Méfiance envers les réfugiés: «L’opinion publique est très influencée par des discours politiques sécuritaires»


INTERVIEW « 20 Minutes » a interrogé Shoshana Fine, docteure en science politique et spécialiste des questions migratoires, sur le manque d’empathie des Français envers les réfugiés

Des réfugiés franchissent la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis
Des réfugiés franchissent la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis — SIPA 

  • Selon une étude de l’Ipsos, la légitimité des réfugiés à fuir leur pays est de plus en plus remise en cause dans le monde et notamment en France.
  • Si le scepticisme est mondial, les Français arrivent en tête de classement dans plusieurs opinions négatives sur les réfugiés.
  • « 20 Minutes » a interrogé Shoshana Fine, docteure en science politique et spécialiste des questions migratoires, pour tenter d’expliquer ce manque d’empathie.

Selon une enquête de l’Ipsos diffusée ce vendredi pour la journée mondiale des réfugiés, un Français sur deux et « 54 % de la population mondiale ne croient pas que les étrangers qui viennent dans leur pays sont de vrais réfugiés », contre 52 % en 2017.

Seulement 43 % des Français estiment qu’échapper à la guerre ou à des persécutions « constitue une raison suffisamment légitime pour se réfugier ». Le taux pour la population mondiale s’élève à 61 %, ce qui place les Français en bas du classement, avec les Hongrois.

Alors pourquoi a-t-on aussi peu d’empathie de notre part pour les réfugiés ? 20 Minutes a interrogé Shoshana Fine, docteure en science politique et relations internationales, spécialiste des questions migratoires et dans l’externalisation de la politique migratoire de l’Union Européenne dans les « pays tiers ».

Selon vous, comment expliquer ces chiffres et ce manque d’empathie de la part des Français envers les réfugiés ?

Il y a peut-être des raisons historiques et sociologiques, mais je crois qu’il ne faut pas dévier de la vraie explication. L’opinion publique est très influencée par des discours politiques traitant la question des réfugiés dans une sémantique sécuritaire et non solidaire. Il y a une banalisation de ce discours depuis le début de la crise migratoire, un discours à dominance négative. A fortiori en France, où que le gouvernement soit de droite avec Nicolas Sarkozy, de gauche avec Hollande, ou des deux comme Emmanuel Macron, les politiques au pouvoir ont gardé ce discours sécuritaire et néfaste sur les réfugiés.

Un autre chiffre pourrait expliquer cette peur : 58 % des Français sont convaincus que les réfugiés ne peuvent pas s’intégrer à la société d’accueil contre 47 % de la population mondiale ?

Il faut voir qu’en France, il y a énormément de difficulté pour s’intégrer. Pendant les deux-trois premières années, les réfugiés ont une vie extrêmement précaire. En théorie, ils peuvent travailler au bout de six ou neuf mois, mais en réalité, trouver un travail est extrêmement difficile pour eux tant il n’y a pas de politiques d’inclusion de l’Etat. Par exemple, aucun cours de langue n’est fourni, ce qui entrave forcément le processus d’intégration. Il faudrait absolument en mettre en place dès la demande d’asile et ne plus attendre qu’elle soit accordée, en se disant par exemple que l’apprentissage de notre langue et sa diffusion auront forcément des effets positifs, que la demande soit finalement validée ou non. On empêche ce processus d’intégration puis on leur reproche de ne pas s’intégrer, c’est une hypocrisie.

Si les Français ont des chiffres très hauts, il y a un scepticisme mondial sur les réfugiés, et des chiffres en progression partout sur la question…

Il faut rappeler qu’effectivement, ce n’est pas propre à la France. 85 % des réfugiés vivent dans des pays en développement, et le Nord qui a pourtant les capacités économiques pour accueillir les réfugiés ne le fait pas. Il y a une diffusion et une banalisation d’un discours d’extrême droite qui augmente la peur chez l’autre. En 2016, on parlait d’un million de réfugiés en Europe, une population que le continent peut tout à fait contenir.

Mais il y a eu une crise de la solidarité, plus qu’une crise migratoire. Le fait que chaque pays refuse de les accueillir renforce la méfiance des populations des autres pays. « Pourquoi personne ne veut des réfugiés ? C’est bien qu’il doit y avoir une raison. » Ce cercle vicieux créait un imaginaire du réfugié de peur et de suspicion, diffusé dans tous les pays du Nord. A force de ne pas accueillir de réfugiés, on s’en méfie. Etrangement, depuis 2016, il y a de moins en moins de réfugiés accueillis en Europe mais les Européens s’en méfient de plus en plus. Les Français, ou les pays du Nord, ne manquent pas d’empathie par nature, c’est simplement que les politiques ne sont pas adaptées. Si ces pays se mettaient à une politique d’accueil et d’ouverture, l’avis de la population changerait à ce sujet.