Vous avez dit wahhabisme?


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Plus que jamais, en ces temps de terrorisme, les contempteurs de l’Arabie saoudite s’en donnent à cœur joie. Dame! la cible est légitime. Et pourquoi, d’ailleurs, épargner un Etat où les droits de l’homme sont tenus pour quantité négligeable? Si, certes, la thèse du financement direct du terrorisme par la dictature saoudienne ne résiste pas à l’analyse, celle de l’influence du wahhabisme, à savoir l’islam ultra-rigoriste à la sauce saoudienne, sur l’idéologie des djihadistes semble ne faire aucun doute. Tentative d’examiner tout cela en détail.

1. Histoire: un retour aux sources pur et dur


Le mot et le concept sont liés à un théologien du XVIIIe siècle, Mohamed ben Abdel Wahhab, né dans le Nadj, au centre de l’Arabie saoudite actuelle. Inquiet de ce qu’il considérait comme des dérives de l’islam (dont l’idolâtrie des saints) et par les faiblesses des musulmans, ce penseur a prôné un retour pur et dur aux sources de la religion, au message du Prophète pris au sens le plus littéral. Une alliance entre ce penseur et les Saoud, puissante famille de cette région où régnait l’austère et fruste culture bédouine, permit à la doctrine rigoriste de prendre son essor grâce à la conquête de la région de Riyad.

Le wahhabisme charrie bien une version ultraconservatrice de l’islam. Musique, chant, danse, tabac et opium y trouvent le statut de pratiques prohibées. Abdel Wahhab, comme l’explique l’islamologue Anne-Marie Delcambre, avait été convaincu par les idées d’Ibn Taymiyya, jurisconsulte damascène du XIIIe siècle qui, déjà, avait promu l’intransigeance absolue en religion, dénonçant notamment «l’hérésie» chiite et dressant les musulmans contre les chrétiens et les juifs.

Les wahhabites n’ont que mépris pour les autres formes de l’islam, même sunnites. Ainsi, le soufisme, une spiritualité islamique influencée par le mysticisme et vécue comme expérience personnelle, est renvoyé au rang des pratiques hérétiques par les wahhabites, malgré son succès.

Loyauté à l’égard de l’autorité
Les Saoud appréciaient – et apprécient toujours! – un des fondements de l’interprétation wahhabite des textes, celui qui recommande aux musulmans de rester loyaux aux détenteurs de l’autorité.

Les Ottomans mirent fin à cette sédition au début du XIXe siècle, mais l’idée ultraconservatrice à la base du wahhabisme allait rester enracinée. Et quand Abdelaziz ben Abderrahmane al-Saoud entreprit au début du XXe siècle la conquête des régions – le Nadj, le Hedjaz, l’Assir et le Hassa – qui allaient former en 1932 l’Arabie saoudite dont il se proclama roi, il s’empressa d’instaurer ce que certains appelleraient une théocratie.

«Depuis cette époque, écrit Anne-Marie Delcambre, le pouvoir saoudien n’a jamais songé à remettre en cause l’idéologie wahhabite. Le roi Faysal, dans un discours à Médine le 1er avril 1963, déclarait en effet: «Notre constitution est le Coran, notre loi est celle de Mahomet, et notre nationalisme est arabe.» L’Arabie saoudite a placé tout son système politique, social, économique et judiciaire sous l’influence wahhabite. Le drapeau saoudien, vert, comportant la profession de foi musulmane en lettres arabes blanches, avec un sabre au-dessous, rappelle l’importance de la conquête guerrière pour l’islam wahhabite.»

Amputation et décapitation
Une police de mœurs veille au grain : les très craints «mouttawiin», chargés de «prévenir le vice et protéger la vertu» dans tout le pays d’ailleurs proclamé mosquée (d’où l’interdiction formelle d’y pratiquer un autre culte). La loi islamique, la charia, est appliquée avec sévérité, qui prévoit des peines comme l’amputation, la flagellation, la lapidation ou la décapitation – en place publique.

La plus stricte séparation des sexes dans tous les lieux publics – y compris dans le rapport à la médecine et aux médecins – prend la forme d’une obsession. Les femmes jouissent d’ailleurs d’un statut inférieur, dépendant de l’autorité des hommes. L’Arabie reste le seul pays au monde où elles n’ont pas le droit de conduire.

Les manuels scolaires saoudiens répercutent fidèlement les concepts du wahhabisme le plus radical, selon une étude américaine des années 2000. La propagation du djihad y serait recommandée et la haine des chrétiens, juifs, polythéistes et autres mécréants enseignée. Toutefois, les autorités saoudiennes insistent depuis quelques années pour dire que ces programmes ont été révisés et épurés des passages incitant à l’intolérance.

Le wahhabisme, malgré les moyens immenses dépensés par les Saoudiens pour exporter leur doctrine puritaine, reste très minoritaire en terre d’islam. Beaucoup de musulmans, et pas seulement parmi ceux qui vivent en Occident, rejettent ces pratiques intolérantes, rigoristes à l’extrême.

2. Politique: Saoud et oulémas unis

Ordre moral, rigueur religieuse absolue: les Saoud des XXe et XXIe siècles ont adopté avec zèle la version wahhabite de l’islam née jadis sur leur sol. Une version qu’ils ont affinée avec l’establishment religieux local, les oulémas (docteurs de la loi religieuse, théologiens), avec qui ils entretiennent une relation fondée sur le besoin mutuel de l’autre. Une alliance qui remonte au pacte («bay’a») conclu entre Mohamed ben Abdel Wahhab et la famille Saoud au XVIIIe siècle.

Comme l’explique le chercheur français Stéphane Lacroix, qui vécut en Arabie saoudite,«les oulémas légitiment le pouvoir politique des princes et leur accordent une large marge de manœuvre en ne s’immisçant pas dans leurs décisions, notamment concernant la politique étrangère. En échange, les religieux font appliquer l’islam salafiste (version ultra-rigoriste de l’islam) dans la société saoudienne, seul garant, selon eux, de la moralité sociale».

Contrôle complet par les religieux
Madawi al-Rashidi, universitaire saoudienne exilée à Londres, complète: «On a donné le contrôle complet, aux (religieux) wahhabites, de la vie religieuse, sociale et culturelle du royaume; aussi longtemps que les prédicateurs prêchaient l’obéissance aux dirigeants, la famille Saoud était contente.»

Dans ce pacte, la famille régnante s’occupe des finances, rétribue les imams et leur formation, lance des chaînes satellitaires de prédication religieuse, paie pour le prosélytisme dans le monde.

Ces dernières années, certains responsables saoudiens allèrent, dans des interviews données à des médias occidentaux, jusqu’à comparer leur pays à un «Vatican» musulman. Des assertions démenties par les faits. L’exportation du wahhabisme à coups de financements massifs n’y fait rien: comme l’écrit l’intellectuel égyptien Tarek Osman, «malgré sa position de pays musulman sunnite le plus riche au monde, malgré le hajj (le pèlerinage annuel à La Mecque, l’une des cinq obligations de l’islam, NDLR), l’Arabie saoudite n’a jamais réussi à établir une institution religieuse qui jouirait d’une vénération globale dans le monde islamique comme c’est le cas pour Al-Azhar en Egypte ou Al-Zeitouna en Tunisie». Le wahhabisme, puritain et intolérant, n’est pas populaire, on l’a déjà fait remarquer.

3. Le rigorisme voyage bien

Malgré son impopularité hors d’Arabie saoudite (il est aussi respecté au Qatar, mais dans une version moins rigoureuse), le wahhabisme s’exporte depuis un demi-siècle. Avec de bons résultats. C’est que les moyens investis en termes financiers laissent pantois. Riyad aurait dépensé des dizaines de milliards de dollars – les estimations crédibles ne sont pas légion – pour promouvoir le wahhabisme dans le monde, à travers des milliers d’écoles religieuses, de mosquées ou de centres culturels.

Un réseau d’associations caritatives saoudiennes comme l’International Relief Organisation servent de relais à la propagation de l’islam wahhabite. L’argent coule aussi à flots pour soutenir les nombreuses télévisions par satellite dédiées à cette tâche de prédication dans de multiples langues. Brochures, cassettes et CD font aussi partie de la panoplie envoyée dans le monde pour répandre le message wahhabite.

L’effort d’exportation a commencé au début des années 1960, comme l’explique Stéphane Lacroix, de sciences po, interrogé sur le blog Assawra: «Cela se traduit par la création de la Ligue islamique mondiale, de l’Université islamique de Médine, et de toute une série d’ONG financées par le pouvoir saoudien dont la mission est de faire de l’humanitaire, mais aussi du prosélytisme».

Wahhabisation de l’islam
Pourquoi tant de zèle? L’islam est, par essence, une religion prosélyte. L’Etat saoudien qui se veut wahhabite, donc porteur du message islamique original, n’a donc d’autre choix, dans cette logique, que d’apporter son poids à l’exportation de sa vision de l’islam. Il y a ainsi eu ce que l’islamologue française Anne-Marie Delcambre appelle la«wahhabisation de l’islam mondial».

Résultat, selon Stéphane Lacroix: «Ce prosélytisme a affecté la pratique de l’islam dans le monde sunnite en le rendant de plus en plus conservateur. En Occident, il a produit une communauté ultra-rigoriste, cherchant à reconstruire une société idéale, de l’entre-soi. Ainsi, on peut s’inquiéter en France du problème sociétal que pose la croissance de cet islam puritain, d’autant que certains de ses partisans peuvent, en raison de certaines de leurs pratiques, entrer en conflit avec les lois républicaines. Mais il ne faut pas tout mélanger. Salafisme – ou wahhabisme en ce cas, NDLR – n’est pas synonyme de djihadisme».

4. Terrorisme: des soupçons, mais rien de concret

Le wahhabisme est-il l’inspirateur du terrorisme pratiqué par les djihadistes comme ceux d’Al-Qaïda ou de l’«Etat islamique»? C’est l’opinion répandue. Et notamment celle du juge Marc Trevidic, jusqu’il y a peu responsable de la cellule antiterroriste à Paris.«Nous savons très bien que ce pays du Golfe a versé le poison dans le verre par la diffusion du wahhabisme. Les attentats de Paris le 13 novembre 2015 en sont l’un des résultats», a-t-il lâché au journal Les Echos.

Sauf que les djihadistes ne se réfèrent jamais, que du contraire, à l’exemple saoudien.«L’Etat islamique, expliquait à la BBC le professeur Bernard Hayke, de l’Université de Princeton, proclame que l’Etat saoudien a dévié des croyances réelles de Mohamed ben Abdel Wahhab, et qu’il est, lui, le vrai représentant du message salafiste ou wahhabite.»

La décapitation ce 2 janvier en Arabie saoudite de 43 djihadistes de la mouvance d’Al-Qaïda montre l’antagonisme virulent entre l’Arabie et les djihadistes. En 2015, 1.850 suspects de sympathies envers Daesh ont été incarcérés dans le royaume. Un royaume du reste en lutte féroce de légitimité avec un mouvement qui s’est donné un «calife», lequel avait qualifié en 2014 le régime saoudien de «tête du serpent», appelant déjà la population à la révolte.

Excommunication… des Saoud
Mathieu Guidère, islamologue français, le confirmait dans son livre Etat du monde arabe (De Boeck Editions): «Les salafistes djihadistes n’ont pas hésité à émettre, dans les années 2000, des fatwas appelant à l’excommunication des dirigeants saoudiens, y compris celle du Roi en personne. Après avoir ciblé les intérêts occidentaux sur le territoire saoudien, Al-Qaïda n’a pas hésité à s’en prendre directement à la monarchie, alors même que celle-ci faisait la promotion du wahhabisme dont se réclamait l’organisation de Ben Laden.»

Quant à la suspicion qui pesait sur les organisations caritatives saoudiennes, qui serviraient de relais pour acheminer du soutien à des groupes terroristes, une étude réalisée en 2007 par le professeur Jonathan Bentall, de l’University College à Londres, concluait ceci: «Le soutien direct par des associations caritatives aux activités du type Al-Qaïda a été lourdement suspecté par les autorités américaines mais rarement, sinon jamais, n’a-t-il été prouvé par des preuves tangibles».

En réalité, les Saoud ont une peur immense des djihadistes. Leur wahhabisme, leur salafisme, s’en écarte. Ecoutons Stéphane Lacroix: «Le salafisme n’est pas révolutionnaire et n’attire pas le même public que le djihadisme. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le parcours des terroristes des récentes attaques, qui ne fréquentaient pas les milieux salafistes».

5. Un régime soluble dans la critique?

Le régime saoudien prend conscience des excès engendrés par sa doctrine. «Les télévisions par satellites, même privées, diffusent de nombreux témoignages de parents de djihadistes saoudiens partis en Syrie qui racontent leur malheur, observe un Belge d’origine algérienne en rapports professionnels constants avec les milieux intellectuels dans le Golfe. On y nomme même les imams tenus pour responsables de l’endoctrinement des jeunes ! Et on ne se prive pas d’appeler à la réforme des programmes scolaires, qui a d’ailleurs largement commencé.»

La prise de conscience se manifeste aussi par la publication d’articles comme dans le quotidien Al Watan, où un journaliste vétéran, Qenan al-Ghamdi, fustigeait le 2 novembre dernier «la majorité des imams qui continuent tous les vendredis dans leurs prêches à lancer des accusations d’hérésie contre des groupes de musulmans parmi nous (lire: les chiites) et aussi contre les gens du Livre (lire, dans ce cas: les chrétiens)dont beaucoup travaillent chez nous; certains de ces imams sont employés et supervisés par le ministère des Affaires religieuses. Des chaînes de télévision leur offrent une tribune où ils peuvent répandre leur poison, qui atteint tous les foyers».

Certes les postures radicales contre le régime peuvent encore valoir à leurs auteurs des années de prison, des flagellations, voire pire. Mais la société saoudienne évolue, en interaction avec les moyens de communication modernes, très prisés. Une société divisée entre modernistes et conservateurs, sans doute majoritaires. «L’élite intellectuelle libérale composée de diplomates, de journalistes, d’hommes d’affaires, complète notre Belgo-Algérien, n’ose pas prendre les devants s’agissant de critiquer le wahhabisme. L’autocensure reste dominante. Mais, en privé, les critiques pleuvent! Et on se moque bien de l’establishment religieux.»

BAUDOUIN LOOS

Article publié dans Le Soir du samedi 9 janvier 2016.

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Tunisie : Béchir Labidi «En 2008, nous avons fait la révolution sans le savoir»


Enseignant et syndicaliste à Redeyef, dans le bassin minier de Gafsa, une des régions défavorisées de Tunisie, Béchir Labidi, 61 ans, a été un des acteurs majeurs de la crise sociale de 2008 qui est souvent considérée le mouvement précurseur de la révolution de décembre 2010-janvier 2011 qui vit le dictateur Ben Ali s’enfuir en Arabie Saoudite.«Je dis parfois qu’on a fait la révolution sans le savoir», assène-t-il avec un petit sourire. Entretien à Gafsa.

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Comment les événements ont-ils démarré?
Le mouvement social de protestation a commencé le 5 janvier 2008, après la publication d’un concours de recrutement faussé à la Compagnie des phosphates de Gafsa. Il y a eu des arrestations dont la mienne entre le 7 et le 9 avril, mais nous avons été libérés rapidement car les femmes se sont mobilisées et ne quittaient plus les places et les rues! On a été accueilli en héros. Après, des négociations ont eu lieu mais sans résultats avec le représentant envoyé par Ben Ali. Les grèves ont continué, les manifestations aussi. A Redeyef, Metlaoui, Moulares, des confrontations avec la police se multipliaient. C’était la première fois que ce régime devait faire face à un tel mouvement. Un jeune a été tué en mai. Au sein du régime, la tendance favorable à la manière forte, menée par le ministre de l’Intérieur Rafik Haj Kassem, un dur, l’a emporté. Ils ont accentué la répression et les arrestations. Mon fils Mondhafer et moi fûmes arrêtés le 1er juillet. Tout le monde a été torturé. Nous, pendant une semaine, cela a été très pénible surtout pour mon fils. C’était une équipe de Tunis qui procédait, aidée par des agents de Gafsa. En février 2009, des centaines de condamnations ont été prononcées, de 2 à 10 ans ; moi j’ai pris huit ans en appel. En octobre, nous avons été graciés.

Que s’est-il passé pour vous entre ce moment et la révolution de 2011?
Nous avons été évidemment surveillés de près mais en raison de la sympathie que nous manifestaient les militants syndicalistes des sections de l’UGTT (le grand syndicat national historique, NDLR), nous avons réussi à aller témoigner dans différentes sections régionales, à Kairouan, Jendouba, Sfax, etc. Proche du régime, le secrétaire général de l’UGTT, Abdessalam Jrad, n’a rien pu faire contre nous, contre la base. Et nous jouissions de l’appui d’organisations de la société civile comme la Ligue des droits de l’homme, les Femmes démocrates, le Comité de soutien aux prisonniers du bassin minier, etc.

Et ces événements qui ont abouti à la chute du régime en 2011, comment les avez-vous vécus?
Les militants de gauche, la société civile, tout le monde prenaient conscience que si on avait été plus soutenu en 2008 la révolution aurait déjà pu éclater à ce moment-là. 2011, finalement, fut la copie révisée de 2008, car on n’a pas laissé seuls les gens de Sidi Bouzid, les premiers à bouger; les syndicalistes se sont mobilisés et quand les policiers s’en sont pris aux jeunes on les a hébergés dans les locaux de l’UGTT. Même Jrad a dû négocier la dispersion. La mobilisation a fait tache d’huile et, ce fameux 14 janvier 2011, jour de la fuite de Ben Ali, on était trop fier du but enfin atteint! C’était l’apothéose d’une lutte de 30 ans pour la liberté.

Quel regard portez-vous sur les quatre années qui se sont écoulées depuis lors?
Les principaux acteurs de la révolution, la gauche et les jeunes, ont été rapidement marginalisés, dès les élections d’octobre 2011; les islamistes (le parti Ennahda, NDLR) étaient bien mieux organisés et plus riches que nous. On n’avait pas fait la révolution pour ce résultat! Mais les démocrates s’étaient divisés entre plusieurs partis. Avant cela, j’avais fait partie du Comité national pour la réalisation des objectifs de la révolution avec 150 autres membres. Durant les années 80 et 90, j’ai été membre de partis de la gauche radicale, j’ai notamment fondé avec des amis le PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie). J’ai concouru comme candidat indépendant en 2011, j’ai obtenu 2.700 voix, neuvième score de la circonscription qui n’élisait que sept députés. En 2014, je n’étais pas candidat.

Justement, lors de ce dernier scrutin, un parti créé en 2012, Nidaa Tounes, est parvenu à dépasser Ennahda. On dit parfois que c’est le retour du parti de Ben Ali…
Non. Les échecs économiques et les erreurs en politique étrangère d’Ennahda et du président Moncef Marzouki, entre 2012 et 2014, ont provoqué la victoire de Nidaa Tounes, une force disparate composée de gens qui ont en commun leur hostilité aux islamistes. C’est un mélange de gens de gauche, de syndicalistes, de gens de droite, d’ex-RCD (le parti quasi unique de Ben Ali). Ennahda a réussi à se glisser dans la coalition gouvernementale qui vient de se former car c’est un renard en politique: il a compris que le vent ne soufflait par de son côté, qu’il était encerclé, et il veut en même temps rester présent, en position d’attente. Voilà pourquoi il est entré dans ce gouvernement dominé par Nidaa.

Pour qui avez-vous voté aux présidentielles l’an dernier?
J’ai d’abord soutenu Hamma Hammami (le candidat de la gauche radicale, leader du PCOT, NDLR), je l’ai même accompagné en campagne. Au second tour, entre Moncef Marzouki et Beji Caïd Essebsi, je n’ai pas pu voter. Personne dans ma famille n’a voté car nous estimions qu’aucun de ces deux noms ne méritait d’occuper le poste de président de la république. Essebsi, qui a gagné, a été longtemps ministre sous le dictature de Bourguiba, il est très vieux (88 ans, NDLR) et donc d’autres dirigeront le pays en réalité. Quant à la vraie gauche, elle court à l’échec car elle reste enfermée sur elle-même. Il faut créer un nouveau front démocratique, large, ouverts à tous les partis et instances démocratiques de la gauche.

Vous ne craignez pas que les échecs économiques ne fassent le lit des nostalgiques du RCD?
Non car les Tunisiens ont dépassé la dictature. Les problèmes socio-économiques sont lourds. Il faudra du temps, le sens du travail et un sens du développement du pays qui impliquent une révolution culturelle. Mais les acquis de la révolution, le pluralisme, la liberté de presse et d’expression, plus personne ne nous les enlèvera. Les «ex-RCDistes» doivent s’intégrer, qu’ils le veuillent ou non, à ce processus en marche.

Propos recueillis par Baudouin Loos à Gafsa le 16 février 2015.

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