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Lamentation de Hadja Hassan Mohammed
Le moment est peut-être venu de faire entendre au Liban et dans le monde les lamentations de feu la grand-mère de Mounir, qui a marché 20 km du Sud Liban jusqu’à Chatila… Elle est arrivée à Chatila ce jour de septembre pour constater que 27 membres de sa famille avaient été tués – seuls Mounir et Nabil avaient survécu. Elle dit :
» Nos colombes sont toujours là. Nos oeillets exalent leur parfum. Les moineaux chantent leurs chants de toujours. Mais Abou Zuhair est introuvable.
Beyrouth tu as pris tout ce que j’avais. Tu as pris ma dernière étincelle de vie et mon coeur gît dans tes rues.
Abou Zuhair, le grand, le jeune arbre a été cruellement coupé de ses racines sur ton sol.
Puisse le sang de celui qui t’a tué se mélanger au tien. Puisse sa mère souffrir la même agonie.
Qui a creusé ta tombe Abou Zuhair ? Qui nous a apporté ce désastre ? Qu’est-ce que je peux dire en ta mémoire ?
Mon coeur est lourd de reproches pour ce monde insensible. Cent navires , deux cents étalons ne suffiront pas pour porter le poids de la douleur dans mon coeur.
Qu’est-ce que je peux dire ? « Mère » tu me dis « va à nos tombes et prie pour ceux qu’elles ont engloutis »
Je vais aux tombes et j’étreins tendrement leur pierre. Je dis « faites que vos pierres entourent chaleureusement les corps de ceux que j’aime, prenez soin d’eux, je vous les confie.
Je pleure votre jeunesse et je pleure toutes les jeunes filles qui n’ont jamais connu un moment de bonheur ou de contentement.. Elles sont allées à la rencontre de la vie pleines d’espoir et d’impatience pour se faire piétiner et déchirer par sa férocité.
Mon Dieu, je n’ai plus de force. Il était l’homme le plus beau et le jeune homme le plus fort des garçons. Il préparait la voie pour les autres afin de faciliter leur marche.
Ton jeune corps s’est mélangé au sable trop tôt et le sable remplit tes yeux.
Qu’est-ce que je peux encore donner à mon pays ? Mon coeur est pénétré de souffrance et de reproches à la vie.
Comme je vous envie vous qui étiez là quand ceux que j’aime sont morts. Est-ce qu’ils avaient soif ? Avez-vous eu la bonté de leur donner à boire ?
J’implore chaque oiseau qui passe de vous porter mon angoisse et mon amour et de me ramener des nouvelles de ceux que j’aime.
Mon enfant, ton corps est criblé de balles. Qui t’a envoyé à moi, oiseau de malheur ? Pourquoi m’infliger tous ces désastres à la fois ? Épargne-moi un peu, oh mon Dieu.. Mon Dieu- attends au moins un an , et puis que ta volonté soit faite.
Je vous en supplie, vous les croque-morts, avancez lentement. Ne vous hâtez pas. Laissez-moi voir encore une fois ceux que j’aime.
Je vais vers les tombes et je reste là égarée. J’appelle Abou Zuhair, puis Oum Walid (sa soeur). Pas de réponse. Ils ne sont pas là. Ils ont suivi Oum Zuhair (la femme d’Abou Zuhair) et les enfants. Ils sont tous partis une nuit sous la lune – tous ceux que j’aime.
Mon enfant, tu n’es plus près de moi. Des montagnes de distance nous séparent…
Nabil (neveu d’ Abou Zuhair) appelle sa mère. « Mère » dit-il « à qui m’as- tu confié ? »
Zahra répond « je t’ai laissé à tes oncles. Ils devraient te donner de mes nouvelles et t’emmener jusqu’à ma tombe pour que mes yeux puissent te regarder et que mon coeur puisse t’atteindre ». Mais Abou Zuhair est parti et il ne peut pas accomplir le souhait de Zahra.
Zuhair (fils d’Abou Zuhair) demande à son père « à qui m’as tu confié ? »
« Ton grand-père viendra te chercher. C’est toi qui continues sa vie ».
Mais la vie, qu’est-ce qui nous reste de vie ? Nos coeurs sont morts. Nous n’avons plus de larmes pour tous les jeunes, hommes et femmes qui sont morts.
Où puis-je me tourner ? Où sont mes enfants ?
Mon enfant, que Dieu te montre la voie sacrée et que mon amour et mon affection soient une lanterne qui t’accompagne sur le chemin.
Dieu tout-puissant, donne-moi la patience. Jeunes gens, restez loin de moi : vous rouvrez mes plaies et je suis si lasse. Qu’est ce que je peux dire ? »
Lamentation de Hadja Hassan Mohammed, octobre 1982. (pp. 84.85,86 de From Beirut to Jerusalem).
Veuillez diffuser ce texte – une grand-mère palestinienne à sa famille, massacrée à Sabra et Chatila – j’ai conservé ses paroles et je les lis à tous ceux qui veulent les entendre depuis 28 ans.
Sabra et Chatyla. Contre l’oubli
Par Stefano Chiarini
En souvenir aussi de Stefano Chiarini.
« La première impulsion pour commencer ce projet d’histoire orale fondé sur les témoignages des survivants du massacre de Sabra et Chatyla me vint pendant ces journées tragiques de septembre 1982, et c’était pour sortir de ce sentiment d’impuissance qui nous tenaillait face à tant d’horreur, et pour rappeler que le sang palestinien, libanais et arabe est égal à celui de tous les autres hommes. Le monde ces jours-ci, commémore à juste titre les victimes des Tours Jumelles mais les réfugiés palestiniens massacrés à Beyrouth, à peu près le même nombre, ont été totalement oubliés. Personne n’a payé, le principal responsable, Ariel Sharon, a même été défini par le président Bush comme un ‘homme de paix’ ».
28 ans après le massacre de Sabra et Chatila : l’histoire de Mounir
De multiples témoignages sur cette horreur ont été donnés depuis 30 ans par les survivants du massacre de Sabra et Chatila perpétré en septembre 1982.
D’autres éléments surgissent parfois par pur hasard car la plupart des témoins potentiels ont péri dans le massacre. D’autres témoins oculaires commencent à peine à émerger d’un traumatisme profond ou d’un silence volontaire.
Certains témoignages seront partagés ce mois-ci par des survivants du massacre du camp de Chatila. Ils s’assoiront avec les visiteurs étrangers sans cesse plus nombreux qui viennent chaque année pour commémorer l’un des crimes les plus horribles du 20eme siècle.
Chaque témoignage est unique
Zeina, une jolie femme d’une quarantaine d’année, amie de la famille de Mounir, a demandé l’autre jour à un étranger : « 28 ans déjà ? J’ai l’impression que c’était l’année dernière, lorsque mon mari Hussam et nos deux filles, Maya, 8 ans, et Sirham, 9 ans, ont quitté notre maison de deux pièces pour aller chercher de la nourriture parce que l’armée israélienne avait imposé un blocus au camp de Chatila depuis près de deux jours et peu de gens à l’intérieur du camp en avaient encore. Aujourd’hui encore, je prie et j’attends leur retour. »