ISRAËL OU LA PRIMAUTÉ DU COLON ARMÉ


  Jacques Bude ( Professeur émérite de psychologie sociale de l’ULB. Mère et père assassinés à Auschwitz. « Enfant caché » sauvé au prix d »énormes risques et sans la moindre rétribution par des gens d’ici, chez nous en Belgique)

“Nous avons conquis des territoires, mais que ce soit dans le Néguev, en Galilée ou à Jérusalem, leur importance reste mineure tant qu’ils ne sont pas peuplés de colonies. La colonisation, voilà la véritable conquête.“
Ben Gourion (1949)[1]

LA CRÉATION DU COLON JUIF

Jusqu’à la création de l’État d’Israël, l’objectif des autorités sionistes de tous bords était la colonisation de peuplement de la Palestine[2], qu’elles concevaient comme étant exclusivement la “Terre d’Israël“ (Erètz Israël). Les organisations sionistes s’efforçaient principalement d’acquérir des terres afin d’y installer des colons – “pionniers“ (Chraloutsim) – dont le recrutement se faisait notamment par des mouvements de jeunesse situés non seulement à travers l’Europe mais aussi aux Amériques, en Afrique du nord, en Égypte, en Turquie, en Irak, en Iran, au Yémen, ….

Plusieurs mouvements de jeunesse dont l’obédience idéologique pouvait varier de l’extrême droite à l’extrême gauche, existaient dans de nombreux pays. Les différentes organisations sionistes qui les patronnaient, leur envoyaient des missionnaires – Shlichrim, envoyés – afin de convaincre les jeunes Juifs autochtones d’émigrer en Palestine, de faire leur “montée en Terre d’Israël“ (aliyah le Erètz Israël). Les recrues étaient envoyées dans des centres dénommés Harshara  (formation, entrainement), situés un peu partout dans le monde. Outre l’enseignement de l’hébreu moderne, ces centres dispensaient une formation agricole et militaire.

Au lendemain de la guerre 1939-1945, j’ai été exposé à plusieurs de ces missionnaires sionistes. Les méthodes qu’ils utilisaient afin de susciter l’enthousiasme pour la “montée en Terre d’Israël“ avaient tout du rituel bien rodé. Il consistait pour l’essentiel à chanter en hébreu des hymnes à la gloire de la colonisation de peuplement de la Palestine en dansant des rondes d’apparence folklorique à connotations agricoles, dites horas.

Chaque séance débutait invariablement par un chant où se répétait inlassablement “Nous vous avons amené la paix“. (événou chalom alèchem) et se clôturait invariablement par un chant intitulé Hatikva (l’espoir) qui deviendra l’hymne national israélien, “être un peuple libre dans notre Terre-pays[3], Terre de Sion, Jérusalem“. Le corps du rituel consistait en un répertoire relativement limité de chants au contenu très homogène. Souvent le même chant était repris plusieurs fois au cours d’une même session.

Pour illustrer le message des “envoyés“ de Palestine, je n’en tiendrai à 2 chants régulièrement utilisés qui me paraissent représentatifs du répertoire. Selon l’un, “Nous sommes montés en Terre-patrie (Artza alyinou); Nous avons labouré et semé; mais n’avons pas encore récolté“ et selon l’autre “De Metullah (la localité située le plus au nord de la Palestine mandataire) au Négev (qui en couvre le sud); De la mer (à l’Est) au désert (à l’Ouest); Tous les gars excellent aux armes[4]; Tous montent la garde“. On notera que “Terre d’Israël“ (Erètz Israël) réfère à l’entièreté de la Palestine mandataire, c’est à dire au Grand Israël dont la Guerre des 6 jours de juin 1967 établira les frontières.

Les missionnaires sionistes avaient la conviction de d’apporter l’espoir de la fin de l’exil dans un monde antisémite – galout[5] , d’un prochain “retour“ en Terre-patrie: d’où l’omniprésent “nous vous avons apporté la paix“. L’existence des Palestiniens qui à l’époque constituaient au moins 70% de la population de la Palestine mandataire, n’était jamais mentionnée, si ce n’est en creux par de fréquentes allusions au fait que les radieuses et pacifiques implantations agricoles sionistes étaient menacées de destruction et devaient être défendues.[6]

À l’époque, de manière générale dans nos pays et particulièrement suite au profond traumatisme moral provoqué par l’horreur des camps de concentration, des chambres à gaz et des fours crématoires, les Juifs étaient très loin d’être haïs et infiniment plus loin encore d’être menacés. Il était évident que les “envoyés“ sionistes n’avaient pas pour mission de “sauver les Juifs“ mais de recruter des “pionniers“ pour coloniser la Terre d’Israël. D’ailleurs, la nécessité d’offrir un refuge aux survivants du Génocide dont plus de 100000  croupissaient dans des camps de personnes déplacées en Allemagne et dont aucun pays ne voulait, ne faisait pas partie du message des missionnaires.

Pour illustrer les objectifs du mouvement sioniste jusqu’à la création de l’État d’Israël, je me bornerai à décrire brièvement un Kibboutz dénommé Tel Reïm – colline des compagnons en hébreu – créé en 1949 à la frontière de Gaza en un lieu précédemment dénommé Tel Djama – colline des compagnons en arabe -. Ce Kibboutz d’un collectivisme socialiste pur et dur, était constitué de trois groupes de jeunes “pionniers“: des Israéliens, des Marocains et des Belges. Les membres du premier groupe étaient des autochtones issus du Palmach (contraction de Plougoth Machat, bataillons de choc)[7], ceux des 2 autres étaient arrivés en Israël en 1950 et avaient bénéficié ensemble d’une longue préparation dans une centre de formation (Harchara formation, entraînement) situé en France. Le Kibboutz était une espèce de grande ferme collective fortifiée – qualifiée de Mèchek (ferme) comme tous les Kibbouts à l’époque – ceinturée d’une clôture de barbelés éclairée, pourvue d’un mirador doté d’un balayage lumineux et garnie de mines éclairantes qui explosaient au contact. Une garde armée était assurée de jour et de nuit sur le mirador et dans les champs environnants. Il s’agissait surtout d’éviter que des “infiltrés“ (michtanemim) ne viennent voler, notamment des tuyaux d’arrosage. Il allait évidemment de soi qu’ils devaient être abattus.

 

LA SÉCURISATION DU NOUVEL ÉTAT

La création de l’État d’Israël modifie profondément les objectifs des autorités sionistes. “Autrefois, écrit Ben Gourion, nous faisions venir les immigrants après des années de formation. Nous avions installé des fermes pionnières dans le monde entier et les pionniers y passaient des années à se préparer à la vie et au travail qui les attendaient ici, à apprendre la langue et connaître le pays avant leur arrivée. À présent nous ferons venir des Juifs sans préparation aucune […) parce que ni eux ni nous n’avons le temps.“[8]

Un afflux massif d’immigrés – Olim chradashim, “nouveaux montants“ – se produit dans le sillage de la création de l’État d’Israël. Quelque 560000 immigrants arrivent entre mai 1948 – date de création de l’État d’Israël – et fin mars 1951. Selon les chiffres fournis par Tom Segev: 271188 sont originaires d’Europe de l’Est; 164787, d’Asie; 77083, d’Afrique du Nord (Égypte comprise); 46617, d’Europe occidentale, d’Amérique et dans une moindre mesure de quelque autres pays, tels l’Afrique de Sud et l’Australie.[9] On notera que seuls un peu plus de la moitié de ces immigrants peuvent être considérés comme ayant survécu au Génocide et que seuls quelques milliers de ceux-ci – sans doute bien moins de 20000 – étaient des rescapés de camps de concentration ou de centres de mises à mort.

Ces Juifs émigraient en Israël pour diverses raisons. Une petite minorité d’entre eux étaient des sionistes de longue date. D’autres, bien plus nombreux, avaient adhéré au sionisme en réaction au Génocide ou sous l’effet d’une propagande sioniste très efficace, souvent sciemment mensongère[10] et même criminelle.[11] La plupart de ces immigrants auraient sans doute préféré émigrer ailleurs mais aucun autre pays n’en voulait.

En grande majorité, ces quelque 560000 immigrants ont été très mal accueillis. “Seuls quelques milliers … furent intégrés par les kibboutz existants et quelques centaines d’autres tout au plus créèrent leur propre kibboutz. L’ensemble des colonies rurales, coopératives ou communautaires, déjà établies ou récemment créées n’absorbèrent que 20% des immigrants“.[12] Quel que soit leur pays d’origine, la plupart des immigrés furent parqués dans des camps de transit (maabaroth, lieux de passage) où les conditions étaient épouvantables, puis dans des lieux d’où les Palestiniens venaient d’être expulsés, de préférence le long des nouvelles frontières et où les conditions de vie étaient périlleuses et extrêmement précaires.[13]

Selon la propagande israélienne, cet accueil déplorable s’explique par la nécessité vitale d’accueillir d’urgence les survivants du Génocide et les membres de communautés victimes d’un antisémitisme virulent. Or, la composition de cette immigration massive est loin de confirmer cette mythologie.

De l’ordre d’une moitié de ces quelque 560000 immigrants – 271000 – proviennent des pays d’Europe de l’Est ou des Balkans et peuvent être considérés comme des survivants du Génocide. Leur conditions d’existence dans ces pays était très peu enviable. Ils y étaient – généralement mais pas toujours[14] – victimes d’antisémitisme, de conditions vie pénibles et des rigueurs staliniennes, mais leur vie n’était pas menacée. D’ailleurs les autorités de ces pays s’opposaient ou étaient très réticentes au départ des Juifs et aucun de ces pays ne les expulsait.

Même si ces Juifs n’étaient pas en danger de mort et que la plupart d’entre eux auraient préféré émigrer ailleurs, on peut considérer qu’il y avait urgence à les accueillir en Israël puisqu’ils vivaient dans des conditions lamentables et qu’aucun autre pays n’en voulait. Ce qui est particulièrement vrai pour les quelques 120000 personnes qui avaient fui ces pays et qui croupissaient dans des camps de réfugiés en Allemagne où ils avaient rejoint les quelques milliers de survivants des camps de concentration ou d’extermination. Loin de ce que ressasse la propagande israélienne depuis des décennies, la vague d’immigration des années 1948-1951 – quelques 560000 personnes – comptait tout au plus 20000 personnes qui avaient effectivement connus les camps d’extermination lente ou immédiate.

Environ l’autre moitié des nouveaux immigrés – 244000 – qui venaient d’Asie pour les 2/3 et d’Afrique du Nord pour 1/3, ne peuvent être considérés comme des rescapés du Génocide. L’expulsion brutale des Palestiniens lors de la création de l’État d’Israël avait considérablement amplifié l’antisémitisme dans leur pays d’origine. Toutefois, la vie des Juifs n’y était pas menacée et la plupart ces pays s’opposaient à leur départ. Tous ces Juifs – loin s’en faut – ne désiraient pas spontanément quitter leur pays.[15] Par conséquent, il n’y avait pas urgence, du moins en ce qui concerne leur sécurité, à ce qu’ils puissent se réfugier en Israël.

Enfin, quelque 46000 de ces nouveaux immigrés venaient des pays d‘Europe occidentale et des Amériques ainsi que, concernant un très petit nombre, d’autres pays tels l’Afrique du Sud et l’Australie. C’est un euphémisme de dire que dans ces pays les Juifs n’étaient ni haïs ni menacés. D’ailleurs les survivants des camps d’extermination qui étaient originaires des pays d’Europe occidentale sont pratiquement tous rentrés dans leur pays et la grande majorité d’entre eux y sont restés ou ont émigré ailleurs qu’en Israël. Bien que les jeunes Juifs d‘Europe occidentale et des Amériques aient été tout particulièrement choyés par les missionnaires sionistes et que les autorités de leurs pays ne s’opposaient pas à leur départ, l’émigration vers Israël a été relativement très faible[16] et très souvent de courte durée. Il n’y avait manifestement pas la moindre urgence à trouver un refuge pour cette catégorie de Juifs.

Pourquoi dès lors un tel acharnement de la part des autorités israéliennes à faire venir un si grand nombre d’immigrés en si peu de temps en dépit de l’absence d’une infrastructure qui aurait permis de les accueillir décemment?

Les conclusions de Tom Segev concernant les objectifs de ces autorités sont on ne peut plus claires: “Si Ben Gourion décida d’absorber autant d’émigrants en 1949[17], ce n’est pas en vertu d’un quelconque désir de «sauver les Juifs». … Si Ben Gourion jugeait vital d’encourager l’immigration, c’était essentiellement dans l’intérêt de la sureté de l’État et de sa puissance militaire, et cet intérêt primait sur tout. … (Selon Ben Gourion,) «L’immigration renforce d’avantage notre sécurité que si nous avions conquis la Cisjordanie, le Golan et l’ensemble de la Galilée réunis.»[18] … «C’est en doublant, en triplant le nombre des immigrants que nous accroîtrons nos forces … C’est là, le plus important, l’essentiel.» … «Nous avons conquis des territoires, mais que ce soit dans le Néguev, en Galilée ou à Jérusalem, leur importance reste mineure tant qu’ils ne sont pas peuplés de colonies. La colonisation, voilà la véritable conquête.»“[19]

Ainsi contrairement à ce qu’affirme le mythe fondateur de l’État d’Israël relayé à saturation depuis des décennies par la propagande israélienne, la priorité du nouvel État n’était pas de “sauver les Juifs“, d‘être un havre de sécurité face à l’universel antisémitisme meurtrier mais de les utiliser afin de s’approprier et de sécuriser la plus large part possible de la Palestine mandataire. “Les habitants juifs de la frontière, écrit Idith Zertal, pour une bonne part des survivants de la Shoah venus s’installer dans un pays qui leur était encore étranger, (étaient en 1953) la population la plus faible et la plus délaissée d’Israël. … Ils avaient été envoyés, sans être consultés, dans ces villages frontaliers – qui étaient très souvent des villages récemment abandonnés et transformés en colonies pour les immigrants – pour devenir un rempart vivant pour le nouvel État.“[20]

La plupart des Juifs de la diaspora sont restés dans leur pays. Dès 1952, l’immigration en Israël tombe à 23000 personnes. Au grand étonnement des dirigeants sionistes, leur mouvement n’est pas parvenu à rallier à sa cause la vaste majorité des Juifs. Dès que cet échec fut évident, ces dirigeants se mirent à invoquer la menace d’un nouveau génocide.[21] Pourtant nulle part les Juifs ne courraient le moindre risque d’anéantissement. Plus de 60 ans plus tard, nous en sommes toujours là.

UNE SOCIÉTÉ MILITARISÉE

L’accueil réservé aux centaines de milliers d’immigrés des années 1948-1951 dont je faisais partie contre mon gré, révèle la nature profonde de la société israélienne. “À leur arrivée, les immigrants étaient exposés au mépris des vétérans qui les considéraient comme une masse de réfugiés sans plus de fierté ni de dignité. On les traitait communément de «déchets humains», Avak Adam en hébreu[22]. … Que ce soit les immigrants orientaux des pays arabes ou les nouveaux arrivants venus d’Europe, ils connurent tous le même sort.“[23]

Les Israéliens de souche – les vétérans sionistes et les natifs[24] – méprisaient profondément tous ces immigrants parce qu’à leurs yeux ils avaient accepté de vivre sans prendre les armes dans un exil – Be’gallout – où ils étaient haïs et menacés. Ils reprochaient aux Juifs d’origine européenne qu’ils traitaient volontiers de “savon“, de s’être « laissés égorger à genoux“, « laissés mener à l’abattoir comme des moutons“. Pour les Juifs d’origine nord-africaine, Égypte  comprise ou balkanique, Turquie comprise – Sfaradim, Espagnols en hébreu – et ceux d’origine asiatique – Misrahim, Orientaux en hébreu – s’ajoutait l’opprobre d’être considérés comme des primitifs, des sous-développés par les Israéliens de souche – en grande majorité des Ashkénazes d’origine européenne – qui relayaient les préjugés racistes occidentaux.[25] Tout qui prononçait un mot dans une autre langue que l’hébreu moderne – notamment en Yiddish – était agressivement rappelé à l’ordre sioniste, “Parle l’hébreu!“ (daber ivrit!). Un des indices les plus probants du profond mépris des nouveaux immigrés qu’ils soient orientaux, séfarades ou ashkénazes, a été l’incitation – dans le cas de l’armée, pratiquement l’obligation – à hébraïser leur nom.

Au niveau idéologique, il y avait donc d’une part ceux qui avaient la dignité d’avoir – par les armes – créé l’État d’Israël et assuré sa sécurité et d’autre part ceux qui avaient l’indignité d’avoir accepté de vivre – sans prendre les armes – sous une menaçante domination étrangère. En d’autres termes, le colon armé était la norme fondamentale pour l’individu et son corolaire social, la colonisation de peuplement militarisée, était la norme fondamentale de la société.

Une manifestation particulièrement révélatrice du fait que cette norme – la primauté du colon armé – fonde toujours la société israélienne, est la symbiose totale qui y existe au niveau des plus hautes autorités politiques et militaires.

David Ben Gourion a été, à la fois, le premier Premier Ministre et le premier Ministre de la Défense qui en hébreu se dit Ministre de la Sécurité. Juste avant et durant la guerre 1948-1949, Il dirige les forces armées juives, d’abord l’armée clandestine sous le mandat britannique – la Hagana (défense) – puis l’armée régulière israélienne – dite Armée de Défense d’Israël, généralement abrégé en Tsahal – dont il est le créateur.

Sous le ministère de Ben Gourion, deux futurs Premiers Ministres qui seront également à la fois Ministre de la Défense, ont été Directeur général du Ministère de la Défense. D’abord de 1952 à 1954 Levy Eshkol membre fondateur de la Hagana, puis de 1954 à 1958, Shimon Peres qui a été, avant et durant la guerre de 1948, le responsable officiel du recrutement en hommes et de l’approvisionnement en armement de l’armée clandestine puis de l’armée régulière.

Trois Généraux dont 2 Chefs d’État-major – Ariel Sharon, Yitzhak Rabin et Ehud Barak – seront également à la fois Premier Ministre et Ministre de la Défense.

On compte également parmi les Premiers Ministres, les Chefs des deux principaux groupes terroristes qui ont opéré avant et durant la guerre 1948-1949 – Menahem Begin, Chef de l’Irgun (de Irgun tsvaï lehoumi, Organisation militaire du Peuple) et Yitzhak Shamir, Chef du Lehi (Lohamei Herut Israel, Combattants pour la liberté d’Israël).[26]

Loin de ce que proclament l’idéologie sioniste et la propagande israélienne, le fondement de l’État d’Israël n’est pas de “sauver les Juifs“, d’être un refuge face à l’universel antisémitisme meurtrier mais l’ultranationalisme, la primauté absolue du service de la nation – le Grand Israël – sur tout le reste, y compris la vie et la sécurité des Juifs. En pleine terreur antisémite, “La veille des pogroms de la Nuit de Cristal (novembre 1938), Ben Gourion déclarait que la «conscience humaine» pourrait amener différents pays à ouvrir leurs portes aux Juifs réfugiés d’Allemagne. Il y voyait une menace et tira un signal d’alarme: «Le sionisme est en danger!»“.[27]

 

[1] Voir Tom Segev, Les premiers Israéliens, Calmann-Lévy, p.121.

[2] Comme dans le cas d’autres « nouvelles nations », tels les États-Unis, le Canada ou l’Australie, la création de l’État d’Israël s’inscrit dans la colonisation de peuplement. Ce dont attestent d’ailleurs les noms donnés aux premières institutions sionistes: la Jewish Colonization Association (ICA) qui devient la Palestine Jewish Colonization Association (PICA) après la première guerre mondiale ou la Palestine Land Development Company (PLDC), créée en 1908 au sein du mouvement sioniste. Voir Laurens, Hendry, « De Theodor Herzl à la naissance d’Israël », Manières de voir N°98, Le Monde diplomatique avril-mai 2008.

[3] En hébreu, “notre pays“ se dit artzénou littéralement, notre Terre ou bien haaretz, littéralement “la“ Terre.

[4] Littéralement, “chacun des gars est le bon pour l’arme“ (kol bachour hatov le nèchèk).

[5] “Le terme hébreu galout exprime la condition et les sentiments d’une nation déracinée de sa patrie et soumise à la domination étrangère. Le terme s’applique essentiellement à l’histoire et à la conscience historique du Peuple juif depuis la destruction du Second Temple jusqu’à la création de l’État d’Israël.“ Galut, in Encyclopedia Judaica. La destruction du Second Temple signifie la déportation et la captivité des Hébreux à Babylone (environ -600).

[6] “D’après le récit sioniste, 1’histoire commence toujours avec les attaques de maraudeurs arabes contre les colons juifs; il n’y est nullement question d’implantations juives dans un pays habité par les Arabes, ni d’aucune forme d’éviction ou de dépossession de la population autochtone. «Des gens tranquilles, cultivant la terre de leur patrie, sont soudainement attaqués par des bandits. Que devons-nous faire sur notre propre terre?» écrivait Ben Gourion (en 1920) ….“ Idith Zertal, La nation et la mort, éd. La Découverte, 2004, p.31. Sur base des chiffres fournis par Alain Gresh et Dominique Vidal (Les 100 clés du Proche-Orient, Fayard, 2011, p. 71), on estimer qu’en 1918 l’immigration sioniste – le nouveau yichouv – constituait moins de 6% de la population (environ 35000 sur 600000). Parmi les chants très régulièrement utilisés au cours des rituels, il y avait un hymne à la gloire de la résistance héroïque de Tel Haï (Coline de la vie), petite colonie agricole de Galilée détruite en 1920 par des habitants arabes de la région et où 6 pionniers armés avaient été tués. Parmi les morts se trouvait le leader de la colonie, un officier d’origine russe qui avait “une grande expérience militaire (…héros de la guerre russo-japonaise de 1905 dans laquelle il avait perdu un bras)“. Idith Zertal, La nation … p.21. Pour les divergences entre ce qui s’est effectivement passé et le traitement idéologique qui fait de cet événement un élément central du mythe fondateur de l’État d’Israël, voir Idith Zertal, La nation … p.16-36.

[7] Corps d’élite de la Hagana (défense, armée clandestine sous le mandat britannique) situé idéologiquement très à gauche dans la mouvance socialiste et qui a sans doute été le principal fer de lance du nettoyage éthique des Palestiniens en 1948.

[8] Cité par Tom Segev, Les premiers …, p.157.

[9] Tom Segev, Les premiers …, p.120.

[10] Afin d’éviter que les candidats à l’émigration n’aient vent des difficultés que connaissaient les immigrants à leur arrivée en Israël, les autorités israéliennes prirent la décision de censurer les lettres qu’ils envoyaient à leur famille. “«On m’a menti, écrivit un immigrant d’Afrique du Sud à sa mère. Je veux renter au plus vite. Je t’en prie, emprunte, vole, met en gage tout ce que tu possèdes, mais envoie-moi de l’argent, je ne tiendrai pas une semaine de plus (…) C’est un pays sans foi ni loi.» Sa mère ne reçu jamais cette lettre. Elle fut confisquée par le Mossad qui l’archiva dans ses dossiers, avec la mention «censurée».“  Tom Segev, Les premiers …, p.133. Pour d’autres illustrations de cette tromperie systématique, voir Ibid. p. 132-135.

[11] “Une cellule clandestine juive, dirigée par des agents secrets envoyés par Israël, posa des bombes dans des centres juifs, afin de semer la panique parmi les Juifs irakiens et de provoquer un exode massif vers Israël. Le 14 janvier 1951, un engin explosa dans la cour de la synagogue Mas’oudah Shemtov de Bagdad, alors que des centaines de fidèles s’y trouvaient rassemblés. L’attentat fit quatre morts dont un garçon de 12 ans, et une vingtaine de blessés.“ Ella Shohat, Le sionisme du point de vue de ses victimes juives, Les Juifs orientaux en Israël, Éd. La fabrique, 2006. P.64. Cette stratégie ultranationaliste – primauté absolue au service de la nation – que ses partisans qualifiaient eux-mêmes de “sionisme cruel“, a parfaitement réussit. Pratiquement tous les Juifs irakiens ont émigré en Israël alors qu’avant ces attentats ils avaient été extrêmement peu nombreux à le faire.

[12] Tom Segev, Les premiers …, p.157.

[13] Voir Tom Segev, Les premiers …, p.143-151.

[14] Notamment en Pologne où le sentiment de culpabilité lié au Génocide était très fort, il existait une réelle volonté d’intégrer les Juifs qui désiraient rester. La grande majorité des Juifs voulaient émigrer mais en minorité seulement vers Israël.

[15] Comme l’écrit le Chef du département de l’Immigration de l’Agence juive de l’époque, “En Libye, la situation est convenable. Nous risquons de voir tarir cette source d’immigration. … Même les Juifs qui ne souhaitent pas partir (de chez eux) doivent être amenés de force“. Tom Segev, Les premiers …, p.135.

[16] Selon un “envoyé“ d’Israël auprès des communautés juives des États-Unis, “Seule la détresse pourra conduire à des flots d’immigration massive. C’est la cruelle vérité, que nous le voulions ou non. Nous devons envisager de susciter ou de répandre cette détresse dans la Diaspora (…). Il faut en effet pousser les Juifs à quitter leur lieu de résidence.“. Tom Segev, Les premiers …, p.134.

[17] Tom Segev analyse particulièrement la provenance des immigrés arrivés en 1949. Sur un total de 239.141, 109000 venaient de l’Europe de l’Est et des Balkans dont 47000 de Pologne et 20000 de Bulgarie; 71000, d’Asie dont 26000 de Turquie et 35000 du Yémen; 39500, d’Afrique du Nord; 19000, d’Europe occidentale et d’Amérique. Tom Segev, Les premiers …, p.120.

[18] En juin 1967, ce sera chose faite – c’est à dire l’établissement du Grand Israël – et la colonisation de peuplement militarisée a aussitôt repris dans les territoires nouvellement occupés.

[19] Tom Segev, Les premiers …, p.121. Les citations sont extraites des instructions de Ben Gourion aux représentants israéliens à la Conférence de Lausanne (avril 1949).

[20] Idith Zertal, La nation … p.246-247. En 1949, l’orphelinat où je me trouvais en Belgique, à été “implanté“ à la frontière de Gaza dans des bâtiments palestiniens délabrés. Nous n’avions pas été consultés. J’ai essayé de rester en Belgique – où je suis né et où mes concitoyens m’avaient littéralement sauvé la vie au prix d’énormes risques – mais on ne m’a pas laissé le choix. Nos conditions de vie étaient plus que rudimentaires. Les armes – des fusils de guerre Mauser tchèques et de mitraillettes Sten israéliennes – étaient la seule chose dont nous étions largement pourvus. Nous n’avions reçu aucune formation. Je suis encore hanté par le fait qu’en jouant avec un Mauser j’ai été à 2 doigts de tuer un autre gosse de l’orphelinat.

[21] Tom Segev, Les premiers …, p.140.

[22] Littéralement poussière d’homme, au sens d’humain. En hébreu, l’être humain se dit ben adam, fils d’homme.

[23] Tom Segev, Les premiers …, p.141.

[24] Les natifs étaient surnommés sabra, figues de barbarie, sucrées à l’intérieur et urticantes en surface.

[25] Voir Ella Shohat, Le sionisme …, notamment p.41-50. En fait, les Juifs ashkénazes qui étaient jugés “traditionnels“ par les Israéliens de souche étaient également considérés comme des arriérés. Pour les Juifs sépharades et orientaux s’ajoutait l’idée qu’il s’agissait de sauvages, de non civilisés.

[26] Au moins 5 des 8 Premiers Ministres qui viennent d’être cités – Ariel Sharon, Yitzhak Rabin, Ehud Barak, Menahem Begin et Yitzhak Shamir – ont été directement impliqués dans des massacres de civils. Il y a eu en tout 12 Premiers Ministres différents.

[27] Tom Segev, Le septième …, p.38-39.

LA “CONFÉRENCE DE PAIX“ OCCULTE LA DESTRUCTION DE LA PALESTINE par Jacques Bude


“Mettre fin aux spéculations sur les mirages de la fin de l’occupation et les chimères quant à la création d’un État palestinien au moyen des négociations, alors que ces tentatives ont échoué de manière cinglante. … L’expérience de vingt années de négociations avec l’entité sioniste prouve que celle-ci, par sa composition, sa nature, son comportement raciste de colonisation et de haine et sa politique ne montre aucune disposition pour une paix véritable qui garantisse au minimum les droits nationaux de notre peuple. … La colonisation s’est poursuivie pendant ces vingt ans de négociations et vu sa proportion se multiplier par trois, voire par quatre. Tandis que la judaïsation de Jérusalem se propage inexorablement.“

Marwan Barghouti, mars 2012

À de rares exceptions près, les initiatives internationales visant à mettre fin au conflit entre Israéliens et Palestiniens considèrent que le dialogue de paix – négociations sans intervention extérieure – est le seul moyen d’atteindre cet objectif. Cette vision des choses est également largement répandue au niveau du sens commun.

Pourtant les « conférences de paix » entre Israéliens et Palestiniens – Madrid (1991), Oslo I (1993-1994), Oslo II (1995), Wye River (1998), Charm El-Cheikh (1999), Camp David (2000), Taba (2001), Charm El-Cheikh (2005), Jérusalem (2006), Annapolis (2007) – n’ont ni réalisé ni même contribué à la paix. Ces « dialogues de paix » n’ont ni interrompu, ni même ralenti la colonisation de peuplement et la confiscation des terres dans les territoires occupés en 1967. Ils n’ont pas empêché l’État d’Israël de poursuivre, voire d’accélérer l’installation d’Israéliens juifs dans les territoires occupés – aujourd’hui plus de 500000, soit un Israélien juif sur 10 -, l’implantation de colonies fortifiées, la confiscation et le nettoyage ethnique de terres palestiniennes.

Longtemps les appels à la négociation – au “dialogue de paix“ – entre Israéliens et Palestiniens se sont inscrits dans une rhétorique d’évacuation des territoires occupés en 1967 en échange de la paix. Dans le sillage des Accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne s’est totalement engagée dans cette perspective. Il n’en a manifestement pas été de même pour les autorités israéliennes. Avant et après Oslo, tous les gouvernements israéliens ont inscrits leur politique – à l’instar de la politique officiellement prônée par Yitzhak Shamir en 1991[1] – dans la perspective de la paix en échange de la paix, c’est-à-dire, de la fin des agressions israéliennes en échange de la fin de la résistance à l’occupation et à la colonisation.[2] Ce qui d’ailleurs est conforme à l’essence même de l’État d’Israël.

Intentionnellement ou non, toutes les « conférences de paix » ont été des promesses creuses qui ont entravé les Palestiniens, et un moyen d’amener les Israéliens et la communauté internationale à soutenir ou du moins à accepter la colonisation – confiscation des terres et nettoyage ethnique – des territoires occupés en 1967. Par exemple, “l’offre généreuse“ mise au point et utilisée de main de maître par E. Barak à la Conférence de Camp David (2000), a consisté à prétendre qu’afin d’arriver à un accord de paix, les autorités israéliennes avaient fait des offres extrêmement généreuses qui avaient été systématiquement rejetées par les Palestiniens.[3] Ce qui est censé prouver que les Palestiniens ne veulent pas la paix mais la destruction d’Israël et par conséquent que, confronté à l’absence d’un partenaire de paix, l’État d’Israël est obligé d’assurer sa sécurité, notamment par la construction d’un “Mur de sécurité“ et par l’implantation de colonies.[4]

L’effet sur l’opinion israélienne et internationale de ces prétendues “offres généreuses“ israéliennes, qui en fait n’ont jamais existé et qui auraient été confrontées à un rejet systématique de la part des Palestiniens, a été stupéfiant.[5] Pourtant les nombreuses et très graves infractions israéliennes aux Droits humains des Palestiniens – crimes de guerre et crimes contre l’humanité – ont été abondamment documentées par des organisations au-dessus de tout soupçon. Force est de constater que la crédulité devient incommensurable dès que l’on invoque de prétendues menaces à la sécurité d’Israël, pourtant de très loin la puissance militaire dominante de la région.

Depuis quelques années et de plus en plus souvent, les masques tombent du côté israélien. Des hautes autorités israéliennes ne font plus allusion à l’évacuation des territoires occupés, au démantèlement des colonies, ni même à la fin de la colonisation en échange de la paix. Par exemple, en réaction à l’attribution du statut d’État observateur à la Palestine par l’ONU le 29 novembre 2012, le Gouvernement israélien a publié le 2 décembre 2012 un communiqué officiel du Premier Ministre Benjamin Netanyahu où on peut lire: “Aujourd’hui nous construisons et nous continuerons à construire à Jérusalem et dans toutes les zones qui se trouvent sur la carte des intérêts stratégiques de l’État d’Israël“ “Il n’y aura pas d’État palestinien sans un dispositif qui garantisse la sécurité des citoyens israéliens. Il n’y aura pas d’État palestinien tant que l’État d’Israël ne sera pas reconnu comme l’État du Peuple juif. Il n’y aura pas d’État palestinien tant que les Palestiniens n’auront pas proclamé la fin du conflit“.[6] Donc le Gouvernement israélien proclame officiellement que les Palestiniens n’auront la paix qu’à condition de laisser les Israéliens coloniser en toute sécurité.

Bien qu’elle continue à évoquer l’échange de la paix contre l’évacuation des Territoires, il y a longtemps que l’Autorité palestinienne a été amenée à souscrire à la perspective de « la paix en échange la paix ».[7] Du fait de sa totale dépendance à l’égard des États-Unis, de l’Union européenne et de la bonne volonté douanière d’Israël et sans doute surtout afin de préserver les privilèges liés à la gestion de l’occupation, l’Autorité palestinienne réprime ou du moins endigue fermement toute opposition militante à l’occupation, en échange du pouvoir d’administrer sous stricte tutelle israélienne la mosaïque de “réserves“ telle qu’elle existe aujourd’hui. Toutefois, bien que l’État d’Israël – Territoires occupés inclus – soit déjà, à l’image des États-Unis, un État moderne avec ses réserves d’indigènes, les autorités israéliennes ne sont pas encore rassasiées. Il reste des terres à confisquer et à “nettoyer“.

Le fait que l’Autorité palestinienne ne porte pas les graves violations du droit international et humanitaire commises par les autorités israéliennes devant la Cour internationale de Justice de La Haye est à mon sens une manifestation probante de l’acceptation de “la paix en échange de la paix“ par l’Autorités palestinienne.

Au moment de la création de l’État d’Israël, la quasi totalité des Palestiniens vivaient en Palestine mandataire. Ils y étaient propriétaires de 93% du territoire. Aujourd’hui près des 2/3 des Palestiniens vivent à l’extérieur de leur pays d’origine.[8] Ceux qui y vivent – en Israël proprement dit et dans les territoires occupés en juin 1967 – constituent quelque 50% de la population[9], mais ne sont propriétaires que d’environ 11% du sol[10] et d’un pourcentage bien inférieur encore – moins de 5% – des terres cultivables. En Israël proprement dit, la grande majorité des Palestiniens – bien que de nationalité israélienne – vivent dans des lieux restreints, étroitement surveillés et très défavorisés par rapport à ceux où vivent les Israéliens juifs. Dans les Territoires occupés, la situation est bien plus sévère encore. Les Palestiniens y sont progressivement amenés à se cantonner dans des enclaves largement dépouillées de ressources, si ce n’est la charité internationale. Tant en Israël proprement dit que dans les territoires occupés, leurs droits humains sont bafoués, leurs institutions sont soumises à une tutelle draconienne, le harcèlement est omniprésent et la confiscation des terres – notamment dans le Néguev – s’intensifie.

Bref, nous assistons depuis plus de 65 ans à la destruction officielle et délibérée de la société palestinienne par les autorités de l’État d’Israël: colonisation de peuplement, contrôle total des institutions, confiscation des terres et nettoyage ethnique des zones confisquées.

Cette destruction – aujourd’hui largement réalisée – se poursuit et s’accélère derrière l’écran de l’actuelle Conférence de paix entre des autorités israéliennes bénéficiant d’une totale impunité et une Autorité palestinienne sous tutelle.

Hors l’application du droit international, s’en remettre à une négociation de paix entre une puissance militaire occupante et la communauté désarticulée qui est à sa merci, c’est s’en remettre à la raison du plus fort, celle de la puissance occupante; c’est entériner l’occupation, les déplacements de population, les spoliations de terres et de maisons, les punitions collectives, les violences de l’armée, des polices et des milices des colonies, la destruction des infrastructures éducatives, économiques, sanitaires, …; c’est être complice de la pacification de la communauté opprimée et de sa désarticulation; c’est avaliser les violations du droit international et des droits humains des Palestiniens: droits à se défendre, à résister à l’occupation, à la sécurité alimentaire, à l’assistance sanitaire, à l’éducation, à la propriété, à la libre circulation, …; c’est contribuer à assurer l’impunité aux autorités politiques et militaires de l’État d’Israël pour leur politique délibérée de destruction de la société palestinienne; c’est, en quelque sorte par défaut, être complice de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Il ne s’agit évidemment pas de mettre en question l’existence de l’État d’Israël, d’ailleurs reconnu dans ses frontières de 1949 par la Communauté internationale, l’OLP[11] et, implicitement, le Hamas[12]. Cela s’apparenterait à une incitation au crime contre l’humanité. Il s’agit d’appeler la Communauté internationale: à contraindre un État et ses autorités à respecter le droit international[13]; à se préoccuper non plus de la pacification d’une zone d’occupation militaire mais du respect des droits humains des victimes d’une occupation illégale et meurtrière, ce qui implique la fin de l’occupation.

Tant que l’État d’Israël ne respecte pas les droits humains des Palestiniens, y compris ceux de nationalité israélienne; tant que cet État et ses autorités violent gravement le droit international et humanitaire, toute personne – particulièrement tout responsable politique – doit appeler les instances politiques et judiciaires nationales et internationales à remplir leurs obligations de respecter et de faire respecter le droit. Ces instances doivent signifier aux autorités politiques et militaires israéliennes qu’enfreindre au Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un crime contre l’humanité et que ceux qui en sont responsables seront inculpés. Ces instances doivent exiger, sous peine de sanctions et d’inculpations: la fin de l’occupation, du nettoyage ethnique et des confiscations – notamment des terres et de l’eau – et le dédommagement des Palestiniens, notamment en vertu de leur “droit au retour“, entériné par l’ONU, y compris par l’État d’Israël.[14]

Ce n’est que dans le respect du droit international et humanitaire que le rétablissement d’une société palestinienne autonome et viable sera possible et que les soi-disant “dialogues de paix“ entre Israéliens et Palestiniens ne serviront plus uniquement à occulter la destruction de la société palestinienne et à assurer l’impunité de ceux qui en sont responsables.


[1] Devenu Premier Ministre, Yitzhak Shamir – ancien chef du Lehi, groupe terroriste, responsable de massacres, entre autres Deir Yassine en avril 1948, perpétrés pour faire fuir les Palestiniens – déclare dans son discours d’ouverture de la Conférence de Paix de Madrid (1991): « La nature du conflit n’est pas territoriale. … Nous prions pour que cette rencontre marque la fin de l’hostilité, de la violence, de la terreur et de la guerre; qu’elle apporte le dialogue, la réconciliation, la coexistence et – par-dessus tout – la paix. ». Voir Le Monde diplomatique, Cahier spécial sur le Proche-Orient, janvier 2006.

[2] On accorde souvent le bénéfice du doute au gouvernement dont I. Rabin était Premier Ministre et Ministre de la Défense. Or, “Quelques mois après la signature de l’Accord d’Oslo, Rabin déclarait «Il n’y a pas de dates sacrées», autrement dit qu’il ne se sentait pas obligé de respecter le calendrier qu’il avait lui-même signé.“ A. Kapeliouk, Le gouvernement israélien prisonnier de ses contradictions, Le Monde Diplomatique, juin 1995. En fait, entre la signature des Accords d’Oslo en Septembre 1993 et l’assassinat de Rabin en février 1995, le nombre de colons a fortement augmenté et les infrastructures de l’occupation se sont considérablement développées. “En 1993, on comptait environ 120000 colons en Cisjordanie; leur nombre augmente de 40000 sous les gouvernements travaillistes (celui de Rabin, puis celui de Pérès, juin 1993-mai 1996); de 30000 sous le gouvernement de droite de Benyamin Netanyahou (mai 1996-mai 1999).“ Alain Gresh, Pourquoi les accords d’Oslo ont-ils échoué? Blogs du Monde Diplomatique, 22 octobre 2007. Après le massacre de 29 Palestiniens en prière dans une mosquée de Hébron en février 1994, I. Rabin a refusé, contre l’avis de ses ministres, de s’en prendre aux colons. Voir Dominique Vidal, I. Rabin. « Faucon », puis « colombe », Manières … , p.50.

[3] Pour une analyse de la mise au point, de l’utilisation et des effets de cette technique de légitimation de la politique israélienne, voir Tanya Reinhart, Détruire … p. 59-64.

[4] Cette technique d’occultation de la destruction de la société palestinienne, a été systématiquement utilisée depuis lors. Ainsi en janvier 2009, B. H. Lévy affirme tenir de la bouche même du Premier Ministre de l’époque Ehoud Olmert, la teneur d’une proposition que celui-ci venait de faire à Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité palestinienne. “Je lui ai fait une offre. 94,5% de la Cisjordanie. Plus 4,5% sous forme d’échange de territoires. Plus un tunnel, sous son contrôle, reliant la Cisjordanie à Gaza et équivalant au 1% manquant. Et, quant à Jérusalem, une solution logique et simple: les quartiers arabes pour lui; les quartiers juifs pour nous; et les Lieux Saints sous administration conjointe saoudienne, jordanienne, israélienne, palestinienne, américaine. … L’offre est là. J’attends.“, Extrait de « Carnets de guerre », Le Journal du Dimanche du 18 janvier 2009. On notera que cette offre est censée avoir été formulée alors que la dévastation Plomb durci – quelque 1400 tués, 5000 blessés, 10.000 logements détruits ou sévèrement endommagés – était en cours et que la marionnette médiatique de propagande israélienne B. H. Lévy parcourait Gaza à l’intérieur d’un blindé des forces d’invasion israéliennes. Quand on parle d’occultation par l’appel au dialogue de paix … .

[5] En Israël, « Depuis 1993, les sondages avaient constamment montré une majorité autour de 60% en faveur de ‘la terre pour la paix’. Après Camp David et les ‘négociations’ qui ont suivi, le soutien aux concessions pour la paix est tombé dans les sondages à 30%. » Tanya Reinhart, Détruire … p. 63-64.

[6] “Today we are building and we will continue to build in Jerusalem and in all areas that are on the map of the strategic interests of the State of Israel.“ “There will be no Palestinian state without an arrangement in which the security of Israeli citizens will be ensured. There will be no Palestinian state until the State of Israel is recognized as the state of the Jewish people. There will be no Palestinian state until the Palestinians declare an end to the conflict.“    http://www.mfa.gov.il/MFA/Government/Communiques/2012/Cabinet-communique-2-December+2012.htm

[7] Le principe des Accords d’Oslo qui instaurent l’Autorité palestinienne, était l’évacuation des territoires occupés en juin 1967 en échange de la sécurité de l’État d’Israël. L’Autorité palestinienne s’est résolument engagée dans cette perspective en réprimant toute opposition militante à l’occupation – à l’époque, la première Intifada – afin d’assurer l’évacuation des territoires. Étant donné que les autorités israéliennes n’ont pas respecté leurs engagements, l’Autorité palestinienne s’est trouvée piégée. Paralysée par le mirage des “négociations de paix“, elle a été rapidement réduite à s’en tenir à gérer l’occupation.

[8] Fin 2008 – et la situation s’est encore considérablement dégradée depuis lors – on estimait à 10.600.000 le nombre de Palestiniens dans le monde. Au moins 7.100.000 d’entre eux – soit les 2/3 – étaient des personnes déplacées. 6.600.000 – soit 62% – s’étaient réfugiés à l’étranger et 427.000 étaient des déplacés de l’intérieur. Badil, Survey of Palestinian Refugees and Internally Displaced Persons, 2008-2009, p.56.

[9] Selon le Bureau central israélien de statistiques, il y avait en 2011 5.770.9OO Juifs et 1.559.100 Arabes en Israël. Selon le Recensement de la population 2007 de l’UNRWA, il y avait 3.767.126 Palestiniens dans les territoires occupés. Ce qui donne 52% de Juifs et 48% d’Arabes sur le territoire de l’ancienne Palestine mandataire. Le pourcentage de Juifs est probablement surestimé et celui des Arabes, sous-estimé. Apparemment, les statistiques israéliennes prennent en compte tous les Juifs de nationalité israélienne, y compris de double nationalité. Or, un grand nombre d’entre eux – sans doute des centaines de milliers – ne résident pas en Israël. D’autre part, étant donné que le recensement de l’UNRWA date de 2007, la croissance d’environ 3% par an de la population palestinienne des territoires occupés au cours des 5 dernières années, n’est pas prise en compte.

[10] En 1947, les membres de la Communauté juive étaient propriétaires d’environ 7% du territoire de la Palestine mandataire. Entre 1947 et 2009, les autorités israéliennes ont confisqué 82% de ce territoire. Ainsi, sur 89% du territoire de la Palestine mandataire, seuls des Juifs peuvent devenir propriétaires. Badil, Survey …, p.3.

[11] Implicitement en 1988, lorsque le Conseil national palestinien reconnaît les résolutions de l’ONU et explicitement, en 1996, lorsqu’il élimine de sa Charte tous les articles contestant le droit à l’existence de l’État d’Israël.

[12] En 2006, le Hamas signe le document d' »Entente nationale » qui reconnaît implicitement Israël dans ses frontières de 1967.

[13] Pour une revue rigoureuse des violations du droit international commises par l’État d’Israël et les autorités israéliennes, ainsi que des manquements de l’Union Européenne et de ses États membres à leur obligation de réagir à ces violations, voir Conclusions de la première session internationale du Tribunal Russel sur la Palestine, Barcelone, 1-3 mars 2010. http://www.russelltribunalonpalestine.com

[14] La résolution 194, adoptée le 11 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies, “Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables“. Cette résolution a été votée par la délégation israélienne.

Jacques Bude