« J’ai vu des soldats syriens ouvrir le feu sur des camionnettes chargées de femmes et d’enfants »


Le Monde.fr | 28.05.2013 à 16h23 • Mis à jour le 28.05.2013 à 16h23

Jean-Philippe Rémy a passé pour Le Monde deux mois sur les différents fronts de la région de Damas. Il raconte dans un chat au Monde.fr son travail sur le terrain, ses relations avec les groupes rebelles et les événements qui l’ont poussé à enquêter sur l’utilisation de gaz toxiques.

Archibald : Avec ces révélations sur les armes chimiques, vous semblez pousser les pays occidentaux à intervenir… C’est ce que vous voulez ?

Jean-Philippe Rémy. Nous ne nous sommes pas rendus en Syrie à l’origine pour y enquêter sur la question des armes chimiques, mais beaucoup plus simplement pour nous rendre dans la région de Damas, à laquelle très peu de journalistes ont pu accéder et qui constitue pourtant un point crucial de ce conflit. Nous avons découvert l’ampleur et l’importance de l’utilisation de composés toxiques aux effets d’une grande gravité une fois sur place, dans les environs de Damas. Il était dès lors évident qu’il fallait rendre compte de tous les aspects que nous pouvions observer dans cette situation en tout point exceptionnelle.

D’un certain point de vue, c’est sans doute la fonction de base du journalisme. Il n’est entré aucun calcul dans l’exposition des faits que nous rapportons.

Visiteur : Il y a ce que vous avez vu et il y a les échantillons que vous ramenez. Comment les avez-vous obtenus ? Et qu’allez-vous en faire ?

Les efforts que consacrent les médecins de la périphérie de Damas pour rassembler des échantillons qu’ils prélèvent sur les personnes exposées aux émanations chimiques dans cette région montrent bien l’ampleur du problème. Sur place, beaucoup de gens ont le plus grand mal à imaginer qu’on puisse douter de la réalité de ces attaques avec des composés toxiques, même si personne ne connaît le nom précis des produits utilisés. Il y a dans de nombreux centres médicaux de cette région des médecins qui s’efforcent désespérément de rassembler des preuves de l’existence de ces attaques et qui essaient tout aussi désespérément de les faire passer à l’étranger pour qu’elles puissent y être analysées.

C’est un processus extrêmement compliqué pour plusieurs raisons. Dans le chaos ambiant, il est très difficile de réaliser des prélèvements en toute sérénité. Il est encore plus difficile de les faire passer à partir de cette région encerclée vers des pays voisins. Et, enfin, il est compliqué de les acheminer jusqu’à l’un des rares laboratoires capables d’identifier avec certitude leur composition exacte.

Il est vrai que quelques médecins nous ont demandé d’essayer d’acheminer une petite partie de ces échantillons. D’autres éléments de même nature sont confiés à toute sorte de personnes dès lors qu’elles tentent de sortir du pays. Aucun laboratoire indépendant ne traite des questions d’armes chimiques. Tous sont liés au gouvernement du pays dans lequel ils se trouvent. Nous avons confié les échantillons que nous avions ramenés à un laboratoire en France avec la garantie des autorités françaises que l’ensemble des résultats nous serait communiqué.

Protonéniet : Est-ce que vous avez constaté une utilisation de la part des rebelles (ou groupes rebelles) d’armes chimiques ?

Non, jamais.

Orel : Et d’autres types d’exactions ?

Non plus. Mais peut-être faut-il préciser que compte tenu des difficultés pour circuler en Syrie, il est possible de passer à côté de certains événements.

Fabiola : Comment êtes-vous entrés en Syrie ?

Rolf : Aviez-vous prévu d’y rester aussi longtemps ?

Nous sommes entrés en Syrie clandestinement parce que c’est la seule façon d’accéder aux zones tenues par les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL). Nous y avons donc circulé en leur compagnie. Il est impossible de procéder autrement. Nous nous sommes trouvés dans des villes encerclées par les forces gouvernementales, dont il a été difficile et long de sortir. Cela a permis de constater à quel point les civils de certaines de ces villes étaient dans le même cas.

Al : Pourquoi ne choisir de témoigner que du côté des rebelles ?

On couvre tous les camps dans toutes les guerres quand on nous en laisse la possibilité. Depuis deux ans, Le Monde ne s’est jamais vu accorder de visa d’entrée par les autorités syriennes.

Anna : Sauriez-vous dire, parmi les combattants que vous avez vus, la proportion de salafistes ou djihadistes et de laïcs ?

Je ne suis pas certain de pouvoir dire quelle est la proportion actuelle de combattants se réclamant du salafisme, mais je suis convaincu – et du reste tout le monde dans l’Armée syrienne libre est à peu près d’accord avec cette analyse – que plus le temps passe, et plus l’attraction des mouvements conservateurs ou extrémistes du point de vue religieux devient forte, notamment pour les combattants les plus jeunes, éprouvés par les difficultés de cette guerre. Il y a des combattants qui préfèrent rejoindre certaines brigades plus proches du salafisme parce qu’elles sont parfois mieux organisées ou mieux financées par des bailleurs extérieurs, tandis que les brigades plus modérées fonctionnent avec des moyens beaucoup plus limités.

Le temps joue donc en faveur des groupes les plus conservateurs ou les plus durs. C’est un facteur essentiel de la transformation du conflit en Syrie.

Tina07 : Les islamistes et les laïcs vont-ils pouvoir s’entendre en cas de victoire ? Quelle était leur attitude à votre égard ?

Les divisions au sein de l’ASL et des groupes voisins ne sont un mystère pour personne. Il est vrai que le futur en cas de chute du président Bachar Al-Assad suscite beaucoup d’interrogations et quelques craintes. Rien n’est encore joué. Mais il est vrai qu’un certain nombre de commandants avouent facilement redouter de voir des groupes comme le Jabhat Al-Nosra tenter de prendre l’ascendant sur les autres brigades. Beaucoup de ces commandants y sont opposés. Ils notent qu’en cas de coup dur, faute d’aide extérieure, ils sont bien obligés de composer sur les fronts avec des combattants du Jabhat Al-Nosra. Mais la volonté de ce groupe de leur dicter sa propre loi les hérisse profondément.

La présence d’éléments extrémistes est avérée, mais il ne me semble pas qu’elle ait atteint un tel seuil critique dans la région de Damas au point de colorer l’ensemble de la rébellion syrienne. En revanche, il faut bien comprendre que plus le temps passe et plus l’influence des groupes les plus durs risque d’augmenter. Si les pays occidentaux souhaitaient apporter une aide à la rébellion syrienne, il serait bon qu’ils tiennent compte de ce facteur temps.

Concernant l’attitude des islamistes à notre égard, les journalistes étrangers sont tellement rares dans la région de Damas qu’ils n’ont peut-être pas eu le temps d’adopter des attitudes bien définies. Alors que dans d’autres régions de Syrie il est pratiquement impossible d’engager la discussion avec des membres du Jabhat Al-Nosra, par exemple, la chose est arrivée à plusieurs reprises pendant ce séjour, près de la capitale. Les fronts autour de Damas sont tellement durs qu’on ne peut pas exclure que les combattants les plus extrémistes soient surtout accaparés par les combats. On a croisé à plusieurs reprises et même fait un bout de chemin avec des éléments du Jabhat Al-Nosra qui, en dehors de quelques tentatives pour nous convertir et d’une insistance pour interdire les cigarettes, se sont révélés plutôt ouverts à la discussion. Il est vrai qu’elle n’a pas duré.

Grégo : Avez-vous dû prendre des risques importants ? Avez-vous eu peur pour votre vie ?

La Syrie est un conflit de première importance, notamment en raison de la violence des combats qui s’y déroulent. Il y a donc inévitablement une part de risque pour en rendre compte. Mais, franchement, ce n’est pas la préoccupation principale dans cette région. Le fait de voir des familles exposées à toutes les violences, et en particulier à des bombardements continuels de l’armée, est la chose qui me hante le plus.

Pendant ce voyage, j’ai vu des soldats de l’armée syrienne ouvrir le feu avec des armes antiaériennes sur des camionnettes chargées d’hommes, de femmes et d’enfants qui étaient de toute évidence des civils. Je ne parviens pas à le comprendre.

Niklas : Est-ce que vous viviez dans les mêmes conditions que les combattants ? Qu’est-ce qui est le plus dur à supporter, dans les combats ou au quotidien ?

Oui, dans la périphérie de Damas, c’est obligatoire. Il n’y a plus d’hôtels…

Bilal : Une peur en l’Occident serait une épuration ethnique en cas de chute du régime. Avez-vous senti une haine envers certains groupes religieux ou ethniques chez les rebelles que vous avez fréquentés ?

En deux mois, il me semble avoir entendu essentiellement deux opinions à ce sujet. Oui, on note l’apparition d’un discours plein de ressentiment à l’égard des chiites, soudainement accusés de tous les maux. L’idée que s’est constitué un front chiite avec l’Iran et le Hezbollah, et des appuis en Irak, enflamme les esprits parfois parmi les rebelles, qui sont majoritairement sunnites. C’est un peu comme si le sentiment anti-alaouite des débuts s’était étendu pour le pire au fil des mois de guerre.

Moyennant quoi, en poursuivant la discussion, j’ai trouvé que mes interlocuteurs étaient capables de nuancer cette opinion. Un certain nombre de personnes, par exemple, se font la réflexion qu’il n’y a pas si longtemps, le discours anti-chiite était très marginal et font la corrélation entre la guerre et certaines dérives possibles de ce point de vue. J’ai aussi entendu les gens les plus éduqués au sein de l’Armée syrienne libre expliquer clairement que leur ennemi n’était pas la communauté alaouite, encore moins le monde chiite, mais un pouvoir manipulant les questions communautaires pour son propre bien.

Contrairement à ce qu’on imagine, ce n’est pas du tout une opinion marginale. Mais, dans le contexte d’extrême violence du conflit, avec des preuves de plus en plus évidentes de l’appui de l’Iran et du Hezbollah au pouvoir du président Bachar Al-Assad, les nuances tendent à disparaître. Là encore, le temps joue contre un éventuel apaisement après le conflit.

F. : Le conflit semble stagner… Vers quoi le voyez-vous évoluer et quels facteurs extérieurs pourraient bouleverser l’échiquier ?

Je crois qu’à ce stade il faut prendre conscience d’une chose : avec le recul, la guerre civile en Syrie restera sans doute l’exemple des crimes majeurs commis au XXIe siècle. Il faut garder en tête l’extrême violence qui règne dans ce pays pour réfléchir sur les responsabilités des pays de la communauté internationale. Si certains de ces pays pensent qu’il est de leur devoir de tout mettre en œuvre pour éviter que cette guerre d’usure ne se prolonge, avec son effroyable coût humain, il faudra bien aborder franchement la question de l’appui à la rébellion syrienne.

Faut-il livrer des armes aux rebelles ? Cela a-t-il une chance de mettre fin à cette guerre d’usure ? Voilà des questions qui devraient être débattues de manière claire. Aujourd’hui, plusieurs gouvernements occidentaux ont apparemment des éléments probants sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Il me semble que cela exigerait immédiatement un débat international, car il ne s’agit pas d’un simple problème syrien. A moins, bien sûr, qu’on choisisse de se désintéresser du reste de la planète. Il y a déjà eu près de 100 000 morts en Syrie. En ce moment, le gouvernement reprend l’avantage militairement sur plusieurs fronts importants. Cela ne garantit pas sa victoire, mais cela indique qu’en l’état actuel des rapports de force, ce conflit peut se poursuivre dans toute son atrocité. C’est terrible d’y penser.

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Bachar Al Assad ignore le mécontentement populaire et tente de rassurer fidèles et alliés


Aurélien Pialou

Au cours de ce qui constitue l’événement médiatique du jour, le chef de l’Etat syrien Bachar al Assad s’est prononcé sur la manière dont il souhaitait conduire la Syrie pour lui permettre de surmonter la crise. Trois aspects de son dicours retiennent l’attention.

Nouveau discours, nouvelles promesses
(selon Ali Farzat)

Tout d’abord, la rhétorique. Dans le conflit en cours, il – le président… et ceux qui monopolisent avec lui les moyens de la violence qui s’exerce sur les masses – représente le peuple. Il ne fait que se défendre. Il est attaqué en raison de ses positions, ô combien courageuses, sur la Palestine, qui ne l’ont pas dissuadé, rappelons-le, d’attaquer récemment le camp de Yarmuk et de massacrer les Palestiniens qui y résident. Bref, le diptyque, « je suis la nation » et « la nation syrienne représente le monde arabe légitime », reste plus que jamais d’actualité dans la pensée présidentielle.

Ensuite, le programme. Il est clair. Un pardon circonstancié en fonction de critères obscurs, un dialogue national et un nouveau gouvernement. Précisons bien les termes. Le nouveau gouvernement demeurera sous la conduite du chef de l’Etat. Le dialogue national sera conduit et le pardon prononcé par les services compétents, les moukhabarat.

Enfin, le décorum. Des foules fanatisées qui ne crient pas pour défendre la Syrie, mais pour clamer leur amour de Bachar al Assad. Elles considèrent, mais sous une autre forme qu’en avril 2011, que leur « leader maximo » dispose de toutes les qualités requises pour accéder au titre et à la fonction de « président de l’univers ». Dans les rituels staliniens, il est indispensable de disposer d’une foule galvanisée, prête à s’enflammer quel que soit le discours. On est ici face au même cas de figure. En cela, il faut saluer la constance du président. Son discours d’avril 2011 et celui de janvier 2013 exploitent les mêmes arguments, les mêmes logiques, les mêmes visions, les mêmes méthodes. Le message est clair !

« Ophtalmo, guéris-toi toi-même »
(par Ali Farzat)

Pendant ce temps, la réalité devient chaque jour plus dramatique pour les Syriens, trop souvent occultée par la succession des événements. Elle offre deux faces, radicalement antagonistes.

D’un côté, le message du président et de son régime. Il s’écrit en lettre de sang. Le nombre de morts, objet d’un débat indécent depuis quelque jours, est brutalement passé de 47 à 60 000 morts durant la semaine écoulée. Ce « rattrapage » révèle la difficulté de ceux qui assitent au drame en simples spectateurs à percevoir l’ampleur du carnage. Alors qu’à l’intérieur, tout le monde s’entend pour parler de plus de 100.000 morts, voire peut-être 150.000, reconnaître une telle réalité reviendrait, pour les instances internationales, à reconnaître la faillite de leur approche. Que dire alors d’autres réalités de cette politique défendue et martelée par le président en personne ?  Que dire du million de Syriens et Syriennes torturés, dont quelques uns ne sont sortis des geôles du régime que pour décéder dans les jours suivants, et dont les autres ne se remettront sans doute jamais de cette épreuve, durablement brisés dans leur chair et leur être ? Que dire des quatre millions de Syriens jetés sur les routes par la destruction de leur demeure, grâce au zèle d’une armée qui brûle le pays pour sauver un seul homme, son « dieu », Bachar al Assad ? Faudra-t-il être en mesure de dénombrer les yeux arrachés dans les geôles syriennes par les sbires assadiens, pour comprendre notre aveuglement ? Le message est pourtant clair !

De l’autre côté, le manque de recul dissimule quelques traits qui ne manquent pourtant pas de force. Bien qu’affecté et meurtri, le peuple syrien reste uni dans l’épreuve. Il n’est pas une famille qui ne compte pas de martyrs, morts pour que vive un président dont l’unique souci est de se maintenir. Mais ces mêmes familles, dans leur majorité, participent à l’entraide quotidienne. Dans le chaos syrien, déclenché, maintenu et accru par la seule volonté d’un chef à mille lieues de la réalité, les Syriens font preuve d’un courage sans nom pour s’aider les uns les autres. Aujourd’hui, le lien social qui fait que la Syrie demeure un pays – et qu’elle le demeurera – tient à la solidarité quotidienne entre ses habitants, qui pour loger un proche déplacé, qui pour fournir une couverture, qui pour conduire un blessé vers un espace de soin, qui pour le soigner, qui pour fournir un panier de nourriture… Et ce sont ces Syriens anonymes, grâce à qui la Syrie reste unie après deux ans bientôt de massacres et de tortures, qui sont qualifiés, par la loi de juillet 2012, de « terroristes » !

« Même pas peur… »
(selon Ali farzat)

La Syrie d’aujourd’hui, c’est la rencontre de deux forces. L’une est celle du peuple. L’autre celle d’une mécanique dévastatrice. La première, incarnée dans l’Armée Syrienne Libre, a libéré depuis le mois d’août dernier la majorité des espaces ruraux du pays. Elle a assuré la maitrise des axes dans le Nord du pays. Elle a récupéré de nombreux quartiers dans les villes. De manière évidente, tout espace qui bascule se libère, et aucune force, quelle que soit sa puissance de feu, ne permet de le récupérer. Sur le terrain, le message est donc clair.

Et pourtant, malgré la limpidité de ce message, que fait la communauté internationale ? Successivement, à différents niveaux, elle a envoyé des observateurs qui ont vu le peuple syrien se faire massacrer. Puis elle s’est décidée à deléguer des médiateurs, sans mandat précis et sans capacité de contrainte. On en voit le résultat dans les pérégrinations touristiques de Lakhdar Brahimi, qui, affolé par la dégradation de la situation humanitaire sur le terrain, répète qu’il « faut trouver une solution ». Mais cette même communauté internationale reste paralysée, imputant tour à tour son immobilisme à la complexité de la situation, à l’absence de structuration de l’opposition, aux désaccords prévalant entre les puissances, et au blocage par la Russie et la Chine de tout processus politique. Leur inaction ne dissuade pas ces mêmes pays de poclamer leur « soutien ».

Les Syriens n’attendent que deux choses de notre part. Ils ne veulent ni de corps expéditionaire, ni d’opération militaire. Ils ont démontré, depuis deux ans, leur courage et leur capacité au combat. En revanche, ils attendent toujours les moyens qui leur permettront d’acquérir les armes qui leur font défaut pour contrer la folie destructrice d’un régime aux abois. Et ils demandent que nous cessions de parler, que nous agissions, que nos gouvernements donnent effectivement les sommes qu’ils promettent dans leurs discours, et qu’on les laisse enfin se procurer ce dont ils ont besoin pour assurer leur survie…

Au nom de quoi ces demandes seraient-elles illégitimes? Quel peuple, dans son histoire, n’a pas affronté de temps compliqués ? Si George Washington avait été abandonné sans arme et si un « dialogue » lui avait été imposé, les Etats-Unis auraient-ils aujourd’hui le privilège de vivre libre? Si les Alliés n’avaient pas consenti à fournir les matériels nécessaires pour contrer les forces de l’Axe, l’Europe serait-elle aujourd’hui une terre d’espoir et de droits pour ses citoyens?

A certains moments, il faut que les messages soient clairs!

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Réfugiés palestiniens, le mythe et la réalité


L’opinion de Gilles Paris

Safed

Chassé par les combats, Mahmoud Abbas avait quitté avec sa famille sa ville natale de Safed en Galilée pour la Syrie en mai 1948. Y sera-t-il enterré un jour? Probablement non si on en croit ses déclarations à la Deuxième chaîne israélienne, jeudi 1er novembre. Au cours de cet entretien, le président de l’Autorité palestinienne a tracé les limites de la Palestine qu’il appelle de ses voeux: c’est 1967 (Gaza et la Cisjordanie) avec, on l’imagine, des échanges de territoires. Logique avec lui-même, M. Abbas a exclu revenir à Safed autrement qu’en visite. L’opposition palestinienne, le Hamas en tête, a fustigé ce renoncement.

En la matière, il est pourtant acquis de longue date pour la direction d’un mouvement pourtant né dans les camps qu’une partie infime des réfugiés de 1948 serait autorisée à s’installer dans ce qui est devenu Israël dans le cadre d’un règlement de paix, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il ne faudrait pas de longues négociations pour solder ce dossier: pour définir ce nombre de privilégiés, fixer les indemnités versées aux autres, trouver des pays tiers pour une installation définitive (principalement dans le cas du Liban où les Palestiniens sont très mal intégrés, un héritage de la guerre civile.)

Les dernières discussions en date, en 2008, ont précisément achoppées sur ce nombre de « returnees » si on se réfère au récit du négociateur palestinien de l’époque, Ziyad Clot et il n’a jamais été question depuis Oslo, en 1993, sans que l’on se prononce sur le fond, que l’Autorité palestinienne consulte un jour les camps de Jordanie, de Syrie et du Liban sur le contenu de ses tractations avec les Israéliens.

L’initiative arabe de 2002, magistralement ignorée par Israël, ne disait pas autre chose quand elle évoquait « a just solution to the problem of Palestinian refugees to be agreed upon in accordance with the UN General Assembly Resolution No 194 », sans la moindre mention du « droit au retour » inscrit dans le discours palestinien depuis 1948 et qu’a toujours contesté Israël.

Prétendre trouver la paix en exigeant la réinstallation en Israël de centaines de milliers de réfugiés serait aussi hasardeux qu’imaginer les Palestiniens, après une telle concession, prêts à accepter l’indivisibilité de Jérusalem. Mais que les jusqu’au-boutistes des deux camps se rassurent, de tels marchés ne sont pas pour demain.

http://israelpalestine.blog.lemonde.fr/2012/11/03/refugies-palestiniens-le-mythe-et-la-realite/

Dans le djebel turkmène, les barils venus du ciel sèment la mort


LE MONDE | Mis à jour le 17.10.2012 à 20h08

Par Lewis Roth (Rabie, djebel turkmène en Syrie, envoyé spécial)

La frontière n’est plus qu’un barbelé piétiné qu’on franchit sans y penser. Et voilà la Syrie ! Au nord, le sandjak d’Alexandrette, territoire turc peuplé majoritairement d’Arabes alaouites turquisés mais favorables au régime de Bachar Al-Assad. « Ce sont eux qui viennent mettre le feu à la forêt pour nous empêcher de passer la frontière », siffle Tarek en désignant les arbres calcinés.

Au sud, le djebel turkmène syrien, habité par des Turcomans arabisés, qui soutiennent la révolution dans laquelle ils voient l’occasion de prendre leur revanche sur un régime qu’ils accusent de persécuter les sunnites, dont ils font partie. Cette opposition à front renversé, de part et d’autre de la frontière turco-syrienne, pourrait finir par entraîner Damas et Ankara dans une guerre par procuration alors que la tension est à son comble depuis une dizaine de jours. Depuis que des obus syriens visant les rebelles installés à la frontière ont atterri en territoire turc, suscitant la riposte de l’armée turque.

Relativement tranquille au début de la révolution, le djebel turkmène a fini par se libérer en juin. Il n’a pas fallu plus de quatre jours de bataille aux révolutionnaires locaux pour prendre Rabie, la principale ville de la montagne. « Pendant les deux mois précédents, nous avons conquis les villages un par un, se souvient Abou Samer, un homme d’âge mûr qui fait office de chef de la police locale, Rabie est tombé comme un fruit mûr. »

Dans ce charmant village où les maisons épousent les contours de la montagne, le seul bâtiment à porter les stigmates de combats acharnés est le centre des renseignements militaires. Rabie est libre, mais vit au ralenti : les révolutionnaires ont remplacé les autorités locales par des conseils élus, soldant au passage de vieilles rancœurs. « Nous sommes les enfants du pays, mais sous le régime Assad, se plaint Abou Samer, tous les emplois de fonctionnaires vont aux alaouites. Tout est pour eux : le pouvoir, l’eau, l’argent. Nous ne faisons que reprendre ce qui nous revient. »

« LES FONCTIONNAIRES SONT TOUS PARTIS »

« Le jour où Rabie est tombé, les fonctionnaires sont tous partis », raconte Abou Nadir, le seul épicier resté ouvert. « L’école a fermé, le dispensaire aussi. Le gouvernement a cessé de verser les salaires, il a coupé l’eau et l’électricité. On vit un blocus presque complet. Pour faire venir du riz et des boîtes de conserve, je suis obligé de faire appel à des contrebandiers qui viennent de Jisr Al-Choghour. »

Les bombardements ont commencé au même moment, sporadiques, sans autre logique ni objectif apparent que terroriser ceux qui sont restés sur place. Jusqu’à début septembre, Rabie était à portée des canons de l’armée gouvernementale postés au sommet du nid d’aigle de Burj Al-Kassab. Depuis que la position a été prise de haute lutte par l’Armée syrienne libre (ASL), la menace vient des hélicoptères.

Tous les jours, ils viennent tourner haut dans le ciel, tels des rapaces à la recherche d’une proie. Et finissent par lâcher leur cargaison meurtrière : des barils bourrés de plusieurs dizaines ou centaines de kilogrammes de TNT et de morceaux de métal afin de faire le plus de victimes possible. Les Syriens appellent ces bombes improvisées les « barils ».

Dès qu’ils entendent le vrombissement d’un hélicoptère, ils courent se mettre à l’abri sous le vert tendre et l’ocre automnal des arbres, fuyant bâtiments et véhicules, cibles potentielles. Le régime n’utilise pas ses avions de chasse, qui sont obligés de franchir la frontière turque pour virer de bord.

« SANS LA TURQUIE, NOUS SERIONS TOUS MORTS ICI »

Terrorisés par les « barils » et épuisés par le blocus, la majorité des habitants du djebel ont fui vers la Turquie voisine. Mais depuis mi-septembre, la frontière est fermée aux réfugiés. Et les nouveaux candidats à l’exil dorment dans la forêt, le long de la frontière en attendant le moment le plus favorable pour passer de l’autre côté. Seuls les hommes sont restés à Rabie, pour combattre avec l’ASL ou protéger leurs maisons contre les pillards. Ceux qui ont fui en Turquie ont été remplacés par des déplacés intérieurs, le plus souvent des Turcomans de la région côtière, encore sous contrôle gouvernemental.

C’est le cas du docteur Mohamed Ahoualeh. Il a fui Lattaquié, où il est recherché par les services de sécurité, avec ses deux filles, Nesma, médecin, et Safa, pharmacienne. Il est le seul praticien à 15 km à la ronde et traite aussi bien les bébés en proie à des diarrhées que les combattants blessés au combat ou les civils déchiquetés par les bombardements. Il délivre tout à la fois ordonnances et médicaments, mais n’a ni ambulance, ni matériel de dialyse, ni carburant pour faire fonctionner quoi que ce soit.

Le seul hôpital de campagne de la région a été installé à Yamadieh, quasiment sur la frontière. « Nous sommes trop près de la Turquie pour que les avions et les hélicoptères de Bachar viennent nous bombarder, se réjouit Ayman Karajan, assistant médical et combattant à la carrure et à la barbe impressionnantes. Ici, c’est déjà la Turquie. Si Bachar vient nous chercher, il trouvera Erdogan pour nous protéger. Vive Erdogan ! Sans la Turquie, nous serions tous morts ici. »

Les rangs de l’ASL ne cessent de grossir dans la montagne turkmène et, de jour en jour, les combattants s’enhardissent. Après avoir coupé, début septembre, l’autoroute Lattaquié-Alep, ils s’attaquent désormais aux villages alaouites en contrebas, progressant peu à peu vers la grande ville côtière de Lattaquié. Des combats se déroulent actuellement près du lac Baloghan.

« JE PRÉVIENS NOS FRÈRES ARMÉNIENS À KASSAB : QU’ILS PARTENT « 

Mais cette nouvelle donne menace de faire basculer la montagne turkmène, dont la beauté préservée fait songer à une petite Corse, dans une sanglante guerre confessionnelle. Village contre village. « A chaque fois qu’on entre dans un village alaouite, nous prenons garde à ne faire de mal à personne, assure Abou Moustapha, un combattant turkmène. Hélas, ils préfèrent fuir vers Lattaquié et se réfugier dans les bras du régime. »

Le régime et les rebelles s’accusent mutuellement d’avoir mis le feu au village alaouite de Kindessieh après sa chute aux mains de l’ASL. L’armée de Bachar Al-Assad, qui ne peut se permettre de laisser les rebelles pénétrer dans le réduit alaouite, dernier refuge potentiel du régime, prend la menace au sérieux et a renforcé ses positions. « C’est grâce aux combattants du djebel turkmène que le projet d’Etat alaouite de Bachar va échouer, clame Abou Moustapha. Nous l’empêchons d’établir le contact avec les alaouites de Turquie. »

Tout au nord, la rébellion se prépare à attaquer le village de Kassab, frontalier avec la Turquie, peuplé de Turkmènes et d’Arméniens, et encore sous contrôle de l’armée syrienne. « Si on le prend, on aura accès à la mer et on disposera d’un passage officiel avec la Turquie. On pourra faire venir des armes », se réjouit Abou Moustapha, avant de menacer : « Je préviens nos frères arméniens à Kassab : qu’ils partent avant l’offensive de l’Armée libre, sinon ils vont avoir des pertes civiles et se plaindre d’un génocide perpétré par des Turcs. »

Dans le chaudron ethnico-confessionnel en fusion qu’est la Syrie en guerre, l’avertissement fait froid dans le dos.

Lewis Roth (Rabie, djebel turkmène en Syrie, envoyé spécial)

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Bosnie et Syrie


L’ombre portée du drame bosniaque

Par Nathalie Nougayrède

Et si l’histoire se répétait ? « Sur la Syrie, on en est là où je me trouvais en 1993 et en 1994 avec la Bosnie. Cela nous a pris deux ans ». Ce commentaire saisissant de l’ancien président américain Bill Clinton date du mois de juin. Parallèlement, William Hague, le chef du Foreign Office, faisait le même constat : la Syrie « ressemble à la Bosnie des années 1990 ».

Chaque crise est différente, les époques aussi. Pourtant, lorsque des responsables occidentaux, des observateurs, des acteurs ou témoins directs du drame dans les Balkans se remémorent ces événements, la comparaison avec la Syrie vient assez rapidement. « Après trente ans de travail sur des zones de conflit, nous déclare un ancien conseiller de la force de l’ONU en Bosnie, je dois constater que la Syrie est le dossier qui affiche le plus de similitudes avec la Bosnie : une guerre civile avec de fortes composantes ethnico-religieuses, un environnement régional où des pays « voisins » agissent comme parrains des parties au conflit, et un troisième cercle, celui des grandes puissances, incapables de s’entendre. »

Dans le nord d’Alep après un raid de l’armée syrienne

Un autre expert des deux dossiers, l’actuel émissaire suisse au Moyen-Orient, Jean-Daniel Ruch, qui a travaillé pour la justice internationale dans les Balkans, évoque comme points communs « une impasse politique, une escalade de la violence, une diplomatie impuissante, une opinion internationale choquée souhaitant que quelque chose soit fait pour mettre fin aux massacres des civils ».

En Bosnie, la guerre civile a duré de 1992 à 1995. La communauté internationale a paru longtemps hésitante et impuissante. Il fallut attendre cent mille morts et le crime de génocide, à Srebrenica, pour que les occidentaux décident de mettre fin au bain de sang. Des frappes aériennes ciblées de l’OTAN sur les positions serbes, couplées avec une aide en sous main aux forces bosno croates, ont contraint Slobodan Milosevic à la négociation. Elle a abouti aux accords de Dayton, en novembre 1995, qui ont sanctuarisé un partage du pays selon des lignes communautaires.

Aujourd’hui, le pilonnage aérien sur Alep et d’autres villes syriennes fait penser à Sarajevo. Les opérations de ratissage et d’épuration ethniques conduites en Syrie par les chabbiha (milices pro-Assad) rappellent cruellement celles de la soldatesque de Ratko Mladic et Radovan Karadzic. Une similitude d’ordre historique apparaît aussi : ces deux crises surviennent chacune dans un contexte international chamboulé. Les bouleversements géopolitiques induits par la chute du communisme à l’Est composent la toile de fond de la guerre en Bosnie. Ce conflit découle de l’effondrement idéologique de la Yougoslavie. Il est le théâtre de la folie meurtrière née du concept de « Grande Serbie », exalté par l’homme fort de Belgrade, Slobodan Milosevic.

Le drame de la Syrie se produit dans un contexte de transformations historiques : un printemps de libération des peuples arabes en révolte contre les pouvoirs. A Damas, c’est le crépuscule d’un système clanique, celui des Assad, qui repose sur une coalition de minorités. Il lutte contre sa disparition par un déferlement de violence.

L’affrontement en Bosnie était religieux (Serbes orthodoxes contre Croates catholiques et Bosniaques musulmans) et nationaliste (Serbes contre Bosniaques et Croates, Sarajevo étant martyrisée parce qu’elle portait l’étendard de la multiethnicité). En Syrie, le soulèvement anti-Assad est né au sein de la majorité sunnite, tandis que la minorité alaouite est assimilée au pouvoir (tous les alaouites ne sont pas pro-Assad). Ce n’est pas à proprement parler une guerre confessionnelle, même si cette pente existe. L’affrontement se joue principalement entre un peuple en révolte et un régime prêt à recourir aux dernières extrémités pour se maintenir en place. Pendant des mois, en 2011, les contestations de rue étaient pacifiques. La guerre a d’abord été le choix du pouvoir.

Le spectacle d’une longue inaction de la communauté internationale est un autre élément commun aux deux dossiers. La paralysie et la division des puissances sont la conséquence du positionnement russe face aux Occidentaux : soutien de Moscou au pouvoir syrien aujourd’hui, soutien de Moscou aux Serbes hier. Pourtant, c’est la posture, en retrait, de Barack Obama qui apparaît comme l’élément le plus déterminant. Comme l’était, en 1993 et 1994, l’attentisme de Bill Clinton face à la Bosnie. Il a hésité pendant près de trois ans avant de se résoudre à une intervention.

La Syrie n’a pas été la priorité de Barack Obama. En campagne électorale, il ne veut pas de nouvelle guerre américaine dans le monde musulman. Ce qui prime, c’est de prévenir tout dérapage dans le dossier nucléaire iranien, où la coopération de Moscou est par ailleurs recherchée. Dans les années 1992-1994, les Etats Unis de George Bush père, puis de Bill Clinton, ne voient pas d’intérêt stratégique à se mêler de l’affaire bosniaque. Les Balkans sont à leurs yeux le dossier des Européens. James Baker, le secrétaire d’Etat de George Bush, a cette formule devenue célèbre : « We don’t have a dog in that fight » (« Nous n’avons aucun intérêt à défendre dans ce conflit »). Warren Christopher, son successeur, renchérit : « Bosnia is a problem from Hell ».

La Syrie, un « problème infernal » ? Les Etats Unis semblent, pour l’essentiel, déléguer la crise à leurs partenaires régionaux, à savoir la Turquie et certains pays arabes. On cherche à contenir le risque de contagion. Mais cette valorisation des acteurs régionaux, dont l’action est confuse, contribue à amplifier l’effet de « guerre par procuration » dans le grand clash stratégico-confessionnel : sunnites contre chiites, Arabie saoudite contre Iran.

Sur la Bosnie comme sur la Syrie, les Européens s’illustrent par leur impuissance à agir seuls. Et par leurs divisions, plus ou moins visibles. Dans les années 1991-1994, les Croates ont l’appui de l’Allemagne. Les Serbes, eux, bénéficient d’une forte indulgence de François Mitterrand.

Appels français peu suivis d’effets

La France de François Hollande, autant que celle de Nicolas Sarkozy, est en pointe en Europe pour dénoncer les agissements du régime Assad. Mais ses solos restent des solos.

L’annonce faite par François Hollande, le 27 août, d’une « reconnaissance » d’un futur « gouvernement de transition » à Damas et son récent appel à l’ONU en faveur d’une protection pour les « zones libérées » en Syrie ont eu peu d’effet d’entraînement jusqu’à présent. Les Britanniques comme les Américains ont jugé ces initiatives prématurées. Paris semble avoir étudié l’idée, pendant plusieurs semaines, de s’appuyer sur les « zones libérées » à l’intérieur de la Syrie pour conférer une légitimité à une politique d’ingérence. L’autorité de Damas ne s’exerçant plus sur ces régions, la souveraineté de l’Etat syrien ne serait pas enfreinte.

La récente tournée du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, en Jordanie et au Liban a cependant signalé l’abandon de cette option : ni livraisons d’armes ni « zones tampons » protégées. On s’en tient aux équipements « non létaux » distribués à des groupes d’opposants armés que les services français tentent de trier sur le volet, une démarche conforme à ce que font les Américains. Le reste de l’aide concrète est dans le registre de l’humanitaire et du soutien à la société civile. A leurs interlocuteurs français, les chefs de katibas (unités de combattants) anti-Assad répètent que le refus occidental de leur fournir des armes antiaériennes ne fait que pousser la rébellion vers d’autres sources d’approvisionnement : le marché noir, où les islamistes financés par le Golfe auraient la haute main…

On retrouve là certains échos du débat qui avait cours à l’époque de la Bosnie : faut-il livrer des armes, violer l’embargo (onusien en Bosnie, européen en Syrie) ? L’administration Clinton était favorable à un approvisionnement des Bosniaques. Paris et Londres étaient contre. Aujourd’hui, la politique des Occidentaux sur la Syrie est de ne pas adopter de posture de belligérant, même si cela paraît en décalage avec leurs appels au départ d’Assad, lancés depuis août 2011. La crainte est vive de voir des armes sol-air sophistiquées tomber un jour entre les mains de groupes radicaux, terroristes ou hostiles aux intérêts occidentaux. Israël a envoyé des messages catégoriques sur ce point, obsédé par le stock d’armement du Hezbollah.

Selon une source proche des milieux saoudiens, Washington a mis un veto à toute livraison d’armes antiaériennes performantes à la rébellion syrienne par des pays du Golfe. Vrai ou faux ? Si c’est vrai, quelles en seraient les conséquences pour une rébellion que l’on prétend soutenir ? « Les Américains ont mis quinze ans à retrouver tous les missiles Stinger qu’ils avaient envoyés aux moudjahidin d’Afghanistan », rappelle un expert des questions de défense à Paris. En Bosnie, le problème du « contrôle des airs » ne se posait pas. Milosevic n’employait pas l’aviation car une zone d’exclusion aérienne avait été imposée en 1993, ce qui n’est pas le cas en Syrie.

Depuis 2011, la diplomatie internationale a repris à propos de la Syrie une série de figures imposées, déjà observées pour la Bosnie. Elles se déclinent en conférences, sommets, tentatives de médiations, scénarios hypothétiques de règlement. Sans lendemain. Hier, les émissaires étaient Lord Carrington, Lord Owen, Cyrus Vance ; aujourd’hui, Kofi Annan et Lakhdar Brahimi. La formule « groupe de contact » se retrouve sur les deux crises. De même que la formule des « observateurs internationaux » (casques bleus en Bosnie, missions de la  Ligue arabe et de l’ONU en Syrie). Impuissants, ces observateurs sont cantonnés dans un rôle de spectateurs de la dévastation et des crimes. Le problème de leur sécurité en fait des otages potentiels.

Alors, on s’en remet à l’humanitaire, indispensable volet. Qui a en outre l’avantage de fournir des images plus positives aux téléspectateurs. Comme à Sarajevo autrefois, l’assistance acheminée vers les Syriens allège des souffrances, mais ne règle en rien le fond du problème. La violence continue de s’abattre sur les civils. On compte trente mille morts à ce jour.

Comment la donne a-t-elle changé en Bosnie ? Le « facteur CNN » a sans doute été décisif. L’impact de la couverture médiatique de la Syrie est d’ailleurs, aujourd’hui, suivi de très près par les décideurs occidentaux, sur fond de « fatigue des guerres » ressentie par les opinions. En 1995, le choc créé par le massacre de huit mille hommes et adolescents bosniaques à Srebrenica a été un tournant majeur. La passivité face à l’horreur, au coeur de l’Europe, est alors devenue intolérable pour tous. Le rôle des personnalités politiques ne doit pas être négligé. Après l’arrivée au pouvoir de Jacques Chirac, un puissant duo franco-américain se forme avec Bill Clinton. Les deux dirigeants s’entendent pour que l’OTAN montre ses muscles.

Afin que la pression militaire sur les Serbes soit crédible et décisive, les Occidentaux décident, en juillet 1995, que le feu vert de l’ONU ne sera pas nécessaire pour déclencher des frappes massives. L’obstacle russe à l’ONU est contourné. Quatre ans plus tard, Américains et Européens iront encore plus loin en intervenant au Kosovo sans mandat explicite délivré par le Conseil de sécurité. L’épuisement de la carte diplomatique et la volonté d’en finir avec Slobodan Milosevic agissent comme un accélérateur majeur.

François Hollande répète que rien ne peut être entrepris en Syrie sans résolution de l’ONU – ce que n’ont dit ni les Etats-Unis ni les Britanniques. Le président français enterre ainsi la « doctrine Kosovo », regrettent certains diplomates. Et raye la logique de Jacques Chirac en 1999 selon laquelle « le scandale humanitaire efface le scandale juridique ». La seule « ligne rouge  » fixée par les Occidentaux à Bachar al Assad concerne l’emploi d’armes chimiques. Il y a là un paradoxe qui peut susciter des accusations de cynisme : les Occidentaux semblent plus préoccupés par le problème de la prolifération des armes de destruction massive que par la protection des civils.

En 1995, le dénouement est arrivé en Bosnie avec l’inversion du rapport de forces sur le terrain. Les Serbes ont fini par céder parce qu’ils étaient pris dans la double tenaille des frappes de l’OTAN et de la reconquête menée sur le terrain par les forces croates. Celles-ci ont été équipées et entraînées par une société privée militaire américaine. « Nous savions que la diplomatie ne pouvait pas réussir tant que les Serbes n’auraient pas subi des pertes importantes sur le terrain », racontera Bill Clinton dans ses Mémoires. En novembre 1995, les accords de Dayton entérinent les lignes de front en Bosnie. Une paix imparfaite, aux lourdes séquelles aujourd’hui, mais les armes se sont tues.

Les ingrédients du dénouement bosniaque ne sont pas réunis à l’heure actuelle en Syrie. Les Occidentaux sont convaincus que Bachar Al-Assad finira par tomber, à plus ou moins longue échéance. Mais avec le temps, le pourrissement de la situation rendra de plus en plus difficile l’endiguement d’une crise qui menace de déborder dans un Moyen-Orient explosif. Des Etats arabes poussent à faire plus, mais peinent à s’accorder entre eux.

En Occident, la perception du facteur islamiste refroidit les enthousiasmes et fait oublier un peu vite la formidable résistance civile à l’oeuvre en Syrie au niveau local. Aucun dirigeant occidental n’a cherché à prendre un leadership sur ce dossier. C’est au contraire Vladimir Poutine, ardemment opposé à une politique de changement de régime imposée de l’extérieur, qui campe une figure dominatrice.

Les Balkans furent peut-être une parenthèse. Un cas très spécifique où l’ingérence pouvait s’exercer hors des clous de la légalité internationale stricte car, après tout, les Européens intervenaient « chez eux », en Europe, et non pas dans d’anciens protectorats ou colonies. Mais la leçon de la Bosnie, à vingt années de distance, est aussi que le moment finit par arriver où il faut répondre aux appels à l’aide. On s’aperçoit alors que le temps perdu fut un gâchis, que les belligérants les plus actifs, les plus extrémistes, ont pris le dessus, et que, pour la population civile, il est tout simplement trop tard. Des dizaines de milliers de morts trop tard.

Florence Aubenas : « Les rebelles syriens n’ont aucun doute : ils vont gagner »


Le Monde.fr | 16.08.2012 à 22h02 • Mis à jour le 16.08.2012 à 22h02

Par Le Monde.fr

Florence Aubenas.

Pendant plusieurs semaines, la reportrice du Monde Florence Aubenas était en Syrie pour couvrir le conflit. Elle a répondu aux questions des internautes lors d’un chat organisé le jeudi 16 août.

Est-ce que vous vous sentiez menacée en tant que femme lorsque vous suiviez des combattants en Syrie?

Florence Aubenas : Pas du tout. En général, être une femme sur les lieux de combat m’a plutôt semblé un avantage, jusqu’ici en tout cas : cela évite les surenchères ou les défis que ce type de situations suscitent parfois. Les gens font tout pour vous aider : lorsque des hélicoptères se sont mis à tirer à Alep, les premiers jours, les habitants se bousculaient tous pour m’inviter à me mettre à l’abri chez eux.

Ça vous fait quoi d’être une journaliste « embedded » dans la rébellion ? Vous pensez faire votre travail honnêtement ?

Florence Aubenas : Ce n’est pas un choix d’être « seulement » aux côtés de la rébellion : c’est une obligation dans le cas de figure syrien. Les journalistes n’ont actuellement pas de visa officiel (à l’exception de quelques-uns) : il nous faut donc entrer dans le pays clandestinement et continuer à y vivre et à y travailler de la même manière. Pas d’hôtel, pas de location de voiture, aucun des circuits habituels. Le seul réseau par lequel nous pouvons passer est celui des Syriens engagés, c’est-à-dire des opposants au régime, militaires ou pas.

Comptez-vous rejoindre l’armée régulière si vous en avez la possibilité ?

Florence Aubenas : « Rejoindre » n’est pas le mot que j’utiliserais. Mais, oui, j’aimerais aussi couvrir ce conflit de l’autre côté, si j’en avais la possibilité.

Quel est l’état d’esprit de la population à Alep ? Est-ce qu’on parle d’une « ville fantôme » ou plutôt d’une ville qui vit malgré l’horreur des combats ?

Florence Aubenas : A Alep, je ne suis allée que dans les quartiers qui étaient sous le contrôle des forces rebelles. La raison en est simple : je n’avais pas de visa officiel et se faire arrêter par les militaires du régime aurait été extrêmement dangereux.

Dans les secteurs de la ville que j’ai vus, les gens ont commencé à fuir aux premiers jours du conflit. C’était vraiment une ville fantôme. Personne dans les rues, tous les magasins fermés, pas une voiture : un vrai décor de cinéma. Les gens ont commencé à y revenir petit à petit. Les combats n’avaient pas ralenti, mais chacun avait fini par s’y « habituer ». Les marchés ont repris, les habitants ne se mettaient même plus à l’abri quand un avion apparaissait dans le ciel. Cette accoutumance à la violence est une des choses les plus terribles dans les conflits.

Martine : Quelle est la situation alimentaire à Alep ? Et la situation des quartiers de la ville qui ne sont pas tenus par les « rebelles » ? Les soins médicaux sont-ils encore possibles?

Florence Aubenas : A Alep, capitale économique du pays, les seules entreprises que la guerre n’a pas arrêtées sont celles qui fabriquent la farine et le pain ! Pour l’instant, la situation alimentaire ne pose pas de problème. Le Croissant-Rouge fait des distributions dans certaines villes, mais toutes n’en ont pas besoin ; il y a énormément de solidarité, à la fois pour la nourriture et pour l’hébergement.

Les soins médicaux sont plus compliqués : en fait, la Turquie (à quarante minutes d’Alep), qui soutient les rebelles, a ouvert ses hôpitaux aux blessés syriens. Cela dit, beaucoup de gens continuent de mourir, faute de soins. Dans les quartiers toujours tenus par le régime, la situation est bien plus calme : par définition, ils sont à l’abri des bombardements et des chars.

Ressent-on encore la révolte populaire à Alep ou n’est-ce plus qu’une guerre civile ?

Florence Aubenas : Il y a un mot qui fait hurler tous les opposants au régime, celui de « guerre civile ». Pour eux, c’est une « révolution », au sens où ils veulent renverser le régime. La manière dont ils définissent eux-mêmes le sens de leur combat est une lutte contre les injustices du régime.

Cette dimension de liberté et de dignité reste très forte dans un pays où il est interdit de regarder une autre chaîne que les télévisions officielles, même chez soi. Maintenant, la guerre a sa propre dynamique ; elle amène les gens à se radicaliser, alors qu’ils ne se sentaient pas spécialement impliqués au début.

L’influence de djihadistes « salafistes » étrangers fait l’objet d’une controverse intense entre le pouvoir régulier et les rebelles. Avez-vous des éléments sur cette question ?

Florence Aubenas : Oui, c’est l’argument principal du régime contre les rebelles. Dans la région du Nord où j’ai passé un mois, je n’en ai pas rencontré. Il serait impossible pour des combattants étrangers d’y passer inaperçus : la rébellion recrute par famille, par village. Tout le monde se connaît, loge au même endroit.

J’ai longuement interrogé des commandants sur l’existence de camps d’entraînement ou de soldats venus d’ailleurs. Eux non plus n’en connaissaient pas. Autre élément : la manière dont les rebelles se battent montrent la pauvreté de leur moyens, en armes et même en nourriture. Il n’y a même pas une kalachnikov par personne. Je pense que si Al-Qaida les épaulait, ils auraient moins de difficultés face à l’armée de Bachar Al-Assad. Cela dit, il faut rester modeste : la situation peut être différente dans d’autres parties du pays.

Croyez-vous à une explosion de la Syrie en différents États ethniques ou religieux ?

Florence Aubenas : C’est l’une des grandes théories sur l’après-Bachar : tous les alaouites vont se réfugier dans la zone côtière, où ils sont majoritaires, et créer une sorte d’Etat indépendant, laissant le reste du pays aux sunnites. Certains soutiennent même que cette solution, façon ex-Yougoslavie, est le plan secret du président. Je reste assez sceptique : beaucoup de Syriens de tous bords restent très attachés à leur pays. Il y a un sentiment national très fort.

Les rebelles croient-ils en leur chance de victoire ?

Florence Aubenas : Ils n’ont aucun doute : ils vont gagner. Cette conviction dans la victoire est même leur arme principale.

Khadija H. : Quelles sont les attentes des « rebelles » vis-à-vis de la communauté internationale?

Florence Aubenas : Cette question revient toujours dès qu’on interviewe les rebelles : « Pourquoi personne ne nous aide ? » Elle s’adresse à la fois aux pays arabes et aux pays occidentaux. En même temps, ils restent assez philosophes. Certains répètent : on se bat seuls et on gagnera seuls.

Victor RF : Un rapport affirme que des crimes de guerre ont été commis par l’ASL. Que pouvez-vous nous dire sur cela ? Comment sont traités les prisonniers ?

Florence Aubenas : J’ai vu, personnellement, des soldats de l’armée rebelle exécuter au moins un sniper qu’ils avaient capturé pendant un combat de rue à Alep. C’est un crime de guerre. Il y en a certainement eu d’autres. La diffculté est de dire : est-ce que ce sont des exceptions ou est-ce une méthode systématique ? Du côté des gradés, on affirme que les soldats ont l’ordre de ne pas s’y livrer, mais je pense que des enquêtes devront avoir lieu.

Quant aux prisonniers, certains ont été maltraités, pas de doute non plus. Je les ai vus, visiblement battus et maltraités pour certains. Human Rights Watch est en train de boucler un rapport là-dessus. L’armée rebelle a promis d’y participer. On attend la suite, il faut être très vigilant.

Victor RF : Les versions de l’ASL et de l’armée officielle sont parfois contradictoires. La guerre se joue t-elle également sur le plan de la communication ?

Florence Aubenas : Bien sûr ! Le même jour, les deux armées ont parfois annoncé en même temps qu’elles maîtrisaient le même quartier. La guerre s’est doublée d’une bataille de communication. Je pense qu’aujourd’hui, c’est inéluctable. Une des premières mesures de l’armée libre, en entrant dans Alep, a été de nommer un « responsable de la presse ». C’était assez cocasse, car nous étions trois journalistes dans la ville à ce moment-là, aucune ligne de téléphone ne passait et le responsable en question n’était jamais joignable.

Nono : Y a-t-il des alaouites parmi les rebelles?

Florence Aubenas : Alep et toute la zone nord, où j’étais, constituent une région sunnite presque à cent pour cent. Il y a quelques Kurdes et quelques chrétiens, mais pas de communautés alaouites. Il n’y en avait donc pas dans les troupes rebelles que j’ai vues. En revanche, dans les villes de Homs, de Hama, de Damas, qui sont mixtes, quelques alaouites se sont enrôlés. Ils restent très minoritaires. La dimension de révolte des sunnites contre les alaouites, considérés comme favorisés par le régime, est très forte dans ce conflit.

Existe-t-il une haine entre les communautés alaouite et sunnite en Syrie ?

Florence Aubenas : Je crois que cette haine existe dans certaines zones mixtes, où les gens se sont retrouvés confrontés les uns aux autres. Je pense à Homs ou à Damas, où des voisins qui s’appréciaient ont pu s’enrôler, les uns, dans les milices pro-Bachar, les autres, côté rebelles. Dans les zones majoritaires, sunnites ou alaouites, cela se pose moins durement, on y parle davantage d’injustice que de haine. On n’y entend pas les gens prononcer des mots terribles ou même des menaces d’extermination les uns contre les autres, comme cela a pu être le cas au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Si le conflit s’éternise, le risque existerait que la haine gagne peu à peu tout le pays. Ce serait terrible.

Léon Z : Y a-t-il des femmes, des enfants, des adolescents parmi les combattants rebelles ?

Florence Aubenas : J’ai vu des adolescents de 16 ou 17 ans, mais ni femme ni enfant. Dans les grandes villes, les femmes ont participé aux manifestations, aux côtés des hommes ou dans des cortèges séparés. Cela ne se fait pas dans les campagnes. Beaucoup s’occupent de soins médicaux à domicile, font la cuisine pour les compagnies.

Une victoire du régime est-elle envisageable ? On a l’impression que le régime a des ressources illimitées et a l’avantage par rapport aux opposants.

Florence Aubenas : C’est vrai que le régime syrien a des alliés de poids, la Chine, la Russie, l’Iran, ce qui implique un armement important, une armée nombreuse, des finances. Cela dit, le poids des désertions, militaires et civiles, montre un régime littéralement pourri de l’intérieur. Près de trente pour cent de l’armée rebelle est composée de déserteurs de l’armée officielle.

Ces éléments donnent aussi un thermomètre sur l’état réel des institutions et leurs capacités à garder l’avantage. On a parfois l’impression qu’en dehors d’un cercle de fidèles, de moins en moins de gens y croient, y compris à l’intérieur. Je pense que cela contre-balance les faibles ressources des rebelles.

Le Monde.fr

A Alep : “Ce matin, quand on a ouvert les yeux, l’ASL était partout”


LE MONDE | 24.07.2012 à 10h55 • Mis à jour le 24.07.2012 à 11h39

Par Florence Aubenas, envoyée spéciale à Alep (Syrie)

Un combattant de l’ASL montre un char de l’armée syrienne détruit, dans les rues d’Alep, le 23 juillet.

“Ce n’est pas la chute d’Alep mais le début”, annonce Abdallah, un des commandants de l’Armée syrienne libre (ASL), mardi 24 juillet au matin. La veille encore, remonter une rue ressemblait à une opération commando pour sa troupe de trente rebelles.

Maintenant, des pans entiers de la cité sont tombés sous le contrôle des différentes brigades de l’ASL, des check-points sont dressés à quinze minutes du centre historique et des combats de rue ont lieu notamment dans le quartier de Bab Al-Hadid, dans la vieille ville. Ce revers pour l’armée du président Bachar Al-Assad dans la deuxième ville du pays paraît pour la première fois faire basculer la situation en faveur de la rébellion.

Lundi et toute la nuit, les événements se sont enchaînés de manière confuse sans que personne n’ait une vision d’ensemble claire depuis l’entrée, samedi soir, des rebelles en ville. Toutefois, il est rapidement apparu que les renforts militaires envoyés par le régime n’auraient pas l’impact annoncé.

Deux hélicoptères ont été abattus, deux chars détruits. Un troisième a été capturé avec son chauffeur. Il trône maintenant devant l’école du centre-ville, où une partie des troupes rebelles a installé son QG. Comme au champ de foire, tout le quartier s’y succède pour poser à la place du tireur et chacun se prend en photo. Dans la nuit, quatre véhicules sur quatorze du convoi de l’armée régulière étaient à leur tour détruits dans une embuscade.

PRIS DE COURT

“Le soir, on a fermé les yeux. Quand on les a rouverts, l’ASL était partout”, explique, mardi, vers 9 h 30, un étudiant. Cette rapidité du mouvement a pris tout le monde de court. Dans les rues, les visages sont intrigués, inquiets, personne ne sait trop à quoi s’en tenir. Il faut se trouver dans certains quartiers acquis à la cause de la “révolution” pour que l’on se réjouisse ouvertement.

Des groupes de gens se rassemblent, crient : “Allah akbar !” Des échanges de tirs les interrompent. On se met à l’abri dans les rues alentours. On appelle au téléphone des voisins à cent mètres de là. Ici, on ne sait pas ce qui se passe à l’autre coin de la rue. Alors, à Damas ? “Personne n’est au courant. On s’occupe d’abord de se libérer nous-mêmes, déclare un habitant d’Alep. Pour la suite, cela viendra tout seul.”

Florence Aubenas, envoyée spéciale à Alep (Syrie)

Dans les geôles de Bachar Al-Assad


LEMONDE | 28.05.11 |

Khaled Sid-Mohand a été libéré mardi matin.

Khaled Sid-Mohand a été libéré mardi matin.Comité de soutien à Khaled Sid-Mohand

Un ami m’avait pourtant prévenu : « Tu as suffisamment de contacts à Damas pour écrire tes articles, tu dois verrouiller ton réseau. » Mais verrouiller son réseau, c’est se condamner à tourner en rond avec les mêmes témoins et les mêmes acteurs de cette révolte commencée trois semaines auparavant. Son avertissement m’est revenu en écho lorsque les agents des services de renseignements syriens sont entrés dans le café Domino pour m’y interpeller. Une demi-heure plus tôt, une jeune femme m’avait appelé sur mon téléphone portable. Elle avait proposé de me remettre des informations. Rendez-vous est donné à 17 h 30, samedi 9 avril, dans un café de la place Bab Touma. Quelques minutes plus tard, je suis enlevé par sept hommes de forte corpulence. Menotté, je suis conduit chez moi où ils effectuent une perquisition.

Celui chargé de me surveiller est charpenté comme un taureau, mais se montre affable, attentionné même : il me fait boire du thé en portant délicatement la tasse à mes lèvres et m’allume une cigarette. Après un interrogatoire désordonné et la saisie de mon matériel informatique, je suis embarqué à bord d’un taxi. On me place la tête entre les genoux, mais je devine en reconnaissant une banderole de propagande déjà aperçue que nous nous dirigeons vers le sud de Damas. Plus précisément, à Kufar Sousseh, quartier général des services de renseignements. Mais je ne le saurai formellement que vingt-quatre jours plus tard, à ma libération.

C’est là que commence mon deuxième interrogatoire dans un vaste bureau au deuxième étage. Il commence par des questions insolites : « Connaissez-vousOussama Ben Laden ? » ; « Avez-vous été reçu à la Maison Blanche au cours de votre séjour aux Etats-Unis ? » On me trouve détendu. Un peu trop.

Deux heures d’interrogatoire plus tard, la porte s’ouvre pour laisser passer un homme que tout le monde salue avec déférence. Il me lance : « Tu vas parler ! Si tu ne parles pas, je te coupe les testicules et t’arrache le coeur avec mes propres mains ! » Une gifle me projette de ma chaise. Il sort et je comprends alors que le feu vert vient d’être donné pour me passer à tabac. Les gifles qui s’abattent sur mon visage me laissent d’abord de marbre, ce qui met mon bourreau hors de lui.

L’homme tourne autour de moi, un sourire à la bouche et une matraque électrique à la main. Il me questionne sur mes activités et mon identité. Il me frappe avec une telle puissance cette fois-ci qu’il décroche mon bridge dentaire dès la première gifle. Soudain, mon téléphone sonne. Le numéro d’appel indique l’Arabie saoudite.« Qui est-ce ? » Une amie palestinienne partie rendre visite à sa famille.

« Menteur ! hurle-t-il. Tu as des relations avec Bandar Bin Sultan (patron des services de renseignements saoudiens) ! » Gifles. Coups de pied. Toutes mes réponses sont ponctuées d’un « menteur ! », suivi d’un coup et assorti d’une hypothèse paranoïaque. Selon eux, je suis allé en Turquie, non pas pour un reportage sur les élections législatives, mais « pour y rencontrer des officiers américains de l’OTAN ». Je donne des cours de journalisme à l’université des Antonins au Liban, car « j’entretiens des liens avec Samir Geagea (chef des Forces libanaises et antisyrien notoire) ».

Je découvre avec stupéfaction que mes geôliers sont intoxiqués par leur propre propagande. Ne savent-ils pas que l’Arabie saoudite s’est rapprochée de la Syrie, que Damas a soutenu l’invasion militaire saoudienne à Bahreïn ? N’ont-ils pas entendu la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, dépeindre le présidentBachar Al-Assad sous les traits d’« un vrai réformateur » ? Ils me réinstallent sur ma chaise, me bandent les yeux et fixent des fils électriques sur plusieurs endroits de mon corps, parties génitales comprises, et j’attends, terrifié, une décharge électrique qui ne viendra pas. C’était une simulation. Ce que je prenais pour des électrodes n’étaient que les câbles de mon ordinateur.

Ils me signifient que si je veux y goûter, ils ont tout le matériel nécessaire. C’est à ce moment que je décide de révéler le pseudonyme sous lequel je travaille. Je suis maintenant tétanisé à l’idée de révéler sous la torture les noms de tous ceux dont j’avais gagné la confiance afin de recueillir leurs témoignages. Me reste un espoir : être libéré avant qu’ils n’aient lu et traduit mes articles (En Syrie, Khaled SidMohand a notamment collaboré au Monde et à France Culture). Après tout, aucun journaliste étranger n’a été détenu plus de quarante-huit heures.

Je rejoins peu après un groupe de prisonniers syriens qui portent tous les stigmates d’un passage à tabac. Nous sommes alors conduits dans nos cellules respectives, la mienne porte le numéro 22. C’est par ce numéro que je serai désormais identifié.

Je m’endors avant d’être réveillé par des cris. Ce sont ceux du bourreau : un interrogatoire vient de commencer. Les seuls mots que j’arrive à distinguer sont des insultes, ainsi qu’un « qui ? », mais je sais, pour avoir rencontré des détenus avant mon arrestation, que l’objectif de ces séances de torture vise moins à soutirer des informations qu’à punir, humilier et terroriser.

Très vite la voix du bourreau est couverte par les hurlements du détenu qui vont crescendo. Je sens mon rythme cardiaque s’accélérer, je suis tétanisé par la peur. C’est le but recherché. Troisième interrogatoire. Quelques gifles ponctuées d’insultes, et l’on me signifie que je ne disposerai plus d’un interprète.

« Raconte-moi tout.

– Que voulez-vous savoir ?

– Tout ! Depuis le début… depuis ta naissance. »

L’interrogatoire prend fin avec l’entrée d’un homme au visage anguleux qui implore mon interrogateur de me « terminer ». Son visage exprime la haine et la colère. Comment peut-il me détester aussi spontanément ? Je ne peux m’empêcher de penser au contraste saisissant entre la gentillesse et la nonchalance des Damascènes et le concentré de violence et de cruauté gratuites, auquel j’assiste à présent. C’est peut-être une terrifiante illustration du Léviathan, d’Hobbes : pas de violence dans les rues, l’Etat s’en est arrogé le monopole…

Le quatrième interrogatoire a lieu le lendemain, lundi 11 avril – dernière date dont je me souviendrai. L’absence de lumière du jour et de tout repère temporel fait perdre la notion du temps. Mon interrogateur m’accueille avec un sourire contrit et explique que plus personne ne portera la main sur moi. Il me demande de lui traduire les notes que j’avais oublié de détruire et termine son interrogatoire par une « offre d’emploi » : espionner mes amis syriens en échange d’une carte de séjour et d’une accréditation en bonne et due forme.

Les jours et les semaines suivantes sont rythmés par un va-et-vient de prisonniers arrêtés dans des rafles opérées lors de manifestations. C’est ainsi que je comprends que le vent de contestation continue de se propager à d’autres villes et à d’autres quartiers de Damas. Ils sont torturés et relâchés, en moyenne au bout de dix jours. Je tente de compter les jours avec les petits déjeuners, mais je perds le fil.

J’essaie de communiquer avec des détenus, parfois chargés de distribuer les repas, ou d’ouvrir la porte pour aller aux toilettes. Nous disposons alors de quelques secondes pour échanger des informations : « Demain, c’est vendredi, ils doivent vider la prison de tous ses détenus. » Mais l’espoir laisse vite place à la déception. La prison se remplit de nouveaux détenus, tout en gardant les anciens, de sorte que, cette nuit-là, certains sont entassés jusqu’à trois dans des cellules de 2 mètres carrés. Ils sont torturés à tour de rôle, jusqu’à épuisement des bourreaux. J’essaie d’engager la conversation avec d’autres détenus, mais ils sont trop abîmés pour soutenir une conversation.

Je fais la connaissance d’Ali, un conscrit de 21 ans. Il a été arrêté pour avoir voulu assister à la prière du vendredi, ce qui est interdit par le code militaire, particulièrement en ces temps de manifestations. A la veille du jour que je croyais correspondre à la fin de ma deuxième semaine de détention, Ali m’affirme avoir entendu que nous serons libérés dans les vingt-quatre heures. Le lendemain ne tient pas ses promesses, et je sens dans la voix d’Ali beaucoup de tristesse, que je n’ai pas la force d’atténuer.

Un événement insolite vient alors troubler le centre de détention. Après le déjeuner, un sanglot se fait entendre. Le jeune homme dont j’aperçois furtivement le visage n’a pas plus de 20 ans. Il pleure de plus en plus fort, il appelle sa mère et implore Dieu. Alors que les geôliers sont prompts à tabasser les détenus au moindre prétexte, cette fois-ci, ils semblent émus par le jeune homme. Ils se contenteront, plusieurs heures plus tard, de lui demander de pleurer moins fort. Il sanglotera durant trois jours.

Ce soir-là, un nouveau détenu fait une apparition remarquée, car il n’a pas de cellule : il est condamné à rester debout, les yeux bandés, pendant trois jours. Trois jours durant lesquels interrogateurs et bourreaux se relaient pour le faire craquer, sans succès. Je comprends qu’il a été arrêté en possession de CD contenant des informations considérées comme subversives par le régime. Il est originaire du nord du pays et est sans doute venu à Damas dans le but de remettre ces informations à l’un de ces réseaux de cyberactivistes qui servent d’interface entre les insurgés des villes de province et les organisations de défense des droits de l’homme, ainsi que les médias étrangers.

Inquiet de la longueur de ma détention, je décide d’entamer une grève de la faim. L’expérience est pénible, comme un ramadan sans coucher de soleil et sans rupture du jeûne. D’autant que la nourriture n’est pas mauvaise. Mais, à ma grande surprise, alors que nos geôliers se sont montrés soucieux de notre santé – un docteur passait matin et soir avec une valise de médicaments pour soigner les détenus malades -, et qu’ils n’ont pas hésité à recourir à la torture pour casser des grèves de la faim, le gardien ne semble pas préoccupé par mon initiative. Peut-être savait-il déjà que ses supérieurs avaient décidé de me relâcher le lendemain.

C’était le mardi 3 mai, Journée internationale de la liberté de la presse. Dixième anniversaire de ma carrière de journaliste.

Khaled Sid MohandArticle paru dans l’édition du 29.05.11

L’après-Ben Ali raconté par les internautes du Monde.fr


LEMONDE.FR | 17.01.11 | 18h59  •  Mis à jour le 17.01.11 | 20h46

Dans le centre de Tunis, lundi 17 janvier.

Dans le centre de Tunis, lundi 17 janvier.AFP/FRED DUFOUR

Vers 18 h 30, vendredi 14 janvier, la Tunisie apprenait la chute du régime Ben Ali : après vingt-trois ans d’un règne sans partage, le président quittait en urgence le pays. Les internautes du Monde.fr racontent les trois premiers jours de l’après-Ben Ali, trois jours pendant lesquels la fierté et l’espoir ont peu à peu laissé la place à l’incertitude, à la peur des pillages et des exactions commises par les milices restées fidèles au président déchu, aux difficultés d’approvisionnement. Et à nouveau à l’espoir.

SAMEDI

Mon premier jour de liberté, par Elyes M.

Ce matin je suis sorti faire tout le tour de Tunis à pied, du centre-ville jusqu’à la ville de l’Ariana, dans une Tunisie ensoleillée et libre. Il n’y avait plus les immenses photos du dictateur assassin qui remplissaient toutes les rues et les avenues depuis plus de 23 ans. Les simples gens dans la rue qui, jusqu’à hier, n’osaient même pas parler de politique, parlaient tous aujourd’hui des opposants de gauche dont on n’osait même pas prononcer le nom avant. Ils discutaient de politique normalement, en toute sérénité, comme s’ils parlaient de footballeurs dont ils jugeaient le rendement. C’était vraiment mon premier jour de liberté, moi qui n’avais que quatre ans lorsque Ben Ali a fait son coup d’Etat en 1987…

Des moments historiques, par Nejia M., 43 ans

Ce sont des moments historiques que nous vivons en ce moment en Tunisie. Les Tunisiens se sont débarrassés de la dictature en un mois. Nous sommes fiers d’être Tunisiens, nous n’avons eu besoin de personne. Ni de M. Sarkozy ni de M. Obama ! La situation ce matin dans le centre de Tunis est calme, les gens se ruent vers les denrées alimentaires par peur des pénuries. Mais ce n’est pas grave, même si on meurt de faim, on est libre libre libre… Quelques bandes de voyous qui appartiennent à l’ancien régime sèment le trouble dans certains quartiers, mais tout le monde est conscient et on va tout faire pour les arrêter et pour reconstruire notre pays.

Une révolution politique plus que sociale, par Sarra B., 35 ans, Tunis

Ce matin, nous sommes allés en banlieue Nord de Tunis pour constater que les maisons de la famille honnie, les Trabelsi, ont été brûlées, pillées et dévastées. Riches et pauvres étaient sur place pour prendre des photos et jubiler sur les maisons encore en feu. Les médias occidentaux parlent de crise sociale, moi je vous le dis : ce qui a uni les Tunisiens hier, c’est une profonde haine envers une famille de mafieux qui a pendant plus de 20 ans, exproprié, extorqué, exilé, emprisonné et humilié la population.

Ni « e-revolution » ni « révolution du jasmin », par Samia M.

D’aucuns qualifient déjà la chute du régime de Ben Ali de premier exemple de « e-Revolution » et tentent de la baptiser du nom de « révolution du jasmin« . Y croire serait penser qu’il suffit d’un ordinateur et d’une connexion à Internet pour faire chuter un dictateur. Y croire serait oublier de manière tout à fait indécente les morts tombés à Sidi Bouzid, Kasserine, Regueb, Douz et ailleurs. Y croire serait faire fi du combat de longue haleine mené par une poignée d’hommes et de femmes dignes et courageux qui bravent depuis des années cette dictature dont les tentacules sont largement ancrés dans la société tunisienne. Y croire serait oublier les prisonniers politiques qui croupissent dans les prisons de Ben Ali. Y croire serait oublier le soulèvement du bassin minier de Gafsa, fin 2008, où les syndicalistes appelaient déjà à une répartition plus équitable des quelques richesses de la Tunisie. Y croire serait oublier l’action des syndicalistes et des véritables partis politiques d’opposition qui malgré leurs moyens dérisoires, n’ont jamais faibli. Non, la « révolution » ne s’est pas faite sur Twitter, ni sur Facebook. Non la « révolution » ne s’est pas faite en un mois. Non, tous les Tunisiens n’ont pas connu la douceur de vivre au « pays du jasmin ».

Les Tunisiens sont débarrassés de leur honte d’eux-mêmes, par Laurent H., 45 ans

Les Tunisiens sont tellement fiers et heureux ce matin. Malgré la désolation des destructions un peu partout et les frayeurs de la nuit, il y a un tel sentiment de fraternité et de dignité nationale retrouvée. Les Tunisiens sont débarrassés de leur honte d’eux-mêmes. Ce matin, les visages sont marqués par le peu de sommeil, entre auto-surveillance de son quartier, de sa maison, et appels aux amis et à la famille pour prendre des nouvelles. La nuit a été marquée, à Tunis, par le bruit des patrouilles militaires, accompagnées des hélicoptères, lesquels ont directement tiré sur certaines bandes de pillards. Personne ne doute que ce sont les forces spéciales de Ben Ali qui se défoulent, obéissant aux derniers ordres donnés avant de partir. Ici, dans mon quartier, toutes les boutiques qui n’avaient pas de solides rideaux de fer ont leur vitrines défoncées et, le plus souvent, ont été dévalisées et saccagées. Les « chiens de Ben Ali » ont grand ouvert les prisons, libérant les prisonniers les plus dangereux. C’est une bonne nouvelle, cela fait de la place pour qu’ils y aillent.

C’est nous la force de la Tunisie, par Ihsène B., 30 ans, banlieue de Tunis

Ce qui m’a vraiment rendue heureuse, c’est que notre courage et notre honnêteté se sont exprimés d’abord par la chute de Ben Ali. Puis, lorsque les plus corrompus ont commencé par se manifester hier et encore aujourd’hui avec leurs pillages et leur fuite, ce sont encore les mêmes valeureux qui descendent dans la rue défendre leur maison et leur pays. Vers 8 heures, hier soir, les coups de feu ont commencé à déferler, mon mari est descendu rejoindre les hommes de la cité pour parer aux assauts des pilleurs. Tout le monde savait que les anciennes milices du pouvoir, qui nous ont tant terrorisés auparavant, allaient réagir. Avec les coups de feu ont commencé les pleurs de mes deux enfants (2 et 5 ans). Terrible moment pour une maman de 30 ans, tiraillée entre la peur de perdre son mari et la nécessité de faire semblant que tout va bien devant ces enfants en leur expliquant que c’étaient des feux d’artifice. C’est vrai que ces jours sont difficiles, mais ils le sont moins pour moi que 23 ans à avoir peur de ces mêmes milices qui auparavant nous dénonçaient car on refusait d’aller voter, qui pirataient mon compte Facebook… Moins difficile que les 5 années passées dans une entreprise étatique à bosser comme une dingue en tant qu’ingénieur pour finalement démissionner, ainsi que mon mari, à la suite des harcèlements de la part de notre PDG (n’ayant même pas eu le bac mais proche du pouvoir). Je me lève et je vais de l’avant, c’est nous la force de la Tunisie. Oui, mon fils, on va gagner contre les méchants.

Pelles, bâtons, couteaux de cuisine, par Mohsen G., 25 ans, étudiant

J’habite à Hammam-Lif, une petite ville dans la banlieue Nord de Tunis. Moi et mes frères avons passé un vendredi soir horrible tellement la peur nous guettait en apprenant que les pillards descendaient dans les rues de la ville pour cambrioler les maisons et détruire les biens des gens. Des numéros d’appels d’urgence ont été mis à notre disposition pour prévenir l’armée en cas de besoin, sauf que ces numéros étaient occupés toute la nuit vu le nombre d’appels à l’aide. Pour pouvoir protéger nos biens nous avons dû monter une garde avec les hommes du quartier. Chacun prenait ce qui lui passait sous la main : pelles, bâtons, couteaux de cuisine… On entendait des cris de partout, des coups de feu qui étaient tout près de nous mais on n’arrivait pas à voir ce qui se passait réellement, ce qui avait tendance à nous inquiéter encore plus et nous laissait sur les nerfs toute la nuit sans pouvoir ni manger ni dormir. Nous vivons dans un pays pacifiste, nous ne sommes pas prêts à vivre une situation plus grave que celle-ci, tout ce que nous demandons c’est d’avoir le plus tôt possible un président qui soit à la hauteur de ce pays et qui saura lui attribuer des droits dignes de son peuple. Que la paix soit rétablie.

Française et fière des Tunisiens, par Magaly H., 38 ans

Je suis Française, je vis à Tunis depuis 16 ans et je dois dire que je suis très fière de ce peuple qui s’est débrouillé seul. Je ne compte pas partir de ce pays, ma vie est ici et je ferai de mon mieux pour les aider à reconstruire. Les informations nous parviennent grâce à nos amis tunisiens via les réseaux sociaux. Et pour finir, si Sarkozy a fait une chose de bien dans sa vie c’est d’interdire le territoire à Ben Ali.

Dans la ville natale de Ben Ali, un point de vue différent, par Richard F., 42 ans, Hammam Sousse

Je réside depuis le début des événements dans le quartier populaire du village d’Hammam Sousse, qui est la ville natale du président Ben Ali. Le point de vue que j’ai pu avoir sur les événements est par conséquent un peu particulier. Nous sommes longtemps restés étrangers aux échos du soulèvement, et ce pour plusieurs raisons : la principale étant le fait d’avoir intégré la peur de la répression et du contrôle des consciences. On ne parle pas, ici, de politique dans la rue. De plus, Ben Ali est ici l’enfant du pays, l’opinion le concernant est plus nuancée qu’ailleurs. (…) « Cela ne se serait jamais vu sous le président »… Ma boulangère, une jeune fille de 16 ou 17 ans, est presque en larmes : elle ne comprend pas comment leur président a pu les abandonner.

L’humiliation de Ben Ali est celle de tout un peuple, par Insaf, 26 ans, Tunis, architecte

Je suis triste et indignée, de voir la jouissance du monde devant la chute et l’humiliation du président Zine El-Abidine Ben Ali – président et non dictateur, comme le monde entier est en train de le décrire aujourd’hui. Je ne nie pas les erreurs d’un homme, mais je n’oublie pas ce que le président a donné et édifié. Il est Tunisien, et son humiliation est une humiliation pour toute une nation. Je suis triste. Je veux aussi exprimer mon amour pour toujours à Ben Ali. J’ai vécu 26 ans en Tunisie, une terre de paix et de fête où, en tant que femme, j’ai joui d’une liberté d’action et de parole, de rentrer chez moi à 4 heures du matin seule. En tant que citoyenne tunisienne, je dis aujourd’hui que je ne suis pas fière, que je suis blessée.

DANS LA NUIT DE SAMEDI À DIMANCHE

Un film de guerre, par Randa T., 33 ans

C’est le chaos total ! Ce qui se passe est tellement surréaliste qu’on a l’impression de jouer dans un film de guerre – une guerre civile plus exactement ! On n’entend que le bruit des hélicopteres et des tirs… Dans toutes les villes, des maisons ont été attaquées et des biens dérobés et saccagés, des femmes violées ! Nous vivons dans la peur, attendant à chaque instant notre tour, après avoir entendu le récit de voisins ou d’amis. La plupart des familles se sont regroupées dans une seule maison en emportant que quelques biens précieux… Des comités de protection des quartiers sont assurés par les civils eux-mêmes puisque l’armée est débordée. Les hommes assurant la garde a l’extérieur – malgré le couvre-feu – munis de bâtons, de couteaux et autres, et femmes et enfants à l’intérieur ne pouvant même pas dormir d’angoisse ! Des prisonniers se sont évadés de toutes les prisons du pays tandis que d’autres y sont morts brûlés lors des heurts avec les milices. Personnellement, j’ai sérieusement peur que les islamistes comme Rached El-Ghannouchi profitent de ces circonstances tragiques, bien qu’historiques, et tentent d’accéder au pouvoir.

Plus de lait pour mon petit neveu, par Béatrice B., 43 ans

A l’heure où j’écris, c’est la panique totale dans les quartiers de la Manouba, en banlieue de Tunis. Il y a des hommes armés qui tirent au hasard dans les rues et sur les gens. L’armée est dépassée, elle demande aux gens de s’organiser par milices pour défendre les groupes d’habitations. Il y a des tirs de mitraillette. Tout le monde est apeuré. En plus, il n’y a presque plus rien à manger. La petite épicerie que tiennent mes beaux-parents a été dévalisée. Surtout, il n’y a plus de lait pour mon petit neveu d’un an. Nous appelons toutes les heures, on entend les tirs au téléphone. Ceux qui mettent la panique sont des policiers affiliés à Ben Ali. Les gens ne comprennent plus rien.

Guerre civile, par Abdelkader L.

Les événements commencent à ressembler à une vraie guerre civile. Les pillages de bandes armées sèment la terreur dans le pays. Plus personne n’est en sécurité malgré l’état d’urgence et la surveillance de l’armée, qui manque cruellement de moyens. De plus, des milices de l’ancien pouvoir font tout pour déstabiliser le pays par des actes de sabotage et de vol et des règlements de compte. Des élections doivent se tenir très prochainement, mais est-ce possible dans un tel climat ? Tous les magasins sont fermés et on commence à manquer de tout. Je crains que l’espoir des Tunisiens de voir enfin naître une démocratie ne soit qu’un rêve et que la Tunisie se retrouve dans une voie sans issue. Je souhaite me tromper, que Dieu protège notre patrie.

Le Tunisien ne ploiera pas, par Rym T., 34 ans, Ariana

En ce moment-même, l’hélicoptère de l’armée est en train de survoler nos têtes et nos hommes sont debout dans nos rues pour assurer la sécurité de leurs biens et des êtres qui leur sont chers. Tous nos hommes, sans exception d’âge, d’origine ou de classe sociale. Du nord au sud du pays. Tous unis pour défendre et reconstruire notre nouvelle Tunisie. Les milices de l’ancien pouvoir ont semé la terreur dans tout le pays : pillages, destructions, incendies. La Tunisie ressemble à un champs de bataille, mais des citoyens libres et fiers se sont unis à l’armée et aux membres intègres de la police nationale pour prouver encore une fois à ces chiens enragés que le Tunisien est décidé à écrire l’histoire avec son sang. Le Tunisien ne baissera pas les bras, nous passerons encore des nuits blanches ; les jeunes femmes devant la télé ou l’ordinateur à l’affut de l’information ou pour donner l’alerte par le biais des chaînes télévisées locales ou des réseaux sociaux, et les hommes dans la rue pour accueillir comme il se doit les traîtres à la patrie. Le Tunisien ne ploiera pas, il a su étouffer sa terreur du dictateur, il saura étouffer la peur des pilleurs, pour construire enfin un avenir meilleur.

DIMANCHE

Victoire ou cauchemar, par Zeineb C.

Malgré la victoire du peuple face à notre ancien dictateur, un climat d’insécurité et de peur règne ici. La Tunisie n’a pas pu fermer l’œil de la nuit, chaque minute passée est une minute de gagnée sur la terreur. Même si la plupart des gens sont cloîtrés chez eux de peur d’être tués, les jeunes du quartier aident l’armée du mieux qu’ils le peuvent contre ces innombrables milices et évadés de prison chargés par Ben Ali de piller et de tuer les civils dans leurs maisons… C’est un mélange d’émotion de voir la jeunesse tunisienne aux portes des quartiers, mais aussi la peur qu’on leur tire dessus… On ne peut savourer la liberté, à chaque instant des hélicoptères passent, des cris sortent par-ci par-là, ou bien des tirs de mitraillettes retentissent à tout bout de champ. On peut même sentir le brûlé où que l’on se situe. Mon Dieu, c’est un vrai calvaire, ou plutôt dirais-je un cauchemar duquel 12 millions de Tunisiens voudraient se réveiller.

Facebook, par Cherifa B., 35 ans, Carthage

La situation est très tendue. Des bandes armées, qui s’attaquent aux supermarchés, banques et maisons pour créer chaos et peur, nous ont confisqué la joie d’avoir conquis notre liberté. De nombreuses photos et vidéos ainsi que de nombreux témoignages de nos amis confirment qu’il s’agit de milices de l’ancien régime et de policiers qui se servent et brûlent tout sur leur passage. La nuit a été très stressante : cloîtrés à la maison par le couvre-feu qui dure de 17 h à 7 h, nous communiquions entre nous via Facebook ou téléphone pour savoir ce qui se passait dans les quartiers des uns et des autres ou pire, à chercher des infos sur ceux qui ne donnaient pas signe de vie depuis la manifestation. Le stress était d’autant plus fort qu’il y a eu beaucoup de coups de feu, de bruits d’hélicoptères et que nous n’avions aucune idée de ce qui se passait. Nous avons finalement compris que l’armée protégeait les citoyens et les bâtiments. Mais l’armée ne peut pas être partout et nous recevions des appels paniqués d’amis qui n’arrivaient pas à joindre les militaires alors que des bandes saccageaient leur voisinage. Espérons qu’on pourra bientôt fêter notre victoire comme il se doit.

Que fait l’ambassade de France ?, par Angelina P. 35 ans, Tunis

Je suis une expatriée française à la Marsa, en banlieue de Tunis. La nuit a encore été difficile ici… L’armée a tiré contre des policiers qui s’en prenaient aux passants en plein après-midi et des pilleurs ont tenté une incursion dans le quartier. J’ai deux enfants en bas âge et le ravitaillement devient difficile. Notre chance est que les Tunisiens sont vraiment solidaires et s’inquiètent pour leurs familles et maisons. (…) Et que dire de l’attitude de l’ambassade de France ! Aucune information… les chefs d’îlots censés nous prévenir en cas de rapatriement, ne se sont jamais fait connaître. Les associations d’expatriés sont plus présentes que l’ambassade, alors que ce n’est pas leur vocation. Une honte…

Que fait-on si des Français sont tués ici ?, par Pierre K., 52 ans

Je vis ici à la Marsa et travaille à Tunis depuis dix mois avec ma famille de deux enfants. La situation est tendue et depuis mercredi dernier les autorités françaises du consulat et de l’ambassade brillent par leur silence ! On croit vivre un vrai film de science-fiction, alors que je suis inscrit et immatriculé au consulat : pas un mail, pas un SMS, pas un coup de fil, pas un numéro pour connaître la situation et les mesures prises concernant notre protection. Je me suis alors renseigné et m’aperçois avec effroi que c’est le cas de la majorité des 20 000 Français vivant ici. Alors que fait-on monsieur Sarkozy ? Si des Français sont tués ici ? Vous leur remettrez la médaille de je ne sais pas quoi avec un discours des plus minables et pitoyables pour adoucir votre image ? Et vous irez pleurer sur leurs tombes accompagné de votre ministre qui proposait d’exporter le savoir-faire de la police française pour aider à la mise en place de la démocratie ici ? Ça suffit cette hypocrisie !

Les prisonniers se sont enfuis, par Manel J., 30 ans

Je me trouve en ce moment à Nabeul. Je viens de faire un tour dans la région en voiture : c’est le chaos ! Des immeubles brûlés, des policiers partout, toujours aussi désagréables, et des militaires aussi. En ce moment, tout le monde à peur des pillages et des vols. Hier, on entendait des tirs toute la nuit et des sirènes de voiture. On a peur que quelqu’un vienne nous agresser la nuit. Et pour couronner le tout, des prisonniers se sont enfuis ce matin des prisons de Monastir, Mahdia et Bizerte. On a vu certains prisonniers arriver déjà ici et accueillis chaleureusement par leurs familles : des tueurs, des voleurs, violeurs… On sait maintenant tous et de source sûre que tous ces vols et braquages sont organisés par des policiers et les partisans du RCD. Des policiers frappent aux portes des gens (parfois en uniforme), les font sortir et les tabassent avant de tout voler et casser ! Les policiers sont des criminels ici, il n’y a que l’armée pour nous protéger.

La faim, par Eymen S.

Personne n’en parle mais des gens n’ont pas mangé depuis deux jours, il n’y a plus d’approvisionnement. Ceux qui n’avaient pas de réserves suffisantes tentent au mieux de rationner la nourriture qui est aujourd’hui un gros problème, notamment dans la capitale.

Des fermes incendiées, par Zahria B., 21 ans, Teboursouk (gouvernorat de Beja)

Si l’armée est présente dans la capitale et les principales villes de Tunisie pour calmer la situation et arrêter les pillards, ce n’est pas le cas dans des régions plus rurales, comme le gouvernorat de Beja. Une bande de pillards (une centaine d’hommes, armées de bâtons, barres de fer) se sont attaqués aux fermes environnantes. Une ferme a été complètement incendiée avec l’ensemble de son bétail à l’intérieur (brebis, vaches). Dans une seconde ferme, le fourrage a été brûlé, et alors que son gardien a essayé de défendre son troupeau, il a été battu à mort. Plus de 700 têtes ont été volées. Ces pillards sont composés en majorité d’hommes vivant dans la région, souvent reconnus par les fermiers, qui profitent de la désorganisation totale (plus de police, de mairie…) pour s’emparer des quelques richesses du pays. Plus que la destruction d’une ferme, ces pillages sont dangereux car ils vont amener à une situation d’approvisionnement de crise dans le pays. Et un pays qui meure de faim, est un pays qui n’est pas apte à élire la meilleure personne pour devenir président, mais la première personne qui pourra les défendre et leur donner à manger. Espérons que l’armée rétablira très rapidement la sécurité sur l’ensemble du pays. L’assistance de la France (envoi de l’armée) pour aider à rétablir la sécurité du pays est souhaitée par bon nombre de Tunisiens. Et non pas comme le suggerait Michèle Alliot-Marie, pour contrôler les manifestants tunisiens.

Les Tunisiens de France ne se rendent pas compte, par Meriam N., 32 ans, Tunis

Depuis la fuite de Ben Ali, les Tunisiens vivent dans l’insécurité, et ce malgré les militaires que nous apercevons ici et là ; les voleurs, pilleurs, issus pour la plupart d’entre eux de quartiers très pauvres, sont à l’affût des biens de la population. Les Tunisiens sont cloîtrés dans leurs maisons, avec un sentiment de peur, de crainte et d’angoisse. Les Tunisiens de France montrent leur grande joie à l’annonce du régime Ben Ali écrasé, mais ne s’imaginent pas à quelle situation économique et sociale nous allons faire face : la crise alimentaire, financière et sociale commence d’ailleurs à se faire ressentir.

Ils peuvent être dix mille, nous sommes dix millions, par Malika A;, 24 ans, juriste

Nous sommes très inquiets pour la sécurité de tous car des exactions continuent d’être commises. Ce n’est ni plus ni moins que du terrorisme, une politique de la terre brûlée que pratiquent les hommes de Ben Ali. Cependant, nous sommes confiants, ils peuvent être dix mille, nous sommes dix millions. Les gens de tous âges et de tous milieux sortent en journée pour nettoyer les rues et ceux-là mêmes forment des comités de quartier le soir pour protéger nos concitoyens. L’armée fait un travail remarquable. Jamais je n’ai vu tant de solidarité, tant d’unité, tant de patriotisme. Nous sommes plus motivés que jamais, ce qu’ils détruisent, nous allons le reconstruire, pour pouvoir nous concentrer sur les élections à venir. L’économie pâtira peut-être un moment de la situation, mais elle redémarrera en trombe dès que la situation se sera calmée, sans les blocages, les découragements et les innombrables détournements occasionnés par les Trabelsi et leur bande. Nous œuvrons main dans la main pour préserver notre liberté retrouvée, nous n’avons plus peur, le pire est forcément derrière nous.

Les passe-droits, c’est fini, par Nabil G., 48 ans

Ce matin, il y avait quelques centaines de personnes qui faisaient la queue devant la boulangerie du quartier. Il y avait environ une heure d’attente dans une ambiance bon enfant. Les voisins du quartier ont spontanément organisé un service d’ordre afin de décourager les éventuels resquilleurs. A une dame qui voulait quand même tenter sa chance, mon voisin a répondu, « Madame, il va falloir vous habituer à faire la queue comme tout le monde, sinon on n’a vraiment rien compris ». Il a ensuite rajouté : « Je ne vous en veux pas du tout, car j’ai moi-même essayé d’avoir du pain directement chez mes copains à l’intérieur, ce matin, mais quand le type du service d’ordre m’a interpellé, j’ai eu honte de moi ». Que voulez-vous, c’était tellement banal… Le passe-droit était devenu la règle. Je suis intimement persuadé qu’après le changement politique, il y aura un changement social, et des valeurs que je croyais définitivement perdues comme la solidarité, la responsabilité, le sens du devoir et le sens civique ressurgiront comme par miracle. On pourra enfin être fier d’être Tunisien.

Liberté, par Mongia B., 46 ans, Tunis

Je suis Tunisienne et fière de l’être. Nous vivons des moments historiques que nous avons gravés à jamais dans l’histoire. Je ne peux décrire ce sentiment qui m’anime : un bonheur nouveau, d’un goût différent, désormais je peux parler politique librement avec tout le monde, je peux critiquer, aller sur des sites Internet jusque-là fermés. Maintenant, au moment où j’écris ces mots, des tirs, des hélicoptères sillonnent la Marsa. Je tremble, ma famille aussi, c’est qu’on n’a jamais vécu cela ! Mais bizarrement, notre peur est mélangée de fierté, on a l’impression d’avoir créé quelque chose d’unique, d’énorme : la liberté. Enfin, je souhaite que le calme et la stabilité reviennent pour qu’on puisse savourer ce que nous avons acquis après tant d’année de silence. Vive la Tunisie !

Retourner au travail, par Sami H.

La Tunisie retrouve le calme après la révolte du jasmin qui a réussi a éliminer un des plus féroces dictateurs de notre époque. Il reste encore quelques fidèles du régime sortant qui essaient encore de perturber la vie normale, mais le peuple tunisien est capable de les emmener au diable vert. Nous remercions Dieu, le seul qui nous ait aidés à en finir avec ce régime. Nous retournerons demain inch’allah à nos postes pour reconstruire notre pays.

LUNDI

Résistance passive, par Sabah B.

Le mot d’ordre aujourd’hui est de reprendre le travail. En parcourant les rues de Tunis, ce matin, je voyais des gens reprendre un semblant de vie normale, des éboueurs en train de nettoyer les rues, des pharmacies, des boulangeries qui rouvraient. Une forme de résistance passive s’organise pour vaincre la peur. Aujourd’hui on doit franchir une seconde étape non moins cruciale après celle de la chute de l’ancien régime, reprendre nos activités normales et braver tous ceux qui veulent nous terroriser.

L’espoir, par Chafika C., 55 ans

Incontestablement, le 14 janvier 2011, le peuple tunisien a tourné une des pages les plus terribles de son histoire. Une page de terreur, de népotisme, de non-droit. Depuis 48 heures, les gens sont visiblement plus heureux, fiers de leur identité de Tunisien. Ce peuple qui a repris confiance en lui se montre plus solidaire, plus responsable, avec un sens du civisme inhabituel, jusque-là voilé par une chappe de peur et de frustration.

La liberté l’a transformé. Oui les milices de Ben Ali sévissent encore ça et là, mais ce scénario ne semble pas avoir eu les résultats escomptés. La terreur et chaos ne sont pas au rendez-vous. Ben Ali ne reviendra plus que pour être jugé. (…) La situation devrait à l’évidence évoluer positivement à condition que le président (homme ou femme) soit suffisamment fédérateur (toutes les forces vives, tous les partis politiques) avec un nouveau gouvernement excluant toute personne ayant participé de près ou de loin avec l’ancien. Une telle détermination, une telle cohésion et un tel regain de confiance ne peuvent que rassurer sur le proche avenir. Je l’espère de tout cœur.

Le silence de la France, par S., 34 ans

Je suis heureuse de voir ce jour votre page qui s’ouvre enfin et au lieu du « 404 not found » éternel, un petit espace où nous pouvons enfin nous adresser au « Monde » (vous et le monde entier)… Je suis fière de mon peuple et encore incrédule de ce qui s’est passé ce dernier mois. En décembre, nous n’aurions jamais cru imaginable la chute de Ben Ali. Tous espérons aujourd’hui du fond du cœur un retour rapide au calme et l’installation, enfin, d’une démocratie. Nous souhaitons continuer et garder précieusement ce que nous a légué notre président Bourguiba en restant le pays ouvert, accueillant et agréable à vivre que nous avons toujours connu. (…) Je compte sur l’intelligence du peuple tunisien pour construire enfin un pays où le mot peur sera remplacé par celui de confiance. Que la Tunisie libre soit à la hauteur de ses espoirs. (…) Un peu triste quand même du silence de la France pendant que notre peuple se faisait tuer.

Fraternité, par Fares K., 15 ans

Ces dernières années, les Tunisiens ont perdu leur patriotisme. Mais on a assisté ces jours-ci à une révolution qui n’est guère une révolution politique mais une révolution humaine. Tous ensemble, on a combattu contre le tyran du pays, tous ensemble nous sommes en train de combattre ses milices qui sèment le trouble et tous ensemble nous bâtirons une Tunisie meilleure. Il y a un mois, je connaissais pas la majorité de mes voisins, aujourd’hui ce sont mes frères et sœurs car nous avons lutté ensemble.