Hommage au courage des Syriens à travers Omar Aziz


L’Institut du Monde Arabe pour Omar Aziz.

Je veux rendre hommage au courage des Syriens à travers un homme.

Omar Aziz

Omar Aziz était tout à la fois un mystique, un homme de culture et une tête scientifique magnifiquement organisée. Francophone impeccable – il avait fait son doctorat d’économie à Grenoble – il incarnait cette force tranquille de la révolution syrienne, celle que l’on ressent lorsqu’on parle avec les jeunes manifestants de la première heure mais qui ne savent pas toujours l’exprimer.
Il est le père des conseils locaux qui sont devenus le centre d’intérêt de tous les partenaires extérieurs et malheureusement des cibles pour les jeux d’influence. Lui les avait conçus dès l’automne 2011 comme les supports de la société civile ; il prévoyait une lutte longue qui aurait besoin de s’appuyer sur des structures alternatives à celles de l’Etat pour organiser la vie de la population dans les zones qui étaient déjà libérées et qui n’étaient encore que des poches.

Il avait présenté un projet complet sur les différentes fonctions et activités de conseils locaux, leur attribuant un rôle essentiel dans la préservation de la dimension civile de la révolution et de la paix intercommunautaire. Cela faisait partie de sa remarquable clarté de vue. Il savait précisément où nous allions et le temps que cela prendrait. Il avait une confiance immense dans les jeunes et dans les capacités de résistance du peuple. Il m’avait dit un jour « jamais les Syriens se sont tant aimés les uns les autres ». Loin d’être un romantique, il était parfaitement lucide sur les acteurs, les risques, la nature du régime mais il savait que la jeunesse syrienne irait jusqu’au bout et que les déceptions qu’il avait vécues lui-même tout au long de sa vie, ne devaient en aucun cas se répéter. C’était la force de caractère habillée d’une voix et d’un style de la plus grande douceur.
Il est rentré en Syrie dans les premières semaines de la révolution et avait décidé de ne plus en sortir. Arrêté le 20 novembre, ses amis ont cherché à avoir des nouvelles. Mais ceux que l’on pensait avaient des relations avec tel ou tel responsable des services de renseignements ou pouvaient servir d’intermédiaire pour négocier une rançon que la famille et les amis auraient volontiers payée, manifestaient une réserve décevante et incompréhensible. Il fallait savoir que lorsqu’un activiste passait « de l’autre côté du soleil » (expression que les opposants égyptiens utilisent pour informer de l’arrestation d’un des leurs) ceux qui cherchent à s’informer sur son sort s’exposent eux- mêmes à de grands risques.
Omar Aziz est mort sous la torture la semaine dernière, mort parce qu’il a refusé de parler et a voulu protéger ses amis.

Pourquoi il faut armer les rebelles syriens


LE MONDE | 23.02.2013 à 14h38 Par Editorial du Monde

Un combattant de l'Armée syrienne libre à Alep, le 19 février.

Près de 100 morts à Damas dans les attentats perpétrés jeudi 21 février, les plus sanglants dans la capitale syrienne depuis le début du soulèvement, il y aura bientôt deux ans. Qui s’en soucie encore ? Qui prête encore attention à cette guerre civile qui ne cesse pourtant de gagner en férocité ? Qui n’est pas atteint par le sentiment d’impuissance face à deux meules – le régime et l’opposition – qui s’usent inexorablement sans pour autant se briser ?

Il faut pourtant s’arracher à ce fatalisme pour écouter Lakhdar Brahimi, médiateur trop isolé et trop impuissant des Nations unies. Pour ce dernier, qui s’exprimait, jeudi 21 février, sur une chaîne de télévision arabe, « le régime en Syrie est convaincu que la solution militaire est possible et qu’elle pourrait être proche ».

Autrement dit, selon M. Brahimi, Bachar Al-Assad estime que ce que la force n’a pas permis d’obtenir jusqu’à présent – à savoir l’écrasement de la rébellion -, une force plus importante pourrait permettre d’y parvenir, en dépit de ses pertes continues enregistrées ici et là sur le terrain. Cette conviction suicidaire n’étonnera personne. Pas ceux, en tout cas, qui se souviennent que le président syrien s’était publiquement félicité, en août 2012, des défections, qui laisseraient le pays « nettoyé ».

Depuis que l’impasse diplomatique créée à l’ONU par l’alignement russe sur les positions du régime syrien a été constatée, les Etats-Unis et les Européens ont baissé les bras. Même s’ils peuvent s’en défendre, ils ont abandonné les révolutionnaires syriens à une guerre asymétrique – face à une armée qui continue de recevoir un soutien logistique et matériel iranien et russe.

Leur principal argument est connu : approvisionner une Armée syrienne libre en armes susceptibles de soutenir la comparaison avec la puissance de feu du régime, c’est prendre le risque de voir ces armes retournées contre eux, le jour venu, par les groupes djihadistes qu’aimante la nouvelle zone grise du Proche- Orient. Cet argument serait convaincant si la paralysie actuelle ne produisait pas ce qu’ils veulent éviter : le développement continu de groupes armés fondamentalistes financés par certains pays du Golfe.

Les experts qui suivent de près la situation syrienne doutent aujourd’hui de la capacité d’un camp à prendre l’ascendant sur l’autre. Mais chacun ne peut que constater que sa supériorité militaire maintenue malgré tout entretient le régime de Bachar Al-Assad dans cette posture jusqu’au-boutiste.

C’est pour cette raison que la question d’un soutien militaire aux groupes armés les plus représentatifs de la Syrie, qui est descendue dans la rue à partir du 17 mars 2011 pour demander des réformes, puis obtenir la chute du régime de Bachar Al-Assad, doit être à nouveau soulevée par les pays occidentaux. Seul un nouveau rapport de forces pourra fissurer les liens d’allégeance au sein du régime.

L’armement de l’opposition n’est donc pas incompatible avec une solution négociée pour parvenir à l’éviction du clan dirigé par Bachar Al-Assad et éviter un chaos destructeur pour toute la région. C’est au contraire un outil au service de la diplomatie. S’en priver est un choix. C’est la politique par défaut adoptée jusqu’à présent à Washington comme en Europe. Mais il faut en assumer le prix et les conséquences : la destruction d’un pays et d’un peuple.

Editorial du Monde

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Syrie, les apprentis chirurgiens de la rébellion


Sous le feu de l’armée de Bachar El-Assad, des médecins français et syriens apprennent clandestinement à des confrères l’art de sauver des vies.

Il n’aurait pas dû mourir. Il y a une semaine, l’homme, victime d’un bombardement, était allongé dans la salle de réanimation d’un hôpital d’Alep, dans un quartier tenu par les rebelles. Intubé, amputé d’une jambe, le corps dur, gonflé comme un ballon. Un chirurgien aux yeux d’une infinie douceur explique l’impensable, en s’excusant presque : « Le chirurgien vasculaire n’était pas libre, celui qui l’a opéré n’a pas su réparer les vaisseaux de sa jambe. » Elle s’est infectée. La Turquie n’a pas voulu laisser entrer l’ambulance qui transportait le blessé. Il est revenu sur Alep. Amputation, insuffisance rénale sans appareil de dialyse pour la traiter. Arrêt cardiaque, coma. Il est mort le lendemain.

En fait, il aurait fallu amputer dès le début. En temps de guerre, mieux vaut perdre un membre que la vie. Mais comment imaginer, comment savoir? Dans la ville martyre, médecins et infirmiers ont les mains dans le sang, comme les garagistes dans le cambouis. Ils savent très bien opérer, mais jamais ils n’auraient imaginé ce qu’ils voient aujourd’hui. Des blessés par vagues avec des trous jusqu’aux poumons, le visage arraché d’un homme encore conscient, des pieds coupés apportés dans leur botte avec les blessés, des bébés visés par des snipers…

Une poignée de médecins ont décidé d’armer ces docteurs en leur prodiguant trois jours de formation pratique aux soins des blessures et traumatismes de guerre. C’est une première. Membres de l’UOSSM, ils sont quatre Syriens de France et un Français. Amir, le conteur philosophe, et Ziad, rigoureux comme un anesthésiste, qui veulent rester anonymes pour protéger leur famille ; Hassan El-Abdullah, le raisonneur tranquille, et Ahmed Bananeh, au sourire parfois émerveillé comme celui d’un gamin. Lui dirige le comité médical de l’UOSSM. Et bien sûr, Raphaël Pitti, à l’origine de ce projet de formation. Ancien médecin militaire, professeur agrégé de médecine d’urgence et de catastrophe, il dirige le service de réanimation de la polyclinique de Gentilly à Nancy.

Dans le plus grand secret, ils sont arrivés samedi. Les hôpitaux et les médecins sont une cible du régime. « Viser les hôpitaux a un impact psychologique, explique Ahmed Bananeh. Les combattants blessés risquent de ne pas être soignés. C’est pire que d’être tué. »

20 minutes pour agir

Il est 22h30 samedi, une vingtaine de médecins sont réunis dans un immeuble glacial et humide aux vitres bouchées pour se protéger des snipers. Des chirurgiens, des secouristes, des étudiants en médecine, un orthopédiste. Raphaël Pitti présente la formation : « Je sais que vous vous débrouillez seuls depuis deux ans. Nous allons partager nos expériences. Nous allons travailler sur le temps de l’urgence et sur le schéma opératoire. Le but est d’acquérir des automatismes pour sauver le malade dans n’importe quelle situation. »

Les hommes écoutent, visage tiré. L’électricité est coupée. La séance se poursuit à la lumière de lampes frontales. Ils sont trop nombreux. Pour mieux les former, il n’en faut que seize, deux groupes de huit. Certains vont devoir partir… As’ad est un chanceux, il reste. Comme beaucoup dans les quartiers libérés d’Alep, le chirurgien de 34 ans a mis sa famille à l’abri en Turquie pour lui éviter d’être arrêtée. Malgré des faux noms, difficile de travailler dans la clandestinité totale quand une dizaine d’hôpitaux fonctionnent dans ces quartiers. Depuis le funeste destin de Dar Al- Shifra, bombardé fin novembre, les hôpitaux portent le nom de M1, M2, M3 pour ne pas être localisés par le régime… M pour moustachfa, hôpital en arabe.

À l’étage, où se tient la formation, des feuilles ont été scotchées sur les portes : atelier ventilatoire, atelier circulatoire, atelier douleur et atelier conditionnement des blessés. « On a un problème de transport, explique justement As’ad. Les blessés arrivent dans nos hôpitaux dans un sale état. Il est souvent trop tard pour faire quelque chose. » Le 31 janvier, deux immeubles ont été détruits dans le quartier de Boustan Al-Qasr : 14 morts, 80 blessés. « Tout le monde courait partout, raconte As’ad. Les gens étaient terrifiés, criaient, ils attrapaient les blessés n’importe comment. Parfois, ils tiraient une main qui dépassait des gravats sans se rendre compte qu’ils pouvaient tuer le blessé. »

Hassan El-Abdullah, formateur de l’UOSSM, enseigne les réflexes de la médecine de guerre en quelques heures et parfois sans électricité. (Edouard Elias pour le JDD)

C’est ce qu’on appelle le « crush syndrome ». Les muscles d’un homme enseveli, privés d’oxygène, accumulent des toxines. Une fois le corps libéré, elles filent dans le sang et empoisonnent. Pour l’empêcher, il faut poser des garrots. Ou injecter du bicarbonate dans le corps pour temporiser le potassium qui afflue.

Lundi, dernier jour de formation, les médecins s’entraînent dans des mises en situation. Un mannequin sert de blessé par terre, deux hommes jouent le médecin et l’infirmier qui arrivent sur le terrain. Il faut trouver comment traiter la victime. Avec toujours ce fichu temps de l’urgence, vingt minutes pour le sauver et le transporter. Un des cas porte sur une victime ensevelie, avec seulement la tête et les épaules visibles. Celui qui fait le médecin tente de lui mettre un collier cervical puis lâche : « Ah, tu voulais la liberté? Eh bien, là voilà, ta liberté! » Le groupe éclate de rire. « Le rire permet d’évacuer le stress », commente Raphaël Pitti, qui a l’expérience de la première guerre du Golfe, de l’ex-Yougoslavie et du Tchad…

Un dentiste sur le front

« Avec les snipers et les missiles, les blessures sont de plus en plus compliquées à soigner », avoue Hazem, chirurgien de 21 ans. Le dernier atelier aborde le triage justement, notion fondamentale en médecine de guerre : trier et séparer physiquement les cas d’urgence absolue et ceux d’urgence relative pour être plus performant.

À peine la formation terminée, un missile sol-sol tombe sur des immeubles du quartier de Jabal Badro, tuant 31 personnes. Les médecins filent dans la nuit. Hazem est envoyé à l’hôpital M2. En dix minutes, il a organisé, pour la première fois de sa vie, une salle de triage et attend les victimes.

Les formateurs, eux, doivent déjà repartir. Alep n’était que leur première étape. Direction Bab El- Hawa, au poste frontière avec la Turquie. L’UOSSM y a ouvert un hôpital d’urgence début janvier. Des blessés arrivent des provinces d’Idlib, Hama ou Alep. Comme Hussein Hamid, combattant victime de tirs de PKC, des mitrailleuses de fabrication russe. Amputé à Alep, il reçoit ici des soins postopératoires importants.

Jeudi, donc, une trentaine de médecins s’installent dans le centre de formation qui jouxte l’hôpital. Cette fois, ils viennent de partout, même de Deraa et Damas, des zones tenues par le régime. Deux jeunes de la capitale ont voyagé deux jours pour arriver. Deux gueules d’ange d’une vingtaine d’années qui se ressemblent comme des jumeaux. Ils viennent apprendre comment mieux se débrouiller. En un mois, sept médecins qui travaillaient avec eux ont été arrêtés. Ils repartent aujourd’hui pour aller donner des conseils à celui qui opère maintenant. L’homme fait tout ce qu’il peut. Mais il n’est que dentiste.

Garance Le Caisne, envoyée spéciale à Alep et Bab el-Hawa (Syrie) – Le Journal du Dimanche

dimanche 24 février 2013

Syrie médecine Paru dans leJDD Des formateurs apprennent à la médecine à des Syriens. (Edouard Elias pour le JDD)

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A voir : La loi des plus forts


mardi 26 février à 23h15, 86 min

Lorsqu’en 1967 Israël occupe la bande de Gaza et la Cisjordanie, il y instaure une administration et une législation spécifiques, sous contrôle de l’armée. Plutôt que d’appliquer le droit israélien à ces zones nouvellement conquises, hommes politiques et militaires bâtissent progressivement un système complexe de lois et d’ordonnances, guidés par une préoccupation principale : maintenir l’ordre. Plus de quarante ans après, cette législation est toujours en vigueur. Exemplaire dans sa forme et maintes fois primé, le documentaire interroge ses architectes – de vieux messieurs qui étaient autrefois procureurs ou présidents de cours martiales ou membres de la Haute Cour de justice israélienne. Comment juger les Palestiniens, eux qui sont à la fois des « ennemis » et des résidents de territoires officiellement israéliens ? Quels argumentaires juridiques ont jeté les bases de la colonisation ? Sans jamais occulter la dimension subjective et interprétative de leur travail de documentaristes, Ra’anan Alexandrowicz et Liran Atzmor démontrent avec gravité que le droit n’est pas neutre. Les entretiens, menés dans un décor minimaliste, dévoilent les arcanes d’une législation sur laquelle les citoyens israéliens ne sont que peu consultés et que les Palestiniens ressentent comme arbitraire et opaque. Avec en fil rouge une question cruciale et dérangeante : une occupation militaire est-elle compatible avec l’État de droit ?
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