient comme des rats »). Tes prises de positions passées me paraissent, cependant, moins préoccupantes que celles que tu développes, ces temps-ci, alors que se profile, dans la société française, un dangereux terrain miné, lourd de menaces pour « l’autre ».

 

Tu sais bien que la haine envers celui qui est un peu différent, et que l’imaginaire apeuré face à celui qui affiche une singularité, ne se limitent pas aux émotions stupides de gens incultes, situés au bas de l’échelle sociale. Tu sais bien que cela n’épargne pas les classes sociales bien éduquées. Durant la période tragique pour les juifs et leurs descendants (1850-1950), le langage judéophobe ne se donnait pas uniquement libre cours dans les faubourgs populaires, mais il s’exprimait aussi dans la haute littérature, dans la philosophie raffinée, et dans la grande presse. La haine et la peur des juifs faisaient partie intégrale des codes culturels, dans toutes les couches de la société européenne. Cet état de fait s’est, fort heureusement, modifié dans les années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale. Et si, bien sûr, il subsiste encore des préjugés à l’encontre des descendants imaginaires des meurtriers de Jésus Christ, il n’en demeure pas moins que, dans le monde occidental : de Los Angeles à Berlin, de Naples à Stockholm, de Buenos-Aires à Toronto, quelqu’un d’ouvertement judéophobe ne peut plus être journaliste ou présentateur à la télévision, ni occuper une place dirigeante dans la grande presse, ou encore détenir une chaire de professeur à l’université. En bref, la judéophobie a perdu toute légitimité dans l’espace public. L’antisémitisme de Barrès, de Huysmans ou de Céline n’est plus admis dans les cénacles littéraires, ni dans les maisons d’éditions respectables du Paris d’aujourd’hui. Le prix à payer pour la disparition de cette « belle haine », ( pour user d’un qualificatif de l’antisémitisme en vogue , il y a un siècle), fut, comme l’on sait, très élevé. De nos jours, la « belle haine » est effectivement tournée vers d’autres gens, et nous ne savons pas encore quel en sera le prix.

 

Cela ne veut pas dire qu’une hostilité à l’encontre des juifs n’existe pas aux confins de la société, parmi des marginaux issus de l’immigration venant du monde musulman. Dans des cités-ghettos, certains jeunes, qui n’ont pas ingurgité la judéophobie chrétienne multiséculaire, sont, malheureusement, à l’écoute de quelques imams délirants ou de gens comme Alain Soral ou Dieudonné. Comment combattre cet inquiétant phénomène marginal ? Faut-il, comme tu ne cesses de le faire, justifier la politique menée par Israël ? Faut-il, comme tu t’y emploies également, nier que l’islamophobie a, effectivement, remplacé la judéophobie, et jouit d’une légitimité croissante dans tous les secteurs culturels français ?

 

T’es-tu demandé quels livres ont été des « best sellers », ces derniers temps : des pamphlets ou des romans contre les juifs, comme à la fin du 19ème siècle, ou bien des écrits qui ciblent les immigrés musulmans, (et cela ne se limite pas à Houellebecq, Finkielkraut et Zemmour ) ? Quels partis politiques ont le vent en poupe : ceux qui s’en prennent aux anciens « sémites » d’hier, ou ceux qui affichent leur rejet des nouveaux « sémites » d’aujourd’hui, et au passage, ne tarissent pas d’éloges sur la façon dont Israël traite les arabes (Marine Le Pen n’est pas la seule concernée!).

 

Et cela m’amène au dernier point, qui m’a le plus indisposé, dans ton article. De mon point de vue, la principale caractéristique de la judéophobie parmi les groupes marginaux de banlieues est l’identification dangereusement erronée entre : sionisme, Israël et juifs. Or, c’est précisément ce que font, sans relâche et sans distinction, les dirigeants d’Israël, le CRIF…. et toi. Les voyous de quartier ne sont pas devenus judéophobes uniquement sous l’effet de prêches venimeux prononcés par des démagogues. Il y a à cela bien d’autres causes : et notamment, l’identification constante des institutions juives officielles avec la politique israélienne. Pas une seule fois, le CRIF n’a émis la moindre protestation face à l’oppression subie par la population palestinienne. Et qu’on ne vienne pas nous parler de « diabolisation d’Israël » ; Israël se diabolise lui-même chaque jour !

 

Comment un Etat considéré comme une démocratie occidentale peut-il, depuis bientôt cinquante ans, dominer un autre peuple, et lui dénier tout droit politique, civique, syndical , et autres ? Comment dans une ville–capitale démocratique, où des intellectuels français ont fondé un institut Emmanuel Levinas, de philosophie et d’éthique juives, un tiers de la population, qui y a été annexée de force en 1967, se trouve t’elle encore privée de tout droit politique, et exclue de toute participation à la souveraineté ?

 

Et par delà tout ceci : que signifie être sioniste, aujourd’hui ? Simple est la réponse : soutenir Israël comme Etat des juifs. Comment un Etat à prétention démocratique, peut-il se définir, non pas comme la République légitime de tous ses citoyens israéliens, mais comme un Etat juif, alors même qu’un quart de ses citoyens ne sont pas juifs ? Es-tu capable de comprendre que l’Etat « juif », qui t’est si cher, appartient plus, en principe à ceux qui en France se disent juifs, qu’aux étudiants palestino-israéliens à qui j’enseigne l’Histoire à l’université de Tel-Aviv ?

 

Est-ce la raison pour laquelle tu te considères comme sioniste et fervent sympathisant d’Israël ? Si l’on suivait ton raisonnement sur cette question, la France ne devrait-elle pas cesser de se définir comme la République de tous ses citoyens, pour devenir « l’Etat gallo-catholique » ? Non ! Bien évidemment non, après Vichy et le génocide nazi. Peut-être serait-il plus facile de définir une Etat français ressemblant à Israël, en recourant à un terme qui fait aujourd’hui florès parmi l’intelligentsia parisienne : « République judéo-chrétienne » ?

 

(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)

source

 

Un Juif de Bruxelles: « Israël mène une politique d’apartheid »


| Mis à jour le mercredi 13 août 2014 à 15h40

  • La communauté juive de Belgique compte près de 40 000 personnes. Une communauté particulièrement critiquée par une partie de l’opinion publique qui associe la population juive à l’Etat d’Israël.

    Impliqué dans la vie bruxelloise, Michel Staszewski constate les stéréotypes entretenus dans la population qui pense que tout Juif soutient forcément le gouvernement israélien et les attaques sur la bande de Gaza.

    Il constate que tant ses collègues enseignants que ses élèves, en grande partie musulmans, ont une vision réductrice de ce qu’ils croient être l’identité juive.

    Le professeur d’histoire ne croit pas dans une forme d’importation du conflit israélo-palestinien en Belgique. Il constate en revanche que de plus en plus de gens sont concernés par la situation au Proche-Orient. Et par la plus grande intransigeance du pouvoir israélien au mépris du droit international.

    L’UPJB mène le même combat depuis 1967

    Le dimanche 27 juillet 2014, des membres de l’UPJB ont participé au cortège de la manifestation critiquant les agissements d’Israël dans la bande de Gaza. Engagée depuis des dizaines d’années en faveur d’une  » paix juste au Proche-Orient « , l’UPJB veut se distancier d’un  » soi-disant consensus que tente de faire apparaître le comité de Coordination des organisations juives de Belgique « .

    Pour Michel Staszewski, Israël ne peut poursuivre sa politique que grâce à l’aide des Etats-Unis et à la passivité de l’Union européenne. Mais il pronostique que le pays sera de plus en plus isolé au niveau mondial :  » Rien ne dit que cela durera toujours « .

    Juifs : le bon, le mauvais et les honteux

    Existe-t-il aujourd’hui aux yeux d’Israël des bons Juifs et des mauvais Juifs ? Certains radicaux ont même qualifié de « honteux » les juifs qui défendent les revendications palestiniennes.

    Ceux–là, explique le membre de l’UPJB, font souvent l’objet de menaces verbales… et parfois même de menaces de mort. Il dit n’avoir jamais éprouvé de difficultés à être Juif en Belgique. Parce qu’il ne vit pas reclus dans la communauté juive et qu’il travaille au contraire dans un milieu pluriethnique.

     » Les seuls vrais problèmes sont entre Juifs et en particulier dans ma famille.  » Ce qui n’empêche pas l’existence bien réelle de l’antisémitisme et des préjugés. Et que la peur du religieux de porter la kippa dans certains quartiers ne relève pas que du pur fantasme.

    La politique d’Israël est raciste et s’apparente à l’apartheid entre Palestiniens et colons israéliens, dénonce Michel Staszewski pour qui le terme apartheid se justifie pour les territoires de Cisjordanie et de Jérusalem Est… Gaza étant à ses yeux une prison à ciel ouvert.

    Et cette politique n’est pas neuve: «  Lors de mon premier voyage en Israël, en 1967, nos guides israéliens nous disaient que le gouvernement traitait déjà les populations non Juives de manière raciste. Le président de la ligue israélienne des Droits de l‘Homme le disait déjà dans un livre de 1979 intitulé  » Le racisme de l’Etat d’Israël « .

    Un Juif peut être antisioniste

    Peut-on être Juif et antisioniste ? Michel Staszewski s’en veut la preuve vivante. Mais à titre personne, précise–t-il : « L’UPJB est non sioniste, moi, je suis antisioniste. Le sionisme est une philosophie de la méfiance et de la peur et pas de la volonté de s’accommoder des différences. Un Etat sioniste est un Etat qui ne traite pas tous ses citoyens de la même manière « .

« Gaza est le symbole de ce qu’un pouvoir militariste et colonial peut faire de pire »


ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ROSA MOUSSAOUI
Yonathan Shapira

Yonathan Shapira
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Ancien pilote d’hélicoptère, Yonathan Shapira a été mis au ban de l’armée israélienne en 2003 pour avoir dénoncé ses méthodes. Il soutient aujourd’hui les appelés et les réservistes qui refusent de servir à Gaza.
Tel Aviv, envoyée spéciale 
Quel est le sens du combat des refuzniks israéliens ?
Yonathan Shapira. Ces jeunes gens et ces jeunes filles qui rendent public leur refus de servir sont pour nous source d’espoir. Aucun changement ne viendra de ceux qui sont intégrés au système. Ancien pilote d’hélicoptère, Yonatan Shapira  a quitté l’armée israélienne en 2003 après avoir dénoncé ses méthodes. Il soutient aujourd’hui les appelés et les réservistes qui refusent de servir à Gaza.
Quel est le sens du combat des refuzniks israéliens ?
Yonatan Shapira. A Gaza, Israël sème la mort et la destruction. Ceux qui refusent de prendre part à cette folie en rendant public leur refus de servir sont une lueur d’espoir. Aucun changement ne viendra de ceux qui sont intégrés au système, qui larguent en ce moment même des bombes sur des enfants palestiniens. Les enfants, les adolescents subissent en Israël un lavage de cerveau orchestré par le système éducatif, par les médias. Mais certains échappent à ce formatage. lls sont comme des nénuphars flottant sur les eaux sales d’un marais d’obéissance et d’ignorance.
Ce phénomène prend-il de l’ampleur?
Yonatan Shapira. Des jeunes de plus en plus nombreux évitent le service militaire par différentes techniques. La plupart invoquent des problèmes personnels ou psychologiques. Mais ceux qui déclarent publiquement qu’ils refusent d’aller à l’armée pour des raisons politiques, à cause des crimes de guerre, de l’apartheid, de l’occupation restent encore très  peu nombreux. Il faut dire que ceux qui refusent de servir en dénonçant les massacres sont jetés en prison.
Quelles sont les conséquences pour ces objecteurs de conscience?
Yonatan Shapira. Il sont incarcérés sur décision du commandant du centre de recrutement, sans passer devant un tribunal, pour les priver de toute tribune leur permettant d’exposer publiquement les raisons de leur refus. Ils restent deux semaines à un mois en prison et lorsqu’ils en ressortent, ils sont de nouveau incarcérés. L’un d’entre eux est en prison depuis le mois d’avril, avec ce système d’aller retour. Quant aux conséquences à long terme, dans une société militarisée comme la nôtre, certains objecteurs de conscience peinent à trouver du travail.
Pour vous, quel fut le point de basculement?
Yonatan Shapira. Je n’ai pas autant de mérite que ces jeunes objecteurs de conscience. Je me suis engagé dans l’armée, j’ai servi durant de longues années comme pilote d’hélicoptère. Longtemps témoins des méthodes de cette armée, j’ai finalement ouvert les yeux et pris conscience que je me battais du mauvais côté. Je ne voulais plus être l’un des rouages de ce système de violence, qui sème la mort et la destruction. Je n’ai pas, moi même, appuyé sur les déclencheurs qui larguent les bombes. Mais peu importe. J’étais responsable de servir un tel système.
Comment jugez-vous la  guerre en cours à Gaza?
Yonatan Shapira. Ce massacre d’innocents est un crime contre l’humanité. C’est pour Israël une façon brutale de tenter de détruire l’unité entre le Hamas et le Fatah, en prenant pour cible 1, 8 millions de personnes. Nous ne devrions pas oublier que cette guerre a été précédée d’une opération folle en Cisjordanie. Des Palestiniens ont été tués, près de 500 d’entre eux ont été kidnappés et jetés en prison, en guise de réaction au meurtre des trois adolescents israéliens. Gaza est le symbole de ce qu’un pouvoir militariste et colonial peut faire de pire.
Dans une situation si grave, comment imaginer encore un chemin de paix? 
Yonatan Shapira.  À  mes yeux, entre le Jourdain et la mer, chacun, qu’il soit juif, chrétien ou musulman, athée,  devrait être libre d’aller et venir, de vivre où il veut, de quitter le pays et d’y revenir. Ce qui fait aujourd’hui obstacle à la paix, c’est cette classe d’Israéliens qui se croit supérieure aux gens qui vivent sur cette terre. Ils appellent cela « démocratie » mais en pratique, Israël contrôle la vie de près de 4 millions de personnes dont les droits sont confisqués. Peu importe la forme, l’essentiel  est que tous puissent vivre sur cette terre en citoyens égaux, qu’il y ait ou non des frontières.

Pierre Stambul à l’UPJB pour une conférence-débat sur le conflit israélo-palestinien


L’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) vous invite à participer à la conférence-débat qu’elle organisera en ses locaux, 61 rue de la Victoire à Saint-Gilles (Bruxelles), le vendredi 27 février à 20h15.

 

Orateur : Pierre Stambul*, co-président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)

 

L’interminable conflit israélo-palestinien est-il insoluble ? Pourquoi le type de compromis qui a pu être réalisé en Afrique du Sud ne se produit-il pas au Proche-Orient ? Pourquoi la colonisation est-elle devenue le centre de la politique israélienne avec aujourd’hui plus de 10% de la population juive israélienne vivant au-delà de la « ligne verte** » ? Pourquoi l’extrême droite la plus brutale et la plus raciste est-elle devenue si puissante en Israël ? Pourquoi le « complexe de Massada » (de la « citadelle assiégée ») fonctionne-t-il si bien en Israël et dans les communautés juives organisées ?
Selon Pierre Stambul, on ne peut répondre valablement à ces questions sans s’intéresser au sionisme. Cette idéologie ne peut être considérée comme « une question d’histoire devenue sans intérêt puisque l’État d’Israël existe ». Il considère au contraire que le projet sioniste est plus que jamais à l’œuvre. Peu de temps avant la fin de sa vie active (2006), Ariel Sharon affirmait encore : « la guerre de 1948 n’est pas finie ».
Israël n’a pas de frontières claires et le projet de nier l’existence des Palestiniens, de les « transférer » au-delà du Jourdain ou d’en faire les « Indiens » du Proche-Orient parqués dans leurs réserves est plus que jamais à l’œuvre.
Le sionisme se veut une réponse à l’antisémitisme. Mais, pour Pierre Stambul, il ne combat pas l’antisémitisme mais s’en nourrit.
L’adhésion au projet sioniste a longtemps été minoritaire dans les communautés juives européennes. Comment l’expliquer ? Et pourquoi jouit-il, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, du soutien de la majorité des Juifs européens et américains ? Comment expliquer aussi le soutien quasi sans faille dont bénéficie l’État d’Israël de la part des dirigeants européens et nord-américains malgré son comportement manifestement illégal du point de vue du Droit international ?
Une paix durable, fondée sur l’égalité des droits de tous les habitants d’Israël-Palestine est-elle compatible avec le sionisme ?
Pierre Stambul nous proposera des éléments de réponses à toutes ces questions. Puis son point de vue sera mis en débat.

*Pierre Stambul, enseignant retraité, est co-président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), association membre du réseau des Juifs Européens pour une Paix Juste. Il est l’auteur deIsraël/Palestine, du refus d’être complice à l’engagement (Ed. Acratie, 2012) et de Le sionisme en questions, (Ed. Acratie, 2014).

Modérateur : Michel Staszewski

**Ligne verte : ligne de cessez-le-feu inscrite dans les conventions d’armistice de 1949 entre Israël et les Etats arabes voisins et séparant, après la ère guerre israélo-arabe et jusqu’à la guerre de juin 1967, le territoire sous souveraineté israélienne de la Cisjordanie et de Jérusalem-est, annexés par la Jordanie.

PAF : 6 €, 4 € pour les membres de l’UPJB, tarif réduit : 2 €

 

Je vous invite à visiter mon blog : http://michel-staszewski.blogspot.be/

[youtube http://youtu.be/sQKFee0lB9k?]

Michèle Sibony: «Il faut demander des sanctions contre Israël»


Michèle-SibonyUn visage a crevé les écrans des télés françaises pendant l’offensive israélienne contre Gaza cet été: celui de Michèle Sibony, pugnace porte-parole de l’Union juive pour la paix (UJFP), qui n’a cessé de dénoncer la situation. Invitée à Bruxelles par l’ONG belge Tayush, la semaine dernière, Michèle Sibony a répondu à nos questions.

Quelques mots sur votre parcours personnel. Vous avez habité en Israël, c’est cela?

Oui, j’y ai étudié les Lettres et le cinéma dans les années 1972-1977, à l’Université de Haïfa. Ce n’était pas dans l’idée de faire mon alya (immigration juive en Israël), plutôt dans celle de quitter ma famille, rassurée par le fait que j’allais dans ce pays. Mes parents pensaient peut-être que j’allais m’y marier, eh bien c’est raté! (rires). J’ai donc appris l’hébreu sur place et j’ai rencontré des gens qui m’ont aidée à déconstruire mes idées reçues. J’ai eu la chance de côtoyer ceux qu’on appelle aujourd’hui les nouveaux sociologues ou les nouveaux historiens. C’est là que j’ai rencontré des Israéliens juifs puis palestiniens qui m’ont aidée à voir la réalité que j’avais sous les yeux. On m’a parfois traitée de «pute palestinienne» juste parce que je faisais partie des premiers qui ont osé prononcer le mot «palestinien». J’ai eu des copains qui m’ont emmenée dans les zones «arabes» comme on disait, palestiniennes, j’ai y vu les discriminations.

Un des mes malaises en Israël provenait du fait que j’avais l’impression que la porte d’Auschwitz venait de se refermer derrière moi! Ce que je n’avais jamais ressenti en France. Je me disais: mais pourquoi dois-je vivre avec cette angoisse? Juive d’origine marocaine, ma famille n’a pas été déportée mais malgré cela je ressentais cette pression.

Je suis ensuite rentrée en France pour des raisons familiales – j’y ai pris ma retraite de professeur de lycée professionnel il y a deux ans – et aussi parce que le passage à la vie active en Israël n’était pas à l’époque mon choix. Je sentais que cela eût supposé de devenir israélienne, ce qui m’aurait demandé beaucoup d’efforts. Ce n’était pas encore très politique mais je suis rentrée en France avec la conviction qu’il fallait que je milite. J’ai failli rentrer au parti communiste mais y ai renoncé car il y a eu (l’invasion par l’URSS de) l’Afghanistan. J’ai milité à partir de 1980 dans un groupe qui s’appelait Perspectives judéo-arabes dans lequel il y avait des militants français, marocains, israéliens, palestiniens (de l’OLP à Tunis). J’en suis sortie, je n’étais pas prête non plus à travailler avec des Palestiniens, mon chemin fut long et lent! Après, j’ai été plus en contact avec les militants israéliens, pendant par exemple la première intifada (1987-1992), un groupe qui s’appelait «L’occupation, ça suffit». Je n’ai commencé à militer en m’inscrivant à l’UJFP (l’Union juive française pour la paix) qu’à partir de 2000. C’était énorme: c’était le début de la seconde intifada et les institutions juives françaises officielles supportaient Israël. L’UJFP est un groupe politique. Composé de Juifs français qui s’inscrivent dans un combat anticolonial et qui ne supportent pas l’assignation à une posture politique en France qui est le soutien inconditionnel à Israël quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse. Vous êtes juifs donc vous soutenez Israël quoi qu’il fasse: ce rôle-là n’est pas acceptable pour nous. Beaucoup de militants de l’UJFP n’avaient d’ailleurs jamais milité comme juifs auparavant. Ils étaient dans le syndicalisme, comme moi, ou dans des partis politiques français. Six cent mille juifs en France ne peuvent pas être pris en otages par le conseil soi-disant représentatif des organisations juives de France (le Crif, NDR) qui doit avoir un corps électoral à tout casser de six mille personnes et qui est composé d’une petite centaine d’associations. Cela dit, je ne suis pas plus propalestinienne que je ne suis anti-israélienne, contrairement à ce que disent certains journalistes qui m’agacent prodigieusement.

Cela fait donc 14 ans que vous êtes à l’UJFP…

Oui, j’ai toujours fait partie des bureaux nationaux de l’UJFP. J’ai parfois été vice-présidente, coprésidente, et je suis actuellement un des porte-parole de l’association.

L’historien Georges Bensoussan, dans le magazine juif belge Regards, dit en substance que les Maghrébins de France sont en quelque sorte jaloux de la réussite sociale des Juifs français…

De tels propos auraient pu être tenus par un antisémite! Il y a 600.000 Juifs en France. Doit-on penser qu’il y a 600.000 exemples de réussites sociales en France? Penser qu’il n’y a pas des Juifs pauvres, des Juifs des quartiers populaires, des cités? A Sarcelles, les Juifs font-ils partie de l’élite sociale? Par contre, il y a sûrement un ressentiment contre les Juifs, c’est vrai. Cela vient du fait qu’au niveau international Israël est un Etat auquel il est interdit de toucher. Dont l’impunité est garantie et cautionnée, notamment par le gouvernement français. Dans la société française, surtout depuis 2000, il y a cette espèce d’affirmation que l’islam remplace le communisme comme ennemi. La communauté juive est manipulée aussi à un niveau local en France comme pouvant être menacée par ce qu’ils appellent «une importation du conflit», termes aussi utilisés par les représentants de l’Etat, dans le sens que ceux qui sont censés l’importer ce sont les Arabes des quartiers populaires, les jeunes beurs. Le Crif, quand il organise par exemple des manifestations de soutien à (Ariel) Sharon (Premier ministre israélien durant l’essentiel de la seconde intifada et auteur d’une répression sans états d’âme, NDR), lui n’importe pas le conflit! La communauté juive a droit au titre de communauté, elle, mais dès qu’il s’agit des Arabes, on crie «Attention au communautarisme»! Tout se passe comme si on considérait que la communauté juive avait droit à un statut protégé par rapport aux Arabes – qui eux ont le droit de se taire sur la question palestinienne car dès qu’ils ouvrent la bouche ils sont d’évidence antisémites. Cette situation-là est en effet créatrice de ressentiment à l’égard des Juifs.

On ne peut nier que dans les diasporas juives occidentales la grande majorité des Juifs sont porteurs d’un sentiment d’empathie envers Israël…

Oui, il y a souvent une sympathie des Juifs pour Israël qui est vécu comme proche, situation nourrie par ce qui a longtemps circulé, «une terre sans peuple pour un peuple sans terre», «ils font fleurir le désert», toute cette imagerie qui influençait d’ailleurs les gens et pas seulement les Juifs dans les années 1960, époque où personne ne savait rien de ce qui s’était passé en Israël-Palestine. Après, la sympathie des Juifs est instrumentalisée et au bout de compte on arrive à une situation qui n’est pas celle de ma jeunesse. Moi j’étais aux Eclaireurs israélites de France qui était à l’époque un groupe non sioniste de manière claire. On n’y parlait pas d’Israël. Aujourd’hui, cette organisation est en première ligne de tous les combats pour soutenir Israël quoi qu’il fasse. Le Crif a été représenté à une certaine époque par des gens comme Théo Klein, pas des extrémistes de droite comme l’est maintenant le Crif dans une grande partie de sa composition. En outre, le gouvernement français semble comme encourager les Juifs français à émigrer en Israël, c’est tout juste s’ils ne nous disent pas «votre pays Israël».

Prenez l’horrible affaire Merah (auteur du meurtre de sang-froid de plusieurs Juifs français, dont des enfants, en 2012, NDR): un an après, on voit le président de la république se pointer sur les lieux du drame à Toulouse avec… Binyamin Netanyahou, Premier ministre israélien! Il y a une espèce de rapprochement fantasmé de la France et d’Israël. Et quoi, la république ne considère plus qu’il relève de sa responsabilité de garantir la sécurité de tous ses citoyens y compris les Juifs? On va bientôt nous expliquer que notre place est en Israël si on est en danger! Moi je crois que les gens qui sont surtout agressés dans la rue, notamment les femmes voilées, ce sont les musulmans; on a un racisme d’Etat islamophobe déclaré, avec des lois, des décisions de justice. S’il y a un racisme d’Etat, vous pensez bien que le citoyen de base se sent à l’aise.

Vos interventions cet été sur les chaînes françaises pour condamner l’offensive israélienne à Gaza n’ont pas manqué d’impressionner – ou de choquer – et de faire le buzz sur les réseaux sociaux, en France et dans le monde…

Je dois dire que ce buzz est assez tragique! Parce que j’ai dit des choses tellement simples! J’ai juste dit qu’il s’agissait d’un endroit colonisé, entièrement encerclé et bombardé sans moyens de se défendre. Dire cela et que cela puisse faire scandale me paraît hallucinant. Cela veut dire que la presse ne fait pas son travail si elle n’est pas capable de rappeler qu’il y a occupation et colonisation, qu’elle se confine à «la lutte contre le terrorisme». «Israël a le droit de se défendre contre le terrorisme du Hamas», point barre: c’est la propagande israélienne et c’est ce qu’ont repris le président, le gouvernement et 85% des médias français cet été.

Et cela va de mal en pis sur le terrain…

C’est catastrophique. On a maintenant une offensive sur Jérusalem qui veut transformer le conflit en un conflit religieux. On a des déclarations de Netanyahou qui expliquent que l’Autorité palestinienne c’est la même chose que le Hamas qui est la même chose que Daesh («l’Etat islamique»), sous-entendu: nous Israéliens, nous sommes dans le combat occidental contre l’islam radical, c’est-à-dire qu’en fait on veut une guerre sans fin. Car s’il y a un mot qui n’est plus prononcé depuis très longtemps sur aucune des plates-formes politiques lors des deux ou trois dernières élections israéliennes, c’est le mot paix. Il n’en est plus question. Alors, avec ce gouvernement d’extrême droite, il n’est pas question de politique, de stratégie, de négociations mais bien d’une fuite folle en avant qui crée un emballement et on en arrive à des choses sanglantes, des chasses aux Arabes dans les rues israéliennes, à Jérusalem-Ouest des milices tabassent les Arabes! Il y a une fascisation du discours de la rue terrorisante. Il y a ce projet de loi qui veut faire d’Israël «l’Etat nation du peuple juif», ce qui signifie pour les Palestiniens de 1948 (ceux qui sont restés à l’indépendance d’Israël, NDR) profil bas ou la porte: vous êtes des invités chez vous, pas des citoyens à égalité. Ce qui signifie aussi que les réfugiés palestiniens ne bénéficieraient plus du droit au retour.

L’Assemblée nationale française doit voter ce 2 décembre sur une résolution recommandant la reconnaissance de l’Etat de Palestine…

Oui, elle a des chances de passer, malgré que sur cette résolution l’Elysée a fait savoir que lui et son ministre des Affaires étrangères ne feraient rien qui puisse nuire de façon unilatérale aux négociations, ce qui est un peu troublant. Ils n’ont honte de rien: de quelles négociations parlent-ils? Et parler d’unilatéralisme côté palestinien en ignorant l’unilatéralisme israélien permanent depuis des années, en toute impunité d’ailleurs, c’est gonflé de leur part! Après, on peut sentir une nuance entre Fabius et Hollande sur ce sujet, la réponse de l’Elysée étant moins prometteuse en soutien à ce vote que celle de Fabius, mais je me trompe peut-être… Cela dit, ça ne mange pas de pain, une résolution demandant la reconnaissance de la Palestine. S’il n’y a pas en même temps une démarche annoncée et claire du même parlement, s’il était courageux, en faveur de la prise immédiate de sanctions contre l’Etat occupant. Par exemple, un embargo sur les armes. Après ce qu’il s’est passé cet été à Gaza, continuer à livrer des armes à Israël relève du pur scandale. Il y en a eu des embargos français sur les armes, dans d’autres cas, pourtant. Israël craint fort les sanctions, mais ce sont toujours les Etats européens ou l’UE qui reculent.
Qui reculent ou font des choses choquantes. On sait par exemple pourquoi l’Autorité palestinienne n’est pas en mesure de déposer un dossier contre des Israéliens à la Cour pénale internationale (CPI): parce qu’elle vit sous la menace de l’UE et des grands Etats européens de supprimer leurs aides budgétaires au fonctionnement de l’AP. L’AP ne peut pas le dire, mais c’est un chantage absolument odieux. Ces puissances européennes ont décidé qu’il n’y aurait pas de justice dans cette histoire. On peut amener des Soudanais, des Serbes devant la CPI, mais pas des Israéliens. Alors qu’on sait ce qui s’est passé. La dernière session du tribunal Russell qui s’est déroulée à Bruxelles en septembre l’a démontré, nous avons des témoignages israéliens et palestiniens qui racontent de véritables crimes.

La question palestinienne, qui va de mal en pis, ne vous inspire pas de désespoir?

Depuis Madrid en 1991 puis Oslo en 1993, on en est arrivé à ces fausses négociations permanentes, des négociations qui sont censées ne mener à rien sauf à présenter une façade vis-à-vis du monde extérieur qui permet de continuer la colonisation. Aujourd’hui, on est dans une situation où un camp jouit d’une souveraineté absolue sur tout le territoire entre la mer et le Jourdain, avec un gouvernement d’extrême droite à forte tendance messianniste qui veut un seul Etat, celui de la Bible. Et il y a encore des gens qui parlent (des accords) d’Oslo? Mais quand fera-t-on le deuil de cette mascarade? Oslo, ainsi que le décrivait un ami palestinien, c’est comme si on avait mis un repas dans une écuelle devant un aigle et un moineau et qu’on leur avait dit: partagez-vous cela! Où est le médiateur sérieux? Où est le garant du respect d’un calendrier, des décisions? Ca ne peut être que l’Europe et les Etats-Unis. Ce sont les principaux responsables de l’échec d’Oslo. L’UE refuse d’en prendre acte et continue à nous baratiner sur une éventuelle résurrection d’un processus mort-né depuis 23 ans. Alors qu’aujourd’hui on est en train de menacer très directement les Palestiniens de citoyenneté israélienne, qu’il y a des enfants en prison, victimes de sévices, c’est vrai que c’est désespérant, surtout en l’absence de volonté de résoudre le conflit.

Propos recueillis le 27 novembre 2014 à Bruxelles par Baudouin Loos

source

“HA’ARETZ” FACE À LA COLÈRE DE SES LECTEURS


Confronté à une vague de désabonnements à cause d’articles jugés trop favorables aux Palestiniens, le journal israélien tente désespérément de justifier sa ligne éditoriale. Avec, en ligne de mire, les éditoriaux de Gideon Levy.

HA’AYIN HA SHVI’IT – http://www.the7eye.org.il/125933

COURRIER INTERNATIONAL (EXTRAITS) –http://www.courrierinternational.com/article/2014/10/23/ha-aretz-face-a-la-colere-de-ses-lecteurs

Dessin de Vlahovic, Serbie.Dessin de Vlahovic, Serbie.

Dans une nouvelle aile du musée d’Art et d’Histoire de Tel-Aviv, une rencontre a été spécialement organisée [le 14 septembre] par Ha’Aretz pour tenter de récupérer quelques milliers d’anciens abonnés. Avant l’ouverture des débats, le ton est donné dans les couloirs par un certain Matti David, qui brandit des tracts en criant : “Voici pourquoi j’ai résilié mon abonnement après trente-quatre ans de fidélité !”

Pourquoi ? Parce que le quotidien de gauche participe au “djihad anti-israélien”. Eitan Carmi, un Galiléen vétéran de l’armée de l’air, a décidé de résilier son abonnement après avoir lu l’article du célèbre journaliste Gideon Levy intitulé “Mauvais pour l’aviation”, dénonçant la participation sans état d’âme de jeunes pilotes au volet aérien de l’opération Barrière protectrice [juillet-août 2014]. Carmi affiche quarante ans d’abonnement au compteur. Comme lui, les participants sont dans leur majorité des hommes de plus de 50 ans. Davantage que le journal lui-même, c’est la ligne politique prêtée à des journalistes comme Gideon Levy, Uri Misgav ou Roger Alpher, pour ne citer qu’eux, qui est clouée au pilori.“Nous sommes un journal doté d’une mission d’information, mais également une entreprise, leur répond Amos Schocken, directeur de Ha’Aretz. D’un côté, nous avons une fonction sociale qui ne doit pas nous faire craindre de subir des attaques.

“D’un autre côté, nous devons engranger des bénéfices pour survivre. Ces deux dimensions entrent souvent en conflit. Mais nous avons toujours tenu à être en pointe dans les campagnes contre certains monopoles publics, pour la modernisation du système judiciaire et contre la corruption de l’administration, y compris celle de la police. Concernant les Palestiniens, notre attitude se veut à la fois israélienne et professionnelle. Elle s’inscrit dans nos combats pour le maintien du caractère [juif] de l’Etat et la défense d’une société plus juste et plus éclairée. S’abonner à Ha’Aretz, c’est souscrire à une police d’assurance quant au chemin pris par Israël. Ha’Aretz s’est toujours défini comme un journal sioniste.

“Cela signifie qu’il soutient l’existence d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique et estime avoir un rôle de premier plan dans la défense et la promotion d’une société avancée dans les domaines de la culture, de l’éducation, des droits civiques et individuels, de l’économie de marché, de la recherche de la paix avec nos voisins arabes et de la reconnaissance de l’autodétermination des Palestiniens.” Le rédacteur en chef, Alouf Benn, attaque de front le sujet qui est à l’origine de la vague récente et massive de désabonnements : l’opération Barrière protectrice. “Cela fait trois ans que j’occupe cette fonction et jamais je n’avais dû faire face à une telle crise, admet-il. Ha’Aretz est typiquement israélien et, comme tous les Israéliens, nous avons subi de plein fouet l’impact de cette guerre.

“Plusieurs journalistes ont été rappelés sous les drapeaux et beaucoup d’entre nous ont dû effectuer leurs deux mois de réserve. Le travail journalistique de Ha’Aretz est nécessairement empreint d’un regard israélien, d’un point de vue israélien. Quand le Hamas tire des roquettes sur Tel-Aviv, ça nous est à tous insupportable. Et nous avons tous des collègues ou des proches qui, dans l’armée d’active ou dans celle de réserve, sont entrés dans la bande de Gaza. Mais nous avons aussi le devoir d’informer et l’obligation de définir une ligne éditoriale. C’est pour cela que, pour donner un exemple, la ligne que nous avons adoptée pour Barrière protectrice a été d’établir une chronologie exhaustive et mise à jour de façon permanente.

“Nous avons été confrontés à la censure militaire, qui nous a interdit de révéler l’information selon laquelle les trois adolescents juifs enlevés en mai dernier en Cisjordanie avaient été presque immédiatement assassinés, contrairement au discours officiel. Nous avons malgré tout essayé de faire passer cette info sans violer ouvertement l’interdiction. Parce que cette information était essentielle : par son contenu proprement dit, mais aussi par sa non-diffusion, laquelle a créé un climat tel dans l’opinion publique qu’une guerre à Gaza devenait inévitable. Avec le recul, je puis affirmer que l’opinion a été sciemment trompée.

“Ce sont les mêmes préoccupations qui ont guidé notre couverture de la campagne militaire contre la bande de Gaza. Nous avons voulu rendre compte, de la façon la plus fiable possible, de ce qui se passait de notre côté comme du côté palestinien. Concernant notre couverture ‘israélienne’, je ne crois pas qu’elle ait été radicalement différente des autres quotidiens. Nous ne sommes pas des fonctionnaires ou des diplomates de l’ONU, nous sommes des Israéliens, nous vivons en Israël, nous sommes curieux d’Israël, mais nous sommes également curieux de ce qui se passe de l’autre côté [palestinien].

“On nous a reproché de rappeler et de souligner le nombre de victimes palestiniennes. Pour prendre une comparaison sans doute osée, ne pas le faire, c’eût été comme rendre compte d’un match de football en ne publiant que le score d’une seule équipe. Cela relève d’une responsabilité professionnelle mais aussi morale. De même, au plus fort des tirs de roquettes [palestiniennes], nous avons soutenu le Premier ministre dans son choix de lancer une opération militaire, mais nous l’avons mis en garde contre le risque d’escalade ainsi que la mort d’innocents. Enfin, en dépit de notre sacro-sainte politique de liberté d’opinion, nous avons tout de même refusé la publication d’une tribune, laquelle assimilait les miliciens du Hamas aux combattants du ghetto de Varsovie.

En revanche, concernant l’éditorial controversé de Gideon Levy daté du 14 juillet, qui condamnait les pilotes israéliens et les appelait à désobéir aux ordres, j’estime que nous avons bien fait de le publier en temps de guerre, même si ce n’était agréable à lire ni pour nous ni pour une majorité de nos lecteurs. Aurions-nous dû attendre que le conflit soit derrière nous ? Et faire ce que nous faisons souvent en Israël : applaudir nos chefs et ensuite les accabler de critiques ? Tirer et puis pleurer ?”

À la simple évocation de Gideon Levy, toute l’assistance s’est réveillée comme un seul homme.

“Votre combat pour l’éducation à la démocratie vous honore. Qu’attendez-vous pour publier un entretien avec Ismaïl Haniyeh [responsable du Hamas], dans lequel il nous expliquera que son objectif est de détruire Israël ? Des gens comme Gideon Levy heurtent davantage l’opinion israélienne qu’ils ne l’informent. Pourquoi s’en prendre à ces pilotes de 22 ans, ces bons petits gars, et pas aux dirigeants ?” demande l’un des lecteurs. Un autre participant s’empare du micro d’Amos Schocken. Matti David, celui qui distribuait des tracts incendiaires dans les couloirs, explose : “En vous arrogeant le droit de savoir mieux que quiconque en Israël ce qui est bon pour la sécurité, la démocratie et le caractère juif d’Israël, c’est-à-dire en vous plaçant au-dessus du pouvoir législatif et judiciaire, vous faites preuve d’une arrogance insupportable. Cette conférence est la preuve que vous avez un problème et que cela ne va pas s’arranger si vous ne changez pas de politique éditoriale et si vous continuez à vous placer en dehors du consensus national.”

Un véritable chœur d’attaques venant de la salle se déchaîne contre Gideon Levy. Des dizaines de personnes hurlent, accusant Ha’Aretz de participer à une “campagne de nazification” d’Israël. Gideon Levy est comparé à “Lord Haw-Haw”, surnom donné jadis à William Joyce, un homme politique américain qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, animait une radio britannique de propagande nazie et qui fut pendu pour haute trahison en 1946.

“Gideon Levy n’a rien fait d’autre lorsque, sur les ondes de la BBC, il a soutenu les appels au boycott d’Israël. Alors nous tous, boycottons Ha’Aretz !” lance-t-il sous les ovations de la salle. Blême, Levy serre les dents et encaisse en silence. De nouveau, Schocken croit pouvoir raisonner la salle en expliquant qu’un autre éditorial controversé de Gideon Levy, publié à la fin de l’opération Plomb durci [janvier 2009], accusant déjà l’aviation d’avoir délibérément visé des civils, s’est finalement révélé pertinent après que, sous couvert d’anonymat, un chef d’escadrille se fut confié au quotidien concurrent Yediot Aharonot. En vain.

Des personnes non inscrites commencent à envahir la salle. Schocken craque : “Si vous ne voulez même pas écouter nos réponses à vos accusations, alors vous n’avez qu’à sortir !”s’écrie-t-il. Ce à quoi une bonne partie de la salle, comme il fallait s’y attendre, répond aux cris de “Sortons !”.

Itamar Baz

Publié le 15 septembre 2014 dans Ha’Ayin Ha’Shvi’it (extraits) Jérusalem

http://www.the7eye.org.il/125933

«Comment un Etat peut-il être à la fois juif et démocratique?»


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Né en Israël en 1956, Avi Mograbi tisse depuis longtemps une oeuvre originale de cinéaste. Sa «patte» personnelle –impertinente – est reconnaissable entre toutes. Il se met le plus souvent lui-même en scène dans des situations parfois loufoques, jamais gratuites, où l’humour au second degré suscite la réflexion.

Il nous revient avec son dernier film, intimiste, où s’expose une relation amicale d’une étonnante tonicité entre lui et son professeur d’arabe. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage en Belgique motivé par la rétrospective que lui consacre le cinéma Nova, dans le centre de Bruxelles.

Vous charriez en Israël une réputation de franc-tireur facétieux, de gauchiste pince-sans rire, mais votre oeuvre exhale un parfum plutôt pessimiste. Pourtant, votre dernier film, Dans un jardin je suis entré, donne de votre amitié avec un professeur palestinien une impression très positive des possibles rapports harmonieux entre Juifs et Arabes…

Oui, et le film sort ici à un moment, après ce qui s’est passé à Gaza cet été, qui n’inspire vraiment pas à l’optimisme! Il a certes été tourné auparavant (en 2011, NDLR), mais je dirais que cet optimisme que vous observez serait plutôt comme une sorte d’échappatoire, car il ne résulte pas de la réalité, il serait même contraire à la réalité, comme dans un rêve, même si cette amitié entre Ali, mon professeur d’arabe, et moi est bien réelle. Réelle entre deux personnes précises, mais non confirmée à grande échelle à l’heure actuelle où l’on voit au contraire exposer au grand jour le racisme en Israël non seulement contre les Palestiniens mais aussi contre tous ceux qui se dressent contre les massacres.
La fille de 10 ans d’Ali, Yasmine, la formidable autre héroïne de mon film, est à moitié palestinienne par son père et à moitié juive par sa mère. Elle est brillante, pétillante, intelligente, fine, généreuse, on ne peut que tomber sous son charme ; elle incarne la solution au Proche-Orient, elle est forte des richesses des deux côtés! Et pourtant, elle le dit, tout le monde ne l’apprécie pas dans son école israélienne en hébreu, où elle souffre du racisme.

Peut-on dire de toute votre oeuvre qu’elle est purement politique?

Très politique! Mais ça veut dire quoi? Mes films n’ont pas le pouvoir d’intervenir dans la vie politique, de l’influencer, ça je l’ai compris depuis longtemps: je n’entre pas dans la vie politique, je cherche certes le changement mais ce ne sont pas mes films qui l’apporteront. Je dois reconnaître que la plupart du temps ceux qui aiment mes films y apprécient certes ma touche personnelle, mon langage cinématographique propre, poétique, différent, mais ils partagent aussi mes opinions politiques! Sauf rares exceptions…

Vos films sont-ils vus en Israël?

Oui, mais dans un circuit assez fermé, celui des cinémathèques et d’une chaîne câblée spécialisée dans les documentaires. Il n’y a qu’un seul de mes films qui est passé une fois sur une grande chaîne nationale à une heure de grande écoute, dans les années 1990. Je regrette cette situation car je fais d’abord des films à destination des Israéliens.

Vos positions politiques font-elles de vous un ennemi public pour de nombreux Israéliens, à l’image du journaliste du quotidien Haaretz Gideon Levy?

Non! Lui c’est le gars le plus détesté en Israël, il a pris sur lui la tâche de dire les choses qui dérangent le plus. J’ai travaillé naguère avec lui sur un long tournage, nous nous entendons très bien, même si je ne suis peut-être pas toujours sur la même longueur d’onde au niveau de la façon de faire passer un message, car il privilégie la provocation. Cela dit, la plupart des gens qui le détestent ne l’ont jamais lu! Je ne suis pas aussi célèbre que lui en Israël. Nous sommes dans le même camp mais lui, tout le monde le connaît et le reconnaît, moi je suis un obscur réalisateur qui n’a pas mis tout le monde en colère alors pourtant que je le mériterais!

Etes-vous étonné par ce niveau inouï de haine observée actuellement en Israël envers les Palestiniens et les «gauchistes» qui les défendent?

La haine n’est pas neuve. Je me suis récemment retrouvé à Paris avec deux vieux amis avec qui j’avais manifesté à Tel-Aviv en 1982 contre la guerre d’alors au Liban, et nous avions été rossés par des hooligans d’extrême droite à l’époque. Elle n’est pas neuve, donc, cette haine, mais il est vrai qu’elle atteint des sommets. En fait, le racisme, en Israël, ne peut constituer une surprise. Il fait partie du concept même d’«Etat juif», à savoir une nation supérieure aux autres, qui ne peut se permettre de perdre sa majorité démographique (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les territoires palestiniens occupés, sauf à Jérusalem-Est, n’ont jamais été annexés). Cet Etat est contre une partie de ses citoyens, ceux qui ne sont pas juifs.
Je me pose la question: ce à quoi on assiste actuellement, est-ce une montée du racisme jusqu’à un nouveau sommet ou juste un nouveau sommet dans l’expression même du racisme qui préexistait? Je n’ai pas la réponse. Mais c’est de toute façon choquant et insupportable. D’autant que cela provient des dominants qui se sentent toujours menacés par les plus faibles.

Pourquoi? En raison de l’histoire des Juifs, des persécutions, de la Shoah?

Tout est compliqué. La nature de l’Etat juif, comme il se voit, est d’être une île dans un océan d’hostilité arabe; avec la ferme volonté de rester juif et de tout mettre en oeuvre pour sécuriser cet Etat. Son destin est donc d’être isolé. Les gens intègrent la notion. Cela vient-il du ventre ou de l’éducation? Des deux sans doute. Israël a décidé de rester isolé pour le reste de son existence. Beaucoup d’Israéliens ne partagent pas mon avis, ils croient que nous voulons vraiment la paix… mais oublient de dire: seulement à nos conditions. Faire la paix avec les Palestiniens implique de résoudre notamment la question des frontières, des lieux saints et celle des réfugiés palestiniens. Non pas qu’il faille faire revenir six millions de réfugiés en Israël, mais il faut commencer par admettre la responsabilité – évidente! – d’Israël dans la création du problème des réfugiés, ce que nous refusons.

L’Israélien moyen comprend-il cette responsabilité? On lui apprend le contraire dès l’école…

Le récit historique israélien n’inclut pas les Palestiniens. Ni le peuple ni les individus. Pour la grande majorité des gens, c’est clair et net: les Arabes ont refusé le partage de la terre en 1948, et ils paient pour cela. Cela dit, je comprends bien par ailleurs les Juifs qui ont fui l’Europe pour venir en Israël, ce fut le cas de ma propre grand-mère maternelle, dont la famille venait de Pologne, s’était exilée en Allemagne, à Leipzig, où elle était apatride, et qui décida en 1933 après avoir été harcelée par les Jeunesses hitlériennes de partir vers le seul endroit où il y avait une possibilité d’émigrer: en Palestine.

L’Etat d’Israël se veut à la fois juif et démocratique, est-ce une aporie, une difficulté insurmontable?

Eh bien, je voudrais bien qu’on m’explique comment on peut être les deux à la fois! D’ailleurs, dans cet Etat, on trouve deux communautés, l’une, dominante, jouit de la Loi du retour (tout Juif dans le monde a le droit d’émigrer en Israël et de devenir israélien, NDLR), alors que l’autre – les «Arabes israéliens» – subit des discriminations dans moult domaines, construction, éducation, santé, etc.

Votre fils a fait de la prison en 2005 pour avoir refusé de servir sous les drapeaux…

Oui, nous avons trois générations de Mograbi qui ont connu des détentions pour motifs politiques… parfois différents! Mon père, venu de Syrie, faisait partie du groupe armé juif clandestin Irgoun et fut arrêté par les Britanniques et déporté pendant neuf mois en Erythrée dans les années 1940. Moi, j’ai fait quelques mois de prison en 1983 pour avoir refusé de servir ma période de réserve au Liban – j’ai participé à l’occasion à la création de «Yesh Gvul» («Il y a une limite»), une organisation dont je suis devenu porte-parole qui aide les soldats qui refusent de servir l’occupation. Enfin, donc, mon fils aîné a fait quatre mois de prison en 2005 pour la même raison.

Propos recueillis à Bruxelles par Baudouin Loos

Le Cinéma Nova consacre à Avi Mograbi une rétrospective jusqu’au 17 octobre (en présence du réalisateur jusqu’au 21 septembre). Son dernier film, Dans un jardin je suis entré, y sera diffusé du 24/9 au 19/10.

Le 17 septembre 2014.

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