A Gaza ou ailleurs, il n’y a pas de droit au massacre


Baudouin Loos
Mis en ligne il y a 30 minutes

Il y a des moments où les mots manquent pour exprimer la consternation. Les événements de Gaza, depuis plus de trois semaines, appartiennent à cette catégorie. Les images qui nous parviennent de là parlent d’elles-mêmes. Elles soulèvent le cœur. Le malheur absolu qui s’abat sur cette population palestinienne nous est conté en direct dans toute son indicible cruauté.

Pour Israël, l’équation se résume à une accusation : tout ce qui arrive est la faute du Hamas. « Cette organisation terroriste prend sa population en otage, la réduit à une condition de bouclier humain », etc.

Rien de nouveau sous le dur soleil proche-oriental : au début des années 1970, on a prêté au Premier ministre israélien Golda Meir cette déclaration : « Je ne pardonne pas aux Palestiniens d’obliger Israël à tuer leurs enfants. »

Il y a beaucoup à dire sur les responsabilités respectives du Hamas et d’Israël dans le funeste développement des tueries actuelles. On en a déjà parlé dans nos colonnes. Mais, au-delà de cette importante polémique, écoutons plutôt un Dominique de Villepin, ancien Premier ministre français et ex-ministre des Affaires étrangères, qui a eu des mots justes ce 31 juillet dans une tribune libre diffusée par Le Figaro et intitulée « Lever la voix face au massacre perpétré à Gaza ».

« Ayons le courage, écrit-il notamment, de dire une première vérité : il n’y a pas en droit international de droit à la sécurité qui implique en retour un droit à l’occupation et encore moins un droit au massacre. Il y a un droit à la paix qui est le même pour tous les peuples. La sécurité telle que la recherche aujourd’hui Israël se fait contre la paix et contre le peuple palestinien. »

Il ajoute plus loin : « Il ne saurait y avoir de responsabilité collective d’un peuple pour les agissements de certains. Comment oublier le profond déséquilibre de la situation, qui oppose non deux Etats, mais un peuple sans terre et sans espoir à un Etat poussé par la peur ? On ne peut se prévaloir du fait que le Hamas instrumentalise les civils pour faire oublier qu’on assassine ces derniers. »

Ajoutons que le texte propose aussi des sanctions contre Israël et l’application de la justice pénale internationale…

Les enfants de Gaza n’ont jamais eu de perspectives de vie réjouissantes. C’est « no future ». Pourtant, les choses ne cessent d’empirer. Que peut-on en effet attendre d’une jeunesse palestinienne dans la bande de Gaza qui a subi dans sa chair les milliers de morts des opérations israéliennes de 2006, 2008-2009, 2012 et maintenant 2014, et les destructions massives de maisons et d’infrastructures qu’elles ont entraînées ? Plus de haine encore ? Impossible, hélas ! d’en douter.

Si encore Israël avait choisi d’avancer par ailleurs vers la paix avec le modéré d’entre les modérés, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne à Ramallah. Mais non, ce dernier n’a rien obtenu malgré ses efforts tenaces depuis 2005. Ce qui nourrit aussi l’argumentaire des radicaux du Hamas.

source

Solidarité avec Gaza : des dérapages ?


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Elisabeth Cohen, Hajib El Hajjaji, Farah El Heilani, Tamimount Essaidi, Sharon Geczynski, Henri Goldman, Younous Lamghari, Michel Staszewski, Khaled Sor, Farida Tahar, Henri Wajnblum, Gérard Weissenstein, Saïd Zayou, Fatima Zibouh, Farida Zouj

 

Capturé sur Internet, le dessin montre une manifestation pacifique qui appelle à la fin des massacres, dénonce les crimes d’Israël et fustige la passivité européenne. À quelques mètres de là, un monsieur très excité a grimpé sur une voiture qu’il défonce à coup de hache. Et toutes les caméras sont braquées sur lui, tandis qu’elles tournent le dos à la manifestation.

 

Résumé parfait de la dérive actuelle du système médiatique : le moindre incident, si marginal soit-il, est monté en épingle. Plus : il est parfois même guetté dans l’espoir de faire le « buzz » et de l’imposer en boucle comme un fait majeur. Et, évidemment, cette focalisation morbide des caméras suscite des vocations auprès de quelques hurluberlus que ça excite de faire parler d’eux en transgressant des interdits. Le piège se referme.

Ce qui est particulièrement grave ici, c’est que cette dérive entre en parfaite résonance avec un discours politique qui cherche à tout prix à détourner l’attention des massacres de Gaza. Un discours pour qui les manifestations de solidarité avec les Gazaouis seraient par nature suspectes d’antisémitisme. Le plus petit dérapage fait farine au moulin. En France, on a allègrement franchi le pas, puisque des incidents périphériques complaisamment gonflés ont servi d’alibi à des interdictions de manifester. C’est comme si on fermait les compétitions sportives au public sous prétexte qu’il pourrait y avoir quelques hooligans dans un coin du stade. Et tant pis pour les milliers de supporters pacifiques assimilés aux casseurs…

 

Ce dimanche 27 juillet, avec des milliers d’autres, nous avons marché à Bruxelles pour faire savoir aux Gazaouis qu’ils ne sont pas seuls. Les organisateurs étaient les mêmes que le 11 janvier 2009 quand nous avions marché contre l’opération « plomb durci ». Les principaux slogans étaient aussi les mêmes, car rien n’a malheureusement changé depuis cinq ans. Mais les organisateurs proposent et les manifestants disposent. En 2009, de nombreux panneaux « non officiels » mettaient sur le même pied l’étoile de David – ce symbole juif qui se retrouve au milieu du drapeau israélien – et la croix gammée des nazis. Interpellé à l’époque, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme n’avait pas considéré l’affirmation de cette équivalence comme une manifestation d’antisémitisme. Mais, c’est vrai, elle a pu choquer. En 2014, aucun panneau de ce genre n’a pu être détecté. Comme si, au sein de la population musulmane particulièrement mobilisée, l’opinion avait muri et renonçait consciemment à tout amalgame entre la politique criminelle du gouvernement Netanyahou et les Juifs dans leur ensemble. C’est méritoire, tant la propagande israélienne, relayée par les institutions communautaires juives, voudrait faire accroire que les Juifs du monde entier sont par définition solidaires d’Israël jusque dans ses pires crimes, les exposant ainsi en première ligne à la réprobation que ceux-ci suscitent à juste titre.

 

Oui, des groupes de manifestants, minoritaires, ont tenu à mettre en avant leur identité musulmane. Où est le mal ? Oui, pour de nombreux « arabo-musulmans », l’islam est aussi une idéologie de résistance. Et c’est parce qu’il incarne cette résistance que le Hamas est populaire, pas pour sa charte ou son mode de gouvernance. En tant que femmes et hommes de gauche, cette incarnation de la résistance ne serait certainement pas notre premier choix. Mais nous nous interdisons de faire la leçon à un peuple opprimé qui s’est choisi cette direction. Surtout quand on voit l’absence totale de résultats obtenus par la ligne réputée plus conciliante de l’Autorité palestinienne.

Oui, il y a des fanatisés et des détraqués pathologiques partout. Il y a eu Mehdi Nemmouche et Mohamed Merah, comme il y a eu Anders Breivik et Hans Van Themsche[1]. Oui, on peut trouver des germes d’islamophobie au sein de la population européenne « de souche » comme on peut en trouver d’antisémitisme au sein de la population musulmane. Aucun groupe humain n’est vacciné contre l’une ou l’autre forme de racisme. Celui-ci devrait naturellement s’estomper dans le creuset de la société multiculturelle et des rapprochements qu’elle permet. Mais l’identification pavlovienne des uns et des autres avec « les siens » dans le conflit sanglant du Proche-Orient a ravivé de vieux préjugés.

 

Pour autant, il n’est pas question de mettre sur le même pied l’occupant et l’occupé, le crime industriel d’État et la résistance armée, étant entendu que les assassinats aveugles ne sont jamais acceptables. Juifs, Arabes ou musulmans, nous sommes attachés aux facettes singulières de notre identité, mais la quête de justice et l’attachement aux droits humains transcendent nos origines et nos appartenances. Ce qu’on nomme lapidairement la « cause palestinienne » doit être aujourd’hui la cause de l’humanité. C’est pour cela qu’elle nous tient à cœur et que nous manifestons pour elle.

 

30 juillet 2014

Blog de
Michel Staszewski