Entretien avec Mahmoud Darwich


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Dans la mémoire de l’Obs
«Je suis malade d’espoir», par Mahmoud Darwich
Par Nouvel Obs

A l’occasion de la publication de «Ne t’excuse pas», un recueil de poèmes, Mahmoud Darwich avait accordé un long entretien au «Nouvel Observateur», qui fut publié dans les pages Débats du numéro 2154 (16 février 2006). Le grand poète, de retour en Palestine, y parle de la folie des intégrismes, des armes de la littérature et de la paix
Intégrismes

Surtout au Moyen-Orient, surtout en Palestine, le poète doit être celui qui doute dans un monde chauffé à blanc de certitudes religieuses. Un vent de folie collective souffle sur ma région, l’affaire des caricatures en est un exemple désespérant.
On assiste à la lutte entre deux intégrismes, deux fondamentalismes rivaux, l’un américain, l’autre islamiste. En tant que poète, suis-je condamné à m’exiler dans une petite chambre pour tenter, plume à la main, d’humaniser le monde?
La poésie est par définition ouverture et affirmation de la diversité des identités. Elle est la voix qui rassemble les êtres humains. Mais aujourd’hui les communautés ne sont agitées que par des passions absurdes et irrationnelles. J’ai peur que la trop fameuse «guerre des civilisations» ne soit bien en train d’avoir lieu. Mais ses protagonistes en sont les intégristes de chaque camp.
L’hégémonie américaine sur le monde, dans sa forme fondamentaliste, entraîne les pauvres et les dominés dans une opposition violente et aveugle, comme si la recherche d’une certaine justice – il n’y a pas de justice absolue – n’avait aujourd’hui plus de sens.
C’est la défaite générale de l’intelligence, le triomphe de la bêtise outrancière, l’adieu à la raison. Oui, la folie est générale. Le discours de haine est beaucoup plus facile à proférer parce qu’il ne flatte que les instincts. Les opprimés en arrivent à croire qu’ils ne s’en sortiront qu’en s’abandonnant à l’hystérie.

La haine est une maladie qui se nourrit de l’obsession de l’ennemi. Le rôle de la poésie, disait Char, est aussi de transformer son ennemi en adversaire. Aujourd’hui, on ne cherche, on ne relève dans l’autre camp que les outrances, les caricatures de l’autre. Dans ce monde bipolaire, il n’y a plus de place pour la paix.
Quand un dirigeant islamiste de troisième ordre profère des menaces, elles sont immédiatement relayées par la Maison-Blanche. Comme si Bush et Ben Laden entretenaient un étrange dialogue à distance et se considéraient comme les seuls interlocuteurs valables. Avec le même discours : celui qui n’est pas avec nous est contre nous.

Empreintes

Dans mes poèmes, et en particulier dans mon dernier recueil, «Ne t’excuse pas», je décris un dialogue, parfois rude, entre mes différents moi. Un Palestinien digne de ce nom doit s’enrichir de toutes les cultures qui l’ont fabriqué – les cultures mésopotamienne, grecque, persane, ottomane, juive, chrétienne et musulmane. Seules les identités multiples sont belles. C’est une chance d’appartenir à un pays irrigué par des cultures très anciennes, qui toutes ont laissé des empreintes. Elles étaient souvent celles de l’occupant, mais aujourd’hui elles sont devenues miennes.

Si je combats le sionisme en tant qu’idéologie et réalité politiques, c’est qu’il est pour moi un exclusivisme. Je ne veux ni ne peux y répondre par un autre exclusivisme arabe, mais par le partage de la diversité. Je suis sûr – contrairement à ce qu’on dit – qu’entre les Juifs et les Palestiniens il n’y a pas d’insurmontables difficultés. Les vrais musulmans savent que l’islam est le prolongement du judaïsme et du christianisme. Nous nous abreuvons tous à la même source.

Si la guerre actuelle prend une forme religieuse si détestable, les raisons en sont avant tout politiques et découlent de la longue occupation de la Palestine et du cours chaotique de l’Histoire. Quelques fanatiques musulmans me reprochent d’évoquer parfois Jésus dans mes poèmes parce qu’ils refusent névrotiquement la proximité des religions de la région.
Je ne suis pas croyant, et ma relation à la Bible n’est pas religieuse. Elle est littéraire. Ceux qui me détestent ici disent que mes références à la Bible sont une trahison et une complaisance vis-à-vis de l’autre, l’ennemi. C’est fou. Mais il est difficile, c’est vrai, d’imaginer que celui qui est encerclé, bombardé, emmuré en Palestine puisse goûter aux beautés du Cantique des Cantiques.
Exils

En 1981, en exil à Beyrouth, j’ai créé la revue «Al-Karmel», à la fois ouverte sur la littérature et la poésie palestiniennes et les littératures du monde. On m’a bien sûr reproché de ne pas uniquement célébrer la littérature de mon peuple. Chaque fois, je réponds que toute littérature qui défend une cause noble et juste tout en renouvelant la forme enrichit la littérature palestinienne.

La Palestine a pour moi un sens beaucoup plus large que les Palestiniens veulent bien lui accorder: un sens universel. Aujourd’hui, la revue est installée à Ramallah et à Amman. Nous nous intéressons de plus en plus à ce qui se passe sur le plan culturel et intellectuel en Israël. Débattre avec l’autre, le connaître, c’est la ligne de la revue.

J’ai consacré quelques poèmes à des villes de mon exil: Beyrouth, Damas, Tunis. Le thème central de ce recueil, c’est le retour au pays, en Palestine. Je médite sur deux notions: le chemin et la maison. Avant mon retour, je pensais que la maison était plus belle, plus désirable que le chemin. Aujourd’hui, je trouve que le chemin est plus beau que la maison. Dans ce voyage de l’exil, j’ai salué les villes qui m’ont accueilli et m’ont marqué.

Renaissance

Depuis que j’ai échappé à la mort en 1998 à la suite d’une opération du coeur, je sens que je rajeunis: je suis né une deuxième fois. Auparavant, j’étais obsédé dans mes poèmes par la mort. J’avais oublié de célébrer la vie et la beauté. Le paradoxe aujourd’hui, c’est que j’écris sur la beauté dans un pays où elle a été mutilée, saccagée, et où l’on vit en deçà de la vie. Je tente de compenser ce manque par la beauté que je chante dans mes poèmes. Comme un poète qui recommencerait de zéro, je m’attache à décrire la forme d’un nuage ou d’un cyprès, la fleur d’un amandier. Je me suis placé sous la protection des maîtres de la poésie arabe, mais uniquement des maîtres joyeux. Oui, j’écris en état de joie. Pas pour survivre, simplement pour vivre. Les lecteurs palestiniens qui vivent dans des conditions dramatiques ont accueilli magnifiquement ces poèmes. Lors d’une soirée de lecture à Ramallah, ils ne me réclamaient que des poèmes d’amour. Des femmes se sont mises à danser. Tous voulaient dire que l’occupation n’a pas écrasé leur humanité.

La poésie en Palestine est un combat pour «désoccuper» la langue. On me reproche parfois de ne plus être un poète de la résistance, un militant. Mais la vraie défaite serait que notre langue même soit vaincue par l’occupation.

L’occupant s’attend à ce que nous ne parlions que de notre souffrance. Etre palestinien, ce n’est pas une profession, c’est aussi affirmer qu’un être humain, même dans le malheur, peut aimer l’aube et les amandiers en fleur. Ecrire un poème d’amour sous l’occupation est une forme de résistance. Le rôle de la poésie, c’est aussi de rendre les choses obscures pour qu’elles donnent de la lumière. Elle rend l’invisible visible et le visible invisible. La poésie est l’art du clair-obscur. Une lumière trop crue, trop violente efface tout.

L’espoir est la maladie incurable des Palestiniens. Notre fardeau. Je refuse l’esprit de défaite et m’accroche à l’espoir fou que la vie, l’histoire, la justice ont encore un sens. J’ai choisi d’être malade d’espoir. La poésie est fragile. C’est ce qui en fait sa puissance. Si elle tentait d’affronter les tanks, elle serait écrasée. La poésie a la fragilité de l’herbe. L’herbe paraît si vulnérable, mais il suffit d’un peu d’eau et d’un rayon de soleil pour qu’elle repousse.

Propos recueillis par Gilles Anquetil

Mahmoud Darwich nous a quittés


Repris de al Oufok

« Mort, je t’ai vaincue »

samedi 9 août 2008.

Mahmoud Darwich, considéré comme l’un des des plus grands poètes du monde arabe, qui souffrait de maladie cardiaque, est décédé samedi aux Etats-Unis dans un hôpital où il avait subi une intervention chirurgicale.

« M. Darwich est décédé à 13H35 locales (18H35 GMT) », a indiqué sans autre précision à l’AFP Ann Brimberry, porte-parole du Memorial Hermann-Texas Medical Center à Houston où il était traité.
Mahmoud Darwich se trouvait dans un état critique à la suite d’une intervention chirurgicale, avait dit plus tôt un autre responsable de cet établissement.

Selon des proches du célèbre poète palestinien, ce dernier avait subi une opération à coeur ouvert mercredi dans ce même hôpital et se trouvait sous assistance respiratoire suite à des complications.
Le poète avait déjà subi deux opérations du coeur en 1984 et 1998. Après sa seconde opération, il avait écrit un poème intitulé : « Mort, je t’ai vaincue ».

Considéré comme l’un des principaux poètes arabes de sa génération, Mahmoud Darwich est né en 1941 à Al-Birweh, en Galilée, alors en Palestine sous mandat britannique et aujourd’hui dans l’Etat d’Israël.

Lors de la guerre israélo-arabe de 1948, ce village est rasé et ses habitants sont forcés à l’exil.
La famille Darwich s’enfuit au Liban, où elle restera un an, avant de rentrer clandestinement en Israël où elle s’installe dans la localité de Deir Al-Assada, avec un statut précaire.

Après ses études (en arabe et hébreu) dans des école arabes israéliennes, Darwich s’installe à Haïfa, le grand port du nord d’Israël, où vit une importante communauté arabe.

Début des années 1970, il choisit l’exil. Il part pour Moscou étudier l’économie politique puis se rend au Caire en 1971.
A Beyrouth, en 1973, il travaille comme rédacteur en chef au Centre de recherche palestinien de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) rejoignant l’organisation alors en guerre avec Israël.

Après la guerre israélienne au Liban durant l’été 1982, qui a forcé la direction de l’OLP à trouver refuge à Tunis, Darwich reprend la route de l’exil : Le Caire, Tunis puis Paris.

En 1993, il démissionne de l’OLP pour protester contre les accords d’Oslo, estimant qu’ils n’apporteront pas une « paix juste » pour les Palestiniens.

Le poète se rend en 1995 dans la bande de Gaza après l’avènement de l’Autorité palestinienne, avant de s’installer à Ramallah, en Cisjordanie.

En mai 1996, il est autorisé à fouler le sol d’Israël pour la première fois depuis son exil afin d’assister aux funérailles de l’écrivain arabe Emile Habibi.

Le poète critiquait la « mentalité israélienne de ghetto » et la politique israélienne qui empêche la création d’un Etat palestinien viable.

Au festival des musiques du monde à Arles (sud-est) en juillet dernier, il confiait préférer les thèmes universels de l’amour, la vie, la mort à ceux purement politiques de ses débuts et vouloir être lu « comme un poète », « pas comme une cause ».

( Samedi, 09 août 2008 )

Une vie, une œuvre

1942 Mahmoud Darwich naît près de Saint-Jean-d’Acre, en Galilée
1948 premier départ familial sur les routes de l’exil, au Liban
1950 retour clandestin en Galilée
1960-70 ses premiers poèmes lui valent d’être emprisonné à plusieurs reprises ; il milite au sein du Parti communiste israélien
1970 Mahmoud Darwich fuit Israël et s’installe à Beyrouth
1982 l’invasion israélienne du Liban pousse à nouveau le poète sur les routes de l’exil, à Tunis, puis au Caire et à Paris
1993 il démissionne du comité exécutif de l’OLP (Organisation de la libération de la Palestine) Mahmoud Darwich vit aujourd’hui entre Amman, en Jordanie, et Ramallah en Palestine.
Son œuvre comprend vingt grands recueils de poésie – dont un inédit Ne t’excuse pas publié en février 2006 chez Actes Sud ; ainsi que plusieurs ouvrages en prose et de nombreux articles. Elle est traduite dans plus de quarante langues.

Principaux ouvrages

Publications Actes Sud

Au dernier soir sur cette terre (poèmes, 1994)
Une mémoire pour l’oubli (récit, 1994)
Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? (poèmes, 1996)
La Palestine comme métaphore (entretiens, 1997)
Le lit de l’étrangère (poèmes, 2000)
Murale (poème, 2003)
Ne t’excuse pas (poèmes, février 2006)

Publications Poésie / Gallimard

La terre nous est étroite et autres poèmes (2000)

Thierry Meyssan n’est plus protégé depuis l’arrivée de Sarkozy et a quitté la France


Voir les très intéressantes interviews de Thierry Meyssan ici; elles traitent notamment du Moyen-Orient, mais aussi des dangers qui nous guettent en Europe

par Silvia Cattori

Quand on entend Thierry Meyssan, et quand on a la chance de le rencontrer, de converser avec lui, on est à chaque fois impressionné par ses capacités d’analyse, son sérieux et sa clarté d’esprit ; et charmé par sa gentillesse, sa modestie.

Et on ne comprend pas comment dans un grand pays comme la France, tous les médias, gauche et droite confondues, en sont arrivés à le diffamer, puis à le maintenir au ban de la société, depuis ce jour où il est devenu célèbre pour son livre : L’effroyable imposture, un succès de librairie pourtant mérité.

Si l’on comprend bien pourquoi le Président Bush considère Thierry Meyssan comme l’homme à abattre et a demandé à ce que la France le mette sur la liste des « terroristes », on a du mal a comprendre pourquoi, non seulement le quotidien Le Monde et Libération, mais aussi la gauche et les sites altermondialistes, l’ont traîné dans la boue, pour l’isoler, le faire taire.

Et on ne comprend pas pourquoi il ne se soit trouvé personne, y compris dans les rangs progressistes, pour se dresser pour sa défense, alors qu’il avait écrit le livre qu’il fallait écrire, où il posait les questions que toute personne sensée aurait dû se poser sur ce qui s’était réellement passé le 11 septembre 2001 et sur les perspectives terrifiantes que ces questions ouvraient.

Les censeurs, ceux qui excluent tel ou tel auteur d’un journal, d’un site, sont connus de nous tous. Il suffit d’observer ce que chaque media dominant ou progressiste diffuse pour savoir qui est exclut du débat.

Les lecteurs ne sont pas dupes ! Ils savent reconnaitre les voix qui ne se sont pas asservies aux vérités officielles.

Quant à ceux qui ne savent pas encore, s’ils ont l’occasion d’entendre la voix de Thierry Meyssan, ils comprendront eux aussi, pourquoi les gens qui dévoilent les vrais enjeux apparaissent comme une menace pour les grands et petits pouvoirs en place. Et pourquoi on cherche à les museler.

Silvia Cattori

Joffrin, journaliste, juge de Siné : une question « factuelle »


par ALTER INFO

Joffrin, journaliste, juge de Siné : une question « factuelle », dit-il
Une phrase de Siné a mobilisé contre elle et son prétendu antisémitisme les grandes consciences sans lesquelles nous ne saurions pas quoi penser [1]

De Philippe Val, écrivions-nous, nous n’avons, provisoirement, rien à dire que nous n’ayons déjà dit depuis longtemps, tant ses qualités de patron de presse et de journaliste, attachés l’un et l’autre à un usage immodéré des calomnies, nous sont depuis longtemps familières. De Bernard-Henri Lévy, écrivions-nous aussi, nous ne dirons, provisoirement, rien de plus : c’est grâce à son propre soleil qu’il brille à tous propos et en toutes saisons.

Laurent Joffrin, en revanche, en sa double qualité de journaliste et tenancier de la « Maison commune de toute la gauche » (c’est ainsi qu’il présente Libération [2]…) mérite tout notre attention (que nous aurions pu accorder, il est vrai, à quelques autres). Il la mérite d’autant plus que dans le jour où il éditorialise, il saute de surcroît de « rebond » en « rebond ». Consacré à la phrase de Siné, un premier « rebond » – « Charlie Hebdo : sanctionner l’antisémitisme » – nous avait déjà valu d’éprouvantes leçons d’arrogance et d’ignorance. Quant au second …

Voir l’article ici

en sinep.s.

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