Archives du 3 mars 2013
Honte à toi, Richard Prasquier
Des gnomes qui s’agitent sur la dépouille d’un géant
Un Juste est mort – un des 36 justes qui, selon la tradition juive, vivent à chaque moment parmi nous – et dans certains sites qui osent se définir comme « juifs », on danse et on crache sur sa dépouille. A vomir, et, pour nous Juifs, à rougir de honte. Des gnomes, méchants et bêtes, s’attaquent au géant Stéphane Hessel. Parmi ces gnomes, l’ineffable Richard Prasquier, soit disant « représentant » des Juifs de France, mais en fait vice-ambassadeur d’Avigdor Lieberman à Paris.
Il y a trois mois, ce même Prasquier m’attaquait, dans un texte où se mélangeaient contre-vérités et propos calomnieux, à l’occasion de la remise du Prix des Droits de l’Homme de la République Française que je recevais au nom du Centre d’Information Alternative de Jérusalem, des mains de la Garde des Sceaux Christiane Taubira. Stéphane et Christiane Hessel me faisaient l’amitié et l’honneur d’être présents à cette cérémonie. Emis contre moi, ce texte pouvait encore être considéré comme de la mauvaise mais légitime polémique. Avec Stéphane Hessel c’est une toute autre chose : « Richard Prasquier, déchausse-toi et rince-toi la bouche avant de prononcer le nom de Stéphane Hessel, car c’est un Saint ». Stéphane – il me permettait cette familiarité, et j’étais fier qu’il me tutoie, même si moi je n’ai jamais réussi à le faire – me réprimanderait certainement pour avoir utilisé ce mot, mais, contrairement à Richard Prasquier, dont la culture juive est directement proportionnelle à son intégrité intellectuelle, il aurait tout de suite reconnu là une paraphrase du chapitre 3 du Livre de l’Exode.
Lors de la remise du Prix des Droits de l’Homme, j’ai dit, entre autre, à Madame Taubira que Stéphane Hessel était l’homme que j’aurais voulu être, celui que je considère depuis près d’un quart de siècle comme mon père spirituel. Lui, ainsi que Léopold Trepper de l’Orchestre Rouge et le grand révolutionnaire Marocain, Abraham Serfaty, que j’ai, tous les deux, eu le bonheur et l’honneur de connaître.
J’ai presque honte de mentionner dans un même texte ces grands hommes et le Président du Crif. Pourtant, cela s’impose : Prasquier et autres BHL, Ehoud Barak ou Shimon Peres salissent la mémoire juive par leurs crimes ou leurs apologies de ces crimes qui profanent une histoire dont nous devons être fiers. Une histoire faite de combats pour le droit et la justice, contre les discriminations et l’oppression, et fondée sur l’expérience des souffrances de notre peuple.
« Plus jamais ca ! » avons-nous juré après la défaite de la barbarie nazie, et, sorti de Buchenwald, Stéphane Hessel s’attelle à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Universelle doit être notre approche des droits selon le principe de Shamay, ce grand sage du Talmud : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te fasse ». Et c’est bien là que le bât les blesse, que Stéphane Hessel les gènait : conséquent avec ses engagements et son éthique exemplaire, il a refusé la morale à double standard : ce qui est vrai pour les Juifs, l’est aussi pour toutes les autres victimes de discrimination raciale ou ethniques, des Grands Lacs africains aux Roms de France, les victimes du colonialisme où qu’elles soient, les victimes d’un capitalisme porcin qui sacrifie des millions d’humains sur l’autel du profit. C’est là aussi les raisons de son engagement aux côtés des Palestiniens dans leur lutte contre l’occupation coloniale israélienne.
Relisons ce petit-grand livre qu’est « Indignez-vous » qui est son testament aux générations nouvelles, et l’appel qui a suivi : « Révoltez-vous ». La vie de Stéphane Hessel est un appel à la révolte, inscrite dans les combats pour la liberté, de Bar Kochba et de Spinoza, et de ses contemporains, Léopold Trepper et Marek Edelman. « Pour notre liberté et pour la vôtre » disait la déclaration des combattants du Ghetto de Varsovie, à l’exact opposé de l’ethnocentrisme de Monsieur Prasquier. C’est dans cette histoire que nous inscrivons nos engagements, nous les indignés juifs, aux côtés de millions d’autres indignés qui ont fait de la vie et de la parole de Stéphane Hessel leur boussole.
La dépouille de Stéphane Hessel n’est pas encore en terre, comme il se doit dans notre tradition – mais en as-tu la moindre notion, Richard Prasquier ? – profite de ces quelques jours pour te recueillir et réfléchir sur la vie du défunt et du message qu’il nous a transmis. Pour t’aider un peu, je te propose de cogiter sur cette parole que ta déclaration en tant que Président du Crif a provoqué chez une française de culture musulmane, fille d’immigrés Algériens qui comme beaucoup de nos grand-parents fuyaient la misère de leur pays d’origine et cherchaient en France la liberté et l’égalité si solennellement inscrits sur les fronteaux des mairies : « C’est une grande indignité que nous donnent à voir la LDJ et le CRIF…Stéphane Hessel est décédé depuis quelques heures, que les uns sablent le champagne et les autres crachent déjà sur l’homme en nous promettant de cracher sur lui plus tard… »
Cette indignité, montrée par la LDJ et le CRIF ne pourra jamais effacer une belle vie de luttes et de combats, de résistance pour nous tous, l’humanité.
Cette indignité d’une poignée d’individus obsédés par leur patriotisme sioniste ne salira pas notre grande tristesse d’avoir perdu un guide, et notre chance de l’avoir vu partir à 95 ans comme il le souhaitait en nous laissant un héritage extraordinaire.
A l’heure où c’est le pays dans son entier qui est endeuillé, cette indigne poignée se détache d’une France triste d’avoir perdu un de ses plus dignes fils, immigré, Juif Allemand, naturalisé. Ils se détachent indignement d’un moment qui nous rapproche tous…
Michel Warschawski
Les quatre du « Secours rouge » traités en terroristes
Mis en ligne le 01/03/2013
C’est un petit coup de théâtre. La chambre des mises en accusation de Bruxelles a décidé, jeudi, de renvoyer Bertrand Sassoye, ancien membre des CCC (Cellules combattantes communistes), l’ex-truand Constant Hormans, le réfugié libanais Abdallah Ibrahim Abdallah et la journaliste RTBF Wahoub Fayoumi, membres du collectif de soutien aux prisonniers politiques révolutionnaires appelé « Secours rouge », devant le tribunal correctionnel pour participation à des activités terroristes.
L’arrêt réforme en tout point la décision que la chambre du conseil de Bruxelles avait prise en avril 2012.
Les quatre inculpés sont soupçonnés d’avoir apporté un soutien à une organisation qualifiée de terroriste, le PCPM (parti communiste politico-militaire). Ce parti italien, démantelé en 2007, était une résurgence des Brigades rouges.
En avril 2012, la chambre du conseil de Bruxelles avait considéré qu’il n’y avait pas de charges suffisantes pour poursuivre les inculpés pour faits de terrorisme et n’avait retenu qu’une tentative de faux.
Le parquet fédéral n’avait pas accepté le verdict et avait interjeté appel. Avec les résultats que l’on sait.
Ce dossier avait défrayé la chronique dès juin 2008, à l’occasion de spectaculaires perquisitions, menées notamment à la RTBF, où travaille Wahoub Fayoumi. Quatre personnes avaient été incarcérées : Bertrand Sassoye, un des quatre membres des CCC auteurs d’une campagne d’attentats en 1984 et 1985; Constant Hormans; le Libanais Abdallah Ibrahim Abdallah et Mme Fayoumi.
En cause : leur soutien présumé au PCPM, dont les membres étaient dans le viseur des services secrets italiens. Quelques activistes avaient été interpellés après un braquage à la voiture-bélier contre un distributeur de billets. Des fouilles chez un des dirigeants du groupuscule avaient mené les enquêteurs transalpins vers des fûts métalliques.
Dans l’un d’eux, figuraient des photos d’identité des quatre du Secours rouge, avec une note manuscrite, reprenant leurs noms et caractéristiques anthropométriques.
D’après les études graphologiques, la note était de la main de Bertrand Sassoye. Dans un autre fût, des cartes d’identité vierges italiennes avaient été découvertes. Ce qui avait conduit les enquêteurs à estimer qu’ils s’apprêtaient peut-être à entrer en clandestinité pour mener leur combat.
La juge d’instruction belge Berta Bernardo-Mendez avait retenu la participation à un groupe à vocation terroriste. Ce qu’ont toujours contesté les défenses des quatre inculpés. « Le lien était par ailleurs particulièrement ténu entre ces documents d’identité et les photos », relevait, devant la chambre du conseil, Me Christophe Marchand, avocat de Wahoub Fayoumi. « Ce dossier a été mené à la légère : il y a eu un grand acharnement du parquet fédéral », ajoutait-il.
Au lendemain de la décision de la chambre du conseil, la défense s’était réjouie. « En estimant que les charges étaient insuffisantes pour les infractions à caractère terroriste, la chambre du conseil a pris en compte la liberté d’expression et la liberté d’organisation. Elle a considéré que la seule sympathie pour une organisation dont l’une des tâches serait liée à la lutte armée, n’est pas suffisante pour considérer qu’il existe une participation à un groupe terroriste », commentait Me Alexis Deswaef, le conseil de Constant Hormans.
Criminalisation des mouvements sociaux?
Les défenseurs des quatre inculpés étaient d’autant plus confiants qu’en Italie, le dossier ouvert à charge des membres du PCPM s’était dégonflé. L’arrêt d’assises, qui avait retenu l’appartenance à une organisation terroriste a été cassé par la Cour de cassation et la cour de Milan a considéré que le PCPM n’était pas une organisation terroriste. Jeudi, la déception et le scepticisme étaient grands dans leurs rangs.
De son côté, la Ligue des droits de l’Homme s’est dite inquiète de l’interprétation de la loi relative aux infractions terroristes donnée par la chambre des mises. Selon elle, l’arrêt met en lumière le risque de criminalisation des mouvements sociaux induit par des lois anti-terroristes particulièrement floues. Il met aussi en évidence la nécessité d’évaluer l’arsenal législatif adopté depuis 2003 pour lutter contre le terrorisme.