Disparu en Syrie. L’enseignant belge Pierre Piccinin da Prata, entré en Syrie dans les tout premiers jours d’avril pour un séjour dans l’Ouest côté rebelle, n’est pas rentré en Belgique pour le 14 avril comme prévu. Les dernières nouvelles de sa part datent de 14 jours. Sa famille, ses amis et la direction de l’athénée Jean Rostand, à Philippeville, où il enseigne, ne cachent pas leur vive inquiétude.
Depuis plusieurs années, Pierre Piccinin a été pris par le virus de la politique proche-orientale, qu’il dissèque sur son blog et qu’il appréhende par des visites sur le terrain malgré, parfois, les risques encourus. Les «printemps arabes», en 2011, l’avaient particulièrement passionné (1). Mais il avait vite marqué ses distances avec certaines rébellions, en Libye et en Syrie, surtout, où il s’était rendu côté officiel. En mai 2012, cependant, son troisième séjour en Syrie avait constitué un électrochoc intense: emprisonné par la police locale en province, il avait été lui-même torturé et il avait vu des opposants syriens subir d’atroces supplices.
Libéré après six jours, il est devenu, à son retour, un partisan acharné de la cause des rebelles. Il retournera trois fois en Syrie, côté rebelles, à Alep en juillet-août et en octobre, puis dans la région d’Idlib en décembre. Le Soir avait publié ses chroniques de l’été en direct depuis la capitale syrienne économique, des textes bouleversants que Pierre Piccinin a ultérieurement publiés dans un livre. Un documentaire vidéo, réalisé avec Eduardo Ramos Chalen, retrace aussi ces jours épiques à Alep (2).
Malgré une situation très périlleuse dans cette Syrie déchirée, Pierre Piccinin y est donc reparti à Pâques. Il n’a plus donné signe de vie à ses proches en Belgique. Un contact syrien indirect en Turquie dit l’avoir eu sur Skype il y a six jours, une information impossible à recouper. Il allait bien à ce moment, selon cette source qui se disait persuadée d’être rapidement mise au courant en cas de mauvaise nouvelle. Pierre n’est pas parti seul mais bien avec un journaliste européen dont le journal nous a demandé de ne pas l’identifier.
Une série d’hypothèses quant au sort des deux hommes peuvent être envisagées. Depuis la pire jusqu’à la plus rassurante: qu’ils soient simplement empêchés de quitter les lieux où ils se trouvent en raison d’une situation sécuritaire bloquée. Il se peut aussi qu’ils soient entre les mains du régime ou d’un groupe extrémiste. A ce stade, ce ne sont que des spéculations. Après consultations et réflexion, il nous a semblé, au Soir, que la diffusion de l’information de la disparition de Pierre Piccinin pouvait l’aider.
De leur côté, les Affaires étrangères belges nous ont dit ceci: «Nous suivons dans toute la mesure du possible, via plusieurs sources (organismes internationaux, pays partenaires), la situation de ceux qui se sont rendus en Syrie en dépit de tous les avertissements. Mais nous ne commentons pas les cas individuels. Nos moyens en Syrie même sont réduits à leur plus simple expression (notre ambassade à Damas est fermée, NDLR). Nous sommes par contre en mesure de fournir une assistance consulaire dans les pays voisins. Nous appelons aussi tous ceux disposant d’informations à nous les communiquer».
BAUDOUIN LOOS
(1) Ses textes peuvent être consultés sur son blog, www.pierrepiccinin.eu/
(2) La bataille d’Alep, chez L’Harmattan.
Converti sur le chemin de Damas
C‘est l’histoire d’un homme qui s’estimait pour le moins incompris. A droite comme à gauche. Quarante ans, diplômé en histoire et en sciences politiques, professeur d’histoire en humanités et passionné par le monde arabo-musulman, Pierre Piccinin da Prata avait déjà fait couler beaucoup d’encre avant sa récente disparition en Syrie. Grand voyageur pendant les congés scolaires, il s’est rendu en Tunisie, en Libye, en Egypte et même au Yémen avant ses voyages syriens.
Ses écrits reflètent ses indignations. Parfois ingénues, jamais feintes. Il a longtemps fustigé la «désinformation» que les médias occidentaux véhiculaient selon lui à propos des «printemps arabes». Comme en Libye, «une guerre menée par les Français et les Britanniques au nom de leurs intérêts économiques». C’était aussi sa position sur la Syrie, jusqu’à son troisième voyage, en mai 2012, qui le marque au fer rouge. Témoin de tortures, lui-même malmené, il se lie à des prisonniers qui combattent le régime d’Assad. Il change d’avis.
Sa conversion lui attire les foudres de beaucoup de monde. Ses amis du camp anti-impérialiste le répudient prestement. Il en souffre car il continue à partager l’essentiel de leurs convictions, dont fait partie un antisionisme virulent qui lui vaut l’opprobre de nombreux juifs<UN>; pour eux, c’est un simple antisémite. A ceux qui publient cette appréciation, il envoie des droits de réponse indignés.
«L’idiot utile du régime»
Le pire coup lui est assené par le journal Le Monde, qui publie un portrait assassin le 6 juin 2012. «L’idiot utile du régime de Bachar», «un aventurier sans fantaisie, un chercheur sans qualification; touriste de la guerre»: la charge est lourde. Le Monde aura aussi son droit de réponse.
Il reprend le chemin de la Syrie, deux fois à Alep, une fois près d’Idlib, puis ce dernier voyage pascal, quand on perd sa trace quelque part dans l’ouest syrien. Le Soir avait publié ses chroniques depuis Alep en juillet et août. L’horreur de cette sale guerre y éclatait au visage du lecteur. Des textes engagés.
Sur ses six jours dans les geôles du régime, il avait dit ceci: «Je parle au nom des Syriens, ces gens qui m’ont aidé dans les prisons, qui sont martyrisés par le régime, et m’ont dit: tu ne nous dois rien, témoigne de ce que tu as vu ici».
B. L. via facebook
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