«Le régime profite des atrocités de Daesh»


Il vient de Raqqa, le quartier général de l’Etat islamique, dans l’est syrien. Il gère avec quelques amis un réseau d’information sur sa ville. Rencontre avec un rebelle dont l’arme est la plume. 

Abdalaziz Alhamza a 24 ans, mais un passé déjà chargé. Il est originaire de Raqqa, le chef-lieu de la province syrienne la plus orientale, devenu célèbre depuis que l’Etat islamique (ou Daesh) en a fait sa capitale de facto. Le jeune homme a dû fuir la ville en 2014. De Turquie, il a créé avec quelques amis exilés un réseau, « Raqqa is being slaughtered silentely » (Raqqa est massacrée en silence), qui donne des nouvelles fraîches de la ville grâce à un réseau d’informateurs sur place. Désormais en Allemagne, nous l’avons rencontré lors de son passage à Bruxelles à l’occasion de la sortie d’un livre (1).

En 2011, Raqqa fut parmi les premières villes à lancer la contestation.

Oui, à l’époque, il n’existait aucune liberté de parole, la moindre parole déplacée pouvait mener en prison. Et les murs avaient des oreilles ! Le gouvernement contrôlait tout et tout le monde. Le mouvement est parti d’une ville du Sud, Deraa, où ils ont torturé des enfants qui avaient écrit des slogans sur des murs. Les manifestations ont fait boule de neige. On réclamait juste un peu de liberté. Je fus arrêté en mars pendant 40 jours et torturé. A la fin je leur aurais avoué n’importe quoi, c’est ce qui est arrivé à un ami qui a même confessé avoir tué Ben Laden pour arrêter la torture!

Il y a eu une amnistie qui a aussi bénéficié aux djihadistes que le régime détenait…

Ceux-là étaient dans des prisons spéciales ; ils ont été libérés dans le but évident de participer à la radicalisation de la contestation qui devenait une révolution. Des centaines, peut-être plus, d’extrémistes ont été remis en liberté : il fallait que le régime montre qu’il combattait des « terroristes ».

Mais Raqqa s’est d’abord libérée seule…

En mars 2013, des forces proches de l’Armée syrienne libre (ASL) ont réussi à chasser les forces du régime. Moi je n’ai pas voulu porter les armes, je suis devenu un «media activist», je filmais les combats. Ce fut une belle époque. Puis les djihadistes de Daesh ont commencé à arriver, pas nombreux d’abord, puis de plus en plus et les clashes ont débuté entre eux et nous. En janvier 2014, ils ont pris le dessus. Ils ont perquisitionné chez mes parents, à ma recherche. J’ai alors pris la décision de fuir en Turquie. Comme, avec quatre amis, nous continuions à prendre par internet des nouvelles quotidiennes de nos proches à Raqqa, nous avons décidé de fonder notre réseau, pour témoigner. Ainsi, nous avons documenté le « règne » de l’Etat islamique : les arrestations, les exécutions, l’interdiction du tabac et de l’alcool, l’obligation des prières quotidiennes et fermeture des commerces pendant celles-ci, l’obligation faite aux femmes de se couvrir le corps intégralement, l’imposition d’un système d’éducation qui lave le cerveau des enfants, etc.

Comment Daesh a-t-il réagi à votre campagne sur facebook, twitter et bientôt votre site web?

On a commencé en avril 2014. Deux ou trois semaines plus tard, un de leurs imams importants a expliqué un vendredi lors d’un prêche dans la plus grande mosquée que ceux qui collaboreraient avec nous seraient exécutés. En mai, un de nos amis, Ibrahim, s’est fait arrêter alors qu’il tentait de quitter la ville. Le contenu de son ordinateur et de son smartphone l’a trahi. Il avait 21 ans. Ils l’ont exécuté en place publique. Ils ont aussi assassiné le père d’un autre activiste. Mais, après nous être posé la question, nous avons continué. Nous avons réussi des « coups ». Nous avons révélé en septembre 2014 l’échec d’une opération américaine pour libérer un otage près de Raqqa. Nous avons donné les premiers la nouvelle de l’assassinat par le feu du pilote militaire jordanien en janvier dernier.

Avez-vous des nouvelles du père Paolo, ce jésuite devenu plus syrien qu’italien, qui a disparu en juillet 2013 alors qu’il était allé au QG de Daesh à Raqqa pour faire libérer des otages?

Oui. Je le connais, je suis d’ailleurs le dernier à l’avoir interviewé avant sa disparition. Une personnalité remarquable! Il s’était rendu deux fois au QG de Daesh, il voulait rencontrer Abou Baqr Al-Baghdadi, leur chef. La troisième fois, ils ne l’ont plus laissé partir. Nous savons qu’il est vivant, et qu’il n’a pas été torturé. Il est détenu quelque part dans la campagne près d’Alep. Je tiens ces informations d’un combattant de l’Etat islamique. J’ignore cependant ce qu’ils entendent faire de lui.

Le régime et ses alliés, comme la Russie, aiment présenter le conflit de manière binaire, il y a eux et les terroristes, cela vous fait quoi?

Je veux dire quelque chose d’important : si l’Etat islamique a pu s’installer en Syrie c’est parce que la communauté internationale s’est contentée de promesses envers la rébellion. Que le régime n’affronte que des djihadistes – ou des « terroristes » – n’est pas une vérité, c’est juste de la propagande, je passe mon temps à devoir expliquer cela. Mais les rebelles, l’ASL et autres, doivent se battre sur de multiples fronts, contre le régime, contre Daesh, contre Nosra (Al-Qaïda), et cela avec des moyens très faibles. La propagande du régime tire un parti énorme des images de massacres, de décapitations, envoyées par Daesh sur les réseaux sociaux. En outre, il est très significatif que le régime n’a jamais bombardé les centres de direction de Daesh, pourtant faciles à identifier à Raqqa, il se contente de bombarder de temps à autre la population et de faire des centaines de morts.

Et les Russes, qui s’y mettent aussi…

Les Russes, visiblement, se sont donné pour mission de détruire la rébellion (non djihadiste) puisqu’ils ne s’en prennent pas aux terroristes, nous le savons grâce à nos contacts sur place. Mais, en revanche, l’implication russe, qui ne leur fera pas gagner cette guerre, va galvaniser les djihadistes, et surtout leur composante tchétchène et caucasienne.

Vous comprenez l’exil des réfugiés?

Vous savez, ils croyaient que quelques mois plus tard, ils pourraient réintégrer leurs foyers. Ils ne pensaient qu’à cela. Puis, peu à peu, tout le monde a dû intégrer le fait que cela prenait du temps, que le combat serait long et incertain, que les conditions de vie dans les camps étaient précaires, que l’argent se faisait rare, que l’avenir des enfants devenait noir. L’obsession devenait la survie : avoir de quoi se nourrir, s’abriter, se chauffer en hiver, au jour le jour. Voilà pourquoi ils partent.

Vous gardez espoir?

Oui, mais nous avons besoin d’aide. Pas des camps d’entraînement comme les Américains s’échinent en vain à faire, non : de bonnes armes efficaces, des médicaments, de l’argent et une couverture aérienne sous la forme d’une zone d’interdiction aérienne. Malgré quoi, il faudrait encore plusieurs années pour arriver à vaincre le régime et Daesh.

Propos recueillis par Baudouin Loos

(1) Abdalaziz Elhamza fait partie des 14 écrivains réunis dans un livre publié par les éditions Ker, Le Peuple des lumières. Son témoignage est factuel, alors que les autres auteurs, belge, français, algérien, tunisien, marocain, iranien, ont produit des textes de fiction. Un outil de réflexion dont l’idée a germé dans l’esprit de l’éditeur après le drame de Charlie-Hebdo en janvier dernier.

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L’impasse syrienne


Sale temps pour la révolution syrienne. Rien ne va plus, ou presque. Des manifestations populaires contre le régime de 2011, il n’est plus guère question. Le stratagème de Bachar el-Assad, la communautarisation et la montée des haines, a fonctionné. Et comment ! Pourtant, rien n’est gagné, pour personne…

Qu’on se souvienne : dès avril 2011, le « raïs » s’était écrié que la Syrie faisait face à des terroristes djihadistes. Mais ceux-ci n’ont vraiment commencé à entrer en scène qu’en 2012. Notamment les centaines d’entre eux que le régime, curieusement, venait de… libérer. Sur le terrain, les rebelles, dont l’Armée syrienne libre, qui ne sont pas une armée mais une myriade de groupes hétéroclites sans commandement uni, ont quand même réussi à conquérir du terrain, dans les campagnes surtout, une moitié du pays au moins.

Mais en 2013, les choses sont allées de mal en pis. Les méthodes du régime – bombardements massifs de la population, arrestations, tortures, exécutions – ont rendu aiguë la problématique des réfugiés, qui sont environ sept millions (un tiers de la population syrienne !), dont plus de deux millions au Liban, en Turquie et en Jordanie, où ils vivent dans des conditions très précaires et passent un hiver actuellement dantesque.

On a pu croire que le déséquilibre des forces – et surtout le très létal monopole des airs du régime – allait être remis en cause par une intervention militaire, aérienne aussi, de la part des Américains et des Français, très remontés après des attaques chimiques le 21 août dernier dans des banlieues de Damas sous contrôle rebelles.

L’origine de ces attaques reste controversé, mais les menaces américaines ont tôt fait de convaincre Bachar et les siens de capituler sur ce point : en quelques semaines, l’affaire était entendue, les armes chimiques du régime vont être neutralisées, et tant pis pour l’orgueil de son chef, trop content de sauver sa peau et son aviation.

Barack Obama s’est donc résolu à annuler les frappes aériennes préparées. Au grand dam des Syriens sous les bombes et des rebelles. Ceux-ci se divisent désormais en de très nombreux camps : les débris de l’ASL (quand ils n’ont pas pris le chemin du grand banditisme), les nombreuses katiba (brigades) islamistes, les deux grands mouvements qui se réclament d’al-Qaïda (dont l’un, l’Etat islamique d’Irak et du Levant, multiplie les horreurs sans subir les foudres du régime) et enfin les Kurdes, qui consolident leur autonomie dans le nord-est du pays.

Alors, non seulement on reparle de diplomatie – une grande conférence devrait avoir lieu en Suisse en janvier – mais le pire, pour les rebelles, paraît acquis : la communauté internationale, face aux exactions hideuses des djihadistes, paraît même prête à réhabiliter Bachar, comme s’il représentait un moindre mal, lui qui n’hésite jamais – au grand jamais ! – à bombarder les hôpitaux, les boulangeries, enfin toute cible qui peut faire très mal à ces misérables qui ont osé défier l’autorité de son régime mafieux.

Personne ne semble capable de remporter une victoire définitive, même pas ce régime qui reçoit bien plus d’aide que le camp rebelle, lui qui dispose à loisir des armes russes, des conseillers iraniens, des miliciens chiites irakiens et des combattants du Hezbollah libanais.

Tout se passe comme si un conflit de longue durée, d’une âpreté inouïe, s’était engagé, dans lequel les acteurs régionaux, l’Iran, la Turquie, les pétromonarchies du Golfe sans parler des grandes puissances, sont impliqués à des degrés divers. Avec un perdant, déjà : le peuple syrien.

BAUDOUIN LOOS

LE SOIR – Samedi 28 décembre

Yasiin Bey (aka Mos Def) alimenté de force style Guantánamo Bay


Que nos lecteurs sensibles soient avertis : ces images peuvent choquer. A la veille du ramadan, le rappeur Mos Def a voulu mettre un coup de projecteur sur les grévistes de la faim dans la prison américaine de Guantanamo. Le rappeur américain, âgé de 39 ans, a participé dans ce but à une vidéo choc, dans laquelle plusieurs personnes essaient de le gaver de force, comme les détenus qui refusent de s’alimenter.

svp diffusez !

Egypte : Les Frères musulmans torturent…


Un papier de Delphine Minoui que le journal numérique du Soir.be publie cette après-midi en manchette.

Quand les Frères Musulmans donnent dans la torture

Correspondante au Caire, Delphine Minoui

D’une main déterminée, Mohammad El Garhi fait défiler, un à un, les clichés de la honte sur son téléphone portable. Visage ensanglanté, vêtements arrachés, regard sonné… Les portraits des victimes qu’il a photographiées dans la nuit du mercredi 5 au jeudi 6 décembre, après s’être infiltré dans ce qu’il décrit comme une « cellule de torture improvisée », parlent d’eux-mêmes. « Les Frères Musulmans auront beau nié avoir arrêté et malmené les protestataires, c’est bien la preuve en grandeur réelle de leur brutalité », souffle-t-il. Cette nuit-là, le jeune reporter d’Al Masry al Youm, un quotidien arabophone proche de l’opposition égyptienne, a été dépêché aux abords du Palais présidentiel. La veille, un premier rassemblement de protestataires, venus manifester contre une Constitution dont ils dénoncent la coloration religieuse et les atteintes aux libertés, s’était déroulé dans le calme, sous le regard d’ailleurs souvent complice des policiers. Le Président issu de la Confrérie s’est-il senti en danger pour s’en remettre, dès le lendemain, à la violence de ses supporters ?

Il est environ 16h lorsque ces derniers rallient les alentours de l’énorme bâtisse blanche, au cœur du quartier huppé d’Héliopolis, en tentant de chasser violemment les manifestants. La tente des anti-Morsi vacille. Les insultes fusent. Des protestataires sont molestés. Cherchant à se défendre, les moins chanceux se retrouvent rapidement sous une pluie de bâtons. Tirés de force par leurs bourreaux, ils échouent dans un lieu secret, attenant à l’une des entrées du Palais, face à la mosquée Omar Ibn Abdel Aziz. Emboîtant le pas d’un collègue de Misr 25, la télévision pro- Frères, le journaliste égyptien parvient à y accéder vers 19h30. « A l’intérieur, j’ai pu dénombrer 15 membres de la Confrérie. Ces gens ne portent pas d’uniforme, mais j’ai pu les reconnaître à leur façon de parler et à leur allure. Ils étaient barbus pour la plupart, et particulièrement musclés. Epaulés par les forces anti-émeute, ils avaient divisé l’espace en deux cellules : celle de la torture et celle des interrogatoires », raconte Mohammad. A chaque nouvelle arrivée, le même manège se reproduit : les victimes – des dizaines selon le journaliste – sont jetées au sol, ruées de coups, et leurs biens personnels – carte d’identité, argent, téléphone – confisqués. Les questions fusent : Qui vous a payé pour manifester ? A quel mouvement appartenez-vous ? Celui de Sabbahi, d’El Baradei (deux grandes figures de l’opposition) ou bien le PND (l’ex parti de Moubarak) ? Pendant ce temps, les interrogateurs filment les réponses à bout de téléphone portable. Quand une victime refuse de se prêter au jeu, les coups redoublent de plus belle. « Regardez cet homme. Il n’arrêtait pas de leur répéter : « Je connais de nombreux cheikhs, je suis un bon musulman ». Mais ses bourreaux ne voulaient rien entendre. Pour eux, c’était un agent de l’Occident ! », poursuit Mohammad El-Garhi, en s’arrêtant sur une des photos. Avant d’ajouter, penaud : « Je n’en croyais pas mes yeux et mes oreilles : comment les Frères Musulmans, des victimes de l’ancien régime, pouvaient-ils s’être transformées si rapidement en bourreaux ? Et dire que j’ai voté pour Morsi. Aujourd’hui, je le regrette profondément…».

Détail encore plus troublant : dans son discours offensif, prononcé en direct à la télévision, dès le lendemain soir, le chef d’Etat islamique a fait référence aux « aveux » des « bandits » arrêtés pendant les troubles – une déclaration qui laisse entendre que les autorités étaient au courant de ces « cellules de torture ». « Au lieu de condamner ces détentions illégales et les abus commis à l’entrée du Palais, le président Morsi s’est insurgé contre ces victimes », déplore Joe Stork, de Human Rights Watch. Pire : cette nuit-là, les échanges de tirs et de coktails molotov entre pro et anti-Morsi ont fait, selon le Ministère de la Santé, au moins dix morts et plus de 700 blessés. Mais alors que l’affiliation politique des défunts – dont un copte – demeure incertaine, les Frères Musulmans ont eu vite fait d’en faire des islamistes de leur clan et de les ériger en « martyrs ».

« Je ne reconnais plus mon pays », se lamente Yehya Negm. Le visage parsemé d’égratignures et boursouflé par les coups, cet ancien diplomate de 42 ans est un miraculé. Ce fameux mercredi 5 décembre, il a vu la mort de près après avoir été roué de coups, en pleine foule, par les anti-Morsi. « Quand j’ai rejoint le cortège des protestataires, vers 16h, l’ambiance était calme et bon enfant. Quelques heures plus tard, ça a commencé à dégénérer quand les partisans du président sont arrivés. A 22h, mon groupe a été pris à partie. Ils étaient des dizaines, des centaines à me frapper au ventre, à la tête. Quand je me suis effondré au sol, ils ont commencé à m’écraser le crâne sous leurs bottes, avant de me traîner par terre sur une centaine de mètres. Une ambulance est passée par là, mais ils ont refusé de laisser son équipe me soigner. C’est à cet instant là que j’ai tourné de l’œil », raconte-t-il. Quand il reprend conscient, un peu plus tard, il réalise qu’on l’a enchaîné avec des ficelles en plastic à l’une des portes du Palais. Il n’est pas seul : une petite cinquantaine de personnes ont échoué comme lui, dans cet espace encerclé par des pro-Morsi en furie. « Ils me traitaient d’infidèle, de traite. Dans mon portefeuille, qu’ils avaient saisi, ils ont trouvé des dollars : la « preuve », pour eux, que j’étais un « espion de l’Occident». Quand je les ai suppliés de me rendre mon cellulaire, qu’ils avaient aussi confisqué, pour appeler ma famille, ils m’ont répondu : Oublie la ! ». La nuit sera longue et douloureuse. Ce n’est que le lendemain, aux alentours de 15h, qu’il retrouve enfin les siens, après que les pro-Morsi, sommés comme leurs adversaires d’évacuer les lieux sur ordre de l’armée, le transfère au poste de police. Aujourd’hui, Yahya se remet à peine de ses blessures « autant physiques que psychologiques », dit-il. Lui qui avait longtemps hésité à boycotter la Constitution a désormais bien l’intention de se rendre aux urnes ce samedi. « Je voterai « non », c’est décidé. Comment laisser passer une Constitution rédigée dans le sang ? », s’emporte-t-il.
DELPHINE MINOUI

HISTOIRE DE LA REVOLUTION SYRIENNE


Par Bernard le vendredi, septembre 28 2012, 21:15

 

http://www.alencontre.org/laune/syrie-une-revolution-populaire.html

Une révolution populaire

Jeudi 27 Septembre 2012

Par le Mouvement Pour le Socialisme de Suisse

La révolte populaire contre le pouvoir dictatorial du clan Assad en Syrie s’inscrit dans la foulée des soulèvements populaires contre les autocrates Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte. Une date et un fait le rappellent. Ils sont oubliés. Le 31 janvier 2011, six jeunes femmes et hommes ont appelé, sur Facebook, à un rassemblement à Damas de solidarité avec le peuple égyptien. Leurs banderoles demandaient que l’armée ne tire pas sur les manifestants de la place Tahrir. Elles lançaient aussi un cri: «Oui à la liberté!» Quelque cent personnes se réunirent devant l’ambassade d’Egypte à Damas. Une équipe de TV russe a filmé cette manifestation. Quelle a été la réaction du pouvoir de Bachar el-Assad ? Arrêter, maltraiter, torturer les organisateurs et le maximum de manifestants!

La dictature syrienne avait parfaitement compris que la contestation du pouvoir de Moubarak pouvait susciter le même élan en Syrie. Un des organisateurs de cette manifestation, après son arrestation, a pu entrer dans la clandestinité et sortir du pays. Dans un entretien avec Sue Lloyd Roberts de la BBC (17 août 2012), il déclare: «Les Tunisiens s’étaient déjà libérés. Les Egyptiens étaient sur la voie de se libérer. Nous pensions que c’était aussi notre tour d’être libres.» Il rappelle que ses amis étaient sunnites, chrétiens et Kurdes ainsi que Druzes. Il ajoute que le régime a toujours stimulé les conflits interconfessionnels ou ethniques pour mieux assurer son pouvoir, pour coopter une base et distiller des divisions. Ce à quoi le type de guerre menée par le pouvoir peut, partiellement, aboutir.

En février 2011, trois manifestations pacifiques eurent lieu à Damas. Un jeune blogueur est condamné à cinq ans de prison au nom de «liens avec la CIA»! Or, le 6 février 2011, encore, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan saluait les excellentes relations économiques et la collaboration entre les deux régimes ; ce qu’avaient fait les gouvernements français ou anglais. Bachar al Assad ne dérangeait pas, au contraire, les puissances impérialistes et Israël.

Le clan Assad ne s’était-il pas engagé, dès 1991, dans la coalition américano-saoudienne pour mener leur guerre du pétrole en Irak contre la dictature de Saddam Hussein ? Le 26 mars 2011, le secrétaire de l’ONU, Ban Ki-moon, demandait à Assad plus de «retenue» dans le «maintien de l’ordre». L’hypocrisie institutionnelle des «délégations d’observateurs» de la Ligue arabe, puis de l’ONU, traduit la volonté des puissances dominantes de trouver une solution de changement dans la continuité. Comme a tenté de le faire, le 22 septembre 2012, la réunion à Damas (autorisée par le gouvernement!) d’une opposition voulant négocier le départ d’Assad combiné avec le maintien de l’essentiel des structures du régime, comme au Yémen. De quoi cultiver les illusions et laisser faire Assad.

article complet ici

Réfugiés syriens: après l’horreur, comment se reconstruire?


 

Par Clothilde Mraffko, publié le 01/10/2012 à 16:56, mis à jour à 17:19

 

En Syrie, la brutale répression du régime de Damas a transformé la révolution en bain de sang. Pour les réfugiés qui ont pu fuir à l’étranger, la violence ne cesse jamais. L’Express a rencontré des médecins qui viennent en aide aux victimes de violences.

Réfugiés syriens: après l'horreur, comment se reconstruire?
SYRIE – Les camps installés aux frontières du pays, comme à Mafraq en Jordanie, accueillent les réfugiés. Outre l’épreuve de la vie entassés dans des tentes exposées à la poussière, sans eau courante, ni électricité, il faut essayer de se reconstruire après avoir vécu dans la peur.

Reuters/Ali Jarekji

 

Le périple peut durer des semaines. Sans provisions d’eau ni de nourriture, les civils syriens qui fuient la répression n’ont pour seul bagage que la peur. Ils voyagent de nuit, feux éteints afin de ne pas se faire repérer par les milices du régime de Bachar el-Assad. Aujourd’hui, ceux qui parviennent à s’extraire du chaos syrien s’échouent à la frontière libanaise, turque ou jordanienne. La plupart sont des femmes et des enfants qui ont laissé leur mari, leur père ou leur frère dans l’horreur des combats. Ils ont été témoins d’exactions, ils ont vu les bombardements et le déchaînement de violence. Parfois, ils en ont été eux-mêmes les victimes.

Après la fuite, arrivés à l’étranger, il leur faut survivre dans des camps dispersés, entassés dans des tentes surchauffées et exposées à la poussière, sans eau courante, ni électricité. Surtout, les fantômes du passé rôdent. « Les réfugiés syriens souffrent de la perte, explique le docteur Mohammed, psychologue de Médecins sans Frontières, basé au Liban. Ils ont perdu des êtres proches, ils sont en deuil. Mais ils ont aussi perdu le cadre de leur ancienne vie: un Etat qui devait les protéger et une société qui les entourait. Ils n’ont plus rien, même au niveau matériel. Et ils ont subi ces séparations de manière brutale, douloureuse ».

Une douleur qui reste

Certaines souffrances mettront des mois avant d’être exprimées. « D’autres resteront tues, précise Béatrice Patsalides-Hofmann, psychologue au centre Primo Levi, une association qui prodigue des soins et un soutien aux personnes victimes de torture et de violences politiques. Ce choix de ce qui est dit ou non permettra à la personne de se reconstruire un espace de pensée ». Des victimes choisissent de parler, « afin de cadrer leur souffrance pour qu’elle ne puisse pas tout engloutir », précise le docteur Mohammed. Les autres, en revanche, se murent dans un silence profond. « Beaucoup de gens ne viennent pas consulter un psychologue dans les camps, explique Gilles Potier, directeur des opérations internationales à Médecins du Monde. Ils pensent: ‘A quoi bon parler? Qu’est-ce que je peux faire? Qu’est-ce qu’ils peuvent faire?’ « . La douleur non dite finit toujours par s’exprimer, autrement, que ce soit à travers la violence ou par des symptômes physiques.

Des semaines durant, les victimes revivent très précisément les moments traumatiques. « C’est assez frappant, relate Agnès Afnaïm, médecin généraliste au centre Primo Levi. Le temps d’une consultation, la présence s’éclipse dans le regard. Le sujet n’est plus là, il ne fait plus la distinction entre son souvenir et le présent. Un moment d’inattention, un détail qui se rappelle à sa mémoire et la pensée prend le dessus sur la réalité ». Certains troubles rongent la mémoire: les victimes oublient de finir de s’habiller ou ne savent plus combien elles ont de frères et soeurs.

Vivre avec la peur

« J’avais perdu la notion du temps, raconte Nidal, opposant syrien aujourd’hui réfugié en France. En sortant de prison, je n’arrivais plus à parler avec les gens, à leur donner des rendez-vous. Dans ma cellule, je ne gérais plus mon temps et en sortant, j’ai mis longtemps à utiliser une montre ». Lors de leur détention, les victimes vivent au rythme de leur peur. A tout moment, elles peuvent être extirpées de leur cellule pour être exécutées. A leur libération, l’angoisse de se faire arrêter à nouveau les empêche de s’abandonner à un sentiment de sûreté. « Je me souviens d’un homme, raconte Béatrice Patsalides-Hofmann. Il avait été torturé, et il sursautait lorsqu’il percevait des bruits qui nous paraissent, à nous, anodins. Une sirène de police résonnait, au loin, dans la rue et il était terrifié. Il avait passé des mois en prison, attentif au moindre bruit qui lui signalerait un danger imminent. Il revivait ces moments d’angoisse à chaque porte qui claquait ».

 

 

Lors du séjour en prison, des mécanismes inconscients se mettent en place pour protéger la victime de la douleur. Mais ils perdurent bien après la libération et empêchent le contact entre le corps et l’esprit: « Pendant deux mois, poursuit Nidal, je n’avais plus de sentiments. Je n’étais ni content, ni insatisfait, je ne savais pas. Je regardais les gens autour de moi et je n’étais pas présent avec eux. J’étais spectateur de ma situation. J’entendais de la musique mais je ne l’écoutais pas. Ce n’est qu’après deux mois que j’ai commencé à ressentir. J’ai eu envie de quelque chose à nouveau, envie de boire un café ou de manger. J’éprouvais de nouveau des besoins ».

Quarante ans de torture en Syrie

Mais qu’en est-il alors, à l’échelle de toute une nation? « Le cas de la Syrie est préoccupant, souligne Béatrice Patsalides-Hofmann. C’est un conflit qui dure depuis un an et demi maintenant. Et il n’est que la répétition de la même situation : cela fait quarante ans qu’on torture en Syrie. Le monde est au courant, par les médias, les témoignages… mais ne fait rien. Ce cynisme inouï accentue la souffrance des victimes ». L’espoir fluctue au gré des nouvelles du front. « Il y a encore six mois, les gens pensaient revenir rapidement en Syrie, reconstruire le pays, raconte le docteur Mohammed. Mais aujourd’hui, les réfugiés se disent: ‘Ca prend tellement de temps, va-t-on vraiment revenir? Et si on revient, que va-t-on faire?’  ».

 

 

Les illusions d’une guérison rapide se perdent. Certains se demandent comment endurer l’insoutenable. « Tous les jours, un de nos proches meurt, confiait, il y a peu, un opposant à Nidal. Et on ne répond pas. Ils nous frappent et nous torturent, et on n’ose même pas leur lancer des pierres. On manifeste avec une rose à la main, et on nous anéantit. C’est à devenir fou ».

Tous savent que demain ne sera jamais plus comme hier, et que ces mois de violence laisseront une trace indélébile. « On ne guérit pas de la torture, précise Béatrice Patsalides-Hofmann. Mais on peut apprendre à vivre avec les traumatismes ». Et si la guerre s’arrête, la nécessité de la reconstruction prendra alors peut-être le dessus sur les blessures profondes de la Syrie.

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