Le conflit syrien devient une confrontation sunnites-chiites


Baudouin Loos
Jeudi 16 Mai 2013, 9h22

En Syrie, la guerre s’est internationalisée. Bachar el-Assad avait choisi de confessionnaliser le conflit. Les enjeux le dépassent désormais et le schisme entre sunnites et chiites s’en mêle.

  • © AP

Le théâtre de guerre syrien est-il en train de devenir celui d’un affrontement régional entre sunnites et chiites ? Tout se passe en effet comme si l’âpre conflit avait depuis longtemps déjà dégénéré en sanglante confrontation entre ces deux communautés musulmanes qui se vouent une franche hostilité en Orient depuis la mort du prophète Mohamet au VIIe siècle.

Passons en revue une série non exhaustive d’éléments qui composent ce puzzle complexe bien à l’image de la région.

Les alaouites syriens ne sont pas chiites

Avant de parler d’« axe » chiite, comme le font maints observateurs en évoquant l’alliance entre chiites libanais, alaouites syriens, chiites irakiens et l’Iran, il convient de préciser que les alaouites, la minorité religieuse dont émane le régime de Bachar el-Assad, n’ont qu’un rapport très lointain avec le chiisme.

Apparue au XIe siècle, la doctrine alaouite se fonde notamment, comme le chiisme, sur la vénération d’Ali, cousin et gendre de Mohamet. Mais l’obédience alaouite cultive de nombreuses originalités qui lui ont valu d’être taxée de secte hérétique voire impie par les autres musulmans, sunnites comme chiites. Les alaouites croient en la réincarnation, par exemple, ils ne fréquentent pas les mosquées, ne voilent pas leurs femmes, ne refusent pas l’alcool, et leurs rites s’apprennent par une initiation secrète.

Pour faire accepter sa constitution par la population syrienne en 1973, Hafez el-Assad dut ainsi y faire mentionner que l’islam était la religion du président et il veilla en même temps à ce que le plus important imam chiite du Proche-Orient, le Libanais Moussa el-Sadr, promulguât une « fatwa » reconnaissant les alaouites parmi la communauté chiite.

Minoritaires en Syrie (environ 10 % de la population), les alaouites allaient bientôt connaître un sort nouveau dans un pays où ils avaient jusque-là et historiquement dû jouer un rôle peu enviable de laissés-pour-compte méprisés, pauvres et montagnards. L’ascension sociale passa par les emplois au sein de la bureaucratie, des services de police et, massivement, de l’armée, beaucoup moins par le commerce, qui resta aux mains des grandes familles sunnites.

Comme le précise le spécialiste français Fabrice Balanche, « le pouvoir n’appartient pas aux alaouites, mais à des alaouites. La nuance est de taille car elle implique qu’il ne suffit pas d’être alaouite pour être proche du pouvoir et bénéficier d’un traitement de faveur ». C’est dire aussi que beaucoup d’alaouites sont demeurés pauvres. Mais presque tous sont désormais sensibles aux harangues du régime qui les invite à faire bloc dans l’adversité (voir plus loin).

La Syrie des Assad a opté pour une alliance avec l’Iran

C’est Hafez el-Assad, père de Bachar, qui avait choisi de s’allier avec la république islamique d’Iran des ayatollahs qui s’installe à Téhéran en 1979. Rien de religieux à cela. A la tête d’un régime qui reposait officiellement sur le parti Baas à l’idéologie panarabiste et laïque, Hafez cherchait surtout à nuire à l’Irakien Saddam Hussein, baasiste lui aussi, qui lui contestait le leadership panarabe. Il n’hésita pas, ainsi, à pactiser avec l’Iran durant la sanglante guerre Iran-Irak (1980-88), alors que le reste du monde arabe appuyait, peu ou prou, l’Irak.

Cette alliance n’a jamais prix fin, elle existe toujours, et comment ! Elle s’articule autour d’une cause commune contre de mêmes ennemis, à savoir Israël, les Etats-Unis, l’Occident en général et les régimes arabes qui lui sont proches. Quand le Hezbollah est créé avec l’appui de Téhéran au Liban occupé par Israël en 1982, la Syrie trouve en ce mouvement radical un allié naturel.

Les alliances régionales s’alignent sur les communautés religieuses et nourrissent le conflit

Une gigantesque lutte d’influence se joue en Syrie depuis que la contestation y a pris un tour armé en raison de la féroce répression du régime. Malgré la quasi-absence de vrais chiites syriens, sunnites et chiites ont fait de la Syrie un champ de bataille à l’échelle régionale.

C’est que, à Riyad, les Saoudiens ont dès l’origine vu l’émergence de la très radicale république islamique d’Iran comme une menace existentielle pour leur prédominance sur le monde musulman qu’ils veulent exercer au nom de leur titre autoproclamé de « défenseurs des Lieux saints » (La Mecque et Médine).

Le régime de Bachar el-Assad s’affichant ostensiblement aux côtés des fers de lance du chiisme, l’Iran et le Hezbollah, pour briser la révolte syrienne interne principalement sunnite, les sunnites du golfe Arabo-persique et d’ailleurs se sentent tenus d’intervenir. D’autant que les horreurs se multiplient sur le terrain et que les civils, surtout, payent le prix exorbitant des méthodes révoltantes du régime qui n’hésite pas à bombarder des zones habitées, privilégiant même des cibles comme les hôpitaux ou les boulangeries.

Des capitaux saoudiens et qataris – privés ou non – financent des jihahistes, selon des informations difficiles à vérifier. Riyad et Doha, en tout cas, ne cachent pas leur implication dans le dossier syrien. Mais ces deux pétromonarchies, qui cultivent une sournoise rivalité, ne soutiendraient pas les mêmes groupes armés.

De leur côté, la Turquie et la Jordanie, à majorité sunnite écrasante, se sont rangées derrière la rébellion après avoir initialement conseillé au régime une approche qui privilégierait les réformes. Ces deux pays accueillent, avec le Liban, des centaines de milliers de réfugiés sunnites. Le Turc Erdogan, islamiste « soft », pousse loin son soutien puisque l’Armée syrienne libre et la Coalition de l’opposition reçoivent le gîte en Turquie. Son souci additionnel : les Kurdes syriens, proches du PKK turc séparatiste avec qui il a entamé un processus de paix.

Bachar a rapidement choisi de communautariser le conflit

De son côté, le « raïs » syrien a dès avril 2011, au début de la contestation de son régime, cherché à confessionnaliser celle-ci. Il a ainsi tenté de mobiliser les minorités chrétienne, druze et évidemment alaouite contre les « terroristes » qui menaçaient la stabilité de son joug dictatorial. Depuis 2012, les récits d’exactions cruelles dues aux « chabihas », des milices à prédominance alaouites, se multiplient en Syrie.

Des centaines de villageois ont été massacrés à travers le pays, singulièrement dans un axe qui semble s’articuler autour du « pays alaouite » (l’ouest montagneux et côtier), comme si la théorie du « plan B » restait une possibilité que le régime se réservait : en l’occurrence, il s’agirait, en cas de chute des grandes villes comme Damas et Alep, de se retrancher dans un territoire qui deviendrait une sorte d’« alaouistan ». Certains parlent d’ailleurs d’« épuration ethnique », comme en attestent les tragiques événements du côté de Banias, sur la côte, ces dernières semaines…

Des étrangers dans tous les camps…

Les jihadistes, on l’a dit, arrivent en Syrie. Ces sunnites radicaux n’ont aucune peine à combler le vide d’une assistance à peuple en danger dont personne d’autre ne veut entendre parler. Combien sont-ils ? Quelques milliers. Impossible d’être précis. Mus par la solidarité islamique, ils présentent des profils variés, certains groupes ayant même prêté allégeance à Al-Qaïda, au grand dam d’un Occident tétanisé.

En face, la « main-d’œuvre étrangère » ne manque pas non plus, que du contraire. Le Hezbollah libanais ne cache plus qu’il intervient activement sur le terrain, son chef Hassan Nasrallah l’a admis le 30 avril tout en menaçant d’en faire plus si le besoin s’en faisait sentir. Le chercheur libanais Joseph Bahout le dit ainsi sur le site Les clés du Moyen-Orient : le Hezbollah « entretient des relations organiques avec la République islamique. L’implication militaire du Hezbollah en Syrie ne suscite certes pas l’enthousiasme des cadres ou de la base du mouvement libanais, mais tous s’en acquittent sans sourciller car la lutte qu’ils mènent est perçue comme déterminante pour la survie même de la communauté ».

Le mentor iranien du Hezbollah, lui, sait également où ses intérêts le portent : des centaines, voire plus, de « conseillers » opèrent en Syrie ; l’opposition clame d’ailleurs depuis longtemps que des milliers de « pasdaran » (« gardiens de la révolution », paramilitaires iraniens) épauleraient déjà l’armée de Bachar.

Enfin, la géopolitique épousant parfois des trajectoires ironiques, les chiites irakiens, qui dominent à Bagdad depuis que les Américains ont débarrassé le pays de Saddam Hussein, ne peuvent avoir que la même solidarité que leurs coreligionnaires libanais et iraniens pour le régime syrien aux abois. Ainsi, même si le gouvernement irakien opte officiellement pour la neutralité, des milices « dormantes » ces dernières années ont retrouvé leur allant et envoient des activistes aux côtés de l’armée loyale à Bachar.

Face aux milliers de jihadistes accourus pour soutenir la rébellion, il y a donc fort à parier que les militants chiites iraniens, irakiens et libanais représentent une légion étrangère au total bien plus imposante.

L’Occident tétanisé, Israël concerné

Tétanisé par le catastrophique paradigme irakien et par la crainte de voir une aide en armes sophistiquées tomber dans des mains extrémistes telles que celles d’Al-Qaïda, l’Occident reste comme paralysé et ne cherche qu’à gagner du temps. Ce dont profitent les extrémistes qu’ils craignent !

Les Israéliens, eux, estiment ne pas disposer du luxe de pouvoir attendre. Mais ils font face à un dilemme façon « peste ou choléra ». Le régime de Bachar el-Assad, à l’instar de celui de son père, s’est toujours révélé un ennemi bien commode. Une rhétorique criarde et revancharde mais aucun acte. La frontière, sur le Golan syrien occupé par Israël depuis 1967, est toujours restée des plus calmes. En revanche, et c’est ce qui compte surtout pour Israël, l’alliance de Damas avec l’Iran et le Hezbollah est perçue comme porteuse d’une menace rien moins qu’existentielle.

L’ennui, dans ce calcul israélien, c’est que les forces les plus dynamiques et efficaces au sein du camp des rebelles syriens, les jihadistes, vouent une haine inextinguible à l’Etat hébreu, dont ils ont juré la perte. On pourrait même aller vers un « jihadistan » dans le nord de la Syrie. C’est dire si les raids israéliens sur des cibles syriennes risquent de se multiplier ces prochains mois. Et peut-être pas seulement contre le transfert allégué d’armes vers le Hezbollah. Mais contre tous les camps…

S’il y a un vainqueur, le pire est à craindre pour les vaincus

La minorité alaouite est désormais devant un dilemme impossible : assimilée tout entière à la barbarie du régime, elle n’a d’autre choix que d’épouser ce camp, car elle craint – sans doute à juste titre – que la vengeance des sunnites, s’ils devaient l’emporter, serait terrible. Par ses méthodes, le régime a donc réussi à la persuader que la cause est simplement existentielle. Des exécutions sommaires, des enlèvements et des tortures dont des factions rebelles se sont rendues coupables çà ou là depuis deux ans et quelques mois que dure le conflit achèvent de la convaincre en ce sens.

Inversement, si le meilleur armement grâce à l’allié russe et l’aide en combattants étrangers quantitativement plus importante côté régime devaient permettre à celui-ci de l’emporter, on peut également craindre que les sunnites et les autres Syriens qui ont choisi la rébellion ne fassent l’objet de représailles des plus sanguinaires.

Plus ce terrible conflit s’éternise, plus les raisons de haïr s’amoncellent. Quel que soit l’avenir de la Syrie, il sera rouge. Rouge de sang. A l’image d’un voisin irakien loin d’avoir vaincu ses démons confessionnels.

Scénario apocalyptique ?

En attendant un vainqueur, il est à craindre que la situation évolue de manière complexe. Joseph Bahout, cité plus haut, évoque un scénario qui donne froid dans le dos : « La dynamique d’enlisement interconfessionnel dans laquelle est pris le conflit syrien pourrait aboutir à très court terme à la formation d’un continuum conflictuel libano-syro-irakien où s’affronteront les forces favorables et hostiles à la Révolution syrienne. On voit déjà un axe se former entre Nouri al-Maliki, Premier ministre irakien et chiite, le Hezbollah irakien, le Hezbollah libanais et le régime syrien, tous jouissant du soutien de l’Iran. Ces acteurs fusionnent de plus en plus, non seulement sur le plan théorique mais également sur le plan militaire. (…) A cet axe s’opposerait en miroir une alliance entre les tribus sunnites de la province irakienne d’Al-Anbar, actuellement en lutte contre Maliki, l’Armée syrienne libre (…) bientôt rejointes par les salafistes libanais et placés globalement sous les parrainages des puissances du Golfe. (…) On verra la région s’enfoncer dans un chaos transfrontalier durable. Sur le temps long, ce genre de conflit ne peut être remporté que par ceux qui ont le temps de leur côté, disposant du souffle nécessaire et de la capacité de mener des conflits asymétriques. En l’occurrence, il s’agirait plutôt de l’Iran et de ses alliés. Les Saoudiens sont en effet tétanisés tandis que les Occidentaux, qui se situent par dérivation du côté sunnite, n’ont ni les ressources ni l’intention de s’impliquer davantage ».

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Réfugiée en France, Raja a fui la Syrie et son régime policier


Alors que la guerre dans leur pays dure depuis plus de deux ans, des Syriens exilés en France racontent leur quotidien.

16/5/13
Raja, réfugiée en France, dissimule son visage derrière celui d’une Syrienne dont la maison a été...

Estelle des Dorides pour « la Croix »

Raja, réfugiée en France, dissimule son visage derrière celui d’une Syrienne dont la maison a été bombardée lors d’une attaque aérienne. L’expression traduit les souffrances de tout le peuple syrien, comme l’explique la photographe Estelle des Dorides.

Aujourd’hui, une ancienne fonctionnaire à Damas, non politisée mais qui ne supporte plus le régime

De sa vie antérieure, avant la guerre, Raja se souvient de la beauté de son jardin, du bassin avec des poissons en son centre, du bouquet de jasmin et de l’odeur du café, dégusté le matin. Une maison située près de Bab Touma, dans le centre de Damas, achetée avec les économies du couple.

Cela lui manque, tout comme son fils âgé de 33 ans, parti en novembre 2012, en Ukraine. « Il travaillait dans une société de vidéosurveillance et devait se rendre souvent hors de Damas. Avec la guerre, il avait de moins en moins de contrats et les déplacements sont devenus impossibles à cause des barrages routiers. Alors il a demandé un visa pour la France, mais sans succès. Il s’est tourné vers l’Ukraine parce qu’il parle russe. Ça a été très dur pour l’obtenir mais il a pu partir pour poursuivre ses études. »

Quant à son mari, il est resté à Damas pour veiller sur la maison. « Même s’il voulait venir, il ne le pourrait pas, on n’a plus les moyens de payer son voyage. Comme tous les Syriens, après plus de deux ans de conflit, nos économies sont épuisées. »

dénoncée par un collègue

Tous les événements qui ont marqué ces deux dernières années défilent dans sa mémoire. Raja, 58 ans, était fonctionnaire à Damas. Sa maison était située face au siège de l’un des très redoutés services de renseignements syriens. Les problèmes ont commencé en avril 2011, un mois après le début du conflit, lorsqu’une voiture piégée garée juste devant le bâtiment officiel, a fait voler en éclats la baie vitrée de 8 m de long de la maison.

Raja, qui dormait à proximité, a été blessée à la tête par les bris de verre. Elle reste persuadée que cet attentat fut l’œuvre du régime : « La voie était interdite à tout véhicule et, bizarrement, il y avait une voiture garée devant les bâtiments des services de renseignements ! »

Le quartier était très surveillé et Raja avait auparavant été convoquée à trois reprises par les Moukhabarat. « Au bureau, j’avais fait l’erreur de dénoncer la répression des enfants et les tortures commises par le régime. J’ai dit que c’était “haram”(interdit). J’ai dû être dénoncée par un de mes collègues. J’aurais dû me méfier car dans chaque administration en Syrie, il y a toujours quelqu’un qui travaille pour les services. Il est chargé de rapporter ce qui se dit. On ne peut pas avoir confiance en ses voisins de bureau. Mais j’étais écœurée par ce qui se passait alors que les gens dans la rue manifestaient pacifiquement réclamant simplement un peu plus de liberté. » Sa maison a été perquisitionnée à trois reprises, sans qu’ils ne trouvent rien.

elle part retrouver sa fille en Égypte

Craignant pour ses enfants, Raja n’hésite pas un instant. Le 25 mai 2011, elle envoie sa fille, Nour, étudiante en traduction, en France, où elle s’est inscrite à la Sorbonne et a trouvé un petit boulot pour vivre. Après quelque mois, n’y tenant plus, elle démissionne de son administration, en prétextant de graves douleurs lombaires.

« J’avais déjà pris des congés maladie parce que j’avais eu des problèmes de santé similaires auparavant et je portais une minerve. Mon directeur a facilité ma démission et m’a obtenu des indemnités. » Selon Raja, 70 à 80 % des Syriens sont proches de l’opposition, « mais ils ne peuvent pas le dire. S’ils parlent, ils perdent leur travail ».

Raja part le 29 juillet 2012 retrouver sa fille, Nour, dix jours en Égypte, car celle-ci ne pouvait pas venir en Syrie. « Son nom figurait sur des listes et elle aurait été arrêtée. Elle n’est pourtant pas une activiste. » Au Caire, elle loge chez un couple d’amis syriens réfugiés. Ceux-ci sont nombreux dans la capitale égyptienne, où ils sont plutôt bien accueillis par le régime des Frères musulmans.

Raja ne peut plus rentrer en Syrie

Frappée par le nombre de jeunes exilés, elle loue avec le mari de son amie un appartement pour les accueillir. « Beaucoup partent en Égypte pour échapper au service militaire. Ils ont parfois 14, 15, 16 ans. C’est la première fois qu’ils quittent leur pays et leur famille et ne connaissent personne. Certains dorment sur le trottoir. »

Raja prend son rôle très à cœur, fait la cuisine, aide ses protégés à trouver de petits boulots. Un réseau d’entraide humanitaire voit le jour. Le bouche-à-oreille fonctionne. Elle reçoit des appels de parents en Syrie qui lui envoient leur fils. « Une façon comme une autre d’apporter sa pierre à la Syrie », dit-elle. Elle participe aussi à des manifestations avec d’autres Syriens devant le bâtiment de la Ligue arabe au Caire. « Elle aussi nous a laissé tomber », regrette-t-elle.

Son séjour en Égypte dure cinq mois. Mais ses finances se tarissent. « Il ne me restait plus de quoi vivre un mois. Et je ne pouvais pas rentrer en Syrie. » Sa fille lui dit de venir la rejoindre en France. Elle fait une demande de visa au consulat de France au Caire. Après quelque temps, la bonne nouvelle arrive : un visa D lui est accordé, avec une entrée et une durée illimitées pour rester dans l’Hexagone.

le communautarisme à aggravé la situation

Aujourd’hui, Raja partage un petit appartement à Gentilly, près de Paris, avec sa fille qui a provisoirement arrêté son master en littérature à la Sorbonne pour travailler à plein-temps. Son sujet de maîtrise, « La littérature arabe dans les prisons », attendra des jours meilleurs. « Je suis totalement à sa charge », déplore Raja. Ne parlant pas le français, elle s’est inscrite à des cours à la mairie où elle réside. Et sa fille lui a téléchargé sur son portable des programmes d’enseignement. « C’est l’occasion ou jamais, dit-elle. Après avoir travaillé toute ma vie, je ne vais pas rester à ne rien faire. »

Comme tous les réfugiés, elle est passée maître dans l’art de communiquer par Internet avec sa famille restée au pays. Elle appelle son mari le soir par Skype ou Viber, deux sites d’appel gratuits. Les nouvelles sont rarement bonnes. « Le fils de ma sœur a été arrêté à un barrage, le frère de mon mari est en prison depuis trois mois, ils l’ont arrêté sur son lieu de travail. Beaucoup de gens disparaissent sans que l’on sache où ils sont. » 

« C’est le régime qui parle de guerre civile, poursuit Raja. Auparavant jamais on ne distinguait une personne par sa religion, sunnite, chrétien ou alaouite. » À Damas, Raja vit d’ailleurs dans un quartier chrétien et alaouite. Pour elle, c’est le régime qui a favorisé le communautarisme. « Le noyautage a commencé dès 2004. À partir de cette date, le gouvernement ne recrutait plus que des fonctionnaires de la côte (région où les Alaouites sont nombreux, NDLR). Aucun n’était de Damas. »

soutien du Hezbollah au régime

Un concours du ministère de l’éducation nationale avait été organisé à Lattaquié, ville située sur la Méditerranée, considérée comme un fief alaouite, bien que peuplée aussi de chrétiens et de sunnites. « Tous ceux qui étaient originaires de la côte ont été reçus, ensuite ils ont été mutés au ministère de l’économie, puis ont été répartis à des postes importants, même s’ils n’avaient pas les compétences. » Ce mouvement de « préférence communautaire », a continué jusqu’en 2009-2010.

Pour elle, le pouvoir à Damas ne tient que grâce au soutien de l’Iran, du Hezbollah libanais et de la Russie. « Depuis le début du conflit, les Iraniens et les Libanais sont partout, aux check-points, au sein de l’armée. Sans eux, elle s’effondrerait. » Elle pense que les pays voisins soutiennent le pouvoir à Damas parce qu’ils craignent l’instabilité qu’entraînerait sa chute. « Et nous, on en paie le prix ! »

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L’Allemagne et la Suède, terres d’asile

Les États de l’Union européenne ont reçu plus de 21 000 demandes d’asile de la part de ressortissants syriens entre mars 2011 et septembre 2012, et les Syriens ont représenté le groupe national le plus important de demandeurs d’asile dans l’UE au cours du troisième trimestre 2012. Beaucoup reçoivent une protection subsidiaire, un statut qui offre un droit temporaire de rester dans le pays et qui, le plus souvent, n’autorise pas la réunification familiale.

La plupart des demandes ont été enregistrées en Suède et en Allemagne, qui ont adopté une politique d’octroi systématique d’une protection au moins subsidiaire aux Syriens.

La Belgique, la Bulgarie et le Danemark rendent, eux, des décisions négatives. Beaucoup de Syriens entrent dans l’UE par la Grèce mais, depuis début 2011, plus de 9 000 Syriens ont été arrêtés dans ce pays sous le prétexte d’être entrés ou demeurés illégalement.

Agnès Rotive

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« Mahmoud Sarsak, une jeunesse brisée », par Olivier Pironet,


En visite en France (22 mars-14 avril 2013), à l’invitation de plusieurs municipalités, des associations et des clubs de football, Mahmoud Sarsak peine à contenir sa colère lorsqu’on l’interroge sur ce qu’il pense de la tenue sur le sol israélien du championnat d’Europe de football des moins de 21 ans, du 5 au 18 juin 2013 (lire « Euro Espoirs de football en Israël, les droits des Palestiniens piétinés »). La carrière sportive de ce footballeur, sorti très affaibli de son incarcération en Israël, est actuellement au point mort. Il ne sait pas s’il retrouvera un jour son niveau d’antan et demeure sans travail depuis sa libération (il était en 2e année d’études informatiques avant son arrestation). Aujourd’hui, il s’est donné pour mission de « défendre la cause palestinienne dans le monde entier », et de faire entendre « les cris de désespoir » de ses compatriotes qui « croupissent par milliers dans ces tombes pour vivants » que sont les prisons israéliennes, où l’on trouve de nombreux enfants, « dont certains n’ont même pas 13 ans », et même des « femmes enceintes qui accouchent dans des conditions effroyables ».

Ce jeune Gazaoui âgé de 26 ans a été arrêté en juillet 2009 par l’armée israélienne au terminal frontalier d’Erez (point de passage entre Israël et la bande de Gaza), au motif qu’il représentait « un danger pour Israël », alors qu’il se rendait en Cisjordanie pour s’entraîner avec l’équipe nationale de Palestine et y intégrer le club de Balata (Naplouse). Accusé sans preuve d’appartenir au Jihad islamique — ce qu’il a toujours formellement démenti —, il a été détenu en Israël pendant trois ans en tant que « combattant illégal » (selon la terminologie israélienne), sans procès, ni avocat, ni droit de visite, subissant au début de sa détention « quarante-cinq jours de séances d’interrogatoire », accompagnées de « tortures si violentes » qu’il a « dû être hospitalisé cinq fois ». En juillet 2012, à l’issue d’une grève de la faim de trois mois au cours de laquelle il est passé de 76 à 45 kg — frôlant la mort —, et sous la pression d’une campagne internationale de soutien relayée par des personnalités du monde de la culture et du sport, il a finalement été libéré et renvoyé à Gaza.

La Fédération française de football (FFF) et le ministère des sports, sollicités par M. Sarsak alors qu’il était à Paris pour évoquer, entre autres, la situation de deux coéquipiers de l’équipe nationale, Omar Abou Rouis et Mohammed Nemer, emprisonnés sans raison depuis plus d’un an dans les geôles israéliennes, n’ont pas daigné le rencontrer, « même à titre privé ». Il a toutefois pu être reçu par des parlementaires européens, à Strasbourg, le 11 avril dernier, bien que la mission israélienne au Parlement ait cherché à les en dissuader en distribuant des tracts alléguant que M. Sarsak était un terroriste — une nouvelle preuve, s’il en était besoin, qu’Israël tente de « manipuler l’opinion publique ».

Publié dans le Monde Diplomatique le mercredi 15 mai 2013 : http://www.monde-diplomatique.fr/ca…

Et il n’est pas encore trop tard pour vous joindre à la manifestation du vendredi 24 mai à Londres, à l’occasion du congrès annuel de l’UEFA qui s’y tiendra ! Pour plus d’infos à ce sujet : info@europalestine.com

CAPJPO-EuroPalestine

Syrie: une implacable surenchère d’atrocités


Par , publié le 16/05/2013 à 18:02, mis à jour à 21:50

La vidéo montrant un rebelle éviscérant le cadavre d’un soldat a provoqué une forte émotion. Ce type d’exactions se multiplie à mesure que dure la crise et contribue à la guerre des images qui se livre en Syrie.

Syrie: une implacable surenchère d'atrocités
Syrie- « Dans la plupart des vidéos, on affaire à des anonymes. Si celle d’Abou Sakkar retient plus l’attention que les autres, c’est parce que l’auteur de ces crimes a été identifié et qu’il a reconnu ses actes ».Capture d’écran du Daily Mail

La vidéo montrant un rebelle syrien éviscérant le cadavre d’un soldat et faisant mine de croquer ses organes a suscité mardi une très forte émotion. L’un des responsables de l’association Human Rights Watch (HRW) qui a révélé cette atrocité se demande s’il agit de la vidéo la plus répugnante depuis le début de la crise en Syrie.

Abou Sakkar, de son nom de guerre, commandant de la brigade rebelle Omar al-Farouq de l’Armée syrienne libre (ASL), découpe le coeur du cadavre avant de lancer: « Nous jurons devant Dieu que nous mangerons vos coeurs et vos foies, soldats de Bachar le chien ». « Oh héros de Baba Amr, massacrez les alaouites et découpez leur coeur pour le manger », ajoute dans la vidéo ce sunnite, comme l’écrasante majorité des insurgés, faisant référence à la minorité issue du chiisme à laquelle appartient Bachar el-Assad.

Un journaliste britannique qui avait rencontré la brigade de Khalid al-Hamad (le vrai nom du combattant) lors du siège de Baba Amr à Homs, au début de 2012, explique pourtant que celle-ci était loin d’être extrémiste. Les proches d’Abou Sakkar se souviennent qu’il participait aux manifestations pacifiques et anti-sectaires au début de la contestation.

Tous les observateurs du conflit syrien soulignent que ce type d’horreurs ne peut aller qu’en augmentant à mesure que la guerre s’intensifie en Syrie. Elles sont le propre de toutes les guerres, rappelle Patrick Clervoy, psychiatre militaire: « Tout être humain plongé dans un milieu chaotique et lui-même témoin d’atrocités peut être amené à ce type de dérive. Qu’il soit Syrien, Européen ou Américain importe peu. Pendant la deuxième guerre mondiale, des GI’s avaient attaché des scalps de soldats japonais à leurs chars et leurs autorités avaient dû écrire des règlements explicites pour interdire la prise et l’exhibition de dépouilles corporelles de l’ennemi. Des vétérans anciens commandos de chasse m’ont rapporté des histoires identiques de cannibalisme rituel pendant la Guerre d’Algérie… comportements importés dans l’armée française par des anciens soldats de la Wermacht engagés dans la Légion étrangère », complète le médecin.qui parle de « décrochage du sens moral » propre au contexte de la guerre.

Interrogé via Skype par le journal américain Time, le combattant, identifié comme Khalid al-Hamad, assure avoir agi de la sorte après avoir découvert dans le téléphone portable du soldat tué des vidéos montrant ce dernier en train d' »humilier » une femme nue et ses deux filles. En Syrie, toucher à une femme est particulièrement tabou.

La bataille des images

Depuis le début du conflit, violence et propagande sont l’un des enjeux de cette crise (Lire La révolution syrienne, entre piège de la violence… et manoeuvres du régime, sur le blog Un oeil sur la Syrie) De nombreuses vidéos circulent sur internet servant la propagande des uns et des autres. Dont un certain nombre de faux, comme le rappelait le GlobalPost en novembre dernier. « Dans la plupart des vidéos, on a affaire à des anonymes, explique Nadim Houry, de HRW. Si celle-ci retient plus l’attention que les autres, c’est parce que l’auteur de ces crimes a été identifié et qu’il a reconnu ses actes ».

La rébellion syrienne a promis de punir les auteurs d’exactions. L’opposition qui cherche à obtenir de l’aide des pays occidentaux contre le régime de Bachar el-Assad est consciente que ce type d’acte porte un coup terrible à sa cause. Pour Ignace Leverrier, ancien diplomate et auteur du blog Un oeil sur la Syrie, le régime de Damas, en encourageant les chabihas à commettre des exactions, cherche aussi à entrainer ce genre de réaction chez les rebelles. Il sait qu’il tirera profit du discrédit que cela entraîne pour l’opposition.

D’autant que la communauté internationale, « qui ne s’indigne que mollement des atrocités commises par le régime, exige en revanche de l’opposition qu’elle soit exemplaire », complète Ignace Leverrier.

Indignation à géométrie variable

Les opposants s’étonnent d’ailleurs de l’indignation à géométrie variable des opinions publiques occidentales. Les massacres récurrents (comme ceux de Houla, en juin 2012, de Darraya en aout 2012, de Jdeidet al-Fadl en avril dernier) commis par le régime se multiplient depuis le début du conflit dans une quasi indifférence.

Début mai, des dizaines de personnes dont des femmes et des enfants ont été massacrés dans des quartiers sunnites à Baniyas et dans le village proche de Baida, en plein coeur de la région alaouite. Les témoignages se multiplient sur ces tueries, dont celui du New York Times, ou celui paru sur le site A l’encontre. Mais « ces régions sont sous le contrôle du gouvernement syrien et les habitants ont enterré leurs proches en catimini ; ils ont très peur de parler et peu de moyens de faire connaître l’ampleur des tueries », explique Nadim Houry. Le nombre de victimes est estimé à au moins 145 par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), dont des femmes et des enfants, mais certaines associations parlent de plusieurs centaines de victimes.

Pour Nadim Houry, « il essentiel que l’opinion internationale redouble d’initiative pour mettre fin au conflit », sans quoi, se sentant délaissés, les Abu Sakkar vont se multiplier.

NAIM KOSAYYER : LA TERRIFIANTE SITUATION DES HOPITAUX D’ALEP


  • (Entretien avec FB)
    A Alep, nous étions accompagnés d’une équipe de tournage car nous voulions filmer le travail des médecins bénévoles. Sur place, on nous a informés qu’il était nécessaire d’avoir une autorisation… et qu’il serait très probablement très difficile de l’obtenir. Pourquoi ? Parce que, nous a-t-on expliqué, dès lors qu’ils apparaissent dans les médias, les hôpitaux et les lieux de soins sont systématiquement bombardés.
    L’hôpital « Dar Al-Chifa’ » est là pour en témoigner. Ou plutôt… il n’est plus là. Il a été la cible du régime une bonne dizaine de fois. Les bombardements n’étant pas d’une précision chirurgicale, un des immeubles mitoyens a cédé le premier et il n’en reste plus rien non plus. Le quartier qui se trouve juste derrière l’hôpital Al-Zarzour a été complétement anéanti par un missile SCUD. Les médecins assurent que c’est l’hôpital qui était visé : ils racontent avoir entendu le SCUD passer au-dessus de leurs têtes. Pour le corps médical, il n’y a pas deux interprétations possibles : la « mafia » Assad, c’est un des noms donnés au régime, ne veut pas que des images de blessés civils apparaissent dans les médias, pour que ces derniers se focalisent sur des sujets plus politiques qu’humanitaires. Moins spectaculaire, il y a également les enlèvements de médecins aux portes mêmes de ces hôpitaux, preuve si l’en est que c’est bien le corps médical qui est visé.En dépit de tout cela, les médecins ont pris le risque, dans le passé, de laisser les grands médias les filmer, avec l’espoir que les images d’horreur absolue encourageraient le monde, désormais au fait du drame humanitaire, à envoyer une aide à la mesure des besoins. Hélas, cette aide est restée à ce jour très loin d’être suffisante. Comme pour ne pas donner l’impression qu’ils sont ingrats, les médecins ajoutent qu’ils remercient vivement ceux qui répondent à l’appel, mais ils déplorent dans le même temps qu’ils soient si peu nombreux. Finalement, les aides qui arrivent ne justifient donc absolument pas le risque de se faire bombarder, et de perdre ainsi du matériel durement acquis, sans parler des médecins eux- mêmes. D’où cette interdiction de plus en plus fréquente de filmer.

    Les médecins eux-mêmes se font de plus en plus rares. Quoi de plus surprenant, sachant qu’ils sont considérés – et traités- par le régime comme des ennemis, c’est-à-dire comme “des terroristes”, selon cette logique que l’on croyait n’être que celle des groupes radicaux qui veut que l’aide apportée à un blessé ennemi fasse de vous un ennemi semblable.

    Certains Alépins en veulent particulièrement aux médecins de leur ville. Ils se demandent où sont passés les 7000 médecins ou presque qui sont enregistrés, alors que la population a besoin plus que jamais de leurs compétences. Certaines spécialités sont tout simplement absentes. Certains médecins non formés à la chirurgie générale sont contraints de s’essayer aux actes chirurgicaux. Un jeune infirmier anesthésiste a même pratiqué seul une … césarienne. Le tout dans des conditions bien sûr déplorables. Un patient lache, avec un sourire désabusé : “Nos médecins ne sont pas (de vrais) médecins et nos militaires (de l’ASL) ne sont pas (de vrais) militaires. Et pourtant, tous comptes faits, on se débrouille pas si mal…!”

    Si l’on ne meurt pas sur le coup d’une déflagration, c’est le manque de prise en charge ou le manque de moyens qui se révèle souvent fatal. En entrant dans l’un des hôpitaux, on est assailli par les cris de douleurs d’hommes, de femmes et d’enfants, parfois étendus à même le sol, qui attendent d’être pris en charge. Certains pourtant n’auront pas le droit au statut de patient. Leur corps inerte sera déposé devant l’hôpital, pour que les familles viennent le chercher et l’enterrer.

    L’immense majorité des blessés sont des civils. C’est déjà, en soi, inadmissible. Mais ce qui choque profondément les médecins et les infirmiers, ce sont ces enfants qui arrivent avec une balle de sniper logée quelque part dans le corps, trop souvent à la tête ou à la poitrine. Le responsable d’un des hôpitaux nous montre les photos de dizaines et de dizaines d’enfants morts d’une balle de sniper. L’un d’eux a été tué alors que son père et sa mère lui tenaient tous deux la main.C’est bien l’enfant que le sniper visait. Devant de telles horreurs, certains veulent croire que les auteurs ne sont pas des miliciens alaouites proches du régime mais des extrémistes chiites importés d’Iran.

« Mon père a été enterré vivant, je l’attends »


Sandra NOUJEIM | 13/05/2013
L’émotion individuelle s’effectue d’abord à travers la synergie de groupe.  Photo Noura Saad
L’émotion individuelle s’effectue d’abord à travers la synergie de groupe.  Photo Noura Saad

Réfugiés syriens Les enfants syriens dévoilent leurs souffrances grâce à l’art-thérapie.

L’art-thérapie appliquée aux enfants de réfugiés syriens à Wadi Khaled et à Taanayel les incite à exprimer « leur vulnérabilité et leurs difficultés », afin de faire face à « la psychopathologie de la vie quotidienne », comme le décrit Wissam Koteit, psychologue clinicien et art-thérapeute spécialisé dans les arts de la scène. À travers l’association Himaya, dont il a été responsable de la coordination des ateliers pour enfants, il a proposé un programme d’art-thérapie pour les enfants syriens et des sessions de sensibilisation aux abus, destinées à leurs parents (voir par ailleurs). Aya Mhanna, psychologue clinicienne, spécialisée dans l’écriture créative, et Mira Saad, art-thérapeute spécialisée en arts graphiques, rapportent leurs expériences avec les enfants syriens, dont elles ont pu à peine palper les souffrances.
Aya Mhanna explique comment elle a tenté de faire revivre l’espoir, en deux heures de temps, au sein d’un groupe de vingt enfants de la guerre. Sa méthode est celle du « conte thérapeutique ». Ce jour-là, dans le centre d’arcenciel, à Taanayel, elle avait choisi comme thème de travail « le sac de l’injustice », où les enfants devaient représenter tout ce qui les répugne pour s’en débarrasser. Mais l’activité a pris un tournant autre que ce qui était prévu. En effet, au tout début de la séance, les participants (des enfants de 10 à 12 ans) devaient se présenter et révéler au groupe ce qu’ils aiment devenir, mais aussi ce qu’ils n’aiment pas. Son tour venu, un garçon « mignon à croquer », selon Aya Mhanna, et que l’on nommera Hani, a confié sa volonté « d’être instruit et de devenir enseignant ». À la question de savoir ce qu’il n’aime pas, il s’est tu, avant de s’effondrer en larmes. Le groupe s’est immédiatement solidarisé avec lui, le couvant du regard « sans mot dire », l’effleurant parfois du bout des doigts, pour l’apaiser, « s’approchant de lui pour l’enlacer ».

Le voyant incapable de s’exprimer, et consciente du double enjeu « de laisser faire l’expression de l’émotion, sans toutefois bloquer tout le groupe », Aya lui a demandé de lui révéler plus tard ce qui le tracassait. « C’est alors qu’il m’a regardée, avant de me lancer, avec un sourire : Je déteste l’injustice. » Le silence de solidarité autour de l’enfant et la déchirure de l’injustice qu’il avait à peine trahie ont incité la psychologue à travailler le thème de l’espoir, mais d’une manière indirecte, en faisant ressortir d’abord « l’expression de l’injustice » chez chaque enfant. Elle leur raconte une histoire, qu’ils devront compléter : « Deux enfants, un garçon et une fille, vivent avec leur père et leur mère dans une belle maison entourée d’animaux (les animaux sont récurrents dans l’imaginaire des enfants, surtout les animaux inoffensifs, comme les moutons, selon les observations de Aya). Un jour, le garçon, sorti pour une promenade, a réalisé qu’un poussin s’est enfui. Il décide de le suivre, mais se perd. Sa sœur décide alors de suivre son frère, mais se perd elle aussi. Complétez l’histoire. » Alors que la plupart des enfants recourent à l’écriture (la psychologue relève chez eux une excellente maîtrise de la langue arabe), certains préfèrent recourir au dessin ou s’exprimer oralement, même s’ils maîtrisent l’écriture. Dans la suite qu’ils ont donnée à l’histoire, jamais le poussin n’est retrouvé. « Il disparaît définitivement, piétiné, écrasé, tombé dans un trou ou perdu à jamais », constate Aya. Mais dans la plupart des suites imaginées, « la sœur finit par retrouver le frère ». Bel agencement de péripéties, qui s’achèvent sur une note d’espoir.

« Kidnappés par les chabbiha »
Sauf que le processus n’est pas si simple, et certains de ceux ayant vécu des traumatismes extrêmes, comme Hani, peinent à s’imaginer un dénouement, quel qu’il soit. Comme si le fil de leurs souvenirs tourbillonnait dans une infinie noirceur. Hani imagine en effet que « la sœur essaie de suivre le garçon qui se fait kidnapper par des chabbiha du régime. Aucune mention n’est faite du poussin à aucun stade ». « La sœur est kidnappée à son tour, avant d’être menottée et séquestrée avec son frère dans un endroit clos enfoui sous la terre. »
Aya Mhanna explique qu’à ce stade, il est primordial de faire sortir l’enfant de ce trou, au sens figuré, où il se trouve enfoncé. « Il faut lui trouver une issue d’espoir, au risque de rater le but thérapeutique de l’exercice », souligne-t-elle. Elle décide d’intervenir cette fois, à titre exceptionnel, dans le cours de l’histoire, en ébauchant une forme de dénouement sous forme de question. « Qui veut aider ce garçon ? » lui a-t-elle demandé. Comme guidé par une fine raie, Hani poursuit l’énoncé de son histoire devant ses camarades attentifs : « Le frère parvient à se délier et libère sa sœur. Ils profitent de la sieste des chabbiha pour prendre la fuite. » Les enfants applaudissent alors et Aya est rassurée.

 

« Je n’ai pas fini, lance Hani. Alors que le frère et la sœur fuyaient, l’un des chabbiha se réveille et les poursuit en tirant dans leur direction. Ils poursuivent leur course, jusqu’à ce qu’un vieil homme les recueille, les place dans un abri où il leur ramène de la nourriture et passe les voir de temps à autre. »
Les parents n’ont plus de place dans l’histoire de Hani, qui s’achève ainsi. Son récit est celui de son histoire à lui en Syrie. Les détails inimaginables qu’il a vécus, que l’on s’abstient de relater afin de le protéger, rejaillissent du récit, comme les souffles d’un inconscient surchargé. « Il est très important d’amener l’enfant à transcender le blocage déclenché par le traumatisme, de l’empêcher d’arrêter son histoire à un stade traumatique des événements », insiste encore Aya Mhanna. Là où s’est arrêté le récit de Hani a paru satisfaisant. L’exercice du groupe pouvait alors se poursuivre.

L’espoir après l’injustice
Inspirée des récits de tous les enfants, la thérapeute a dessiné sur le tableau un cercle, en leur posant des questions sur les leçons tirées des histoires racontées. « Vos histoires montrent que même si vous avez tout perdu, dans l’effort que vous avez mis pour essayer de trouver quelque chose, vous avez pu vous retrouver… » conclut-elle, en leur expliquant que ce « quelque chose qui nous reste, qui nous incite à avancer… eh bien c’est l’espoir ». Elle efface alors le mot « injustice » inscrit à l’intérieur du cercle et le remplace par « espoir ». Les enfants s’approchent successivement du tableau, où ils estompent avec le torchon un bout du cercle dessiné. « Le sac de l’injustice disparaît et laisse place à l’espoir. » À la demande de la thérapeute, les enfants se dressent alors sur leurs chaises et crient pour « expulser l’injustice » de leur être, en alternant l’expiration avec une profonde « inspiration de l’air », du bien-être.
Mais la thérapeute trouve auprès de certains des états d’esprit que l’on ne peut guérir en deux heures. Des attentes que rien ne semble près à combler. Elle relate par exemple l’histoire de Maha (prénom d’emprunt) qui avait pris part à l’un des ateliers de médiation thérapeutique organisé pour un groupe d’enfants syriens âgés de 6-7 ans. Priés, comme pour le groupe précédent, de se présenter et de révéler ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas, la plupart ont dit aimer les animaux sans défense – retour à la symbolique du poussin –, et détester nommément le régime du président Bachar el-Assad. Priés d’évoquer ce qu’ils détestent dans leur intimité, loin de la politique, ils ont alors mis l’accent sur l’abandon de leur maison, exprimant d’une manière à peine voilée l’angoisse de ne pouvoir y retourner. Initiant alors sa méthode du conte thérapeutique, elle leur propose le sujet d’un « dialogue entre un cheval qui pleure fort et un lapin qui l’aborde pour l’inciter à lui confier les raison de sa tristesse. Le cheval se montre réticent, mais finit par céder. Quelle histoire le cheval va-t-il raconter ? »

(Pour mémoire : Donner naissance… un parcours de combattante pour les réfugiées syriennes)

Récupération, détournements, inventions : avec quoi se battent les rebelles syriens


Depuis le début de la confrontation armée, on fait ce qu’on peut avec les moyens du bord. On réutilise les armes du régime contre ses propres troupes. À chaque fois qu’on est bombardé par les airs avec des bombes à fragmentation [bombe aérienne qui peut exploser avant d’atteindre sa cible ou à l’impact et qui libère des milliers d’éclats ou de petites bombes], on va à la collecte des bombes non explosées pour en extraire la poudre après les déflagrations. Puis on les utilise pour fabriquer des engins explosifs, mais aussi pour les cartouches, les obus, les roquettes, etc.
Dans ce processus, on est aidés par des officiers déserteurs et par les combattants étrangers venus nous rejoindre.
Une bonne partie de notre armement provient de l’armée syrienne. Au début, on a acheté beaucoup d’armes et de munitions aux officiers qui cherchaient à se faire un peu d’argent. Mais cette pratique nous a coûté cher, certains nous ont vendu des cartouches qui explosaient dans les magasins de nos fusils dans une logique de sabotage ou même des roquettes anti-chars… sans charge explosive.
« Beaucoup d’ingénieurs et d’étudiants se battent dans les rangs des rebelles et nous font profiter de leurs connaissances scientifiques »
Aujourd’hui, beaucoup d’ingénieurs et d’étudiants se battent dans les rangs des rebelles et nous font profiter de leurs connaissances scientifiques. D’ailleurs ce sont eux qui nous aident en matière de balistique. Ils utilisent notamment des outils comme Google Earth pour cibler des lieux précis.
Avec l’aide de ces ingénieurs et de quelques forgerons expérimentés, on a développé une petite industrie artisanale pour la fabrication de roquettes, de mortiers et de munitions. D’ailleurs, c’est le cas de plusieurs villes syriennes.
C’est dans le Nord que les combattants sont les plus expérimentés car ce sont eux qui ont commencé à travailler les armes récupérées. Aujourd’hui, des hommes de toutes les villes vont dans cette région [Idleb] ou même en Turquie pour acquérir cette expertise. Nous allons aussi en Turquie pour acheter des composantes indispensables comme les douilles et les amorces pour les cartouches de différents calibres.
Notre manque de moyens nous oblige à profiter de toutes les occasions qui se présentent. Quand nos combattants s’attaquent à un transport de troupe blindé et le mettent hors d’usage, on essaye de récupérer ce qu’on peut. On récupère souvent le canon, la mitrailleuse et les munitions. Si la tourelle est indemne, on la récupère aussi pour la fixer sur un camion ou sur un 4×4, car elle constitue une protection pour notre tireur.

Tourelle d’un transport de troupes BMP1 avec canon de 73mm à âme lisse et mitrailleuse PKT de 7,62 mm de fabrication soviétique montée sur un poids lourd. Deir-Ezzor, 6 novembre 2012. Il est possible de mettre 40 obus dans la réserve du canon. Les transports de troupes BMP1 ont un faible blindage, donc sont faciles à endommager et donc à récupérer.

À Homs, nous avons même réussi a créer une mitrailleuse téléguidée. Nous l’avions récupérée sur un char T72 puis montée sur des roues avec un système de guidage à distance. Cinq personnes ont travaillé sur ce projet, elles ont utilisé un vieux vélo et un petit moteur électrique pour monter le mécanisme. En ce qui concerne la caméra, c’est une simple webcam, d’ailleurs on utilise les webcams sur toutes les lignes de démarcation pour surveiller les rues et les immeubles.

Ces techniques demeurent rudimentaires et l’efficacité de ces armes reste relative. Même si les rebelles syriens marquent des succès militaires, la puissance de feu de l’armée syrienne régulière reste inégalée.
 

Mitrailleuse PKT de 7,62 mm téléguidée du groupe djihadiste Foursan al-Souna

Abou Souleiman

Syrie : pas seulement la honte mais l’obscénité


France Inter l’émission du mardi 14 mai 2013

Le drame syrien et l’inaction internationale

Ce n’est désormais plus seulement une honte. Il n’y a désormais plus qu’un mot, celui d’obscénité, pour qualifier l’inaction du monde, de ses organisations internationales et de ses grandes capitales, devant le drame syrien. On en est à plus de 80 000 morts en deux ans. Plus du quart de la population syrienne est désormais constitué de réfugiés et de déplacés, 5 600 000 personnes en tout. Les massacres sont quotidiens. Le recours à l’arme chimique, au gaz sarin, par le pouvoir en place ne semble plus guère contestable et que fait ce qu’on appelle la « communauté internationale » ?

La Chine et la Russie bloquent toute résolution du Conseil de sécurité car ni l’une ni l’autre ne souhaitent qu’une nouvelle dictature ne tombe sous les coups d’une insurrection populaire qui pourrait donner des idées à leurs propres populations. L’Iran chiite, pour sa part, arme et finance le régime de Bachar al-Assad car il ne veut pas laisser s’effondrer le seul Etat de la région qui lui soit allié et lui permette de se projeter jusqu’au cœur du Proche-Orient sunnite.
Quant aux Occidentaux, c’est plus affligeant encore.

Contrairement à la Chine, la Russie et l’Iran, ce n’est pas même qu’ils défendent une raison d’Etat. Non, ils sont tout simplement perdus, divisés, changeants – paralysés par leurs difficultés budgétaires, leur souvenirs d’Irak et d’Afghanistan et leurs craintes, surtout, que les armes qu’ils pourraient livrer à l’insurrection ne tombe entre les mains de djihadistes. A force de pas savoir prendre une décision, les Occidentaux ne font ainsi que renforcer les rangs des djihadistes au sein de l’insurrection, qu’accréditer l’idée qu’ils ne brandiraient leurs principes que lorsqu’ils servent leurs intérêts, que se discréditer et si bien laisser ce drame s’approfondir qu’il devient chaque jour plus insoluble.

Le sang coule, la barbarie triomphe, cette crise contamine tout le Proche-Orient et, comme personne n’est tout de même complètement aveugle, le monde s’agite, comme  des mouches dans un bocal. Se rendant compte qu’elle ne peut plus tabler sur la survie du régime Assad, la Russie se rapproche des Etats-Unis qui finissent eux-mêmes par se dire qu’une période de transition négociée avec la dictature vaudrait mieux qu’un total chaos les obligeant à intervenir trop tard.

Très bien. Peut-être. Pourquoi pas mais, à défaut d’un véritable accord entre elles, l’Amérique et la Russie n’ont fait qu’appeler, il y une semaine, à la réunion d’une conférence internationale dont les objectifs sont si peu clairs que sa tenue est déjà repoussée, pendant que tout s’aggrave toujours plus.
Frappée par un attentat dont elle a toute raison d’accuser les services syriens, la Turquie membre de l’Otan presse les Occidentaux de se montrer plus fermes.

Les Israéliens font pression sur la Russie pour la dissuader de fournir au pouvoir syrien des missiles sol-air qu’ils menacent implicitement de détruire sitôt qu’ils seraient livrés. L’insurrection n’en finit plus de se réunir pour tenter de resserrer ses rang. Les Européens avertissent que leurs capacités d’aide aux réfugiés seront bientôt épuisées et, dans ce fiasco international, la Syrie tombe toujours plus bas, entraînant tout le Proche-Orient avec elle.

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