Sarkozy arrosait la police
La Cour des comptes, dans un impayable rapport consacré aux rémunérations des forces de l’ordre, et rendu public le 18 mars, explique comment NicolasSarkozy s’est payé police et gendarmerie.
En 150 pages, les magistrats démontrent comment Nicolas Sarkozy a réussi l’exploit de supprimer des postes de fonctionnaires ( 7236 équivalents temps plein entre 2005 et 2011) tout en aggravant le déficit des comptes de la nation. Employer moins pour dépenser plus…
L’explication est simple. Pendant qu’il supprimait des emplois,Sarkozy achetait le silence social grâce à l’octroi d’une myriade de primes. Ces « mesures catégorielles » ont coûté entre 2008 et 2011 plus de 450 millions d’euros. Pour la seule année préélectorale 2011, les policiers ont ainsi reçu 62 millions de primes, et les gendarmes 49 millions. Résultat, écrit la Cour des comptes, « le coût annuel supplémentaire au cours de la période 2008-2011 a été largement supérieur aux économies résultant des réductions d’effectifs« .
Pour payer ces 240 000 fonctionnaires, les ministres de l’ Intérieur successifs n’ont pas hésité à piquer dans les réserves, obtenant le « déblocage de la réserve de précaution« , l’argent que l’Etat met de côté en cas d’urgence. Chaque fois, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel a « émis des réserves, proposé des économies« . Chaque fois, il s’est fait renvoyer à sa calculette.
Claude Guéant, le dernier ministre de l’ Intérieur de Sarkozy, s’est mis, lui, carrément hors la loi. En juillet 2011, il crée les « patrouilleurs », pour mettre du bleu sur la voie publique. A 9 mois de la présidentielle, ça ne pouvait pas faire de mal. Pour payer les heures sup de cette police de proximité new look, il n’a pas lésiné. L’heure supplémentaire doit, légalement, être payée 12 euros. Les patrouilleurs ont touché plus de 26 euros. Montant de la facture: 22 millions d’euros. Et tout ça pour ne pas être élu.
source: le canard enchainé
Syrie. Livrer des armes à l’opposition… pour lui éviter de s’entredéchirer
Sous le titre « L’opposition se déchire, la France doute, fausse rumeur de la mort d’Assad« , la revue Marianne a publié, lundi 25 mars 2013, un article qui suscite un malaise certain.
On peut comprendre que, dans la ligne de l’hebdomadaire, sa signataire soit vigoureusement opposée à la décision du Président de la République de livrer enfin des armes à l’Armée Syrienne Libre. Mais elle n’a pas le droit de faire semblant de croire, pour donner du poids à ses objections et/ou pour effrayer ses lecteurs, que, parmi les destinataires de ces armes ait pu un instant figurer le « canal jihadiste affilié à Al Qaïda« . C’est pour ne pas même en livrer au « canal islamiste » que la France s’est employée, au début du mois de décembre 2012, à faciliter la création, à Antalya, d’un Commandement militaire suprême. Au terme d’une réunion de quelque 300 officiers et commandants de l’intérieur, appartenant tous au « canal modéré« , la direction de cette nouvelle structure a été confiée au général Salim Idriss. Il a vocation à devenir le ministre de la Défense du gouvernement provisoire que la Coalition Nationale, créée à Doha quelques semaines plus tôt, doit achever de mettre en place suite au choix, en tant que Premier ministre, de Ghassan Hitto.
On peut comprendre que, pour défendre son point de vue, elle force le trait, qu’elle affirme que « l’opposition se déchire« , qu’elle parle de « frères ennemis de la révolution syrienne » et qu’elle évoque « des séismes qui confirment la réalité des conflits fratricides entre insurgés« . Les divisions de l’opposition syrienne ne sont un secret pour personne, en dépit des efforts déployés par ses différentes composantes pour parvenir à les surmonter. Il faut dire qu’elle partait de loin. Les problèmes dont elle souffre trouvent leur origine dans l’histoire de la vie politique, ou plutôt dans l’absence de toute vie politique dans la Syrie des Al Assad. Par un étrange paradoxe, en les incitant à fuir la Syrie au milieu de l’année 1980, suite à l’adoption d’une loi (la Loi 49 du 7 juillet 1980) condamnant à mort la simple appartenance à leur association, le régime syrien a permis aux Frères musulmans de se réorganiser à l’étranger et de devenir, que cela plaise ou non, la principale formation de l’opposition syrienne, intérieure et extérieure confondues. Leur poids, leur cohésion et leur discipline en font des interlocuteurs mal commodes pour ceux qui, malgré leurs idées et leur réputation de « personnalités nationales« , resteront incapables d’opposer leur projet au leur aussi longtemps qu’ils ne parviendront pas à surmonter leurs divergences idéologiques, leurs conflits personnels et leurs querelles d’ego, et à constituer face à eux un front commun.
En revanche, on comprend mal que, reprenant sans sourciller ce qui a été écrit ici et là, parfois non sans arrière-pensées, elle affirme que « Hitto est Frère musulman« . L’intéressé sera surpris de l’apprendre. Il appartient sans doute à un milieu socialement conservateur, mais cela ne suffit pas à en faire un membre des Frères musulmans. Rassurés par sa personnalité et par le soutien politique et financier que le Qatar paraissait disposé à lui fournir, ceux-ci ont décidé de voter pour lui, lors de l’Assemblée générale de la Coalition nationale d’Istanbul, d’une part pour barrer la route à son principal concurrent, l’ancien ministre Asaad Moustapha, et d’autre part pour lui permettre de disposer, grâce à l’apport massif de leurs voix, d’une légitimité incontestable.
Il n’est pas vrai que « l’Armée syrienne libre a immédiatement annoncé son refus » de son élection. Celui qui a fait cette déclaration, Louaï Al Miqdad, n’est pas le porte-parole de l’Armée syrienne libre, mais uniquement celui du Haut Conseil militaire du général Moustapha Al Cheykh. Concurrent des Conseil militaires conjoints qui lui étaient antérieurs, et marginalisé par la création ultérieure du Commandement militaire suprême de Salim Idriss, le Haut Conseil militaire n’a pas beaucoup d’unités sur le terrain. Par ailleurs, et ceci explique cela, il est sous l’influence directe du meilleur ennemi du Qatar dans le Golfe, l’Arabie saoudite… qui lui assure son financement. Ce n’est donc pas « pour essayer de trouver des soutiens parmi les combattants« , mais pour rencontrer ceux qui reconnaissent son autorité que Ghassan Hitto s’est rendu à Alep au cours du week-end écoulé.
Il est exact que Moazz Al Khatib n’appartient pas au « camp laïc« . Mais il est totalement erroné de faire de Riyad Seif « un laïc, représentant de cette gauche arabe aux racines anciennes, détestée et combattue par les Frères musulmans« . Lui faisant oublier un instant ses problèmes de santé, une telle définition ne manquerait pas, s’il en avait connaissance, de provoquer son hilarité. Il est exact, s’agissant du même « camp laïc« , que « ses leaders ont tant souffert pendant des décennies sous la dynastie des Assad« . Mais depuis quand ont-ils été les seuls ? La lecture de La Coquille, mémoires romancées d’un ancien détenu – de gauche – du bagne militaire de Palmyre, suffit à constater que, si des militants du Parti communiste et du Parti de l’action communiste ont partagé le sort des Frères musulmans dans ce camp de concentration, ils y ont ausi bénéficié, dans leur malheur, d’une situation privilégiée par rapport à la leur.
Ayant repris, pour qualifier Moazz Al Khatib, l’expression « salafiste modéré« , dont elle fait bien de laisser la responsabilité à Thomas Pierret, meilleur connaisseur de la politique religieuse de la Syrie baathiste, elle ajoute – mais l’adverbe est de son cru, et on l’appréciera – que « NEANMOINS, pour cet universitaire, Al Khatib est quelqu’un d’honnête, ouvert d’esprit, capable de dialoguer sereinement avec des représentants de toutes les tendances, de l’islamiste radical au laïc convaincu« .
C’est tout le mal qu’on souhaite à chacun. Même aux journalistes.
Rappel : demain samedi soir, printemps arabe, des écrivains dans la révolution
agenda

arab spring: writers in revolution
Printemps arabe, Réveil arabe, Révolution arabe, des mouvements contestataires spontanés ont entraîné la chute de dictatures en Tunisie, Égypte et Libye au nom de la dignité humaine et de la liberté. Ces pays expérimentent encore la démocratie ; un régime politique si précieux que beaucoup de peuples arabes sont prêts à y sacrifier leur vie. En 2013, le « Dégage ! » résonne à Tunis, hommes et femmes sont debout en Égypte et Syrie. Ils refusent de faire de leurs révoltes déjà un tombeau ! Khaled Khalifa, Khaled Al Khamissi, Raja Ben Slama, Ibrahim Al-Koni et Boualem Sansal affirment leurs convictions. Une conversation polyphonique où les voix de résistance des poètes se mêlent à celles de l’éditorialiste Béatrice Delvaux et de l’écrivain marocain Mohamed Berrada. Pour un avenir meilleur à la hauteur des rêves qui explosent encore en rafales.
Soirée avec débat et lectures. Traduction simultanée.
« Je sais que l’écriture est impuissante et nue devant les canons », écrit l’écrivain syrien Khaled Khalifa.
« Une Égypte plus humaine, plus juste et pourquoi pas gouvernée par une femme (…) », propose l’écrivain égyptien Khaled Al Khamissi.
« Le droit de blasphémer ou de ne pas croire est sans cesse bafoué et menacé », rappelle la psychanalyste tunisienne Raja Ben Slama.
« Dans l’ombre de la tyrannie tout est voué à l’exil », explique l’écrivain libyen Ibrahim Al-Koni.
« Tant que je serai sous les feux de la rampe, je serai épargné », conclut le romancier algérien Boualem Sansal.
Voir programme Littératures arabes à Bozar dimanche 24 mars pour les rencontres individuelles avec les écrivains arabes.
RES. 02 218 21 07 halles.be
ORG. Passa Porta, Les Halles de Schaerbeek, Literature across Frontie
absence
Retour le lundi 25 mars sauf départ al Assad
Soirée de solidarité avec le peuple syrien
ce jeudi
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Bruxelles – ULB (Campus du Solbosch) – Auditoire K (K1.105) -

Soirée de solidarité avec le peuple syrienAccès : Campus du Solbosch, Avenue Franklin D. Roosevelt 50, B-1050 Bruxelles – http://www.ulb.ac.be/campus/solbosch/plan-K.html
PROGRAMME
19h-20h50 : Nouvelles du Front
Interviews menées par Jean-Paul Marthoz (professeur de journalisme à l’UCL et militant des droits de l’Homme)
• Père Paolo
Paolo Dall’Oglio, 58 ans, est un jésuite italien installé en Syrie depuis trois décennies et fondateur de la communauté monastique de Deir Mar Moussa, au nord de Damas. Expulsé du territoire syrien par le régime en juin 2012, en raison de son soutien à la révolution, il continue aujourd’hui son combat en sensibilisant l’opinion publique à travers le monde à ce drame interminable. Il viendra nous parler de son récent voyage clandestin en Syrie, où il tente de préparer le terrain pour que la reconstruction puisse s’engager dès la fin des combats.
• Garance Le Caisne
Garance Le Caisne, journaliste indépendante, s’est rendue trois fois pour le Journal du Dimanche, pour des reportages en Syrie cette année. Elle a accompagné récemment une équipe de médecins français et syriens partis clandestinement à Alep et Bab el-Hawa prodiguer à des confrères une formation pratique aux soins des blessures et traumatismes de guerre.
• Ali Othman
Ali Othman, archéologue, a quitté la Syrie où il travaillait à la direction nationale des fouilles et études archéologiques à Damas. Il s’est aujourd’hui engagé pour sensibiliser l’opinion publique au sujet des sites et du patrimoine inestimables qui sont en train d’être détruits à cause du conflit syrien. « Le régime syrien ne respecte pas son peuple, il ne peut pas respecter l’histoire de son peuple ».20h50-21h20 : Bar, Petite restauration
21h20-23h : Table Ronde – Etat des lieux
Où en est le conflit syrien ? Quelles sont les perspectives de paix ? Une issue négociée est-elle possible ? Que peuvent faire les pays occidentaux pour aider le peuple syrien ? Que se passera-t-il après la chute du régime ? Quel impact sur le Proche-Orient ?
Modération : Jean-Paul Marthoz
Intervenants :
• Ignace Leverrier
Ancien diplomate en poste dans plusieurs pays arabes du Maghreb et du Machreq, chercheur arabisant, il est l’auteur du blog du Monde “Un oeil sur la Syrie”.
• Pascal Fenaux
Journaliste, sélectionneur et traducteur pour le Moyen-Orient au “Courrier international” ; Membre du comité de direction du mensuel La Revue nouvelle; Professeur invité à l’IHECS.
• Christophe Ayad
Christophe Ayad, a été journaliste au quotidien Libération, notamment en tant que correspondant de ce journal au Caire (1994-2000). Depuis la mi-2011, il travaille pour le quotidien Le Monde. En mai 2004, il a reçu le Prix Albert-Londres, en particulier pour ses reportages sur l’Irak, Dubaï et le Rwanda.
• Bassma Kodmani (à confirmer)
Bassma Kodmani est politologue, universitaire, chercheur, directrice de l’Initiative Arabe de Réforme et cofondatrice du Conseil national syrien qu’elle a quitté le 28 août 2012.Participation aux frais libre
Organisation : ActionSyrie www.facebook.com/Actionsyrie
Le Tribunal Russell sur la Palestine réclame la saisine de la CPI

dimanche 17 mars 2013, par La Rédaction
Le « Tribunal Russell sur la Palestine », qui était parrainé par Stéphane Hessel, a réclamé dimanche que la Cour pénale internationale (CPI) enquête sur les « crimes » d’Israël dans les territoires palestiniens, lors d’une séance à Bruxelles concluant quatre années de travaux.
Ce « tribunal d’opinion », fondé en 2009 sur le modèle du célèbre Tribunal Russell sur le Vietnam, entend depuis lors attirer l’attention de l’opinion internationale sur le sort des Palestiniens vivant dans les territoires occupés par Israël, qui les soumet selon son « jury » à un régime comparable à celui de l’Apartheid autrefois en vigueur en Afrique du Sud.
Au cours de sessions organisées à Barcelone, Londres, Le Cap et New York, ainsi que lors de la rencontre finale de Bruxelles samedi et dimanche, les participants ont également critiqué les « complices » de la politique israélienne, dénonçant en premier lieu les Etats-Unis, principal soutien d’Israël, mais aussi les Nations unies et l’Union européenne.
Le Tribunal, qui était parrainé par le diplomate et ancien résistant français Stéphane Hessel, décédé à 95 ans le 27 février, a au cours de ses quatre années d’existence entendu plus de 150 experts et témoins, ont rappelé ses promoteurs lors d’une conférence de presse.
A l’issue de leurs travaux ayant rassemblé plusieurs centaines de personnes à Bruxelles, les membres du « jury », dont le militant des droits de l’Homme Angela Davis ou l’ex-leader de Pink Floyd Roger Waters, ont adopté 26 recommandations pour de futures actions.
Outre une mobilisation de l’opinion publique pour « qu’Israël cesse ses violations du droit international », ils réclament une saisine de la CPI. L’accession de la Palestine au statut d’Etat observateur à l’ONU, suite à une décision de l’Assemblée générale du 29 novembre, donne le droit aux Palestiniens de le faire, ce dont ils se sont jusqu’ici abstenu.
« Le Tribunal soutient les appels de la société civile palestinienne pour que la Palestine franchisse ce pas immédiatement et pour que la CPI entame immédiatement une enquête sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre soumis au Tribunal », peut-on lire dans les conclusions adoptées dimanche.
Le Tribunal Russell recommande également la remise sur pied du Comité spécial de l’ONU sur l’Apartheid, cette fois pour examiner la situation des Palestiniens.
Le Tribunal demande également la suspension de l’accord d’association UE-Israël et à la fin des importations des produits provenant des colonies israélienne dans les territoires occupés.
« Ils peuvent écrire ce qu’ils veulent. Ils ne représentent qu’eux-mêmes. Ce n’est qu’un organisme privé sans poids politique ni légal, et qui n’a d’autorité morale que parmi ses membres », a réagi le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Yigal Palmor.
« Il s’agit d’un document idéologique de propagande que des gens ont écrit pour leurs amis qui pensent la même chose », a déclaré M. Palmor à l’AFP.
Depuis la Guerre des six jours de juin 1967, 250 colonies ont été créées, occupées par quelque 520.000 colons israéliens.
(17-03-2013 – Avec les agences de presse)
Syrie : à Atmé, entre révolution et désenchantement
LE MONDE GEO ET POLITIQUE | 08.03.2013 à 14h30 • Mis à jour le 15.03.2013 à 17h34 Par Christophe Ayad – Atmé, envoyé spécial

Accroché à flanc de colline, ce campement sera peut-être un jour la cité de l’Atlantide de la révolution syrienne : un rêve intact et englouti, le témoin d’une folle et vaine ambition. Huit tentes militaires sont alignées sur ce terrain en pente. En contrebas, se trouve un espace d’entraînement équipé de cordes tirées entre les pins, de barbelés pour apprendre à ramper, d’un mini-mur d’escalade et d’un stand de tir. Tout est en parfait état, même la cuisine et la salle d’eau communes bâties en dur.
Mais ce campement impeccable est vide. Les combattants sont rentrés à la maison sur ordre de leur chef, Abou Mahmoud. Seul un jeune rebelle assure une présence pour éviter que des maraudeurs pillent le matériel (tentes, tapis de sol, chaufferettes et un ordinateur, connecté à l’Internet par satellite). Le garçon s’ennuie en comptant les gouttes qui s’écrasent sur la toile épaisse. La batterie de son téléphone est morte à force d’avoir épuisé tous les jeux possibles.
La brigade 309 n’existe plus. Cette katiba (groupe de combattants) d’une trentaine d’hommes était la parfaite incarnation de ce peuple en armes résistant à la tyrannie de Bachar Al-Assad : petite, indépendante, laïque et citoyenne.
AVEC LES MOYENS DU BORD
Abou Mahmoud était officier de la sécurité militaire à Alep. Il ne s’est jamais fait d’illusions sur le régime, mais il a pris la décision de déserter le 14 mars 2012, lorsque son supérieur, le général Moustafa Al-Cheikh, a annoncé sa démission. Après quelques mois en Turquie, il est venu s’établir à Atmé, tout près de la frontière turque, dont sa famille est originaire. Il y a recruté des jeunes du coin, pas plus d’une trentaine, « parce qu’au-delà, ça n’aurait pas été sérieux ». Abou Mahmoud les connaît tous personnellement : « Pas d’extrémiste, pas de violent, je veux des soldats. »
Son camp est installé sur un terrain familial, au sommet d’une colline dominant un joli vallon boisé traversé par un ruisseau. Un cadre idyllique pour entraîner ses hommes avant d’aller au combat. Au sous-sol d’une grotte, le camp abrite même une cellule de détention « pour les rebelles indisciplinés », précise le commandant. « Nous voulions former une vraie armée avec des règles, des ordres, de la discipline », raconte-t-il. Trois anciens soldats d’élite irlandais devenus mercenaires indépendants ont donné un coup de main. « Par sympathie », assure Abou Mahmoud. Puis ils sont rentrés chez eux à la fin de l’été.
Sa katiba, Abou Mahmoud l’a formée avec les moyens du bord, sans aide extérieure : « Nous étions trop petits et pas assez islamistes pour attirer l’argent du Golfe ou des hommes d’affaires syriens en exil. »
ILLUSIONS PERDUES
Une fois prêt, son groupe a commencé à combattre en juin. Il a participé à plusieurs opérations et, à partir d’août, la brigade 309 s’est rendue à Alep. Elle a défendu le quartier de Bab Al-Hadid et a pris part à l’assaut du siège des renseignements de l’armée de l’air à Leramoun. « C’était une erreur d’entrer dans Alep sans avoir pris une seule des vingt-cinq positions militaires qui entourent la ville, regrette aujourd’hui Abou Mahmoud. Mais on n’avait pas le choix. On ne pouvait pas les laisser tomber. Maintenant, Alep est détruite, et quand elle sera enfin libre il n’en restera rien. »
C’est à Alep qu’il a perdu ses illusions. « Au début, nous nous battions pour en finir avec le régime, l’injustice et la tyrannie. Nous avions pris les armes pour défendre les civils, nos femmes, nos enfants, se souvient-il. Mais ce que je vois aujourd’hui, c’est une course pour l’argent et le pouvoir. Les civils continuent de mourir mais les commandants s’en fichent. Ils pillent tout ce qu’ils peuvent : au début c’était les administrations de l’Etat. Puis ça a été les maisons et les voitures abandonnées, puis les entrepôts des usines, le cuivre, le coton, le bois, et maintenant c’est même la farine et l’essence. » D’importantes quantités de matières premières ont en effet été revendues à des marchands turcs à des prix défiant toute concurrence.
Abou Mahmoud a une formule terrible pour résumer cette dérive : « Notre belle révolution a été volée par les voleurs et les corrompus. » La preuve irréfutable de cet échec ? « Si Bachar meurt demain, la guerre continuera en Syrie. »
« ON PAYAIT TOUT DE NOTRE POCHE, MÊME LA MORT »
Pour lui, « l’argent envoyé par les pays du Golfe a tout gâché. Ça a causé des disputes, des scissions. Chacun a voulu fonder son groupe pour toucher son salaire. » La seule aide qu’Abou Mahmoud dit avoir reçue s’élève à 5 000 dollars, donnés par Moustafa Al-Cheikh, à l’époque où il siégeait dans l’état-major militaire de l’opposition syrienne, avant d’en être expulsé à la faveur d’une énième lutte de pouvoir.
L’état-major de l’Armée syrienne libre a d’ailleurs changé une demi-douzaine de fois en un an. « Pendant qu’ils se disputaient les titres et les postes en Turquie, nous allions combattre à Alep avec moins d’une kalachnikov pour deux hommes, ironise l’ex-chef rebelle. Il fallait compter les balles. On payait tout de notre poche, même la mort. »
En décembre 2012, Abou Mahmoud a jeté les armes. Il a convoqué ses hommes : « Je leur ai expliqué que ce n’était plus la révolution pour laquelle nous avions tout abandonné. Ils ont voté, la majorité m’a suivi. » Seuls trois jeunes ont rejoint d’autres katibas à Alep et dans la province de Hama. Abou Mahmoud, lui, a acheté 14 moutons qu’il emmène paître tous les jours dans les collines environnantes. Il complète ses revenus en revendant du bois de chauffage à la coupe.
Les jours de cafard et de nostalgie, il retrouve le chemin du campement, où il se réfugie dans une vaste grotte souterraine aménagée comme un bunker. On y boit du thé brûlant et trop sucré en se racontant des histoires à pleurer : ce marchand de mazout de Maaret Misrin qui préfère dormir sur son stock en attendant que les prix montent, ce trafiquant d’antiquités qui peut enfin mener des fouilles sans se soucier d’être pris, ce chef rebelle à la tête d’une katiba fantôme destinée à récolter des fonds plus qu’à combattre et qui s’attribue sur Internet des batailles menées par d’autres. La révolution est comme une ombre dansant sur les murs à la lueur des bougies.
FATIGUE DE LA RÉVOLUTION
La discussion se porte immanquablement sur la situation où se trouve le pays aujourd’hui. « Nous tenions la révolution entre nos mains et nous l’avons laissée tomber à terre, déplore Abou Mahmoud. Si nous ne sommes pas meilleurs que le régime, à quoi bon réclamer sa chute ? » Qu’on ne s’y méprenne pas, le commandant rebelle exclut tout retour en arrière, comme aiment à le croire les propagandistes du régime. « Ni Bachar ni les voleurs », assure le militaire, pour qui la lutte armée n’est pas une fin en soi.
Cette fatigue de la révolution, Abou Mahmoud n’est pas le seul à l’éprouver. Elle touche également un certain nombre d’activistes civils de la première heure, horrifiés par la multiplication des exactions côté rebelles, notamment les exécutions sommaires de soldats et de miliciens prorégime, dont certains sont égorgés, voire décapités, comme on peut le voir sur de terrifiantes vidéos.
En dénonçant, le 18 février 2013, les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans les deux camps, la magistrate Carla Del Ponte, membre de la commission des droits de l’homme de l’ONU sur la Syrie, a contribué à accréditer l’idée que le régime syrien n’avait plus le monopole des abus.
MONTÉE EN PUISSANCE DES GROUPES ISLAMISTES
Ce constat amer s’accompagne, sur le terrain, d’une montée en puissance des groupes islamistes, mieux organisés, plus disciplinés et moins sensibles aux pressions de la communauté internationale. « Ils réussissent parce qu’ils combattent pour Dieu et non pas pour s’enrichir, constate Abou Mahmoud. Mais ce que je n’aime pas chez eux, c’est qu’on ne sait pas qui ils sont ni ce qu’ils veulent. Les voleurs, il est facile de comprendre ce qui les motive, mais eux, ils ne disent rien de leurs objectifs. »
Dans ces temps de grande confusion, il est même difficile de distinguer les vrais islamistes des faux. Les mauvaises langues à Atmé ne manquent pas de souligner l’enrichissement soudain de « khal Zaza » (tonton Zaza), le chef d’une brigade rebelle, responsable d’un camp de déplacés : la guerre et l’humanitaire sont en effet les deux moyens d’enrichissement les plus sûrs dans la Syrie d’aujourd’hui.
Ancien charpentier criblé de dettes avant la guerre, « tonton Zaza » est aujourd’hui à la tête d’une flottille de 4 x 4 de luxe et a décuplé son patrimoine immobilier, aussi bien en Syrie qu’en Turquie, où il a placé une partie de ses avoirs. Quant à sa katiba, que l’on n’a jamais vue au combat, elle semble surtout servir à protéger les richesses acquises dans le pillage, les trafics et la revente de l’aide humanitaire.
Adel (le prénom a été modifié), ancien employé d’une ONG, témoigne ainsi de son expérience à Atmé : « Quand j’envoyais 1 000 couvertures pour les déplacés, je découvrais après coup que seul le quart était arrivé dans le camp. Le reste était vendu sur le marché de la ville. Qui détournait ? Pourquoi fermait-on les yeux ? Je posais trop de questions. On n’a jamais voulu me répondre. On m’a menacé et j’ai fini par démissionner. Ces gens-là sont pires que les chabiha [miliciens prorégime]. Ils tuent, sans même tirer un coup de feu. » Qui sont-ils ? Adel ne veut rien dire. Il se dit menacé de mort.
RUDE CONCURRENCE ENTRE GROUPES ARMÉS
Plusieurs dizaines de milliers de déplacés se concentrent à Atmé à cause de la proximité avec la frontière turque, garante de la sécurité et d’un minimum d’aide. Ils font l’objet d’une rude concurrence entre groupes armés, qui cherchent à recruter et à soigner leur popularité.
Il y a peu, le propriétaire de la boulangerie du village, l’homme le plus puissant du coin, a reçu un coup de téléphone inédit : le chef rebelle d’un groupe armé islamiste lui a proposé de financer l’équivalent d’une journée de pain en farine et en mazout pour l’ensemble des habitants d’Atmé, déplacés compris. Habituellement, c’est une ONG saoudienne qui pourvoit aux besoins quotidiens.
Mais le chef rebelle mettait une condition à son offre généreuse : que les galettes de pain soient distribuées dans des sachets en plastique frappés du logo du groupe armé. La proposition est en droite ligne avec les pratiques des Frères musulmans, à la recherche de relais à l’intérieur du pays après plusieurs décennies d’exil. Le boulanger a refusé le marché sans ébruiter l’affaire pour éviter les ennuis.
Assis au fond de sa grotte, Abou Mahmoud attend que « les voleurs s’entretuent. Après, il sera toujours temps de reprendre les armes et de finir cette révolution ».
