« Ils ont le tort d’être musulmans ! »
DORZEE,HUGUES; BOURTON,WILLIAM
Mercredi 18 août 2010
A ce jour, les appels aux dons pour la population sinistrée du Pakistan rencontrent moins d’écho qu’espéré. Pourquoi ?
En tout cas pas parce qu’elle risque d’être détournée par les talibans, comme on a pu l’entendre… Ça, c’est de la pure propagande ! Si l’aide risque d’être détournée par quelqu’un, c’est par les autorités civiles, par le gouvernement. Il y a eu le précédent du tremblement de terre de 2005 où la corruption était réelle de la part d’autorités locales.
Mais surtout, comme l’a dit l’autre jour de manière très « soft » un représentant de Médecins sans frontières, il n’y a pas de proximité culturelle entre les Européens et le Pakistan. Soyons clairs : les Pakistanais ont le tort d’être musulmans ! Ce n’est pas comme Haïti. Cela joue un rôle. D’autant qu’il ne s’agit pas de « n’importe quels musulmans », puisque les médias nous donnent toujours l’image d’un pays fait uniquement de dangereux extrémistes… Ce n’est qu’une minorité de la population, mais c’est l’image qu’on en a. Alors évidemment, on n’a pas envie de les aider.
On a également insisté sur le fait qu’il existait des organisations caritatives islamistes qui aident les réfugiés…
C’est quelque chose d’extrêmement marginal, elles interviennent de manière très limitée. Du reste, les gens sont dans la survie : ils ont besoin d’eau potable et de nourriture. Il leur est parfaitement égal d’où elles viennent. Ils ne vont pas demander à la personne qui les leur donne si elle a un agenda derrière la tête. Et puis personne ne songerait à dire que le Secours catholique, par Caritas, très présent au Pakistan, tente en fait de convertir les gens…
Les Américains, qui ont une mauvaise image au Pakistan, se sont dit : « Allons-y, c’est le moment d’essayer de redorer notre blason. » Ils médiatisent au maximum toute l’aide qu’ils apportent aux gens, et personne ne les critique. Je ne suis pas sûre que les gens vont devenir pro-américains pour ça… Ils s’étaient montrés très présents lors du tremblement de terre et les gens sont devenus encore plus anti-américains après.
Bref, le Pakistan souffre d’un « déficit d’image »…
C’est effectivement un problème d’image. Et c’est un cercle vicieux. On ne les aide pas en insistant sur ces organisations caritatives liées à des groupes extrémistes ou en donnant la parole à certains jeunes gens qui jouent aux machos devant les micros occidentaux… Ce sont des mots, c’est du bla-bla, cela ne va pas au-delà.
Le manque de sollicitude d’une partie de la communauté internationale ne risque-t-il pas de jeter les populations locales dans les bras de ceux qui ont fait de l’« anti-occidentalisme » leur fonds de commerce ?
Mais non ! Ces organisations sont impopulaires. Il ne faut pas oublier que le Pakistan connaît des attentats dans l’ensemble du pays, qui font énormément de victimes et que l’armée mène une guerre civile depuis 2003 dans le nord-ouest. Tant que les attentats restaient circonscrits à l’ouest de l’Indus, il y a des gens qui ne soutenaient pas les opérations militaires. Mais à partir du moment où ils ont attaqué le Penjab, les gens ont commencé à soutenir l’armée. Là, c’est l’armée qui va sortir grandie de cette catastrophe, parce qu’elle était sur place dès le début, de manière organisée et efficace, avec quelque 50.000 hommes, des hélicoptères, des C 130, des bateaux et tout ce qu’il fallait pour évacuer les gens…
Des dons tardifs, mais progressifs
Les ONG belges se mobilisent pour le Pakistan. Et l’appel aux dons, lancé début août, porte lentement ses fruits. Un élan de générosité tardif ? « Beaucoup de donateurs étaient en vacances quand les fortes inondations ont débuté, relève Erik Todts, porte-parole du Consortium belge pour les situations d’urgence (1). Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une catastrophe immédiate, comme ce fut le cas du tsunami (décembre 2004) ou du séisme survenu en Haïti (janvier 2010). Il a fallu un certain temps pour mesurer la gravité de la crise. »
« Jusqu’à vendredi, confirme Fabienne Damsin, responsable de la communication à la Croix-Rouge de Belgique, les dons arrivaient lentement. Quelques milliers d’euros, sans plus. Depuis plusieurs jours, l’intérêt des médias pour cette situation d’urgence va en grandissant et le grand public a davantage conscience de l’ampleur du drame qui se joue là-bas. »
Plus de 1.600 morts, 20 millions de Pakistanais affectés, 70.000 hectares de cultures dévastées, une aide à la reconstruction estimée à 2,5 milliards de dollars… Les chiffres sont désormais connus. Et les médias s’emparent, peu à peu de l’événement. « Petit à petit, se réjouit Erik Todts, des envoyés spéciaux et des correspondants sont dépêchés sur place. Ce qui va permettre au public de mieux comprendre les enjeux et d’évaluer les vrais besoins. »
Le Pakistan, pays musulman, « mal-aimé » des donateurs occidentaux ? « Non, je ne le crois pas, réagit Raphaël Piret, attaché de presse de MSF Belgique. Nous avons lancé un premier appel aux dons début août. Ce jeudi débutera une grande campagne nationale. Et les donateurs réagissent très bien. Le profil du pays touché n’entre pas en ligne de compte, à mon avis. »
Présent au Pakistan bien avant la catastrophe, MSF Belgique s’est fixé comme objectif un budget de 7 millions d’euros. Sur place, une centaine d’expatriés et 1.200 employés pakistanais sont actifs dans les provinces du Khyber Pakhtunkhwa, du Baloutchistan, du Sind, ainsi qu’au Pendjab. Fourniture d’eau potable, consultations, aide d’urgence, leur tâche est immense.
A la Croix-Rouge Belgique, même détermination : « Le Croissant rouge mobilise 120.000 volontaires. Et, comme le veut la procédure, elle a fait appel à la Fédération internationale, qui a fait notamment appel à nous, explique Fabienne Damsin. Une équipe “Benelux“ composée d’experts en appui logistique est sur place. Ce mercredi, une autre équipe va également partir. » De son côté, Caritas International a débloqué une première aide d’urgence de 50.000 euros et lancé également un appel aux dons.
Mise à disposition d’eau potable, nourriture, soins médicaux, prise en charge spécifique des enfants et des mères allaitantes, abris… « Les besoins sont énormes », insiste-t-on au Consortium 12-12. Lequel n’exclut pas la création d’un compte unique, comme pour le tsunami et en Haïti. « On décidera jeudi. Mais il faut être sûr que ça puisse servir la cause », insiste Erik Todts. Une cause qui, lentement mais sûrement, génère un début d’élan de solidarité…
(1) Caritas International : 000-0000041-41
Handicap International : 000-0000077-77
Médecins du Monde : 000-0000029-29
Oxfam-Solidarité : 000-0000028-28
et Unicef Belgique : 000-0000055-55
(Croix-Rouge Belgique : 000-0000016-16)
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