« CE QUE M’ONT DIT LES AGENTS DE LA NSA » PAR JEAN-PAUL NEY


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« NOUS SOMMES EN GUERRE MÊME CONTRE VOUS, ET ÇA, VOUS AVEZ DU MAL À COMPRENDRE »

 

Bien avant les révélations de Snowden sur PRISM, il y a plus de treize ans, notre rédacteur en chef, Jean-Paul Ney, effectuait un voyage d’études sur le renseignement aux États-Unis. Des entretiens et et des visites prolifiques: Agents fédéraux, militaires et surtout des ingénieurs de la NSA, l’agence de sécurité nationale américaine, des entretiens officiels, d’autres plus officieux. Fin février 2000, il rentre à Paris avec une documentation conséquente, un premier article est publié par VSD, puis il s’attaque à un ouvrage qui sera publié en 2005 aux éditions du Cherche Midi: Souriez on vous espionne. Cette semaine, dans une série d’articles publiés sur InfosDéfense, il reprend ses notes qu’il n’a jamais publié, le « OFF » devient « ON », treize ans après, Jean-Paul Ney fait partie de ceux qui n’accusent pas, mais qui analysent avec une pertinence géopolitique et non-partisane. 

Nous sommes en 1994 et la France vient de conclure un accord de vente de quarante quatre Airbus. Un avion affrété par le gouvernement français file droit vers l’Arabie Saoudite, à l’intérieur, des hommes clefs du gouvernement ainsi que quelques pontes de la firme Airbus, mais surtout Edouard Balladur, très confiant de signer un juteux contrat. Quelques personnes triées sur le volet sont au courant d’une telle transaction, et pour cause : La commande que doit signer l’Arabie Saoudite se monte à 30 milliards de francs, un contrat historique… Le secret est donc bien gardé et il ne reste que quelques poignées de mains et de visites et des signatures pour que la vente soit validée.

“En Dieu nous croyons, tous les autres nous écoutons” Mot d’ordre des opérateurs d’interception de la NSA dans les années 1970

Un contrat qui ne sera jamais signé, un contrat qui repartira dans cet avion et ce, aussi vierge de signature qu’il en est venu. En effet, au dernier moment les autorités de Riyad ont décliné l’offre de la France, sans aucune autre explication. Edouard Balladur est prié de remonter dans l’avion. Quelques temps après, la raison de cette annulation devient officielle : Le contrat vient de passer chez Boeing qui a révisé son offre à la baisse au dernier moment . Comment Boeing aurait eu connaissance d’un tel accord ? Qui aurait fait bénéficier Boeing de cette information ? Qui aurait eu accès au secret et comment ? Mais surtout quelle en est la raison principale ? Chez Airbus deux personnes étaient au courant de cet accord, aucune fuite possible.

C’est alors le branle-bas de combat à Matignon et à l’Elysée. La DST est convoquée pour une réunion de crise. L’affaire éclate au grand jour et la presse -tout en pointant le doigt sur la très puissance NSA- avance un seul mon : Echelon. Ce fait bien « réel » n’a pas eu cependant l’effet qu’il aurait du produire. Bien au contraire, il reste à ce jour l’un des nombreux dossiers mystérieux classés dans le dossier Echelon, le système d’interception de données à l’échelle du globe que pilote en silence depuis plus de vingt ans l’agence nationale de sécurité américaine. Au milieu des années 2000, les États-Unis on timidement reconnu l’existence d’un tel système, ses partenaires anglo-saxons (la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande et l’Australie) suivent le pas et le puzzle se reconstitue passivement depuis une dizaine d’années maintenant.

La cité du silence
Février 2000, Fort Meade, siège de la NSA, État du Maryland. 26 degrés, un temps magnifique, du jamais vu pour un mois de février dans le Maryland. Fredrick Thomas Martin roule au ralenti. Notre véhicule file le long de la route 32. Une route emplie de mystère qui a été surnommée « la route du silence » (silent road) par les quelques habitants des environs. Et pour cause : Elle longe le gigantesque complexe de l’Agence Nationale de Sécurité américaine, la surpuissante NSA. Une bifurcation à droite se présente à nous, un panneau indique – NSA EMPLOYEES ONLY -. Fredrick prend la bretelle de droite. Les arbres cachent le paysage. Une barrière se présente à nous, des gardes ornés du brassard ‘MP’, la police militaire, contrôlent nos identités : « ce n’est pas le moment de sortir ton appareil photo, ils sont de la police militaire de la NSA. Un jour un gars a voulu faire des photos à quelques mètres de là, il n’a pas eu le temps d’en prendre une seule… » ajoute avec humour Fredrick, notre guide. Fredrick Thomas Martin – ingénieur et ex-numéro 2 d’une cellule informatique de la NSA – affiche un grand sourire: « Tu dois être le seul français, le seul européen, jusqu’ici aucun journaliste étranger n’a pénétré cette enceinte ».

Notre rédacteur en chef Jean-Paul Ney et Fredrick Martin au siège de la NSA (février 2000). Photo (c)R.Clough/NSA

Notre rédacteur en chef Jean-Paul Ney et Fredrick Martin au siège de la NSA (février 2000). Photo (c)R.Clough/NSA

Nous nous enfonçons lentement au cœur de la « cité du silence », l’un de ces nombreux surnoms donnés à l’agence d’espionnage électronique américaine. Ville fantôme, notre voiture roule et les immeubles défilent, pas un chat à l’extérieur. Plus loin, c’est une petite ville où la NSA a loué des dizaines d’immeubles, des bâtiments couleurs briques marqués de gros chiffres blancs : 881, 126, 800 : « Ici dans ces bâtiments, beaucoup de cerveaux travaillent améliorer en permanence la sécurité de nos composants électroniques » nous explique notre guide. Nostalgique, Fredrick montre du doigt l’immeuble qui fut le tout premier centre opérationnel de la NSA en 1960, puis le deuxième bâtiment de 1980, l’immense bloc noir et vitré de plusieurs étages, le centre névralgique. A ses pieds, un gigantesque parking l’entoure sur trois flancs. Des milliers de voitures y sont parquées. Un amas blanc rappelle les récentes chutes de neige. Quelques rares soldats en uniformes circulent, une petite blonde nous sourit : « Là c’est le bâtiment ou nous produisons nos propres microprocesseurs ultra sécurisés, oui, nous fabriquons nous mêmes ce qu’il y a dans nos machines… » ajoute Fredrick.

Je jette un œil dans le rétroviseur, une voiture nous suit depuis notre entrée dans le complexe « la police militaire… » renchérit Fredrick. Puis sans pointer le doigt, il me montre où sont positionnées une des quelque trois cent caméras disséminés autour du Fort Georges G. Meade, en effet, les caméras poussent comme des champignons. Contrôles, et barrières en béton délimitent le Fort, sans doute pour le badaud qui se serait égaré… La cité de ceux « qui servent en silence » semble définitivement imprenable.

L’Internet ‘privé’ du renseignement américain
Quelques jours avant cette impressionnante visite, Fredrick me parle de son ouvrage sur Intelink, le premier intranet durci et sécurisé de la communauté du renseignement américain. Les touts premiers pas d’un réseau qui, en 1994, va compter à l’avenir dans le partage de l’information, le fameux « need to know », les ingénieurs de la communauté du renseignement veulent casser la culture du cloisonnement pour implanter celle du « need to share », le besoin de partager ses informations en toute sécurité. Aujourd’hui, Intelink est le pilier central du partage et de l’exploitation du renseignement, l’année prochaine il va fêter ses 20 ans. A ce propos, nous publions le document de présentation qui résume ce réseau, un document réalisé pour les 15 ans d’Intelink. « En 1994, Steve Schanzer, le patron de l’ISS (Intelligence Systems Secretariat, le bureau des systèmes de renseignement) et son adjoint ont eu une idée, pourquoi ne pas créer un Internet privé ? J’ai été convoqué et j’ai travaillé sur le projet surtout à la CIA, il fallait implémenter Intelink dans leurs systèmes mais surtout dans leurs têtes ! » Un travail que Fredrick va abattre presque sans difficultés, le terrain étant vierge… En 1999, il publie ses travaux dans son livre.

« On vous écoute, et alors ? »
Après avoir laissé Fredrick, je rencontre Ted à quelques pas de la Maison Blanche un agent fédéral, ex-FBI passé à la CIA puis à la NSA, redoutable ingénieur, jeune d’apparence, pas l’air d’un geek, discret. Nous nous asseyons sur un banc, et rapidement, les écureuils viennent près de nous « tu as vu ? ils n’ont pas peur. Regarde celui-ci, il file droit vers les grilles de la Maison Blanche, regarde ! il entre… C’est un peu comme nous, on fabrique des systèmes qu’on va placer un petit peu partout, des trucs minuscules, discrets. Je suis un écureuil, j’ai l’air totalement inoffensif et je passe partout, c’est ça mon job. » Je note sur mon carnet : Ted, écureuil, Maison Blanche, NSA, dispositifs électroniques passifs. Je commence à poser mes questions.

– Qui écoutez-vous ?

Ton pays, la France, l’Allemagne, les institutions, les entreprises…

Les entreprises ? Alors c’est de l’espionnage économique ?

Oui, mais au début ce n’était pas volontaire, on avait des stations disséminées sur le globe et qui nous captaient ce que nos satellites interceptaient. Il faillait trier tout cet amas d’information, ce n’était pas facile, Internet, c’était encore les débuts. Je te parle du milieu des années 80 jusqu’à la fin des années 90. Comme les écouteurs avaient des marqueurs bien précis, des cibles, on jetait le reste. Jusqu’au jour où un type a retranscrit des conversations évoquant des contrats d’armement, il pensait à du terrorisme, ce n’était pas le cas. Le rapport a finit dans les mains d’un analyste de la CIA qui l’a immédiatement transmis au département d’État, il était question d’une vente et de pots-de-vin, une entreprise américaine était en lice pour ce contrat. Comme il y avait triche, le département d’État a exploité ce renseignement et ils ont transmis cette information à ladite entreprise, qui a de son côté contacté le pays en question pour leur faire clairement comprendre que nous savions. Le pays tricheur a été écarté.

– C’était qui ?

La France. Nous sommes en guerre même contre vous, et ça, vous avez du mal à comprendre, c’est une guerre économique, vos espions font de même, voire pire. Nous sommes partenaires politiques, ennemis commerciaux.

– Mais tout le monde fait ça non ?

La corruption ? Oui, c’est une pratique courante, les entreprises américaines aussi, mais franchement, la France et la Russie sont des champions du monde.

– Vous écoutez Internet, les conversations, jusqu’où irez-vous ?

Oui nous écoutons le monde, on vous écoute, et alors ? L’information est une donné vitale, ce sera le cas de plus en plus avec Internet qui se développe, ses services et les téléphones mobiles, ce que nous faisons déjà avec les opérateurs téléphoniques, nous le ferons en masse avec Internet et les téléphones mobiles, ce n’est pas bien compliqué et c’est très facile, que ce soit légal ou illégal, avec ou sans accord d’une juridiction ou d’un opérateur. C’est comme ça, pour des questions de sécurité il ne doit pas y avoir un seul lieu secret où des gens pourraient se retrouver, discuter et planifier des actes criminels contre nos intérêts et celui de nos citoyens dans le monde.

– Internet c’est clairement une menace ? une cible ?

Oui, de plus en plus de gens l’utilisent, y cachent des données, les cryptent. Les pays utilisent le réseau pour communiquer via des tunnels sécurisés, nous pouvons tout écouter, absolument tout, le problème ce n’est pas de placer des dispositifs, de pirater un signal ou de dupliquer une carte SIM, encore moins d’intercepter les communications qui transitent par des satellites de communication, le problème c’est le traitement de ces données. Un jour, tout le monde sera connecté à Internet, dans 10 ou 20 ans, les gens l’utiliseront couramment, on consultera Internet à grande vitesse sur des téléphones portables, ça c’est déjà demain, mais nous, à la NSA, nous devons penser à après demain. C’est dans ce sens que la majorité de ces interceptions sont passées dans des filtres spécialisés. La course à l’interception de toute donnée, nous savons la faire et la gagner, celle du traitement, de l’analyse et de la diffusion en temps réel, c’est autre chose.

…/… Suite dans quelques jours.

Egypte : les mouvements sociaux, la CIA et le Mossad


James Petras

on MyCatBirdseat.com, 16 février 2011

http://mycatbirdseat.com/2011/02/james-petras-egypt-social-movements-the-cia-and-mossad/

L’image d’invincibilité du Mossad et de la toute-puissance de la CIA que veulent donner la plupart des auteurs, universitaires et journalistes a été mise à rude épreuve par leur échec avoué à déceler l’ampleur, la profondeur et l’intensité du mouvement de plusieurs millions de citoyens égyptiens ayant réussi à chasser la dictature de Moubarak.

Les limites des mouvements sociaux

Les mouvements des masses qui ont imposé le limogeage de Moubarak révèlent à la fois la force et les faiblesses de toute insurrection spontanée. D’un côté, les mouvements sociaux ont démontré leur capacité de mobiliser des centaines de milliers, voire des millions de personnes, en vue d’un combat incessant et couronné de succès, qui a culminé dans le limogeage du dictateur d’une manière dont les partis et les personnalités d’opposition préexistants ne voulaient pas entendre parler.

D’un autre côté, en raison de l’absence totale de tout leadership politique, les mouvements n’ont pas été en mesure de s’emparer du pouvoir politique et de mettre en œuvre leurs revendications, ce qui a permis au haut commandement de l’armée de Moubarak de s’emparer du pouvoir et de définir le processus « post-Moubarak », en garantissant ainsi la continuation de la subordination de l’Egypte aux Etats-Unis, la protection de la fortune illicite du clan Moubarak (estimée à 70 milliards de dollars), celle des nombreux trusts appartenant à l’élite militaire et la protection de la classe dominante. Les millions de personnes que les mouvements sociaux ont mobilisées afin de renverser la dictature ont été de fait exclues par la nouvelle junte militaire se disant « révolutionnaire » lorsqu’il s’est agi de définir les institutions politiques et les politiques à suivre, sans parler des réformes socio-économiques requises afin de satisfaire les besoins vitaux de la population (dont 40 % vit avec moins d’un dollar par jour, le chômage dépassant les 30 % de la main-d’œuvre disponible).

Le cas égyptien, comparable aux mouvements sociaux estudiantins et populaires contre les dictatures de la Corée du Sud, de Taiwan, des Philippines et de l’Indonésie, démontre que l’absence de toute organisation politique permet à des personnalités de la soi-disant « opposition » néolibérale et conservatrice de se substituer au régime. Ils s’emploient alors à mettre sur pied un régime électoral qui continue à servir les intérêts de l’impérialisme, à défendre l’appareil d’Etat existant et à en dépendre. Dans certains cas, ils remplacent les vieux capitalistes crounis par de nouveaux capitalistes. Ce n’est pas un hasard si les mass media encensent la nature « spontanée » des luttes (et absolument pas les revendications socio-économiques) et si ils enjolivent le rôle de l’armée (en balayant sous le tapis son rôle de pitbull de la dictature, trente années durant). Les masses sont célébrées pour leur « héroïsme », les jeunes le sont en raison de leur « idéalisme », mais on n’envisage en aucun cas qu’ils jouent le rôle des principaux acteurs dans le nouveau régime. Une fois la dictature renversée, l’armée et les électoralistes de l’opposition ont « célébré » le succès de la révolution, après quoi ils se sont occupés prestement de démobiliser et de démanteler le mouvement spontané afin de faire de la place à des négociations entre les politiciens libéraux électoralistes, Washington et l’élite militaire dirigeante.

Si la Maison Blanche peut tolérer, voire encourager des mouvements sociaux à pousser dehors (à « sacrifier ») des dictatures, elle a la ferme intention de préserver l’Etat. Dans le cas égyptien, le principal allié stratégique de l’impérialisme US était non pas Mubarak, mais l’armée, avec laquelle Washington était dans une collaboration constante avant, pendant et après la poussée vers la sortie de Moubarak, s’assurant que la « transition » vers la démocratie (sic) soit de nature à garantir la perpétuation de la subordination de l’Egypte aux politiques et aux intérêts israéliens et américains au Moyen-Orient.

La révolte populaire : double échec de la CIA et du Mossad

La révolte arabe démontre, encore une fois, plusieurs échecs stratégiques de la police secrète la plus introduite, les forces spéciales et les agences de renseignement des appareils d’Etat des Etats-Unis et d’Israël, dont aucun n’a anticipé (intervenir, n’en parlons même pas) afin d’empêcher tout succès de la mobilisation et d’influencer la politique de leurs gouvernements respectifs dans un sens favorable à leurs gouvernants-clients en difficulté.

L’image que donnent la plupart des auteurs, universitaires et journalistes, l’image de l’invincibilité du Mossad israélien et de l’omnipotente CIA, a été sévèrement mise à l’épreuve par leur échec avoué à déceler l’ampleur, la profondeur et l’intensité du mouvement de plusieurs millions de personnes déterminées à évincer la dictature de Moubarak. Le Mossad, qui fait la fierté et la joie des réalisateurs de cinéma de Hollywood et qui est présenté comme un « modèle d’efficacité » par ses collègues des organisations sionistes, n’a pas été capable de détecter la montée d’un mouvement de masse dans un pays voisin. Le Premier ministre israélien Netanyahu a été choqué (et désappointé) par la situation précaire de Moubarak et par l’effondrement de son client arabe le plus éminent – et cela, à cause du renseignement frelaté collecté par le Mossad. De même, Washington avait été totalement impréparée par ses 27 agences du renseignement américaines et le Pentagone, avec ses centaines de milliers de fonctionnaires et ses budgets se chiffrant en milliards de dollars aux soulèvements populaires massifs et aux mouvements émergents qui allaient se faire jour.

Plusieurs observations théoriques sont de mise. Le caractère erroné de la  notion selon laquelle des dirigeants hautement répressifs recevant des milliards de dollars en aide militaire et disposant de près d’un million de policiers, de soldats et de miliciens seraient les meilleurs garants de l’hégémonie impérialiste a été démontré. La présupposition selon laquelle des liens étendus, de longue date, avec de tels dirigeants dictatoriaux garantiraient les intérêts impérialistes des Etats-Unis a été démentie.

L’arrogance et la prétention de la supériorité organisationnelle, stratégique et politique juive sur les « Arabes » ont été sérieusement dégonflées. L’Etat israélien, ses experts, ses agents secrets et ses universitaires de la Ivy League ont été aveugles aux réalités en train de se dérouler sous leurs yeux, ils ont ignoré la profondeur de la désaffection et incapables d’éviter une opposition massive à leur client le plus précieux. Les publicistes sionistes aux Etats-Unis, qui résistent rarement à l’opportunité de promouvoir la « brillance » des forces de sécurité israéliennes, que ce soit quand elles assassinent un dirigeant arabe au Liban ou à Dubaï, ou lorsqu’elle bombarde une installation industrielle en Syrie, sont restés sans voix, cette fois-ci.

La chute de Moubarak et la possible émergence d’un gouvernement indépendant et démocratique signifieraient qu’Israël pourrait perdre son principal « flic en patrouille ». Un peuple démocrate ne saurait coopérer avec Israël au maintient du blocus contre Gaza, qui vise à affamer les Palestiniens afin de briser leur volonté de résister. Israël ne pourra pas compter sur un gouvernement démocratique pour soutenir ses violentes confiscations de terres en Cisjordanie et son régime palestinien fantoche. Les Etats-Unis, eux non plus, ne sauraient compter sur une Egypte démocratique pour soutenir leurs intrigues au Liban, leurs guerres en Irak et en Afghanistan et leurs sanctions contre l’Iran. De plus, l’insurrection égyptienne a servi d’exemple pour des mouvements populaires contre d’autres dictatures liges à Washington, en Jordanie, au Yémen et en Arabie Saoudite. Pour toutes ces raisons, Washington a soutenu le coup d’Etat militaire (en Egypte) afin de ménager une transition politique correspondant à désirs et à ses intérêts impérialistes.

L’affaiblissement du principal pilier du pouvoir impérial américain et du pouvoir colonial israélien en Afrique du Nord et au Moyen-Orient révèle le rôle essentiel que jouent les régimes collaborationnistes de l’impérialisme. Le caractère dictatorial de ces régimes résulte directement du rôle qu’ils jouent au service des intérêts impérialistes. Et les packages d’aide militaire qui corrompent et enrichissent les élites au pouvoir ne sont que les récompenses qu’on leur accorde pour avoir été des collaborateurs zélés des Etats impérialistes et colonialistes. Etant donnée l’importance stratégique de la dictature égyptienne, comment expliquer l’incapacité des services de renseignement américains et israéliens à anticiper ces insurrections ?

Tant la CIA que le Mossad travaillaient en étroite collaboration avec les services de renseignement égyptiens et ils se fiaient à eux en matière d’information, confiant à leurs rapports internes que « tout était sous contrôle » : les partis d’opposition étaient affaiblis, décimés par la répression et l’infiltration, leurs militants croupissant dans les geôles ou subissant des « crises cardiaques fatales » en raison de « techniques d’interrogatoire » particulièrement énergiques. Les élections étaient falsifiées afin d’aboutir à l’arrivée au pouvoir de clients d’Israël et des Etats-Unis : aucune (mauvaise) surprise, donc, ni dans l’immédiat, ni à moyen-terme.

Les services égyptiens du renseignement sont formés et financés par des officines israéliennes et américaines, l’on peut donc compter sur eux pour suivre la volonté de leurs maîtres. Ils ont été tellement complaisants en remettant des rapports rédigés de manière à plaire à leurs mentors qu’ils ont ignoré toutes les informations relatives à des troubles populaires montants ou encore à l’agitation sur Internet. La CIA et le Mossad étaient tellement intégrés au sein du vaste appareil sécuritaire de Moubarak qu’ils étaient incapables d’assurer une quelconque information alternative sur les mouvements de base, décentralisés et bourgeonnants, totalement indépendants qu’ils étaient de l’opposition électorale traditionnelle « sous contrôle ».

Quand ces mouvements de masse extraparlementaires ont fait irruption, le Mossad et la CIA ont compté sur l’appareil d’Etat de Moubarak pour en prendre le contrôle via la politique classique de la carotte et du bâton : des concessions à deux balles, d’un côté, et la mobilisation de l’armée, de la police et des escadrons de la mort. Tandis que le mouvement populaire grossissait, passant de quelques dizaines de milliers à plusieurs centaines de milliers, puis à des millions de participants, le Mossad et les membres du Congrès américain partisans d’Israël les plus en vue exhortèrent Moubarak à « tenir bon ». La CIA en fut réduite à présenter à la Maison Blanche des profiles politiques d’officiers de l’armée de confiance et de personnalités politiques traditionnelles « de transition » achetables susceptibles de succéder à Moubarak. Mais, là encore, la CIA et le Mossad ont démontré leur dépendance vis-à-vis de l’appareil du renseignement de Moubarak en matière de connaissance de qui pourrait être une alternative « viable » (aux yeux des américano-israéliens), ignorant les exigences élémentaires des masses révoltées. La tentative de coopter la vieille garde électoraliste des Frères Musulmans via des négociations avec le vice-président Suleiman a échoué en partie parce que les Frères ne contrôlaient pas ce mouvement et parce qu’Israël et ses soutiens américains y étaient opposés. De plus, la jeune garde des Frères ont obligé leurs aînés à se retirer de ces négociations.

Ce flop en matière de renseignement a compliqué les efforts de Washington et de Tel-Aviv visant à sacrifier le régime dictatorial en vue de sauver l’Etat : la CIA et le Mossad n’ont développé de lien avec aucun des nouveaux leaders (égyptiens) émergents. Les Israéliens ont été incapables de trouver ne serait-ce qu’un seul « nouveau visage » disposant d’un certain soutien populaire pour servir de collaborateur zélé de l’oppression coloniale. La CIA était totalement impliquée dans l’utilisation de la police secrète égyptienne pour torturer des suspects de terrorisme (« exceptionnal rendition ») et dans le flicage des pays arabes voisins. Résultat : tant Washington qu’Israël ont anticipé et promu la prise du pouvoir par l’armée afin de prévenir toute radicalisation ultérieure. En fin de compte, l’échec de la CIA et du Mossad à détecter et à empêcher l’émergence du mouvement démocratique révèle la précarité des fondements du pouvoir impérial et colonial. Sur le long terme, ce n’est ni les armes, ni les milliards de dollars, ni les polices secrètes et les chambres de torture qui décident de ce que sera l’Histoire. Les révolutions démocratiques se produisent quand l’immense majorité d’un peuple se lève et dit « ça suffit ! », quand elle descend dans les rues, paralyse l’économie, démantèle l’Etat autoritaire et exige la liberté et des institutions démocratiques exemptes de toute tutelle impériale et de toute soumission coloniale.

[James Petras est professeur émérite de sociologie à l’Université de Binghamton, New York Il a écrit soixante-quatre ouvrages, publiés en vingt-neuf langues, et plus de 560 articles publiés dans des revues professionnelles, dont The American Sociological Review, The British Journal of Sociology, Social Research, Journal of Contemporary Asia et Journal of Peasant Studies. Il a publié plus de 2000 articles. Son dernier ouvrage est : War Crimes  in Gaza and the Zionist Fifth Column in America (Atlanta, Clarity Press, 2010) (Les crimes de guerre à Gaza et la Cinquième colonne sioniste en Amérique)].

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

source

Top Secret America : Le voisinage des Services Secrets


William M. ARKIN, Dana PRIEST

La communauté du renseignement poursuit ses activités dans les banlieues de la nation. Si son travail est invisible, son impact se fait réellement ressentir.

ReOpen911 : La National Security Agency (NSA) est l’organisme spécialiste par excellence de la cryptologie – le chiffrement et le déchiffrement des données. Son impressionnant réseau de stations d’écoute et de satellites intercepte et analyse les communications (les émissions radio, la TV, les satellites, le téléphone, les réseaux sans fils, la messagerie électronique) du monde entier au prétexte de prévenir toutes sortes d’agressions. Elle s’est dotée de systèmes informatiques de reconnaissance vocale et d’ordinateurs comme le « CRAY » dernière génération. Ces machines des plus puissantes au monde, seraient donc capables de déchiffrer les moindres données.

Bien que le complexe de Fort Mead, l’un des sites de la NSA, occupe déjà l’équivalent de la superficie du Pentagone, il rogne un peu plus chaque année sur les terres agricoles. 38 000 employés y travaillent régulièrement. 10 000 autres devraient venir renforcer l’effectif d’ici 15 ans. Dans quel but ? Pallier à la hausse du chômage ? Curieusement, les habitants de la région ne semblent rien voir de tout cela, comme si ce monde à part, cette superpuissance autoproclamée dans leur voisinage immédiat n’existait pas. Pourtant une gêne ambiante, sourde, pèse sur les habitants.

Le Washington Post, dans cet article tiré de son dossier Top Secret America que nous avons récemment abordé, nous invite à faire le tour du propriétaire de la NSA et ses environs à Fort Meade, Maryland.

L’entrepôt de brique n’est pas que cela. Franchissez la porte et là, caché un peu plus loin, on découvre un détail sur le personnel de la sécurité : une flotte de véhicules utilitaires sportifs noirs, blindés pour résister aux tirs et aux explosions.

Sur le terre-plein central le long de la rue principale, les panneaux ne sont pas des publicités pour des maisons à vendre ; ils invitent les employés ayant l’accréditation top-secret sécurité à un salon d’embauche au Café Joe, qui est tout sauf un lieu normal de restauration.

Le nouvel immeuble de bureaux couleur bronze est réellement une sorte d’hôtel où les entreprises peuvent louer des chambres protégées des écoutes.

Même la plaque d’égout entre deux bâtiments de faible hauteur n’est pas que cela. Entourée de béton cylindrique, il s’agit du point d’accès à un câble du gouvernement. « TS / SCI », chuchote un fonctionnaire, soit les abréviations pour « top secret » et « information sensible compartimentée » – ce qui signifie que peu de gens ont le droit de connaitre les informations qui transitent par le câble.

Tous ces lieux existent hors de Washington, ce qui équivaut à une géographie alternative des États-Unis, celle que dessinent la concentration des organisations gouvernementales top-secret et les entreprises qui travaillent pour elles. Ce faisceau de Fort Meade est le plus important parmi la douzaine de groupes (de ce genre) à travers les États-Unis, les centres nerveux du Top Secret America aux 854.000 employés.

D’autres (groupes) se situent à Dulles-Chantilly, Denver-Aurora et Tampa. Ils correspondent tous à la version des villes traditionnelles sous antenne militaire : ils dépendent financièrement du budget fédéral et sont culturellement définis par leur tâche exceptionnelle.

La différence, bien sûr, c’est que l’armée ne relève pas de la culture du secret. Dans les groupes du Top Secret America, une carte à puce numérique liée au cordon tour de cou de la société, est souvent le seul indice du lieu de travail. Le travail n’est pas discuté. Pas plus que les interventions. Les débats sur le rôle de l’Intelligence dans la protection du pays se produit uniquement lorsque quelque chose se passe mal et que le gouvernement enquête, ou lorsqu’une information classifiée est divulguée sans autorisation et qu’elle se transforme en nouvelles.

L’existence de ces groupements est si peu connue, que la plupart des gens n’en prennent pas conscience lorsqu’ils approchent de l’épicentre de Fort Meade ; même lorsque le GPS sur le tableau de bord de leur voiture se met soudain à donner des instructions erronées, piégeant les conducteurs dans une série de demi-tours, parce que le gouvernement trouble les signaux dans les proches environs.

Lorsque cela se produit, c’est que le point zéro – La National Security Agency- est proche. Mais, difficile de dire où. Les arbres, les murs et le paysage vallonné occultent la présence de la NSA de la plus part des points de vue ; les barrières en béton, les postes de garde fortifiés et les panneaux d’avertissement arrêtent ceux qui n’ont pas l’autorisation d’entrer sur les terres de la plus grande agence de renseignement des États-Unis.

Dans notre arrière-cour / Galerie photos
De nombreux Américains ne se rendent pas compte que le travail top-secret pourrait s’exercer dans leur voisinage.

Par delà les obstacles se trouvent de gigantesques immeubles imposants, rangées après rangées. Derrière les vitres opaques résistant aux explosions, 30 000 personnes environ, lisent écoutent et analysent pour la plupart le flot continuel de conversations interceptées, vingt quatre heures par jour, sept jours par semaine.

De la route, il est impossible de définir l’étendue de la NSA, même si ses bâtiments occupent une surface de 6,3 millions de pieds carrés – environ la taille du Pentagone – et si elles sont entourés de 453.247 m2 de places de stationnement. Aussi massive qu’elle puisse paraître, des documents indiquent que la NSA est destinée à s’étendre avec l’intégration de 10.000 employés de plus au cours des 15 prochaines années et 2 milliards de dollars pour financer la première phase d’expansion, soit une augmentation globale d’envergure qui portera l’espace immobilier du groupement de Fort Meade à près de 14 millions de pieds carrés.

Le siège de la NSA se trouve sur la base militaire de Fort Meade qui accueille 80 locataires du gouvernement, dont plusieurs grandes organisations du renseignement.

Chaque année, celles -ci injectent 10 milliards de dollars dans les salaires et les contrats dans l’économie de la région – un chiffre qui permet d’expliquer le reste de Fort Meade, qui s’étend sur plus de 16.000 m dans toutes les directions.

Les entreprises qui prospèrent hors de l’agence et à proximité des autres organismes du renseignement se situent juste au-delà du périmètre de la NSA.

Dans certaines parties du groupe, elles occupent des quartiers entiers. Dans d’autres, elles forment des parcs d’affaires sur plus d’un kilomètre. Un chemin privé, contrôlé par des panneaux d’interdiction aux « avertissements » en jaune, les relie au campus de la NSA.

L’un des plus grands parcs est le National Business Park – de larges tours de verres angulaires se répartissent, dissimulés, par blocks sur 1 153 354 m2. Les occupants de ces bâtiments sont des sous-traitants. Ailleurs, là où ils sont mieux connus du public, ils minimisent volontairement leur présence. Mais dans le National Business Parc, un lieu où seuls d’autres entrepreneurs auraient une raison de se rendre, les enseignes de leurs bureaux sont énormes. Elles brillent dans la nuit de rouge vif, de jaune et de bleu : Booz Allen Hamilton, L-3 Communications, CSC, Northrop Grumman, General Dynamics, SAIC. Le groupe de Fort Meade représente plus de 250 entreprises – soit 13 % de toutes les entreprises Top Secret America. Certaines ont plusieurs bureaux, : Northrop Grumman en possède 9, SAIC en a 11. Les entreprises effectuent un travail top-secret dans les 681 sites du groupe Fort Meade.

Sur les sites, les employés doivent se soumettre à des règles strictes, envahissantes. Ils passent régulièrement par le détecteur de mensonge, signent des formulaires de non-divulgation, remplissent de longs rapports après un voyage à l’étranger. Ils sont entrainés pour gérer les voisins fouineurs et les amis curieux. Certains sont formés pour endosser de fausses identités.

S’ils boivent trop, empruntent trop d’argent ou sympathisent avec des citoyens de certains pays, ils peuvent perdre leur accréditation secret, celle-ci étant le passeport pour un emploi à vie à la NSA tout comme dans les organismes de renseignement apparentés.

Par chance, ils excellent en mathématique : pour être capable de faire ce qu’elle fait, la NSA s’appuie sur le plus grand nombre de mathématiciens au monde. Elle a besoin de linguistes et d’experts en technologie, ainsi que de cryptologues, surnommés « Crippies. » Beaucoup se savent être des ISTJ, les initiales pour « introversion, sentiment, pensée, jugement », un ensemble de traits de la personnalité repéré par le test de personnalité Myers-Briggs qui prévaut dans le groupe de Fort Meade.

La bonne blague : « Comment décririez-vous un extraverti à la NSA ? C’est le seul à regarder les chaussures des autres. »

« Elles font partie des personnes les plus brillantes au monde », a déclaré Ken Ulman, cadre au département de Howard, l’un des six départements de la sphère d’influence géographique de la NSA. « Elles exigent de bonnes écoles et une qualité de vie élevée. »

Les écoles, en effet, sont parmi les meilleures, et certaines vont adopter un cursus cet automne qui enseignera à des élèves âgés de 10 ans le style de vie nécessaire à l’obtention d’une accréditation secret et le genre de comportement qui pourrait le disqualifier.

Près d’une école, des bus scolaires jaunes sont alignés le long d’un bâtiment où le personnel des alliés, la « Surveillance des Cinq » – les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – partagent les informations top-secret concernant le monde entier.

Les bus déposent les enfants dans les quartiers les plus riches du pays ; l’aisance est un autre attribut du Top Secret America. Selon les données du service de recensement, 6 des 10 plus riches comtés des États-Unis se trouvent dans ces groupes.

Le comté de Loudoun, classé le plus riche du pays, contribue à fournir de la main-d’œuvre pour le National Reconnaissance Office à proximité qui gère les satellites espions. Le comté de Fairfax, en deuxième position- accueille la NRO, la CIA et le Bureau du directeur du renseignement national (DNI). Le Comté d’Arlington, classé au neuvième rang, accueille le Pentagone et les agences de renseignement majeures. Le Comté de Montgomery, classé 10e, est le foyer de l’Agence Nationale du Renseignement Geospatial- (NGIA). Et le comté de Howard, classé troisième, est le foyer de 8.000 employés de la NSA.

« S’il s’agissait d’une usine Chrysler, on parlerait Chrysler sur les pistes de bowling, Chrysler aux réunions du Conseil, Chrysler, Chrysler, Chrysler » dit Kent Menser, employé au ministère de la défense qui soutient le comté de Howard pour une adaptatation à la croissance aux environs de Fort Meade. « Les gens qui ne font pas partie de l’effectif de la NSA n’apprécient pas totalement son impact sur leur vie. »

* * * *

L’impact de la NSA et autres organisations secrètes de ce groupe ne sont pas seulement financiers. Ils régulent même la fluidité du trafic un certain jour, lorsqu’ une camionnette blanche sort d’un parking pour se fondre dans la circulation à midi.

Cette camionnette blanche est suivie de cinq autres identiques.

Dans chacune d’elles, deux agents du gouvernement qui suivent des cours à l’Académie de Formation du Contre-Espionnage, tentent de ne pas se perdre sur les routes locales lors de leur « surveillance discrète » – il s’agit ici de suivre un formateur qui joue le rôle de l’espion. Le véritable travail de ces agents issus de l’Armée, des Douanes et autres agences gouvernementales, consiste à identifier les espions et terroristes étrangers qui visent leurs organisations, à localiser les espions et recueillir des preuves pour prendre des mesures à leur encontre.

Mais aujourd’hui, ce sont des stagiaires reliés les uns aux autres par des radios et des plans de rues spécialement conçus à leur intention. Chaque année, environ 4000 agents fédéraux et militaires participent à des cours de contre-espionnage dans l’agglomération de Fort Meade ; en tant qu’agents, ils se déplacent sans éveiller l’attention des habitants qui vaquent à leurs occupations.

L’agent qui voyage sur le siège passager dans l’une des camionnettes blanches tient les cartes sur ses genoux tandis qu’il déplace frénétiquement des pastilles jaunes pour tenter de suivre les positions des autres camionnettes et celle du suspect, surnommé « le lapin ».

D’autres agents accélèrent et font la course à 90km/h pour tenter de suivre le lapin tout en se prévenant les uns les autres de la présence de la police locale : elle ne sait pas que ces camionnettes qui slaloment dans la circulation sont conduites par des agents fédéraux.

Soudain, le lapin n’est plus qu’à un pâté de maisons devant la camionnette la plus proche. Il grille le feu à l’orange puis disparaît tandis que les agents se retrouvent coincés au feu rouge.

Feu vert.

Un agent hurle alors en vain devant le pare-brise « Allez ! » à la voiture qui traîne devant. « Dégage ! Dégage ! Dégage ! »

« On l’a perdu, » râle sa partenaire tandis qu’ils s’efforcent de le rattraper.

Finalement, les agents terminent leur filature à pied devant la librairie Borders à Columbia où le lapin est réapparu. Six hommes en polos et pantalons aux dégradés kakis inspectent les rayons de magazines et déambulent dans les allées.

Leur instructeur est embarrassé. « La partie la plus difficile, c’est l’attitude », confie-t-il, tout en observant les agents entrain de suivre le lapin dans le magasin rempli de femmes en baskets et d’enfants en tongs. « Certains n’arrivent pas à se détendre suffisamment pour adopter le bon comportement… Ils devraient avoir l’air de flâner, mais ils restent là, à observer par-dessus un livre, sans bouger. »

Ailleurs dans le quartier, Jerome James, l’un des résidents, parle du bâtiment qui a surgi juste à la limite de son jardin. « Avant, il n’y avait que des terres agricoles, puis un jour ils ont commencé à creuser, » dit il. « Je ne sais pas ce qu’il s’y passe, mais cela ne me dérange pas. Je n’y pense pas. »

Le bâtiment protégé par des barrières et des grillages, est plus grand qu’un terrain de football. Aucune enseigne ou panneau pour l’identifier. Il y a bien une adresse, mais Google Maps ne la reconnaît pas. Si vous la saisissez, une autre adresse apparait systématiquement : « 6700 ».

Pas de nom de rue.

Juste « 6700 ».

Bill Brown, à gauche, et Jerome James s’occupent de la propriété de James dans une banlieue de Maryland, qui jouxte un bâtiment sécurisé. (Photo by Bonnie Jo Mount / The Washington Post) | Galerie Photos

Justin Walsh est dans l’un de ces bâtiments ; chaque jour, il passe des heures juché sur une échelle pour inspecter les faux plafonds d’une des plus grandes organisations du Top Secret America. Walsh est spécialiste en sécurité industrielle au sein du Département de la Défense. Chaque groupe a son propre Walsh, que ce soit à Fort Meade, ou dans le dédale souterrain des bâtiments de Crystal City à Arlington, près du Pentagone, ou dans les parcs d’affaires high-tech près du Centre National de Renseignement Spacial à Dayton, Ohio.

Quand il n’est pas sur une échelle, Walsh trifouille la photocopieuse pour s’assurer qu’elle ne puisse reproduire les secrets stockés dans sa mémoire. Ou bien il teste le démagnétiseur, un aimant géant qui efface les données des disques durs classifiés. Ou alors, il dissèque le système d’alarme, sa fibre optique et le codage utilisé pour envoyer des signaux à la salle de contrôle.

Dans l’Amérique Top Secret, tout est réglementé par le gouvernement : l’épaisseur de l’acier des barrières, la qualité des sacs en papier pour le transport des documents classifiés, l’épaisseur des murs et la hauteur des faux planchers insonorisés.

Autour de Washington, 4000 bureaux de sociétés privées gèrent l’information classifiée, soit 25% de plus que l’an dernier, selon le superviseur de Walsh, et l’équipe de Walsh a en permanence 220 bâtiments à contrôler dans son programme d’inspection. Le moindre bâtiment doit faire l’objet de contrôles ; tout nouveau bâtiment doit être inspecté de fond en comble avant que la NSA n’autorise ses occupants à ne serait-ce qu’établir une connexion téléphonique avec l’agence.

Il y aura bientôt un nouveau bâtiment de quatre étages à Fort Meade, près d’un quartier tranquille et sécurisé de pavillons haut de gamme. Son constructeur affirme qu’il peut résister à un attentat à la voiture piégée. Dennis Lane affirme que ses ingénieurs ont mis plus de boulons dans chaque poutrelle d’acier de la charpente que ne l’exige la norme pour garantir que la structure ne s’effondrera pas en cas d’imprévu.

Lane, vice-président de la société de construction Ryan Commercial, est devenu lui-même une sorte de fouineur lorsqu’il s’agit de travailler pour la NSA. A 55 ans, il a vécu et travaillé toute sa vie dans l’ombre de la NSA et s’est adapté à sa présence croissante au sein de sa communauté. Il recueille des informations commerciales par le biais de son propre réseau d’informateurs, des cadres dirigeants comme lui qui espèrent faire une bonne affaire sur le dos d’une organisation dont la plupart des voisins n’ont jamais entendu parler.

Il repère le moment où la NSA ou d’autres organisations secrètes du gouvernement louent un bâtiment, embauchent d’avantage de sous-traitants ou font appel aux entreprises locales. Il suit les projets de construction, les délocalisations, les changements au sein des sociétés privées. Il sait que les planificateurs locaux estiment que 10.000 emplois seront créés par la NSA , tout comme 52.000 autres par le biais d’agences de renseignement qui s’installeront à Fort Meade.

Lane était déjà au courant de toutes les rumeurs avant l’annonce officielle disant que le prochain commandement militaire géant, US Cyber Command, serait dirigé par le général quatre étoiles actuellement à la tête de la NSA. « Ce cyber-machin sera énorme, » dit-il. « Un cyber commandement pourrait intégrer tout l’immobilier actuellement disponible sur la zone ».

Lane le sait, car il a été témoin de la croissance post-11/9 de la NSA. A présent elle absorbe chaque jour 1,7 milliards de communications : courriers électroniques, forums, messageries, adresses IP, numéros de téléphone, appels téléphoniques et conversations sur téléphones mobiles.

A sa manière, Jeani Burns en a été témoin aussi.

Burns, une femme d’affaires à Fort Meade, prend un verre un soir après le travail. Elle fait un geste en direction de quelques hommes qui se tiennent près du comptoir.

« Je peux les repérer, » dit-elle. Le costume. La coupe de cheveux. Le comportement. « Ils ont ce regard, comme s’ils avaient peur que quelqu’un vienne leur poser une question à leur sujet. »

Des agents secrets viennent ici aussi, chuchote-t-elle, pour les surveiller, « pour s’assurer que personne ne parle trop. »

Burns est bien placée pour le savoir – elle vit avec un de ces hommes secrets depuis 20 ans. Avant, il travaillait pour la NSA. A présent, il est l’un de leurs sous-traitants. Il a fait la guerre. Elle ne sait pas où. Il fait quelque chose d’important. Elle ne sait pas quoi.

Elle raconte qu’elle est tombée amoureuse de lui il y a 20 ans et, que depuis, elle a passé sa vie à s’adapter. Lorsqu’ils sortent avec des amis, dit-elle, elle les appelle avant pour les prévenir : « Ne lui posez pas de questions. » Parfois les gens le comprennent, mais lorsque ce n’est pas le cas, « c’est dur à dire, mais nous ne sortons plus avec eux. »

Elle le décrit comme un « observateur. C’est moi la suspecte, » dit-elle. « Cela me gêne qu’il ne m’emmène jamais en voyage, ne pense jamais à quelque chose d’excitant à faire… J’ai l’impression d’être trompée. »

Mais elle dit aussi : « Je le respecte vraiment pour ce qu’il a fait. Il a consacré sa vie pour maintenir notre mode de vie, et il n’en retire aucune reconnaissance du public ».

Pendant ce temps, à l’extérieur du bar, le bourdonnement est continu. La nuit, aux confins du Parc d’Affaires National, des fenêtres de bureaux sont encore éclairées ci et là. Les 140 chambres de l’hôtel Marriott Courtyard sont toutes louées, comme d’habitude, à des clients tel cet homme à la réception qui dit seulement qu’il « travaille pour l’armée ».

A l’intérieur de la NSA, il y a un va-et-vient permanent de mathématiciens, de linguistes, de techniciens et de cryptologues. Ceux qui partent descendent par l’ascenseur au rez-de-chaussée. Chacun porte une petite boite en plastique avec un code-barres. Elle contient une clé de porte qui résonne à chaque pas. Pour ceux qui travaillent ici, ce son signale le changement d’équipe.

Tandis que les employés qui prennent leur poste passent le tourniquet, ceux qui partent glissent leur badge d’identification dans une fente. Une trappe s’ouvre. Ils déposent leur boite contenant la clé puis sortent en passant par un tourniquet. Ils quittent le parking et roulent lentement vers les barrières et portails qui protègent la NSA, où ils croisent une longue file de voitures qui roulent en sens inverse. Il est presque minuit à Fort Meade, la capitale du Top Secret America, un lieu qui ne dort jamais et qui s’étend un peu plus chaque jour.

SOURCE : http://projects.washingtonpost.com/…

Traduit par V.D. et apetimedia pour ReOpenNews et le Grand Soir.

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Le monde en 2025 selon la CIA


Samir Amin

La lecture du dernier rapport de la CIA sur « le monde en 2025 » ne fournit guère de renseignements qu’un observateur ordinaire de l’économie et de la politique mondiale aurait ignoré. Par contre elle nous permet de mieux connaître le mode de pensée de la classe dirigeante étasunienne et d’en identifier les limites.

Je résumerai mes conclusions de cette lecture dans les points suivants :

1. la capacité de « prévoir » de Washington étonne par sa faiblesse ; on a le sentiment que les rapports successifs de la CIA sont toujours « en retard » sur les évènements, jamais en avance ;

2. cette classe dirigeante ignore le rôle que les « peuples » jouent parfois dans l’histoire ; elle donne le sentiment que les opinions et les choix des classes dirigeantes comptent seuls, et que les peuples « suivent » toujours ces derniers choix pour s’y adapter sans jamais parvenir à les mettre en échec et encore moins à imposer des alternatives différentes ;

3. aucun des « experts » dont l’opinion aurait été retenue n’imagine possible (et encore moins « acceptable ») un mode de gestion de l’économie autre que celui dont l’économie conventionnelle reconnait le caractère prétendu « scientifique » (l’économie capitaliste « libérale » et « mondialisée »), il n’y aurait donc pas d’alternative crédible (et donc éventuellement possible) au « capitalisme libéral » ;

4. l’impression qu’on tire de cette lecture est que, de surcroit, l’establishment étasunien conserve quelques solides préjugés, notamment à l’égard des peuples d’Afrique et d’Amérique latine.

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