Ghassan Yasin, 36 ans et résidant à Alep, est un activiste syrien ayant participé à la coordination et la préparation des manifestations pacifiques et a œuvré dans les médias de la révolution. A travers ce texte, inspiré de faits réels, Ghassan Yasin souhaite montrer que le courant djihadiste n’a pas de base sociale en Syrie. Houssam, l’un des personnages dont il parle dans son texte, est décédé à Alep il y a cinq mois.
En attendant le printemps … il pleut toujours
Texte original traduit de l’arabe par l’équipe ASML
Il pleuvait lorsqu’Amjad est arrivé chez ses amis, une bouteille de vin à la main. Ils étaient tous assis autour de la cheminé jouissant de la chaleur et de l’odeur des marrons grillés. Amjad a pris son verre en marmottant quelques mots exprimant ainsi sa colère contre la réponse du régime aux manifestations pacifiques et l’utilisation de balles réelles contre des civils désarmés. Un des présents est alors intervenu: « Nous devons les protéger des crimes commis par les forces du régime. Nous devons porter les armes ! »
Amjad avec quelques-uns de ses amis ont formé un petit groupe et se sont engagés à protéger les manifestants de l’oppression du régime. Au dépit de leurs orientations culturelles et religieuses divergentes, ils se sont entendus sur l’objectif qui les a unis comme les doigts de la main se ressaisissant en vue de porter un seul coup à la tête du régime. Leur groupe s’élargissant, ils se sont heurtés à de nombreux problèmes, en particulier le manque de moyens financiers pour acheter armes et munitions afin d’affronter les forces du régime qui elles, en possèdent une grande quantité.
Un jour, Houssam un jeune homme d’à peine vingt trois ans, provenant apparemment d’un milieu aisé s’est joint à eux. Il poursuivait des études de médecine en Allemagne et est rentré à Alep au début de la révolution syrienne pour contribuer à la mobilisation pacifique, puis avec l’émergence de ce qu’on a appelé plus tard « l’Armée libre ». Houssam avait alors décidé de s’engager à porter les armes et à combattre l’oppression du régime au sein d’un bataillon de cette armée.
Il leur dit qu’il avait un proche dans un pays du golfe prêt à assurer leur financement pour acheter des armes et des munitions grâce à des donateurs originaires de ces pays. Ils en étaient tous contents. Amjad a demandé de rédiger une liste de leurs besoins pour qu’on leur envoie des sommes suffisantes. Lorsque Houssam a signalé que les donateurs n’allaient financer que les bataillons islamiques, tout le monde s’est tu. Immédiatement, Amjad a dit : « Soit ! Je suis prêt à me laisser pousser la barbe et à faire n’importe quoi pour obtenir des armes et affronter le criminel ». Depuis, les aides ont afflué ainsi que les achats des armes. Plus tard, des combattants arabes de différentes nationalités se sont rejoints à leur groupe. Ils étaient à peu près cinquante au sein d’un groupe de sept cents combattants. Amjad, accueillait chaleureusement les journalistes étrangers qui entraient en Syrie par les frontières turques et les conduisait aux premières lignes afin qu’ils couvrent les combats et qu’ils témoignent de la souffrance du peuple syrien causée par les bombardements sauvages des forces d’Al Assad.
Pendant la pause déjeuner, alors qu’il pleuvait et que tout le monde était assis autour de la table. Amjad s’est tourné vers une journaliste étrangère lui reprochant la multitude des entretiens qu’elle faisait passer aux combattants arabes se focalisant sur eux malgré leur nombre minime par rapport à celui des Syriens. Retirant sa main qui s’approchait d’un bon repas bien garni et préparé par les révolutionnaires, la journaliste a regardé Amjad de manière confuse sans lui répondre. Tout le monde s’est tu alors qu’il pleuvait des cordes.
Un journaliste arabe a interrogé Zaïdan, un jeune libyen d’un courage inouï sur les raisons de son engagement dans les combats en Syrie. Sa réponse immédiate était qu’il voulait aider les Syriens à se débarrasser d’Al Assad après que les Libyens se soient débarrassés de Kadhafi. On a transporté son cadavre ensanglanté suite aux violents combats entre les combattants et les forces du régime et on l’a enterré aussi vite pour retourner au combat.
Le soir, ils se sont tous réunis pour discuter du plan à suivre le lendemain. Amjad a regardé Houssam en lui disant : « Issu d’une famille riche et faisant des études dans une des meilleures universités allemandes ; qu’est ce qui t’a fait revenir et porter des armes ? » Houssam a souri et répondu : « A aucun moment je ne songeais à porter des armes. Je suis retourné pour participer aux manifestations et à la mobilisation pacifique ». Il s’est mis à raconter à ses copains réunis autour de la cheminée et sirotaient du thé chaud les anecdotes du début de sa participation, organisant des manifestations et comment ils passaient, chaque semaine, la nuit du jeudi à préparer les pancartes. Ses yeux brillaient en évoquant les bons souvenirs du début de la révolution. Amjad est intervenu en affirmant que lui aussi était nostalgique de cette époque. Houssam repris la parole en disant : « Je n’ai pas pu supporter de voir mes amis se faire tirer dessus et mourir juste parce qu’ils sont sortis crier leurs slogans contre le régime ». Ses larmes coulaient en parlant de son ami qui était ressorti hémiplégique suite aux tortures subies dans les geôles des services de renseignements. Il regarda Amjad lui disant : « As-tu compris pourquoi je suis là et porte des armes ? » Avec un regard acquiesçant Amjad a murmuré : « C’est bien la même raison pour laquelle j’ai laissé pousser ma barbe et formé un groupe de combattants me soumettant à la volonté des donateurs qui voulaient que ce bataillon soit islamique ! Ce n’est que pour pouvoir affronter ce régime criminel et protéger ma famille des machettes des Shabbihas (ndlr : milice pro-régime)».
Pendant la mise à exécution de leur plan d’attaque au matin, le bataillon a subi de lourdes pertes humaines. Ils ont à peine pu retirer les cadavres de leurs compagnons de lutte dont celui de Houssam. Après avoir fini de l’enterrement, Amjad s’est tenu debout devant la tombe de Houssam. Il lui a juré de poursuivre le chemin de la lutte jusqu’au bout, alors que la pluie ne cessait de tomber.
Ghassan Yasin, Alep